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Course au gaz en mer Méditerranée orientale : la nouvelle donne pour Israël

Par Ines Gil
Publié le 20/11/2018 • modifié le 08/04/2020 • Durée de lecture : 10 minutes

Ines Gil

Le 19 février 2018, le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahou annoncait la conclusion d’un contrat « historique » pour la fourniture de gaz naturel à l’Egypte dès 2019 (1). En septembre 2016 déjà, un contrat estimé à 10 milliards de dollars avait été signé pour l’exportation de gaz israélien vers la Jordanie. Ces contrats, qui renforcent le rôle d’Israël comme acteur régional sur le marché de l’énergie, témoignent aussi des récents bouleversements à l’oeuvre en matière d’exploitation de gaz naturel en Méditerranée orientale.

Découverte de gaz en Méditerranée orientale : de nouveaux gisements qui changent la donne pour Israël et ses voisins

Les découvertes de gisements de gaz : un tournant pour la Méditerranée orientale

Du gaz israélien exporté vers l’Egypte, c’est une première dans l’histoire des relations israélo-égyptiennes. Historiquement, Tel-Aviv n’a jamais été un exportateur de gaz. Pour assurer la consommation interne d’électricité, ces dernières décennies, Israël importait du gaz… depuis l’Egypte, ou produisait son électricité à partir du charbon.

Cependant, ces dernières années, des découvertes de gisements gaziers vont bouleverser le destin énergétique de la Méditerranée orientale, et en particulier de l’Etat hébreu. Selon Marie-Claire Aoun, Enseignante à l’Université Paris Dauphine, spécialisée dans les questions énergétiques, « les prospections ont lieu depuis plusieurs décennies mais l’histoire récente du gaz en Méditerranée orientale a réellement commencé en 2009 en Israël, grâce à la découverte par la compagnie américaine Nobel Energie d’un champ gazier offshore » (2), le gisement Tamar 2 au large de Haïfa (3). Cet épisode est suivi d’une seconde découverte l’année suivante, le gisement du Léviathan, du nom du célèbre monstre marin dans la Bible, dont les réserves seraient de l’ordre de 500 milliards de mètres cubes de gaz. Le dernier gisement israélien découvert est Karish, qui renfermerait 50 milliards de mètres cubes de gaz. Suite à ces découvertes inespérées, les prospections se poursuivent dans la région, et en 2011, le gisement Aphrodite est découvert, cette fois dans les eaux chypriotes. En 2015, enfin, un dernier gisement est dévoilé, dans la Zone économique exclusive de l’Egypte, le gisement Zohr, qui comprendrait 850 milliards de mètres cubes de gaz.

Ces découvertes ne représentent pas une part importante des réserves mondiales, cependant, leur localisation dans cette région rythmée par de fortes tensions géopolitiques accentue leur caractère exceptionnel, et sur le plan strictement régional, ces gisements constituent une petite révolution.

Israël : Vers l’indépendance énergétique

Actuellement, dans la région moyen-orientale, même après les récentes découvertes, les réserves de gaz restent principalement au Qatar et en Iran. Cependant, Israël commence réellement à émerger dans le domaine.
La première économie du Moyen-Orient n’a été jusqu’aujourd’hui, qu’un grand importateur de pétrole et de gaz, et un producteur de charbon (4). Mais Tamar 2 et surtout Leviathan ont changé la donne.
A l’heure actuelle, Israël n’encourage même plus les prospections dans ses eaux, car le pays ne sait pas encore quoi faire de ses propres réserves. Les gisements israéliens lui assureraient en effet une indépendance énergétique pour 120 ans.
Suite à la découverte de ces gisements, les associations de défense de l’environnement se sont mobilisées pour protester contre l’exploitation de ce composant polluant. En réponse, le gouvernement israélien affirme vouloir développer les énergies vertes. D’ici la prochaine décennie, l’électricité en Israël pourrait dépendre à 80% du gaz et à 20% des énergies renouvelables, notamment solaires.

Ainsi, l’Etat hébreu s’étant assuré de son indépendance énergétique, il peut envisager des exportations.

Le rôle régional d’Israël bouleversé par la découverte de gisements de gaz

Israël : Nouveau pays exportateur de gaz ?

Jusqu’à l’avènement du Printemps arabe en 2011, l’Egypte constituait un important exportateur de gaz, notamment en direction d’Israël. Mais à partir de 2011-2012, « l’Egypte devient un importateur net de gaz » selon Marie-Claire Aoun. Le Caire ne parvient pas à répondre seul aux besoin d’une population de plus en plus nombreuse, et de plus en plus consommatrice d’électricité. Par ailleurs, dans le Sinaï, des groupes terroristes sabotent les pipelines qui permettaient le transport de gaz vers Israël.
Ces problématiques internes, combinées avec la découverte de gisements de gaz en mer israélienne, ont poussé l’Egypte à passer un contrat d’importation de gaz israélien, début 2018. Après la Jordanie (2016), l’Egypte va devenir le deuxième pays pour l’exportation du gaz israélien. Un vrai paradoxe, car les Accords de Camp David (1978) (5) prévoyaient le scénario contraire.

Le contrat israélo-égyptien a été passé entre groupe énergétique israélien Delek, l’américain Noble Energy, et la compagnie privée égyptienne Dolphinus. Selon Delek, il prévoit la livraison de 64 milliards de mètres cubes de gaz, extraits des gisements Tamar 2 et Leviathan (6), pour un montant d’environ 12 milliards d’euros.
Ce contrat, qualifié d’« historique » (7) par Benyamin Netanyahou, a entraîné un fort enthousiasme côté israélien, alors que l’Egypte a préféré calmer le jeu (8). Même si ce contrat est inédit, il s’étend sur une période de 10 ans et vise seulement à répondre aux demandes internes égyptiennes à court terme. Entre temps, Le Caire compte réamorcer la production de gaz, grâce à la nouvelle dynamique enclenchée avec la découverte du gisement égyptien Tohr.

Côté jordanien, un contrat d’exportation du gaz israélien a été signé en 2016. Actuellement, le pipeline d’acheminement de ce gaz est presque entièrement construit, et les livraisons devraient commencer au début de l’année 2019. Les quantités livrées représenteraient 3 à 3,5 milliards de mètres cubes par an, soit la moitié des besoins jordaniens.

De nouvelles opportunités pour l’Etat hébreu… pas totalement exploitables

Les gisements de gaz découverts en mer Méditerranée orientale intéressent de plus en plus l’Europe, qui cherche à s’éloigner de l’exportateur russe pour diversifier ses sources d’approvisionnement.

Pour exporter son gaz vers ses alliés européens à travers un réseau de pipelines, deux scénarios sont possibles pour Tel-Aviv :
1. L’option turque : un projet de construction de pipelines qui passerait par la Turquie pour arriver en Europe. Ce projet est néanmoins fortement compromis par le retour des tensions politiques entre Ankara et Tel-Aviv.
2. L’option chypriote : le projet de construction de pipelines East Med qui passerait par Chypre et la Grèce pour déboucher sur le reste de l’Europe. Le projet est soutenu par la Commission européenne.

En 2017, le Premier ministre Netanyahou a jugé « révolutionnaire » le projet de gazoduc East Med, au cours d’une rencontre tripartite sur le territoire grec. Cependant, malgré l’enthousiasme affiché des Israéliens et des Européens, ce projet sera très difficile à mettre en place. Un des plus longs et profonds du monde, ce réseau de transport de gaz est probablement trop coûteux (5,8 milliards de dollars) pour être sérieusement envisagé. Par ailleurs, selon Mark Pierini, chercheur à Canergie Europe à Bruxelles, « c’est techniquement extraordinairement très compliqué car c’est une région (la Grèce) à très forte sismicité et avec de très grandes profondeurs ». Financée par l’Union européenne, une étude devrait être menée l’année prochaine pour évaluer la faisabilité de ce projet (9).

Liquéfier le gaz : l’ouverture de débouchés pour le gaz israélien ?

Selon Samuele Furfari, enseignant à l’Université Libre de Bruxelles spécialisé dans la géopolitique de l’énergie, Israël et l’ensemble des pays de la mer Méditerranée orientale, ont tout intérêt à développer le transport de gaz liquéfié, s’ils « veulent rester indépendants et avoir accès aux marchés mondiaux ». Ce système permettrait à l’Etat hébreu de contourner la problématique coûteuse des pipelines en direction de l’Europe, d’autant plus que le continent européen n’est pas le seul marché d’avenir pour Tel-Aviv. La gaz liquéfié pourrait ouvrir à Israël la porte de l’Amérique latine, de l’Asie, ou encore de l’Afrique.

Cependant, durant la Convention 2018 sur l’énergie et le commerce en Israël (19 novembre 2018), de fortes limites à l’option du processus de liquéfaction du gaz israélien ont été soulevées. Israël n’a pour le moment pas d’usine de liquéfaction du gaz. Une telle structure est extrêmement coûteuse à développer (autour de 10 milliards d’euros). Pour investir cette somme, l’Etat hébreu doit s’assurer d’acheteurs de confiance, sur le long terme. Les Européens pourraient constituer ce client idéal. Or, Washington vend déjà de grandes quantités de gaz liquéfié aux Etats de l’Union européenne. Le marché semble donc pour le moment trop réduit pour qu’Israël investisse dans ce procédé coûteux.

Les gisements de gaz : facteur de nouvelles tensions en méditerranée ?

Turquie-Israël : les espoirs d’un réchauffement autour du gaz

En 2016, les relations entre Ankara et Israël se sont réchauffées… autour du gaz. Leurs relations diplomatiques étaient alors rompues depuis 2010, suite à l’affaire du Mavi Marmara. Affrété par des militants pro-palestiniens, ce bateau turc devait forcer le blocus israélien pour apporter une aide humanitaire dans la Bande de Gaza. Il a été attaqué par la marine israélienne. Le bilan a été de dix morts (10). Mais six ans plus tard, poussé par ses besoins internes en gaz, Ankara s’est rapproché de Tel-Aviv. Un projet de réseau pipeline reliant Israël à l’UE et passant par la Turquie a même été envisagé.

Cependant en 2018, les relations avec Israël sont de nouveaux mises à mal, principalement dues à la question palestinienne. Le Président Erdogan a fait plusieurs sorties enflammées, notamment depuis le début de la Marche du Retour (30 mars 2018), qualifiant notamment de « Génocide » (11) le sort réservé aux Palestiniens. Ces paroles ont sérieusement refroidi les liens entre les deux pays et ont gelé tout projet de rapprochement autour du gaz israélien.

Les tensions israélo-libanaises autour d’un gaz disputé

Officiellement en état de guerre, les relations entre le Liban et Israël pourraient connaître un regain de tensions autour de la question du gaz en Méditerranée orientale. Depuis 2011, après les découvertes de Tamar 2 et de Leviathan, les deux Etats se disputent une zone maritime qui recèlerait d’importantes réserves d’hydrocarbures. Cette zone est actuellement sous contrôle israélien, mais elle est disputée par le Liban, car les limites maritimes n’ont jamais été réellement fixées entre les deux Etats. « D’une superficie d’environ 870 km2, celle-ci représente plus de 3 % de l’espace maritime sur lequel le Liban exerce ses droits souverains en matière d’exploration et d’usage des ressources » (12). La cause du différent : les deux Etats ne se basent pas sur les mêmes textes pour délimiter leur ZEE. Tel-Aviv s’appuie sur un accord conclu en 2007 avec Nicosie et Beyrouth, accord que le Liban n’a cependant jamais ratifié. Les dirigeants libanais, quant à eux, s’appuient sur le tracé dessiné par l’accord d’armistice signé en 1949, et sur les normes internationales régies par la Convention des Nations unies sur les droits de la mer, une Convention à laquelle Israël n’est cependant pas partie.

La zone disputée pourrait contenir 340 milliards de mètres cubes de réserves de gaz, selon une étude réalisée par Beicip-Franlab, une fialiale de l’Institut français du pétrole énergie nouvelle (13). Par ailleurs, le gisement israélien Karish, découvert récemment, alimente la discorde. Il se trouve à proximité de la ZEE du pays du cèdre, et selon le Liban, Israël pourrait empiéter sur les réserves libanaises, en procédant à des extractions horizontales. En 2017, les armées libanaise et israélienne ont entamé des discussions sous l’égide de l’ONU sur ce thème. Cependant, les échanges sont pour le moment au point mort (14).

Actuellement, l’optique d’un conflit ouvert sur cette question n’est pas à l’ordre du jour. Le Liban est concentré sur des gisements en dehors de la zone disputée. En février dernier, il a signé un contrat d’exploration offshore mené par Total, auxquels sont aussi partis l’italien Eni et le russe Novatek (15).

Côté palestinien : Israël bloque toute exploitation de gaz

Avant Tamar 2, Leviathan ou Zohr, un premier gisement avait été découvert en 1998 au large de Gaza, Gaza Marine. Cependant, Israël a toujours refusé l’exploitation de ce gaz, même jusqu’en 2007, lorsque l’Autorité palestinienne contrôlait encore la Bande de Gaza, sous prétexte que les profits pourraient servir à financer des activités terroristes. Après la prise de pouvoir du Hamas dans l’enclave palestinienne, la position israélienne s’est raffermie. L’accès à Gaza Marine est aujourd’hui impossible : « il se trouve entre 17 et 21 miles (27 et 33 km) au large de la côte, et les forces israéliennes imposent à tout navire de rester à six miles (10 km) des côtes d’Israël, en violation des accords d’Oslo » (16).

Conclusion

La découverte de gaz en Méditerranée orientale permet aujourd’hui aux pays riverains de jouer un rôle comme acteurs de production et d’exportation. Les gisements de gaz ont à la fois ouvert des opportunités nouvelles, signes de renforcement de certaines relations, mais elles ont aussi accentué les tensions dans cette région agitée. Contrairement à l’Egypte, Israël, Chypre et le Liban n’ont pas les expertises et les connaissances en matière d’exploitation de gaz. Dans les années à venir, leur principal défi sera de gagner en compétence, afin d’exploiter ce précieux bien, vu comme un trésor sous-marin.

Lire également :
 Cartes : Le gaz en Méditerranée orientale : une nouvelle donne pour Israël
 Entretien avec David Amsellem – Les problématiques gazières égyptiennes et israéliennes
 Cartes : L’Egypte après la découverte du gisement de Zohr : un futur hub pour le gaz ?
 Le gaz, un enjeu régional et mondial
 La stratégie gazière et pétrolière de la Turquie au Moyen-Orient, relance ou déstabilisation de l’économie turque ?
 Histoire des relations entre l’Egypte et Israël, la « paix froide » (1/2) : 1948-1970
 Histoire des relations entre l’Egypte et Israël, la « paix froide » (2/2) : Le long chemin vers la paix sous Sadate et Moubarak (1970-2011)

Notes :

(1) https://afrique.lalibre.be/25068/energie-du-gaz-israelien-exporte-vers-legypte-des-debut-2019/
(2) https://www.franceculture.fr/emissions/affaires-etrangeres/affaires-etrangeres-du-samedi-28-avril-2018
(3) Il contiendrait 180 milliards de mètres cubes de gaz.
(4) http://www.rfi.fr/emission/20180105-israel-mise-energies-renouvelables
(5) https://www.la-croix.com/Monde/Entre-Israel-Egypte-quarante-ans-paix-froide-2018-09-15-1300968950
(6) https://www.lemonde.fr/afrique/article/2018/02/20/israel-conclut-un-contrat-historique-de-fourniture-de-gaz-a-l-egypte_5259630_3212.html
(7) https://www.lemonde.fr/afrique/article/2018/02/20/israel-conclut-un-contrat-historique-de-fourniture-de-gaz-a-l-egypte_5259630_3212.html
(8) https://www.la-croix.com/Monde/Moyen-Orient/Israel-livrera-gaz-lEgypte-2018-02-20-1200915247
(9) Informations recueillies pendant la Convention 2018 sur l’énergie et le commerce en Israël (19 novembre 2018).
(10) https://www.lepoint.fr/monde/reconciliation-autour-du-gaz-entre-israel-et-la-turquie-02-07-2016-2051364_24.php
(11) http://www.europe1.fr/international/erdogan-compare-le-sort-des-palestiniens-a-gaza-a-celui-des-juifs-sous-les-nazis-3656390
(12) https://www.monde-diplomatique.fr/2015/10/EL_KHOURY/53934
(13) https://www.lorientlejour.com/article/800666/La_presence_de_gisements_petroliferes_importants__confirmes_au_large_des_cotes_libanaises.html
(14) https://orientxxi.info/magazine/montee-des-tensions-autour-du-gaz-en-mediterranee,2303
(15) http://www.rfi.fr/moyen-orient/20180226-liban-reve-exportateur-gaz-petrole-israel-trace-hoff-carte
(16) https://www.middleeasteye.net/fr/reportages/gaz-palestinien-la-bo-te-noire-1269536253

Publié le 20/11/2018


Ines Gil est Journaliste freelance basée à Beyrouth, Liban.
Elle a auparavant travaillé comme Journaliste pendant deux ans en Israël et dans les territoires palestiniens.
Diplômée d’un Master 2 Journalisme et enjeux internationaux, à Sciences Po Aix et à l’EJCAM, elle a effectué 6 mois de stage à LCI.
Auparavant, elle a travaillé en Irak comme Journaliste et a réalisé un Master en Relations Internationales à l’Université Saint-Joseph (Beyrouth, Liban). 
Elle a également réalisé un stage auprès d’Amnesty International, à Tel Aviv, durant 6 mois et a été Déléguée adjointe Moyen-Orient et Afrique du Nord à l’Institut Open Diplomacy de 2015 à 2016.


 


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