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Le gaz, un enjeu régional et mondial

Par Valentin Germain
Publié le 02/01/2014 • modifié le 01/03/2018 • Durée de lecture : 8 minutes

GULF : A picture shows the Iranian South Pars quarter one (SPQ1) gas platform in the Gulf near Qatar’s territorial waters on January 26, 2011. AFP PHOTO/ATTA KENARE

La place du gaz dans le monde

Les réserves mondiales de gaz prouvées, c’est-à-dire dont l’existence est établie et dont les chances de récupération sont quasiment certaines, étaient de 180 000 milliards de mètres cubes en 2008. Aujourd’hui, le gaz est utilisé notamment dans l’industrie pétrochimique et pour produire de l’électricité. Il représente en effet 23 % du total de la consommation mondiale d’énergie. Cet intérêt ne va pas diminuer. Selon les chercheurs, la demande mondiale de gaz naturel devrait augmenter de 50% dans les vingt ans à venir pour aboutir à une production de 4 400 milliards de mètres cubes vers 2030.

À l’origine, les pays industrialisés de l’OCDE étaient producteurs de gaz mais cette offre est désormais en déclin. Ces sources traditionnelles de gaz sont donc progressivement remplacées par de nouvelles sources éloignées des zones de forte consommation. Cela entraîne une augmentation des échanges transfrontaliers de gaz avec des volumes exportés depuis le Moyen-Orient et l’Afrique amenés à tripler d’ici 2030. En outre, le gaz vit actuellement une crise. La situation politique instable depuis 2011 en Afrique du Nord et dans certains pays du Moyen-Orient a débouché sur une nervosité des marchés pétrolier et gaziers. À cela s’ajoute une surproduction en 2008 puis une augmentation considérable de la production des gaz non-conventionnels aux États-Unis (gaz de charbon présent dans des mines profondes, gaz de schiste et gaz compact présent dans des réservoirs peu poreux), entraînant une fermeture du marché américain aux importations.

Rappelons enfin que le marché gazier est un marché complexe divisé en trois zones géographiques : le marché américain, le marché européen et le marché asiatique. Sur ces trois espaces, le prix du gaz peut connaître des variations importantes : aux États-Unis, le million de british thermal unit (Btu, l’unité de mesure calorifique) atteint 2,50 dollars tandis qu’en Europe il est de 12 dollars et qu’en Asie il s’élève à 16 dollars.

Dans ce relatif marasme économique concernant le marché du gaz, un secteur se porte toutefois bien. Il s’agit du gaz naturel liquéfié (GNL) dont la croissance prévue est de 4 % par an jusqu’en 2030. Le GNL est un gaz que l’on a réfrigéré à -162° Celsius, le rendant dès lors liquide et ne lui permettant plus d’occuper que le 1/600e de sa place à l’état gazeux. L’avantage est indéniable en termes de transports. Des volumes conséquents peuvent ainsi être échangés et acheminées sur de très longues distances et sur le long terme, par des voies commerciales diverses. Cela permet d’éviter les risques géopolitiques liés à un transport tel que le gazoduc, souvent la cible d’attaques.

Toutefois, une spécialisation dans le GNL nécessite des investissements coûteux et des structures adaptées. Ainsi, le gaz naturel doit être récolté et acheminés vers des usines de liquéfaction, puis transportés dans des méthaniers (la pratique est donc relativement dépendante du secteur de la construction navale) avant d’être regazéifié pour être mis sur le marché de la consommation. Pour refroidir le gaz naturel, ce dernier doit passer par un « train de liquéfaction ». Ce procédé conséquent nécessite 70 000 tonnes de béton, 440 kilomètres de câbles électriques et 13 000 kilomètres de canalisations. Le Qatar compte actuellement 14 trains dans la ville industrielle de Ras Laffan.

Le Qatar, premier exportateur de GNL au monde

Le Qatar occupe une place unique au Moyen-Orient, dans son rapport au gaz. En effet, le pays dispose du plus grand gisement de gaz naturel au monde : le North Dome field, aussi connu sous le nom de South Pars pour l’autre pays qui l’exploite, l’Iran. Le Qatar est le troisième pays au monde en termes de réserves prouvées de gaz après la Russie et son voisin iranien. Dans un Moyen-Orient où les ressources énergétiques sont importantes et où l’or noir défait les régimes, le Qatar a fait le choix du gaz. En 2008, les mannes de ce secteur dépassent celles du pétrole dans la part du PIB pour la première fois dans l’histoire du pays.

Comment le Qatar est-il arrivé à faire la différence par rapport à ses voisins, eux-aussi bien pourvus en énergie fossile ? Le pays n’est pas le premier producteur de gaz de la région, c’est bien l’Iran qui occupe la première place du classement. Mais c’est le seul à pouvoir disposer d’un surplus aussi important à exporter. En effet, les autres pays producteurs sont obligés d’importer du gaz en vertu de leur consommation intérieure. Le Qatar a l’avantage de disposer d’une population de 1,9 millions d’habitants dont environ 20 % de nationaux, les 80 % restant étant des expatriés.

En outre, la situation géographique du pays et le fait que ses voisins soient tous des pays exportateurs d’hydrocarbures rend difficile le transport du gaz qatari en gazoduc. D’où le choix nécessaire du GNL dont le Qatar est aujourd’hui le premier exportateur au monde. Le pays commence à exporter du GNL en 1996 et aujourd’hui, il en vend essentiellement en Asie : au Japon et en Corée du Sud, mais également en Europe et, dans le passé, aux États-Unis. Le GNL qatari est produit par deux entreprises, QatarGas et Ras-Gas, dont l’actionnaire principal est l’entreprise publique Qatar Petroleum.

La stratégie qatarie est d’être présent à chaque maillon de la chaîne de production et d’exportation. Les dépenses portent donc sur la production mais également le transport avec à terme l’ambition d’assurer le tiers des exportations mondiales de GNL. L’augmentation de la production et des exportations n’est pas le but affiché, le pays cherche plutôt à valoriser ses acquis. Cela passe donc par une meilleure visibilité sur le marché mondial, en restant le premier exportateur et en contribuant à alimenter l’industrie pétrochimique. Et à l’échelle régionale, le pays souhaite aussi diversifier ses échanges en transformant le GNL en électricité exportable vers ses pays voisins du Golfe.

Le marché du GNL n’a pas été touché par la crise du gaz et le Qatar d’autant moins, surtout après l’accident nucléaire de Fukushima qui a provoqué une hausse des prix. En effet, en 2011, le Japon a dû importer 10 milliards de mètres cubes supplémentaires de GNL pour pallier l’arrêt de la centrale, dont 5,6 milliards en provenance du Qatar.

Le pays est toutefois conscient que la manne gazière n’est pas renouvelable à l’infini et prépare l’après-hydrocarbure en diversifiant ses investissements, à l’étranger notamment. Reste que l’industrie gazière permet pour l’instant de financer le développement du soft power et des outils d’influence qataris. Les diverses prises de participation de l’État à travers le monde sont une aubaine pour des multinationales et des organismes fragilisés par les crises. Le Qatar est en excellente santé financière grâce à son gaz et cela l’aide à occuper une place de plus en plus importante au Moyen-Orient et dans le monde.

Les préoccupations énergétiques israéliennes et leurs conséquences

Si le Qatar n’est sur le devant de la scène que depuis quelques années, ce n’est pas le cas d’Israël qui est un État majeur de la région depuis sa création en 1948. En revanche, sur le marché du gaz, l’État hébreu a dû attendre la fin des années 2000 pour avoir de l’influence, et cela dans une relation conflictuelle avec ses voisins. En 1999, du gaz est ainsi découvert au large des côtes de la Bande de Gaza. Côté israélien, entre 2000 et 2004, on se rend compte que les eaux territoriales sont susceptibles d’abriter des poches de gaz. Mais cela ne va pas sans l’émergence de conflits car ces poches ne respectent pas les frontières tracées par l’homme, et ce dans une région où les contentieux territoriaux sont nombreux.

2010 est une année marquante avec la découverte de la poche de gaz Léviathan. Dès l’année précédente, Israël avait commencé à exploiter les champs gaziers de Tamar mais la découverte du gisement Léviathan bouleverse la donne par l’importance de la poche. Situé à 135 kilomètres de Haïfa, en pleine mer, le gisement pourrait abriter près de 450 milliards de mètres cubes. Avec ces deux gisements, Israël s’impose désormais comme un des nouveaux acteurs majeurs du gaz en Méditerranée. Ces découvertes bouleversent en effet le rapport de force et les équilibres géopolitiques du bassin du Levant. Ces deux champs ne sont toutefois pas encore exploités à 100% : ainsi le gisement de Tamar a livré sa première cargaison en mars 2013 tandis que l’on estime les débuts de la production sur le Léviathan entre 2016 et 2017.

Avant ces découvertes, grand consommateur de gaz, le pays est dépendant des importations. Le premier partenaire d’Israël est alors l’Égypte. Des accords sont négociés à partir de 1994 et signés en 2005 et à partir de 2008, le voisin égyptien devient le principal fournisseur du pays en gaz, à travers l’utilisation du gazoduc reliant Arish et Ashkelon. Dans cette situation, la sécurité énergétique d’Israël dépend des bonnes relations avec l’Égypte qui fournit près de 40 % de la demande en gaz d’Israël. Tout cela est remis en question à partir de 2011 avec la chute de Hosni Moubarak lors de la révolution égyptienne. Israël s’engage alors à diversifier ses apports en gaz et intensifie sa recherche de gisements dans ses eaux territoriales et sa Zone Économique Exclusive (ZEE). Dès les premiers mois de la révolution, le gazoduc Arish-Ashkelon est saboté à de multiples reprises et en avril 2012, après un changement de régime, l’Égypte annonce la suppression des envois de gaz en Israël.

Désormais assuré d’une certaine auto-suffisance en gaz, Israël n’a plus besoin des accords avec l’Égypte mais c’est auprès d’un autre voisin territorial que les relations se tendent : le Liban. Le conflit entre les deux États est basé sur la mésentente à propos de leurs frontières, et notamment maritimes. Selon l’État israélien, les champs de Tamar et du Léviathan sont situés au sein des ZEE israéliennes. Le problème est que la frontière entre la ZEE libanaise et son homologue israélienne n’a pas de fondement légal et ne résulte d’aucun accord entre les deux États. Le Liban considère donc que ces deux champs gaziers résultent d’une poche issue du sous-sol du territoire maritime qui est situé en territoire libanais et que l’exploitation israélienne se fait au détriment de ressources d’hydrocarbures libanaises. Ainsi en janvier 2011, le ministre libanais des Affaires étrangères a demandé à l’ONU de stopper le forage israélien dans ces eaux. En réponse, la marine israélienne a déclaré être responsable de la sécurité de ces gisements tandis qu’à l’été 2012, le ministère de la Défense a validé la création d’un plan de défense pour protéger ces champs. Enfin, le projet Iron Dome, le système de défense aérienne mobile israélien peut également être déployé pour défendre les installation de forage.

Ces découvertes israéliennes donnent donc une importance nouvelle à l’État hébreu dans la région et contribuent à modifier la donne énergétique du bassin du Levant, bouleversant les alliances entre États et ravivant certaines tensions, jusqu’à l’île de Chypre et ses deux « protecteurs », la Grèce et la Turquie. Toutefois, il est vraisemblable que ces conflits portant sur le gaz déboucheront sur la signature d’accords qui bénéficieront aux deux parties.

La ressource gazière au Moyen-Orient a donc de l’avenir, et ses acteurs prennent une place de plus en plus remarquée dans les échanges régionaux et mondiaux. Pourtant cette ressource n’est pas inépuisable et l’horizon de l’après-hydrocarbure arrive bientôt. C’est pourquoi certains État commencent à se tourner vers les énergies renouvelables. La plupart des pays du Moyen-Orient accorde certes un timide intérêt au sujet mais la pression de la communauté internationale et les réels effets bénéfiques qu’un passage au renouvelable pourrait procurer font que l’enjeu est abordé de manière sérieuse. On s’attend dans la région à une forte croissance de la population, ce qui entraînera quasi-automatiquement une augmentation des besoins en ressources énergétiques. En outre, pour ces pays producteurs d’hydrocarbures, la pollution est un danger concret, notamment dans les zones urbaines à cause de la combustion des hydrocarbures et des gaz polluants. L’Agence Internationale de l’Énergie révélait ainsi en 2005 que dans les dix-huit pays de la zone Moyen-Orient/Afrique du Nord, la part du secteur de l’énergie dans les émissions de dioxyde de carbone était de 44 %.

C’est pourquoi on note un engagement de certains pays dans la production d’énergies renouvelables, à la recherche d’une efficacité énergétique, c’est-à-dire la façon la plus simple, la plus rapide et la plus propre pour réduire les consommations d’énergie. Ces pays misent donc sur le solaire, les éoliennes ou la biomasse. Dans la région, l’Égypte est ainsi dynamique dans les secteur de l’éolien ou du solaire tandis que les Émirats arabes unis se positionnent comme un des pays les plus avancés en termes de respect de l’environnement. Le pays est à l’origine du projet de la ville de Masdar, soit la première écoville de la région. La ville est notamment censée accueillir l’Agence internationale pour les énergies renouvelables (IRENA).

Bibliographie :
 ANTREASYAN Anaïs, Gas Finds in the Eastern Mediterranean, Journal of Palestine Studies, Vol. 42, No. 3, Printemps 2013.
 GAUTHIER Jean-Michel, « Géoéconomie de la demande et de l’offre énergétique mondiale », Géoéconomie, 2009/4 n° 51.
 SENOUCI Benabbou, « Expansion du marché mondial du gaz naturel liquéfié et stratégies des acteurs. Étude comparative des stratégies algérienne, qatarie et russe », Innovations, 2012/1 n°3.
 SERENI Jean-Pierre, « Le gaz naturel, instrument de la stratégie de puissance qatarie », Géoéconomie, 2012/3 n° 62.
 SROUR-GANDON Perla, « L’efficacité énergétique au Moyen-Orient », Moyen-Orient n° 4, Février-Mars 2010.

Publié le 02/01/2014


Valentin Germain est actuellement étudiant au Magistère de Relations Internationales et Action à l’Etranger de l’université Paris 1. Après avoir grandi au Maroc, il a étudié à Paris, notamment avec Nadine Picaudou, Pierre Vermeren et Khadija Mohsen-Finan. Passionné par le monde arabe et la Méditerranée, il a voyagé et vécu en Egypte, en Turquie et au Liban.


 


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