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L’Egypte après la découverte du gisement de Zohr : un futur hub pour le gaz ?

Par Laura Monfleur
Publié le 09/03/2018 • modifié le 21/04/2020 • Durée de lecture : 6 minutes

Or, des tensions diplomatiques et des questions techniques viennent remettre en cause l’exploitation des gisements et l’exportation du gaz. La formation d’un hub gazier moyen-oriental centré sur Israël et Chypre semble incertaine, d’autant plus que la découverte du méga-gisement Zohr au large des côtes égyptiennes en 2015 pourrait redonner une indépendance énergétique plus grande à l’Egypte et replacer ce pays au cœur du hub gazier de l’Est de la Méditerranée.

Tableau : gisements de gaz dans l’Est Méditerranéen

L’Egypte et le gaz : de l’exportation à l’importation

L’Egypte dispose de réserves de gaz inshore et offshore très importantes : 2200 milliards de m3 en janvier 2015 (1). Entre 2000 et 2011, l’Egypte a triplé sa production de gaz, lui permettant de l’exporter, notamment vers Israël et la Jordanie (rapport du Parlement Européen, 2017). Les champs gaziers se situent principalement dans le bassin du delta du Nil. Deux types d’infrastructures d’exportation ont été développés en conséquence (cf. carte) :
 deux terminaux de liquéfaction à Idku et Damiette. Le gaz est transporté des gisements à ces usines où le gaz est liquéfié. Le gaz naturel liquéfié peut être ensuite transporté sur des méthaniers. Ces stations de liquéfaction permettent d’exporter vers l’Asie et l’Europe.
 des gazoducs : le gazoduc égyptien entre Damiette et Arish, le gazoduc Arish-Ashkelon entre l’Egypte et Israël mis en service en 2008 après un accord signé entre les deux pays en 2005 et l’Arab Gas Pipeline qui relie l’Egypte, la Jordanie, la Syrie et le Liban.


Le pays s’est également ouvert aux compagnies étrangères d’exploitation : ENI, premier producteur du pays, est une compagnie italienne ; BP, une compagnie britannique, représente 30% de la production du gaz (Augé, 2016).

L’Egypte est alors au cœur d’une possible coopération énergétique entre les pays du Moyen-Orient et des stratégies européennes de diversification des ressources énergétiques. Un projet de prolongation de l’Arab Gaz Pipeline vers la Turquie a été évoqué par l’Egypte, la Syrie, la Jordanie et le Liban, en collaboration avec l’Union européenne. Cette dernière propose également en 2005 de créer un marché régional du gaz entre ces pays, ce qui serait une première étape avant l’intégration de ces pays au marché gazier de l’Union européenne (rapport du Parlement européen, 2017). En 2008, l’Egypte est le principal fournisseur d’Israël en gaz.

Or, en 2012, l’Egypte rompt le contrat avec Israël et diminue ses exportations vers la Jordanie, prétextant un retard de paiement de la part d’Israël mais également des attaques menées par des bédouins et des Frères musulmans sur le gazoduc Arish-Ashkelon, à la suite de la révolution de 2011. La véritable raison est néanmoins un problème énergétique intérieur. Du fait de l’augmentation de sa population et d’une politique importante d’exportation gazière, l’Egypte ne parvient plus à répondre à la demande interne de gaz qui représente 53% de la consommation totale d’énergie primaire du pays (Amsellem, 2016). Les usines de liquéfaction tournent au ralenti. Depuis 2014, malgré l’arrêt des exportations, la consommation de gaz est supérieure à sa production (Augé, 2016). La consommation de gaz a en effet augmenté de 7% en moyenne chaque année entre 2004 et 2013 tandis que la production de gaz naturel a chuté de 5% entre 2012 et 2013 (Amsellem, 2016).

L’Egypte s’est donc décidée à importer du gaz depuis l’Algérie, la Russie et Israël via l’Arab Gas Pipeline. En 2015, des accords, non contraignants, ont été signés notamment entre les compagnies israéliennes exploitant les gisements de Tamar et de Léviathan et des compagnies privées égyptiennes.

La découverte du gisement de Zohr et ses conséquences sur la formation d’un hub gazier

Le gisement de Zohr est le plus grand gisement de gaz trouvé dans l’Est méditerranéen, avec des ressources estimées de l’ordre de 850 milliards de m3. Il se situe sur le territoire maritime de l’Egypte à la frontière avec celui de Chypre. Il a été découvert en août 2015 par la compagnie italienne ENI. Cette dernière en assure l’exploitation et détient la majorité des actions (60%). Elle a vendu le reste à Rosneft (30%), une compagnie russe, et à BP (10%). Il faut notamment savoir que les intérêts de la compagnie ENI sont nombreux en Egypte. En effet, depuis 2010, plusieurs accords ont été signés entre ENI et la société d’Etat EGPC (Egyptian General Petroleum Corporation) concernant des projets dans le golfe de Suez, le désert, le delta du Nil et l’offshore méditerranéen, en échange d’une implication du groupe EGPC dans ses permis en Irak et au Gabon (Augé, 2016). Le 31 janvier 2018, le président Abdel Fatah al-Sissi a inauguré le champ gazier de Zohr. Son exploitation a commencé en décembre 2017 par la compagnie ENI. Les délais d’exploitation annoncés en 2015 qui projetaient une exploitation fin 2017 ont donc été respectés. Cependant, la production a commencé au ralenti – 350 millions de pieds cube –, bien en-dessous des quantités annoncées en 2015 – une production d’un milliard de pieds cubes par jour.

Par sa taille, ce gisement pourrait assurer l’indépendance énergétique de l’Egypte en matière de gaz. Mais la découverte de ce gisement n’aura pas que des conséquences pour l’Egypte. En effet, les contrats avec Israël pourraient être annulés. Si le groupe israélien énergétique Delek a annoncé un « contrat historique » pour fournir du gaz à l’Egypte le 19 février 2018, le ministre égyptien du Pétrole a annoncé que ce contrat n’était pas officiel et qu’il ne le serait qu’à condition qu’il soit approuvé définitivement par le gouvernement et qu’il soit bénéfique pour l’économie égyptienne. On voit bien que la découverte de Zohr peut remettre en cause cette deuxième condition (2).

De plus, ce gisement pourrait remettre l’Egypte au cœur du hub gazier. Si ENI et l’EGPC ont annoncé que le gaz exploité à Zohr serait destiné au marché domestique, il n’est pas exclu qu’à plus long terme une partie du gaz égyptien soit exportée, d’autant plus que, depuis la découverte de ce gisement, l’exploration des blocs adjacents à celui de Zohr – détenus par d’autres compagnies telles que la compagnie italienne Edison et la compagnie irlandaise Petroceltic – s’est accélérée. ENI se mobilise également pour que les terminaux de liquéfaction de gaz qui sont en situation de sous capacité chronique attirent le gaz des gisements Aphrodite et Léviathan (Augé, 2016).

Tareq Baconi, un membre du Conseil européen des Relations étrangères, soutient l’idée d’un hub gazier centré sur l’Egypte (2017). Cette solution est envisagée également par l’Union européenne pour diminuer sa dépendance au gaz russe. Dans un rapport du Parlement européen (2017), la Direction Générale des Politiques externes stipule que « l’Egypte semble détenir la clé du futur du gaz dans l’Est Méditerranéen » (p. 4). Ce rapport évoque les contraintes d’un hub gazier centré sur Israël et Chypre :
 les incertitudes financières et techniques concernant des infrastructures telles le Pipeline Est-Méditerranéen, les usines de liquéfaction de Vassilikos (Chypre) et en Israël. Ces infrastructures sont couteuses, le pipeline pourrait ne pas être fonctionnel avant 2025 et les usines semblent situées dans des zones de taille insuffisante pour les accueillir.
 les incertitudes en matière de régulation israélienne. L’exploitation du gisement Léviathan a pris du retard en raison notamment de l’implication de l’Autorité antitrust israélienne qui remet en cause la possession des grands gisements par une seule compagnie. Découvert en 2010, ce gisement n’est toujours pas exploité.
 les tensions diplomatiques entre Israël et ses voisins : conflit avec le Liban pour fixer la frontière maritime ; tensions diplomatiques avec la Turquie à propos de la question chypriote (3). Cela remettrait en cause un projet de pipeline entre la Turquie et Israël qui doit passer dans le territoire maritime de la République turque de Chypre du Nord, reconnue uniquement par la Turquie.

Au contraire, l’Egypte semble avoir de nombreux atouts pour se positionner comme hub (Amsellem, 2016) :
 des infrastructures de liquéfaction et d’exportation existantes qui ne nécessiteraient pas de nouveaux investissements.
 une collusion des intérêts des dirigeants politiques et compagnies d’exploitation du gaz. Le ministère égyptien du Pétrole encourage les firmes étrangères à s’implanter dans le pays et à accroître leur investissement, la dépendance énergétique étant également d’un enjeu de nationalisme politique. Le pouvoir politique ainsi que les fonctionnaires d’Etat semblent mener une politique proactive pour accélérer l’exploration des zones offshore et réduire les délais entre la découverte d’un gisement et son exploitation : cadre légal clair, prix d’achat du gaz attractif pour les compagnies d’exploitation, certitude de débouché car c’est l’Etat qui achètera le gaz (Augé, 2016). L’interventionnisme d’un Etat fort, centralisé et autoritaire permet, malgré un contexte sécuritaire dégradé notamment au Sinaï, d’attirer les compagnies étrangères.
 une absence de conflits pour ses frontières maritimes, la frontière nord ayant été fixée par un accord bilatéral avec Chypre en 2003.

Après un premier renversement des rôles entre Israël et l’Egypte suite à la découverte des gisements de Tamar et Léviathan, un deuxième renversement pourrait voir le jour entre ces deux pays grâce à la découverte du gisement de Zohr, renforçant un hub gazier autour du territoire égyptien.

Notes :
(1) Voir l’entretien avec David Amsellem sur Les clés du Moyen-Orient : https://www.lesclesdumoyenorient.com/Entretien-avec-David-Amsellem-Les-problematiques-gazieres-egyptiennes-et.html.
(2) « Israël conclut un contrat « historique » de fourniture de gaz à l’Egypte », Le Monde, 20 février 2018, http://www.lemonde.fr/afrique/article/2018/02/20/israel-conclut-un-contrat-historique-de-fourniture-de-gaz-a-l-egypte_5259630_3212.html (consulté le 6 mars 2018).
(3) Pour une analyse plus complète de ces enjeux, voir l’article d’Hervé Amiot dans Les clés du Moyen-Orient : https://www.lesclesdumoyenorient.com/Le-gaz-en-Mediterranee-orientale-une-nouvelle-donne-pour-Israel.html

Bibliographie
AMSELLEM D., 2013, « Le gaz comme élément de réorientation des alliances géopolitiques en Méditerranée orientale », Hérodote, Vol. 1, n° 148, p. 117-121.
AMSELLEM D., 2016, « Méditerranée orientale : de l’eau dans le gaz ? », Politique étrangère, Vol. 4, p. 61-72.
AUGE B., 2016, « L’espoir d’une indépendance énergétique retrouvée en Egypte », Note de l’Ifri, https://www.ifri.org/fr/publications/enotes/notes-de-lifri/lespoir-dune-independance-energetique-retrouvee-egypte (consulté le 7 mars 2018).
BACONI T., 2017, « Pipelines and pipedreams. How the EU can support a regional gas hub in the Easthern mediterranean », European Council on Foreign Relations [en ligne], http://www.ecfr.eu/publications/summary/pipelines_and_pipedreams_how_the_eu_can_support_a_regional_gas_hub_in_7276 (consulté le 5 mars 2018).
Rapport du Parlement Européen, Direction Générale des Politiques Externes, 2017, « Energy : a shaping factor for regional stability in the Eastern Mediterranean ? », http://www.europarl.europa.eu/thinktank/en/document.html?reference=EXPO_STU(2017)578044 (consulté le 4 mars 2018).

Publié le 09/03/2018


Elève en géographie à l’Ecole Normale Supérieure et diplômée d’un master de recherche en géographie, Laura Monfleur s’intéresse aux espaces publics au Moyen-Orient, notamment les questions de contrôle des espaces et des populations et de spatialité des pratiques politiques et sociales. Elle a travaillé en particulier sur Le Caire post révolutionnaire et sur les manifestations des étudiants à Amman.
Elle travaille pour la rubrique cartographique des Clés du Moyen-Orient.


 


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