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Geir Pedersen : l’homme au travail le plus difficile du monde peut-il sauver la Syrie ?

Par Léa Masseguin
Publié le 14/02/2019 • modifié le 22/04/2020 • Durée de lecture : 6 minutes

BERLIN, GERMANY - FEBRUARY 12 : The United Nations (UN) Special Envoy for Syria, Geir Pedersen speaks during a joint press conference held with Minister of Foreign Affairs of Germany, Heiko Maas (not seen) in Berlin, Germany on February 12, 2019.

ABDULHAMID HOSBAS / ANADOLU AGENCY

La guerre en Syrie

Geir Pedersen est le quatrième émissaire onusien pour la Syrie depuis le déclenchement de la guerre civile en 2011. Débuté dans le contexte du printemps arabe par des manifestations contre le régime de Bachar el-Assad, le conflit syrien a connu plusieurs phases. Avec l’escalade des violences et la répression du régime, la révolution pacifique se transforme très vite en guerre civile opposant le gouvernement et l’opposition, profondément divisée en une multitude de factions. Deux ans après le début des révoltes, Damas est accusé d’avoir utilisé des armes chimiques sur sa population dans l’est de la Ghouta, en avril 2013. Selon l’opposition, cela aurait causé la mort de 1 300 Syriens, notamment des civils. Si un an plus tôt, Barack Obama avait prévenu que l’utilisation d’armes non conventionnelles contre la rébellion était la « ligne rouge » à ne pas franchir, le président américain renonce finalement à une intervention militaire en Syrie. Bachar el-Assad sort renforcé de cette volte-face et les attaques aux armes chimiques se poursuivent en Syrie. Selon les ONG médicales et humanitaires présentes sur place, ces attaques auraient tué près de 2 000 personnes et fait plusieurs milliers de blessés entre mars 2011 et juin 2017 (1). D’autre part, dès fin octobre 2014, l’État islamique contrôle des villes du nord et l’est du pays tandis que les Syriens continuent de fuir leur pays par millions, vers l’Europe, le Liban et la Jordanie principalement. Dans ce contexte, la Russie décide alors d’intervenir militairement en Syrie en septembre 2015, pour soutenir son allié syrien. Si Moscou dispose de nombreux intérêts stratégiques et économiques en Syrie, ce soutien s’explique également par les relations historiques entre les deux pays, ainsi que par le nombre très important de Syriens orthodoxes, proches du patriarche de Moscou. Cet appui russe marque un tournant décisif dans la guerre et le régime parvient à reconquérir la plus grande partie du territoire perdu. Les appels de la communauté internationale sont de plus en plus nombreux pour mettre fin au conflit en Syrie. Pourtant, en avril 2017, Damas est une nouvelle fois accusé d’avoir utilisé des armes chimiques à Khan Cheikhoun, provoquant l’intervention militaire conjointe des États-Unis, de la France et du Royaume-Uni (2). En octobre 2017, la reprise de Raqqa à l’État islamique et l’annonce le 20 décembre 2018 par le président Trump du retrait des troupes américaines en Syrie font naître l’idée d’une guerre « proche de la fin ».

Impuissance de l’ONU

Malgré les atteintes aux droits de l’Homme en Syrie, l’ONU n’a jamais trouvé d’accord sur l’issue politique et négociée de cette guerre, comme l’illustre l’échec des deux initiatives de pourparlers concurrentes : le processus d’Astana mené par la Russie, la Turquie et l’Iran et celui de Genève, initié par les Occidentaux (3). L’organisation est en effet paralysée par le droit qu’utilise la Russie sur la guerre syrienne (4). « La situation actuelle du conflit en Syrie illustre une défaite totale des Nations unies telles que les Occidentaux l’ont considérée, c’est-à-dire un instrument entre leurs mains depuis la chute de l’URSS en 1991 », note Fabrice Balanche, spécialiste de la Syrie (5). De plus, les médiateurs de l’ONU sur la Syrie renoncent à tour de rôle à leurs fonctions. Les trois prédécesseurs de Geir Pedersen ont tous échoué à faire la paix en Syrie. Staffan de Mistura, l’ancien Secrétaire général des Nations unies, Kofi Annan, et le diplomate algérien, Lakhdar Brahimi, ont tous renoncé faute de parvenir à une solution politique, malgré plusieurs années de diplomatie obstinée. En août 2012, Kofi Annan avait d’abord démissionné de son mandat de médiateur après six mois d’efforts infructueux, qualifiant son travail de « mission impossible ». Début 2014, l’échec des premières négociations organisées en face à face entre le gouvernement syrien et l’opposition à Genève, ont ensuite conduit l’ancien ministre algérien des Affaires étrangères, Lakhdar Brahimi, à abandonner son rôle d’envoyé spécial des Nations unies : « Je n’arrivais à rien et c’était la seule façon pour moi de protester contre le total manque d’attention de la communauté internationale pour la situation en Syrie », avait-il affirmé dans un entretien avec The Guardian (6). Même le dernier médiateur en date, « l’infatigable optimiste » Staffan de Mistura, a lui aussi annoncé sa démission en novembre dernier, après l’échec de nouvelles négociations organisées entre Damas et les groupes d’opposition. S’il a annoncé quitter ses fonctions pour des « raisons personnelles », son retrait sonne plutôt comme un nouvel aveu d’impuissance pour l’organisation multilatérale.

Un « top diplomat »

C’est donc un nouveau pari que fait l’ONU en misant sur Geir Pedersen pour faire la paix en Syrie. « M. Pedersen va soutenir les parties syriennes en facilitant une solution politique complète et crédible, en mesure de satisfaire les aspirations du peuple syrien », avait déclaré le secrétaire général de l’ONU Antonio Guterres lorsqu’il annonçait au Conseil de sécurité son intention de nommer le diplomate norvégien (7). A 63 ans, Geir Pedersen est considéré comme un « top diplomat ». Ancien ambassadeur de Norvège en Chine, il est également familier du système onusien. Représentant spécial de l’ONU au Liban (2005-2008), le haut fonctionnaire a ensuite été Représentant permanant de la Norvège auprès de l’ONU jusqu’en 2017. Geir Pedersen a également été membre de l’équipe norvégienne aux négociations secrètes qui ont conduit à la signature historique des accords d’Oslo de 1993 (8). « La Norvège a bonne presse à Damas et a fait ses preuves au Moyen-Orient. La neutralité et les moyens financiers de ce pays pourront être bénéfiques pour le nouveau médiateur », souligne Fabrice Balanche (9).

Malgré son parcours talentueux et son expertise sur une région aussi complexe que le Proche-Orient, Geir Pedersen devra travailler sur l’un des théâtres diplomatiques les plus difficiles du 21ème siècle. Si le principal mandat de l’envoyé spécial repose sur l’ouverture d’un dialogue entre les différentes parties du conflit, la tâche s’annonce difficile dans le cas du conflit syrien où plusieurs États sont impliqués, qu’ils soient des acteurs régionaux (Arabie saoudite, Iran, Turquie, Qatar) ou des puissances internationales (États-Unis, Russie, Chine). Par ailleurs, l’annonce du retrait des troupes américaines de Syrie, les victoires militaires de Damas et de ses alliés sur l’opposition et l’échec du projet de comité constitutionnel décrédibilisent les Occidentaux et l’ONU dans la résolution du conflit. Récemment, les opposants à Bachar el-Assad ont d’ailleurs déclaré que le changement d’envoyé spécial de l’ONU en Syrie n’aurait que très peu d’impact sur le sort du pays (10).

Vers la fin du conflit syrien ?

Alors que l’accord de Genève est au point mort, Geir Pedersen devra donc redoubler d’efforts pour remettre l’ONU au centre du jeu diplomatique et tenter de contenir le bourbier syrien. « Finalement, le nouveau médiateur a beaucoup de chance puisqu’il arrive à la fin du conflit, sa tâche sera plus facile », affirme Fabrice Balanche. L’annonce du retrait des troupes américaines en Syrie conforte en effet un peu plus le régime de Damas qui affiche son intention de reconquérir l’intégralité de son territoire (11). « Donald Trump est réaliste, il ne souhaite pas s’embourber en Syrie. Il préfère partir sur une victoire contre l’État islamique que de voir des bombes exploser et décimer ses troupes comme à Manbij le 16 janvier dernier, souligne le spécialiste de la Syrie. Certains États ont choisi de faire contre mauvaise fortune bon cœur, en essayant de s’accommoder de la présence de Bachar el-Assad et en normalisant leurs relations avec Damas ». Le processus de réhabilitation du régime syrien a notamment débuté dans le monde arabe, les Émirats arabes unis ayant rouvert leur ambassade à Damas le 27 décembre 2018 (12). Si la victoire d’Assad semble proche, le nouvel émissaire de l’ONU pourrait faire face à nouveau défi : celui d’une guerre entre l’Iran et Israël qui pourrait avoir lieu… en Syrie (13).

Lire également, en lien avec cet article :
Entretien avec Fabrice Balanche – « Avec la fin de la guerre en Syrie, on s’achemine vers une normalisation des rapports avec Damas »

Lire sur ce thème :
 La situation de l’« Etat islamique » ou Daesh entre la proclamation du Califat en juin 2014 et après le début des frappes de la coalition anti-terroriste : bilan d’étape et perspectives stratégiques
 La conférence de « Genève 2 » sur la Syrie : l’ombre portée des « absents », au moins aussi importants que les « présents » (2/2)
 Entretien avec Stéphane Valter – Le point sur la Syrie : où en sont le régime, l’Etat islamique, l’intervention russe, les pourparlers de paix engagés à Genève ?
 La réouverture des négociations sur la Syrie à Genève : peu d’avancées tangibles avant de retourner à Astana
 A Astana, la redéfinition des rapports de force dans les négociations sur la Syrie
 La bataille de Raqqa, une étape symbolique pour déloger l’Etat islamique de son fief et préparer le futur de la Syrie

Notes :
(1)
https://www-mediapart-fr.iepnomade-2.grenet.fr/journal/international/010617/comment-bachar-al-assad-gaze-son-peuple-les-plans-secrets-et-les-preuves
(2) https://www.theguardian.com/world/2018/apr/14/syria-air-strikes-us-uk-and-france-launch-attack-on-assad-regime
(3) https://www.lesechos.fr/15/12/2016/lesechos.fr/0211594567273_syrie----le-droit-de-veto-est-une-entorse-au-principe-democratique-de-l-onu-.htm
(4) https://www.lemonde.fr/syrie/article/2018/01/25/negociations-sur-la-syrie-un-dernier-espoir-pour-la-paix_5247014_1618247.html
(5) Entretien téléphonique réalisé avec Fabrice Balanche, le 22 janvier 2019
(6) https://www.theguardian.com/world/2015/jul/30/staffan-de-mistura-man-with-toughest-job-in-world-syria
(7) https://www.lemonde.fr/international/article/2018/10/31/onu-geir-pedersen-choisi-par-antonio-guterres-comme-nouvel-emissaire-pour-la-syrie_5377339_3210.html
(8) https://www.aljazeera.com/news/2019/01/special-envoy-geir-pederson-visit-syria-190115110754731.html

(9) Entretien téléphonique réalisé avec Fabrice Balanche.
(10) https://www.aljazeera.com/news/2019/01/special-envoy-geir-pederson-visit-syria-190115110754731.html (Ibid)
(11) http://www.rfi.fr/moyen-orient/20181220-etats-unis-syrie-retrait-troupes-americaines-allies-denoncent-france-assad-tru
(12) https://www.aljazeera.com/indepth/opinion/uae-bahrain-open-embassies-syria-190107165601089.html
(13) https://www.lepoint.fr/monde/israel-iran-l-autre-guerre-en-syrie-21-01-2019-2287638_24.php

Publié le 14/02/2019


Léa Masseguin est étudiante en Master 2 Gouvernance et Intelligence internationale dans le cadre d’un double diplôme entre Sciences Po Grenoble et l’Université internationale de Rabat. Passionnée à la fois par l’actualité et la diplomatie, elle a travaillé au sein du quotidien libanais L’Orient-Le Jour et à la Représentation permanente de la France auprès des Nations unies à New York. Elle s’intéresse à la région du Proche-Orient, en particulier la Syrie et le Liban.


 


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