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Entretien avec Fabrice Balanche – « Avec la fin de la guerre en Syrie, on s’achemine vers une normalisation des rapports avec Damas »

Par Fabrice Balanche, Léa Masseguin
Publié le 05/02/2019 • modifié le 21/04/2020 • Durée de lecture : 5 minutes

Fabrice Balanche

Le nouvel émissaire de l’ONU pour la Syrie Geir Pedersen vient d’achever son premier voyage à Damas et dans la région. Il est le quatrième émissaire en Syrie depuis 2011 et ses trois prédécesseurs ont tous échoué à faire la paix en Syrie. Comment ce diplomate norvégien peut-il parvenir à résoudre le conflit syrien ?

Le nouvel émissaire de l’ONU pour la Syrie a beaucoup de chance étant donné qu’il a pris ses fonctions à la quasi fin du conflit et que l’on assiste à une victoire militaire de Damas et de ses alliés sur l’opposition. Bachar el-Assad n’a jamais rien cédé et ce n’est donc pas maintenant qu’il va le faire, alors qu’il est en train de gagner la guerre. La tâche de Geir Pedersen sera donc plus aisée que ses prédécesseurs. Je pense par ailleurs que le fait qu’il soit Norvégien peut jouer en sa faveur. La Norvège a bonne presse à Damas ; une grande ONG norvégienne (Norwegian Refugee Council) est par exemple une des rares à pouvoir travailler à la fois du côté du régime et de l’opposition. Enfin, la Norvège a fait ses preuves au Moyen-Orient, en particulier lors des accords d’Oslo et avec le processus de paix. Comme les autres pays scandinaves, elle a également de gros moyens financiers et mène une politique étrangère neutre et désintéressée, notamment en ce qui concerne le développement.

Pourquoi les prédécesseurs de Geir Pedersen ont-ils échoué à résoudre le conflit syrien ?

Les deux derniers médiateurs de l’ONU sur la Syrie, Staffan de Mistura et le diplomate algérien Lakhdar Brahimi, ont tous les deux tenté de jouer les « Messieurs bons offices », mais la communauté internationale n’était pas encore prête à résoudre le conflit, les Occidentaux étant simplement préoccupés par la chute du régime de Damas. Lakhdar Brahimi n’a jamais vraiment cru à sa mission, il savait d’avance que les Occidentaux ne céderaient pas, même si son successeur Staffan de Mistura était un peu plus investi. En revanche, l’ancien Secrétaire général de l’ONU, Kofi Annan (février - août 2012), avait tout à fait compris ce qui se passait et allait se passer en Syrie si la communauté internationale ne trouvait pas une sortie de crise rapide.

Vous évoquez la fin du conflit en Syrie. Quel bilan peut-on faire du rôle de l’ONU dans cette guerre ?

C’est une défaite totale de l’ONU telle que l’ont considérée les Occidentaux, c’est-à-dire un instrument entre leurs mains depuis la chute de l’URSS en 1991.

La victoire de Bachar el-Assad et de la Russie a prouvé que l’ONU ne fonctionnait plus de cette manière-là. Nous sommes revenus à l’ONU de la Guerre Froide. Désormais, beaucoup d’États qui soutenaient l’opposition tentent donc de faire contre mauvaise fortune bon cœur avec le régime de Damas et de s’accommoder de la présence de Bachar el-Assad. Récemment, les Émiratis ont par exemple rouvert leur ambassade à Damas et le régime syrien a annulé les visas spéciaux pour les diplomates européens qui faisaient la navette entre Beyrouth, lieu de leur résidence, et Damas afin que les gouvernements européens et l’Union européenne rouvrent également leurs ambassades dans la capitale syrienne. On s’achemine vers une normalisation des rapports avec Damas dans beaucoup de pays.

L’annonce du retrait des troupes américaines en Syrie est-elle une illustration de cette défaite occidentale ?

Donald Trump est réaliste, il ne souhaite pas s’embourber en Syrie. Il préfère partir sur une victoire contre l’État islamique que de voir des bombes exploser et décimer ses troupes comme à Manbij le 16 janvier dernier. Par ailleurs, la situation économique dans le Nord-Est de la Syrie, dirigée par le Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK), est désastreuse. Il faudrait un plan Marshall, des milliards de dollars, pour rétablir une situation économique convenable. Or, Donald Trump et l’Europe ne souhaitent pas investir, d’autant que le PKK est considéré comme une organisation terroriste par les États-Unis et que la Turquie s’y opposerait.

Le métier d’émissaire de l’ONU en Syrie est considéré comme le « plus difficile du monde ». Êtes-vous d’accord avec ces termes ?

Effectivement, c’est un métier extrêmement difficile car l’émissaire de l’ONU en Syrie joue le rôle de « Monsieur bons offices », mais il n’a pas de pouvoir de décisions, il est tenu par les accords trouvés entre les États membres de l’ONU. Lakhdar Brahimi souhaitait déplacer le Secrétariat de Genève à New York afin d’être plus proche du Conseil de sécurité mais cela n’a pas abouti.

En Syrie, le projet de « comité constitutionnel » a t-il encore des chances d’aboutir ?

Une éventuelle réforme de la constitution syrienne ne peut être que cosmétique. A titre d’exemple, la loi sur la décentralisation à l’échelle des municipalités sera présentée comme une avancée majeure alors qu’elle ne remettra nullement en cause le pouvoir central. L’objectif de Damas est de reconstituer au niveau local une base politique en cooptant les anciens activistes et les nouveaux notables issus de la guerre. Il s’agit également de confier la reconstruction au niveau local pour plus d’efficacité mais également pour que le mécontentement se porte sur l’échelon municipal et non sur le national en cas d’échec. Certes, des élections présidentielles auront lieu en 2021, mais j’imagine mal la population syrienne s’exprimer librement à l’intérieur comme à l’extérieur du pays. Malgré l’insistance de l’Union européenne, Bachar el-Assad n’acceptera jamais que les réfugiés puissent voter en-dehors des consulats de Syrie.

Tout le monde souhaite que la Syrie se reconstruise, sans quoi les problèmes des réfugiés et du terrorisme ne feront que s’aggraver. La démocratie ne peut pas s’installer sur un champ de ruine, mais au cours d’un processus de développement. Or, il ne peut y avoir de développement sans stabilité politique. Il faut donc d’abord parler reconstruction avant de discuter de la démocratie en Syrie. Le risque est que le soutien occidental à la reconstruction n’aboutisse qu’au renforcement de l’autoritarisme, comme c’est déjà le cas en Égypte, et que Bachar el-Assad s’en tienne là. Le nouvel émissaire de l’ONU ne pourra obtenir que de vagues promesses à l’égard du retour des réfugiés et d’élargissement des prisonniers politiques. Toute ouverture démocratique est considérée à Damas comme un affaiblissement stratégique malvenu dans le contexte croissant d’une confrontation entre l’Iran et Israël avec la Syrie comme terrain d’affrontement.

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Publié le 05/02/2019


Fabrice Balanche est maître de conférences à l’Université Lyon 2 et directeur du Groupe de Recherches et d’Etudes sur la Méditerranée et le Moyen-Orient à la Maison de l’Orient.

Agrégé et docteur en Géographie, il a fait un premier séjour au Moyen-Orient en 1990. Depuis il a vécu une dizaine d’années entre la Syrie et le Liban, terrains privilégiés de ses recherches en géographie politique. Il a publié en 2006 un ouvrage sur la Syrie contemporaine : La région alaouite et le pouvoir syrien dans lequel il analyse le clientélisme politique qui structure le régime baathiste. Son dernier ouvrage : Atlas du Proche-Orient arabe présente les traits communs et la diversité du Proche-Orient arabe (Syrie, Liban, Jordanie et Palestine) contemporain.


Léa Masseguin est étudiante en Master 2 Gouvernance et Intelligence internationale dans le cadre d’un double diplôme entre Sciences Po Grenoble et l’Université internationale de Rabat. Passionnée à la fois par l’actualité et la diplomatie, elle a travaillé au sein du quotidien libanais L’Orient-Le Jour et à la Représentation permanente de la France auprès des Nations unies à New York. Elle s’intéresse à la région du Proche-Orient, en particulier la Syrie et le Liban.


 


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