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Depuis la campagne présidentielle et l’élection de Donald Trump en novembre 2017, des débats ont émergé concernant la nature de sa politique extérieure en général et de sa politique envers le Moyen-Orient en particulier. Est-elle en rupture avec les politiques précédentes ou, au contraire, s’inscrit-elle dans la continuité de ses prédécesseurs ? Marque-t-elle le retour d’un isolationnisme américain ? Quels sont les enjeux et les potentielles conséquences de la reconnaissance de Jérusalem en tant que capitale d’Israël ? Pour répondre à ces questions, cette série d’articles entend étudier les intérêts, la présence et les politiques des Etats-Unis au Moyen-Orient dans le temps long, en insistant sur les aspects géopolitiques.
Avant la Seconde Guerre mondiale, la présence des Etats-Unis au Moyen-Orient est surtout culturelle et économique. Des missionnaires viennent évangéliser les populations. Certains centres d’enseignement sont ouverts par les Américains comme l’Université américaine de Beyrouth ou l’Ecole Polytechnique de Téhéran (Laurens, 1999). A la suite de la découverte des gisements pétroliers à Kirkouk au nord-est de l’Irak, au Bahreïn ou à Dammam en Arabie saoudite, des compagnies pétrolières américaines telles que la Standard Oil of New Jersey, Mobil, la Standard Oil of California ou la Texas Oil Compagny achètent des concessions au Moyen-Orient. Certaines compagnies rejoignent alors l’Iraq Petroleum Company, au départ britannique (1). La Seconde Guerre mondiale puis la Guerre froide renforcent la présence et multiplient les intérêts politiques et stratégiques des Etats-Unis dans cette région. Les anciennes puissances coloniales telles que la France et la Grande-Bretagne perdent leur influence au profit de celles des Etats-Unis et de l’URSS. Les Etats-Unis mènent alors une politique qui semble avoir des buts différents et qui évolue au gré des relations avec la Russie et de la politique intérieure des différents pays, et qui accorde un rôle différent aux pays du Moyen-Orient.
Dans un article de 1945, le chercheur Jean Gottman signale que les intérêts des Etats-Unis au Moyen-Orient étaient « intermittents » avant 1942 : il n’y avait pas de « politique » américaine au Moyen-Orient et les actions des Etats-Unis se résumaient à la défense des intérêts commerciaux et culturels. La Seconde Guerre mondiale change le rôle accordé à cette région par les Etats-Unis. En 1942, les troupes américaines ont assuré l’approvisionnement logistique de l’Union soviétique en installant une base militaire à Dhahran en Arabie saoudite. Les conférences internationales qui se tiennent au Caire et à Téhéran de 1943 entre les puissances alliées renforcent l’idée d’une position médiatrice de cette région (Gottman, 1945).
Pendant la guerre froide, au-delà des intérêts économiques et culturels, le Moyen-Orient acquiert une valeur stratégique pour plusieurs raisons :
– il s’agit d’une région pivot et frontière, proche de l’URSS et au cœur des routes maritimes et des routes aériennes qui sont en plein développement.
– elle a un rôle de fournisseur d’énergie notamment dans le cadre de la reconstruction de l’Europe et du Plan Marshall. Les Etats-Unis sont les principaux producteurs de pétrole mais les compagnies veulent garder ce pétrole afin de répondre à la demande intérieure qui est en pleine expansion. Le pétrole des pays du Golfe doit ainsi assurer la demande des pays européens. En février 1945, les Etats-Unis signent les accords de Quincy avec l’Arabie Saoudite : en échange du monopole de l’exploitation des gisements saoudiens, les Etats-Unis offrent à l’Arabie saoudite des revenus et une protection militaire.
Entre 1945 et 1990, les objectifs des Etats-Unis sont donc divers :
– endiguer l’expansion idéologique et politique de l’URSS dans cette région qui peut constituer un verrou territorial stratégique.
– assurer la sécurité des approvisionnements en pétrole et de ses positions stratégiques dans les pays arabes du Golfe.
– la défense d’Israël du fait notamment de la présence d’un important lobby pro-israélien aux Etats-Unis, l’American-Israel Public Affairs Committee.
– le règlement du conflit israélo-arabe pour assurer la sécurité de la région.
Ces objectifs sont en apparence contradictoires puisqu’il s’agit de maintenir de bonnes relations avec les pays arabes producteurs de pétrole et de défendre les intérêts israéliens (Laurens, 1991).
A la fin de la Seconde Guerre mondiale, les Etats-Unis se positionnent en tant que médiateur des relations, en gardant leurs distances vis-à-vis de certains alliés potentiels et en n’intervenant pas directement, afin d’éviter d’être identifiés avec les anciennes puissances coloniales. Ils n’intègrent le Pacte de Bagdad qu’en 1958 alors qu’il a été signé par l’Irak, la Grande-Bretagne, le Pakistan, l’Iran, la Turquie en 1955. Ils s’appuient sur la présence des Britanniques pour mener leur politique, tout en soutenant les nationalismes arabes. Cette position n’est plus soutenable après la crise de Suez durant laquelle la France, la Grande-Bretagne et Israël envahissent l’Egypte. Ces pays sont obligés de quitter le territoire égyptien à la suite des condamnations américaines et soviétiques de cette invasion, marquant ainsi la fin du colonialisme des anciennes puissances et entérinant l’influence américaine et soviétique dans cette région.
Dans les années 1950, les Etats-Unis gardent leurs distances vis-à-vis d’Israël pour ménager de bonnes relations avec les pays arabes pétroliers. Les conflits entre les pays arabes et Israël obligent les Etats-Unis à adopter une position plus claire. C’est Kennedy qui renforce le lien entre Israël et les Etats-Unis : il accepte des ventes d’armes à ce pays, affirme l’assister en cas d’invasion d’Israël. Les Etats-Unis souscrivent ouvertement à Israël et se distancient des mouvements nationalistes arabes durant la Guerre des Six Jours.
La présence des Etats-Unis dans les conflits au Moyen-Orient alterne entre intervention directe, rôle d’intermédiaire dans les négociations et soutien financier et militaire. Des interventions militaires sont menées en 1958 au Liban et en Jordanie pour défendre les gouvernements pro-américains à la suite de la révolution irakienne qui a abouti à la chute du roi Fayçal. Au début des années 1970, Kissinger défend la « politique de l’impasse » : laisser les pays du Moyen-Orient dans leur impasse afin de montrer que la Russie n’est pas en mesure de les aider et que les Etats-Unis sont les seuls alliés possibles. Il se rétracte à la suite du choc pétrolier de 1973 en menant la « politique des petits pas » : imposer les Etats-Unis comme intermédiaire dans les négociations. Il crée notamment en 1974 l’Agence Internationale de l’Energie qui s’imposera comme l’interlocuteur privilégié de l’Organisation des Pays Arabes Producteurs de Pétrole. C’est dans ce contexte que les Etats-Unis encouragent le rapprochement entre Israël et l’Egypte lors des accords de Camp David de 1978 et de la signature du traité de paix à Washington en 1979. Reagan adopte de nouveau la politique de l’impasse à partir de 1981. Les Etats-Unis soutiennent - mais sans intervenir - l’Irak dans le conflit avec l’Iran entre 1980 et 1988. En 1982, Reagan propose l’autonomie des Territoires palestiniens qui est refusée par les Palestiniens et les Israéliens.
Israël est l’avant-poste américain en territoire arabe. Les Etats-Unis défendent la création d’un Etat juif selon le plan de partage de l’ONU en 1947. Durant la guerre du Kippour, ils créent un pont aérien pour acheminer du matériel militaire en Israël. Israël est considéré comme étant le principal allié dans la lutte d’influence avec l’URSS qui soutient l’Egypte et la Syrie dans leurs efforts de guerre (2).
La relation américano-saoudienne est fortement marquée par l’enjeu du pétrole mais ne s’y résume pas. Malgré le soutien des Etats-Unis à Israël, l’Arabie saoudite apparaît comme un allié stable contre le communisme et un relais de la politique américaine. Excepté lors du premier choc pétrolier en 1973 où l’Arabie saoudite a fortement augmenté les prix du pétrole, ce pays apparaît comme un modérateur au sein de l’Organisation des Pays Arabes Producteurs de Pétrole afin de défendre les intérêts américains. Il existe également une coopération stratégique entre les deux pays par le biais de vente d’armes et de matériels industriels. L’Arabie saoudite et les Etats-Unis se retrouvent par ailleurs, tous deux, aux côtés de l’Irak de Saddam Hussein lors de la guerre entre l’Iran et l’Irak.
Dès l’indépendance qatarie en 1971, les Etats-Unis reconnaissent ce pays qui sollicite leur protection notamment pour sécuriser le champ de gaz Northfield. Il est considéré comme un pays stratégique pour ses différentes ressources mais également pour sa position géographique avec le détroit d’Ormuz. Le Koweït et le Bahreïn sont considérés comme des pays stratégiques en raison de leurs ressources en pétrole.
Ce pays est considéré par les Etats-Unis comme étant un pivot régional en raison de sa position géographique de carrefour entre deux continents, de la présence du Détroit de Bosphore et du Détroit des Dardanelles, de ses ressources en eau grâce au Tigre et à l’Euphrate. Ce pays présente un rôle stratégique pour l’installation de routes énergétiques du Moyen-Orient à l’Europe et pour consolider la frontière Sud-Est du bloc de l’Ouest. Il devient ainsi un poste avancé de la surveillance des Etats-Unis. Des missiles ont été mis en place sur le territoire turc pour encercler l’URSS. La Turquie intègre l’OTAN en 1952 et signe le pacte de Bagdad. Cependant, si la Turquie et les Etats-Unis partagent des intérêts stratégiques, les relations entre ces deux pays se caractérisent également par des désaccords notamment lorsque les Etats-Unis condamnent l’invasion de Chypre par la Turquie entre 1964 et 1974 et mettent en place un embargo des armes à destination du territoire turc (Schmidt, 2011).
Dès 1951, les Etats-Unis apportent leur soutien politique et financier au royaume en raison notamment de la position stratégique jordanienne de tampon, entre Israël, la Syrie, l’Irak et l’Arabie saoudite. La Jordanie apparaît en effet comme un pays très stable dans cette région caractérisée par de nombreux conflits.
L’Egypte se caractérise par une position fluctuante pendant la guerre froide. Au début des années 1950, sous Eisenhower, ce pays est considéré comme un atout et un relais pour la politique américaine. La révolution de Nasser et des officiers a permis l’évacuation des britanniques. Les Etats-Unis souhaiteraient mener un règlement du conflit israélo-arabe sous l’égide de l’Egypte. Par la suite, Nasser se rapproche de l’URSS, achète des armes venant du bloc de l’Est et reconnaît la Chine populaire. Il faut attendre l’arrivée de Sadate au pouvoir dans les années 1970 pour voir un rapprochement entre l’Egypte et les Etats-Unis qui se concrétise par la création d’un conseil égypto-américain en 1975 et le remplacement du matériel soviétique par des armes américaines. L’accord de Camp David en 1978 puis le traité de paix israélo-égyptien sont signés sous la houlette des Etats-Unis. Ces derniers fournissent 2 milliards de dollars à l’Egypte, une aide civile et militaire comme prime à la paix (3).
Au début de la Guerre froide, l’Iran est un allié des Etats-Unis contre la Russie, et reçoit des aides financières américaines. A partir de 1953, les Etats-Unis soutiennent le shah d’Iran contre le Premier ministre Mohammed Mossadegh. Ce dernier est proche de l’URSS et souhaite nationaliser l’industrie pétrolière alors que les compagnies pétrolières ont des intérêts notamment au Sud, à l’Est de Chatt el-Arab. La CIA organise alors un coup d’état, chassant Mossadegh. La révolution islamique en 1979 fait sortir l’Iran du champ stratégique des Etats-Unis. L’Ayatollah Khomeiny développe notamment la rhétorique décrivant les Etats-Unis comme le « Grand Satan impérialiste », et les tensions culminent avec la crise des otages de l’ambassade américaine à Téhéran en novembre 1979, qui aboutit à une rupture des relations diplomatiques (4).
Il s’agit d’un allié de l’URSS depuis les années 1950. Entre 1958 et 1961, la Syrie forme la République arabe unie avec l’Egypte qui fait alors partie du bloc soviétique. Le partenariat stratégique avec l’URSS a été renforcé avec l’arrivée du parti Baath au pouvoir en 1963, parti prônant une idéologie révolutionnaire et socialiste. Des missiles soviétiques sont mis en place sur le territoire syrien dans les années 1980 (5).
Lire également : Les Etats-Unis au Moyen-Orient (2) : les ambiguïtés d’une superpuissance au Moyen-Orient (1990-2001)
Les Etats-Unis au Moyen-Orient (3) : guerre contre le terrorisme et remodelage du Grand Moyen-Orient (2001-2004)
Notes :
(1) Voir l’article sur Les Clés du Moyen-Orient concernant les liens du pétrole entre les Etats-Unis et l’Arabie Saoudite : https://www.lesclesdumoyenorient.com/Etats-Unis-et-petrole-saoudien.html.
(2) Voir l’article sur les relations israélo-américaines dans Les Clés du Moyen-Orient : https://www.lesclesdumoyenorient.com/Histoire-des-relations-israelo.html.
(3) Voir l’article sur Les Clés du Moyen-Orient concernant les relations entre l’Egypte et les Etats-Unis : https://www.lesclesdumoyenorient.com/SPECIAL-CRISE-AU-MAGHREB-ET-AU-MOYEN-ORIENT-LES-RELATIONS-ENTRE-L-EGYPTE-ET-LES.html.
(4) Voir l’article sur Les Clés du Moyen-Orient concernant la prise d’otage à l’ambassade américaine de Téhéran : https://www.lesclesdumoyenorient.com/Crise-des-otages-americains-en.html.
(5) Voir l’article sur les relations entre la Syrie et l’URSS dans Les Clés du Moyen-Orient : https://www.lesclesdumoyenorient.com/Syrie-et-Russie-historique-des-relations-de-1946-a-2012.
Bibliographie :
GOTTMAN J., 1945, « Les Etats-Unis et le monde méditerranéen », Politique étrangère, n°1, p. 19-32.
LAURENS H., 1991, « Les aléas de l’hégémonie américaine au Proche-Orient », Le Monde diplomatique.
LAURENS H., 1999, Paix et Guerre au Moyen-Orient. L’Orient arabe et le monde de 1945 à nos jours, Paris : Armand Colin.
SCHMIDT D., 2011, « La Turquie, alliée de toujours des Etats-Unis et nouveau challenger », Diploweb, https://www.diploweb.com/La-Turquie-alliee-de-toujours-des.html (consulté le 10 mars 2018).
Laura Monfleur
Elève en géographie à l’Ecole Normale Supérieure et diplômée d’un master de recherche en géographie, Laura Monfleur s’intéresse aux espaces publics au Moyen-Orient, notamment les questions de contrôle des espaces et des populations et de spatialité des pratiques politiques et sociales. Elle a travaillé en particulier sur Le Caire post révolutionnaire et sur les manifestations des étudiants à Amman.
Elle travaille pour la rubrique cartographique des Clés du Moyen-Orient.
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