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Décret pour interdire l’obtention de visas dans certains pays à majorité musulmane, reconnaissance de Jérusalem comme capitale israélienne, retrait de l’accord sur le nucléaire iranien, Donald Trump multiplie les décisions qui ébranlent le statu quo au Moyen-Orient. Ces décisions participent-elles d’une stratégie ou d’une politique cohérente du nouveau président dans la région ? En quoi sont-elles en rupture avec celles de l’Administration d’Obama ? En quoi démontrent-elles les principes et les contradictions observées dans les positions américaines vis-à-vis du Moyen-Orient depuis la fin de la Guerre Froide ?
Dès le 27 janvier 2017, Donald Trump mettait en place des restrictions migratoires par le décret « Protéger la nation contre l’entrée de terroristes étrangers aux Etats-Unis ». Ce décret interdisait l’entrée sur le territoire américain de ressortissants de sept « pays à risque » : le Yémen, l’Iran, la Libye, la Somalie, le Soudan, la Syrie et l’Irak. Il visait également la restriction de l’accueil des réfugiés avec l’arrêt pendant quatre mois du programme fédéral d’admission et de réinstallation des réfugiés de pays en guerre. Le président américain a évoqué les risques terroristes et a rappelé les événements du 11 septembre lors de l’annonce de cette décision, qui correspond à la sanctuarisation du territoire américain proposée par Donald Trump lors de sa campagne.
Or, plusieurs commentateurs (cités par La Croix, janvier 2017) ont montré que cette liste ne correspondait pas à l’origine des terroristes du 11 septembre, 15 des 19 pirates de l’air étaient d’origine saoudienne. Certains chercheurs, comme Kate Clark (citée par La Croix, janvier 2017), directrice de l’Afghan Analysts Network, ont avancé l’idée que les entreprises Trump disposaient de contrats en Arabie saoudite, en Egypte, au Koweït, aux Emirats arabes unis, pays qui ne figurent pas sur la liste des interdictions. Selon d’autres chercheurs, comme pour Mathieu Guidère, professeur de géopolitique à Paris 8 (cité par La Croix, janvier 2017), la liste des pays concernés correspond plutôt à celle des « Etats faillis » qui ne peuvent pas assurer la stabilité de leur pays et la sécurité des intérêts américains. Elle se fonde sur une vision américaine qui divise la région en alliés et en menaces et qui existe depuis la Guerre Froide. Les alliés traditionnels tels que l’Arabie saoudite et l’Egypte sont donc exclus de cette liste.
Après quelques expulsions et refus d’entrée sur le territoire aux aéroports, cette décision a été suspendue par des tribunaux américains. Elle est néanmoins révélatrice de la manière dont une décision en rupture avec une politique migratoire précédente peut être en continuité avec une vision géopolitique sur le long terme.
Le renforcement de la coopération avec l’Egypte s’explique en partie par l’arrivée de Fatah Abdel al-Sissi au pouvoir. Après l’incertitude liée à la révolution de 2011 et l’inquiétude face à la victoire des Frères musulmans aux élections de 2013, l’arrivée au pouvoir des militaires renforce une convergence de points de vue, l’armée étant en majorité financée par les Etats-Unis.
Donald Trump semble vouloir également renforcer la coopération avec l’Arabie saoudite, où il choisit de faire son premier déplacement à l’étranger, du 20 au 22 mai 2017. Il y signe un contrat de ventes d’armes et n’évoque pas les manquements du gouvernement saoudien aux droits de l’Homme, affirmant ainsi un soutien à un gouvernement capable d’assurer la sécurité et la stabilité de la région et réactive la politique de « pétrole contre la sécurité » mise en place en 1945.
Lors de cette tournée, Donald Trump s’est également rendu à Tel Aviv pour rencontrer Benjamin Netanyahu puis dans les Territoires palestiniens pour rencontrer Mahmoud Abbas. Pour Vincent Lemire, un « alignement géopolitique entre les Etats-Unis, Israël et l’Arabie saoudite » (2017) se renforce depuis l’élection de Donald Trump.
La décision de reconnaître Jérusalem comme capitale israélienne le 6 décembre 2017 semble aller dans le sens de ce renforcement des liens avec Israël. Elle est en rupture avec les décisions des présidents précédents mais entre dans le cadre de la loi américaine. En effet, depuis 1995, le Congrès a adopté une loi prévoyant le transfert de l’ambassade des Etats-Unis à Jérusalem. Une clause dérogatoire permettait de repousser de six mois ce transfert en cas de menace pour la sécurité et la stabilité de la région. Tous les six mois, les différents présidents ont donc repoussé ce transfert tout comme Donald Trump en juin 2017 avant qu’il ne décide en décembre 2017 de ne pas signer cette clause dérogatoire. Cette décision à nouveau unilatérale est en contradiction avec le droit international. Pour certains chercheurs, les raisons de cette décision sont à trouver dans la politique intérieure des Etats-Unis : détourner l’attention de l’opinion publique des accusations de collusion entre Donald Trump et la Russie, rassurer l’électorat évangéliste de Donald Trump (Asajdega, Ceccaldi, 2017 ; Lemire, 2017). Il pourrait également s’agir de renforcer la position de Netanyahu, affaibli sur la scène politique. En effet, il a reculé dans sa décision de mettre portiques et caméras de sécurité dans les lieux saints face à la mobilisation palestinienne (Lemire, 2017).
Mais, dans les faits, cette décision hautement symbolique ne change pas le statut de Jérusalem au regard du droit international. Cette décision est également ambiguë puisqu’elle ne précise pas les frontières de Jérusalem et garantie le statu quo des lieux saints, la Jordanie gardant ses prérogatives sur l’Esplanade des Mosquées (Asajdega, Ceccaldi, 2017). Le transfert de l’ambassade américaine pourrait également prendre plusieurs années. En outre, elle disqualifie le rôle de médiateur des Etats-Unis dans le conflit israélo-palestinien et pourrait ainsi accentuer le sentiment anti-américain au sein des pays arabes (Asajdega, Ceccaldi, 2017 ; Lemire, 2017).
La reconnaissance de Jérusalem comme capitale d’Israël n’est qu’un volet de la politique diplomatique globale concernant le conflit israélo-palestinien. En effet, l’Administration Trump a proposé un accord sur le conflit : un Etat palestinien constitué d’enclaves cisjordaniennes non contiguës, impliquant un abandon du droit au retour. Ce plan de paix a été proposé devant Mahmoud Abbas, chef de l’Autorité palestinienne et le prince héritier de Ryad en novembre 2017. Allant à l’encontre des revendications palestiniennes, Mahmoud Abbas a refusé ce plan et les Etats-Unis l’ont menacé par la suite de fermer la représentation de l’OLP à Washington. Les Etats arabes quant à eux ont manifesté leur désaccord vis-à-vis de la décision américaine notamment lors de la conférence de l’Organisation de la Coopération Islamique le 13 décembre 2017 (Asajdega, Ceccaldi, 2017).
Dès sa visite en Arabie saoudite en mai 2017, Donald Trump a adopté la rhétorique bushienne de guerre contre le « Mal » qu’il définit comme étant l’Iran, Daesh et Al-Qaida. Cette rhétorique se concrétise dans le retrait des Etats-Unis de l’accord nucléaire avec l’Iran, le Joint Comprehensive Plan of Action (JCPOA), mis en place sous Barack Obama en 2015. Cet accord prévoyait de limiter les possibilités de l’Iran d’acquérir l’arme atomique à moyen terme en renforçant les inspections de l’International Atomic Energy Agency (IAEA), en limitant l’enrichissement d’uranium et la production de plutonium. En échange, les sanctions économiques devaient être progressivement réduites tout en maintenant l’embargo sur les armes. Le retrait des Etats-Unis de cet accord a abouti à la remise en place de sanctions vis-à-vis des entreprises occidentales qui travaillent avec l’Iran. Ce retrait a pour risque de relancer une guerre entre Israël et l’Iran, avec la Syrie comme terrain d’opposition puisque l’Iran dispose de bases avancées dans ce pays. Et en effet, dès mai 2018, des raids israéliens ont touché des positions iraniennes dans le Golan.
Ce retrait touche à l’image des Etats-Unis. Barack Obama souhaitait avoir un rôle de médiateur en s’inscrivant dans une coopération multilatérale et en s’alignant sur les positions des pays européens qui avaient initié une négociation avec l’Iran dès le début des années 2000. Au contraire, la décision de Donald Trump remet en cause ce rôle de médiation et remet sur le devant de la scène diplomatique l’unilatéralisme des Etats-Unis (Rais, 2018).
Les décisions de Donald Trump vont également dans le sens d’un renforcement de la puissance militaire dans la région et donc du hard power américain. Les effectifs militaires ont augmenté en Syrie et en Irak tout comme les dépenses militaires (Coates Ulrichsen, 2017). Donald Trump a ainsi ordonné des frappes sur une base aérienne syrienne après l’attaque à l’arme chimique de la ville de Khan Cheikhoun en avril 2017. Ces frappes marquent un changement de politique vis-à-vis de la guerre en Syrie et témoignent de la volonté de Donald Trump de mettre fin à cette guerre tout en s’abstenant de toute construction étatique, comme il l’avait annoncé lors de sa campagne.
Bibliographie :
Alsajdeya D. et Ceccaldi F., 2017, « Trump ou la diplomatie du choc », La Vie des Idées [en ligne], http://www.laviedesidees.fr/Trump-ou-la-diplomatie-du-choc.html.
Coates Ulrichsen K., 2017, « Les premiers pas de Donald Trump au Proche-Orient », Orient XXI [en ligne], https://orientxxi.info/magazine/politique-americaine-au-p-o,1807.
La Croix, 2017, « Trump a épargné l’Arabie et d’autres pays musulmans alliés », https://www.la-croix.com/Monde/Trump-epargne-Arabie-autres-pays-musulmans-allies-2017-01-31-1300821428.
Lemire V., 2017 « Entretien avec Vincent Lemire – Retour sur la reconnaissance de Jérusalem comme capitale d’Israël par Donald Trump », Les Clés du Moyen-Orient [en ligne], https://www.lesclesdumoyenorient.com/Entretien-avec-Vincent-Lemire-Retour-sur-la-reconnaissance-de-Jerusalem-comme.html.
Rais M., 2018, « Retrait des Etats-Unis de l’accord sur le nucléaire iranien : quels enjeux pour quelles incidences ? », Huffpost [en ligne], https://www.huffpostmaghreb.com/entry/retrait-des-etats-unis-de-laccord-sur-le-nucleaire-iranien-quels-enjeux-pour-quelles-incidences_mg_5af44c3ce4b0859d11d0fb4d.
Laura Monfleur
Elève en géographie à l’Ecole Normale Supérieure et diplômée d’un master de recherche en géographie, Laura Monfleur s’intéresse aux espaces publics au Moyen-Orient, notamment les questions de contrôle des espaces et des populations et de spatialité des pratiques politiques et sociales. Elle a travaillé en particulier sur Le Caire post révolutionnaire et sur les manifestations des étudiants à Amman.
Elle travaille pour la rubrique cartographique des Clés du Moyen-Orient.
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