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Décryptage de l'actualité au Moyen-Orient

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Par Lisa Romeo
Publié le 22/04/2011 • modifié le 02/03/2018 • Durée de lecture : 4 minutes

L’établissement d’une nouvelle politique américaine

Après le renversement en 2001 du régime des Talibans en Afghanistan, c’est au tour de Saddam Hussein d’être déposé par l’armée américaine en 2003 dans le cadre d’une guerre préventive. L’Irak était en effet soupçonné d’entretenir des liens avec Oussama Ben Laden et de chercher à se doter d’armes de destruction massive. Ces deux succès militaires placent la région sous l’hégémonie américaine. Mais fin 2003, l’image des Etats-Unis s’est dégradée, les difficultés se multiplient en Irak et leur politique unilatérale est l’objet de vives critiques, notamment de la part de leurs alliés européens. Il faut alors, pour les néo-conservateurs américains, aller plus loin et répondre aux origines mêmes du radicalisme qui se trouvent, selon eux, dans la misère et le manque de démocratie des régimes arabes. Il est donc urgent de sortir ces pays de leur immobilisme politique, économique et social. Ainsi annoncent-ils leur volonté de mettre fin au statu quo, responsable de l’émergence des mouvements extrémistes et islamistes, en lançant une initiative pour un « Grand Moyen-Orient ». L’Irak servirait alors de base pour transformer la région entière et limiter les manifestations antioccidentales, sources de menace pour la sécurité des Etats-Unis et de leurs alliés.

Définition du projet

Annoncé pour la première fois au début de l’année 2004, le nouveau concept de Grand Moyen-Orient est rendu public dès le 13 février par le journal arabe Al-Hayat. Il se base sur les résultats du rapport sur le Développement humain dans le Monde arabe de 2002-2003 qui peint un Moyen-Orient touché par le chômage, la pauvreté, l’endettement et l’analphabétisme (40 %) et où la liberté d’expression est limitée. Le programme d’un nouveau « Grand Moyen-Orient » est vaste : il s’agit de remodeler une région allant de la Mauritanie au Pakistan pour l’amener vers le développement économique et social, la démocratie et la sécurité. L’encouragement à la réforme politique, à une libéralisation des marchés, à un meilleur accès à l’éducation, à l’amélioration de la condition de la femme permettraient alors de mettre fin au sous-développement et au détachement des populations de la vie publique, responsable de l’extrémisme et du terrorisme.

Ce projet dégage plusieurs intérêts non négligeables pour la stratégie américaine dans la région. Il leur permet, tout d’abord, de mieux contrôler la zone la plus riche en ressource énergétique du monde mais également de mieux entourer le sud de la Russie. Par ailleurs, le fait de considérer le Moyen-Orient de manière plus élargie permet aux Etats-Unis de décentraliser le problème israélo-palestinien et leur difficulté à pacifier l’Irak. Ils espèrent également contenir l’hostilité du monde arabo-musulman envers l’Etat d’Israël, leur allié traditionnel, soutenu par les néo-conservateurs. La démocratisation apaiserait donc les relations avec les Etats-Unis et rendrait la région du Moyen-Orient plus conciliante avec l’Etat hébreu. Aux Etats-Unis, le projet se justifie par la croyance en un caractère exceptionnel américain, dans le fait que leur pays doit représenter un modèle pour le reste du monde. Ils seraient ainsi chargés d’une mission universelle. Ce « messianisme » transatlantique va alors être l’objet de nombreuses critiques.

Un projet difficilement applicable et trop conceptuel

L’administration Bush envisage la région de manière très large. La notion de Grand Moyen-Orient englobe en effet les 22 Etats membres de la Ligue arabe et cinq Etats non-arabes, à savoir la Turquie, Israël, l’Iran, l’Afghanistan et le Pakistan, soit au total 10 % de la population mondiale (600 millions d’habitants). Le Grand Moyen-Orient regroupe dans un même ensemble des Etats à l’histoire et à la culture très diverses, sans tenir compte de leurs particularismes ni de leurs différents niveaux de développement.

Cette approche tend également à nier les véritables causes d’un ressentiment arabe envers les Etats-Unis, en assimilant l’autoritarisme de certains pays à une « essence culturelle » orientale, et ignorant une nouvelle fois la complexité de leur situation politique. La presse et de nombreux intellectuels arabes critiquent vivement ce dénigrement de leur identité et dénoncent la volonté de l’administration Bush de chercher plus à favoriser leurs intérêts dans ce Moyen-Orient élargi et à améliorer leur image qu’à y témoigner d’une réelle bienveillance. Le soutien inconditionnel à Israël, le mépris du droit international dans les mauvais traitements infligés aux prisonniers irakiens alimentent l’anti-américanisme et la méfiance contre ces derniers dans la région. C’est finalement plus l’attitude des Etats-Unis que ses appels à la réforme qui est remise en question par les sociétés arabes.

De plus, il convient de s’interroger sur la possibilité même d’imposer un système démocratique de l’extérieur sans préparation politique intérieure. Lors du Sommet du G8 à Sea Island en juin 2004, le projet de Grand Moyen-Orient finit par être rebaptisé (sous pression européenne) « Partenariat pour un avenir commun avec la région du Moyen-Orient élargi et l’Afrique du Nord ». Il perd un peu de son côté « messianique » et l’on insiste sur la nécessité d’initier les réformes de l’intérieur plutôt que de les imposer de l’extérieur.

Le concept de Grand Moyen-Orient a donc fait l’objet de vives critiques et a rapidement été considéré comme inapplicable. Des ouvertures démocratiques dans certains pays du Grand Moyen-Orient ont effectivement eu lieu, notamment en 2005, mais elles restent souvent assez limitées. Certaines ont mis en avant la montée de groupes islamistes, comme en Egypte, allant finalement à l’encontre des intérêts américains. La politique des Etats-Unis dans la région semble parfois être en décalage avec leur discours. Le bilan du Grand Moyen-Orient semble pour le moment assez mitigé bien qu’il soit encore trop tôt pour en juger.

Bibliographie :
Frédéric Charillon, Bernard Rougier (dir.), Afrique du Nord, Moyen-Orient : la triple impasse, Paris, La Documentation Française, 2007.
Bichara Khader, Le Monde arabe expliqué à l’Europe, Histoire, imaginaire, culture, politique, économie, géopolitique, Paris, L’Harmattan, 2009.
Henry Laurens, L’Orient arabe à l’heure américaine, De la guerre du Golfe à la guerre d’Irak, Paris, Armand Colin, 2005.

Publié le 22/04/2011


Lisa Romeo est titulaire d’un Master 2 de l’université Paris IV-Sorbonne. Elle travaille sur la politique arabe française en 1956 vue par les pays arabes. Elle a vécu aux Emirats Arabes Unis.


 


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