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Les Etats-Unis au Moyen-Orient (4) : la guerre en Irak, du regime change à la contre-insurrection (2003-2008)

Par Laura Monfleur
Publié le 25/04/2018 • modifié le 27/02/2020 • Durée de lecture : 7 minutes

Le regime change en Irak (2003-2004)

Le regime change vise « la déposition armée d’un régime hostile et son remplacement par un autre - idéalement démocratique et libéral - plus favorable aux intérêts occidentaux » (Tenenbaum, 2011, p. 618). Il s’agissait de changer les élites dirigeantes sans affecter la société (Hoop Scheffer, 2011). Ce concept politique et stratégique est complété par une théorie militaire qui repose sur une « manœuvre aéroterrestre de haute intensité, ciblant au moyen des technologies de précision les centres de commandement du régime ennemi afin de le décapiter et de susciter son effondrement rapide » (Tenenbaum, 2011, p. 618-619). Cette théorie de la « transformation » militaire constitue « le bras armé de la politique du regime change » (Tenenbaum, 2011, p. 619).

La première phase de la guerre en Irak illustre ce concept de regime change et la théorie de la transformation militaire. En effet, les opérations menées dès le 21 mars 2003 reposent sur une avancée des troupes terrestres des forces de la coalition sous commandement américain associée à des bombardements de lieux stratégiques (les sièges du parti Baath, les édifices de l’armée, les infrastructures de transport) par l’aviation militaire. Il s’agit donc d’une guerre conventionnelle. Les troupes britanniques s’avancent vers Basra au Sud de l’Irak tandis que les troupes américaines se dirigent vers Bagdad. Basra tombe le 7 avril et Bagdad le 8 avril. Les avancées sont rapides (cf. carte) et le 1er mai, Georges W. Bush annonce l’achèvement des combats sous la bannière de l’expression « Mission accomplie » (1).

On peut noter que cette deuxième intervention américaine en Irak s’est déroulée dans un contexte différent de celui de la première guerre du Golfe. Celle-ci s’appuyait en effet sur une vaste coalition internationale sous l’égide de l’ONU et du droit international ; elle reposait sur une occupation temporaire sur une partie limitée du territoire et le refus de jouer la carte chiite et kurde en raison des inquiétudes turques et saoudiennes (Laurens, 2005). En 2003 en revanche, l’intervention semble plus unilatérale, la plupart des troupes sont américaines soutenues par des troupes britanniques et australiennes : à la mi-août 2003, il y avait 139 000 américains et 21 000 alliés dont 11 000 britanniques sur le territoire irakien (Laurens, 2005). Cette guerre est impopulaire en France, en Allemagne et en Russie, l’Espagne quitte la coalition en 2004 et l’ONU n’y apporte pas son soutien. Les Etats-Unis ont également souhaité le soutien des Kurdes turcs pour permettre le passage des troupes américaines sur son sol, même si la Turquie a refusé de participer à la coalition. De plus, l’occupation se fait sur tout le territoire irakien et s’installe dans la durée.

Dès 2003, l’administrateur de l’Irak, Paul Bremer, entame une « dé-baathisation » du régime : les cadres du parti Baath sont interdits d’exercer une fonction publique. L’armée est ainsi peu à peu démantelée, mettant au chômage des centaines d’hommes habitués à prendre les armes (Laurens, 2005). La reconstruction des infrastructures irakiennes se fait selon un modèle néolibéral et est confiée à des sociétés privées américaines (Laurens, 2005). Le 28 juin 2004, la souveraineté est néanmoins transférée à un gouvernement intérimaire irakien, fondé sur une base stricte de représentation confessionnelle et ethnique (Laurens, 2005).

Parallèlement, les opérations militaires se poursuivent : les fils de Saddam Hussein sont arrêtés et exécutés le 22 juillet 2003, Saddam Hussein est retrouvé dans la nuit du 13 au 14 décembre 2003.

Les « errances du regime change » (Hoop Scheffer, 2011) et la montée de l’insurrection (2004-2007)

La présence des Etats-Unis sur le territoire irakien est confrontée à la montée des attentats terroristes et à l’intensification d’une guérilla urbaine. En effet, malgré les discours du président américain insistant sur le fait que la mission est accomplie, des poches de résistance contre l’occupation américaine s’organisent. Ces groupes insurrectionnels sont divers : anciens cadres du parti baath, sunnites qui détiennent des villes comme Falloujah en plein cœur de ce que les Américains appellent le « triangle sunnite », islamistes (Al Qaïda, puis à partir de 2006, l’Etat islamique), chiites autour de l’armée du Mahdi de Muqtada al-Sadr qui contrôle la banlieue chiite de Bagdad et des villes comme Najaf ou Kufa. Pour Henry Laurens (2005), cette insurrection devient plus nationaliste ou islamiste que baathiste. Les attentats contre l’occupation militaire américaine se multiplient : le 19 août 2003, le QG de l’ONU est ciblé à Bagdad, le 29 août 2003, des attentats ont lieu dans la ville de Najaf. Les élections en 2005 sont marquées également par une intensification de la guérilla et du cloisonnement communautaire (Laurens, 2005). En 2006, se déclare une guerre civile entre chiites et sunnites à la suite de l’attentat contre le sanctuaire Al-Askari à Samarrah.

Les Etats-Unis changent alors leurs tactiques militaires en mettant en place des attaques limitées mais répétées, avec une puissance de feu maximale, tandis que politiquement, ils prônent une ouverture du gouvernement aux anciens cadres du parti Baath. C’est dans ce contexte que les Etats-Unis mènent une offensive à Fallujah contre les insurgés sunnites à deux reprises en 2004 : l’opération Vigilant Resolve puis l’opération Phantom Fury. Ils interviennent également à Najaf en août 2004 et à Bagdad en août 2006 dans le cadre de l’opération Together Forward.

Or, le développement du terrorisme et de l’insurrection résulte notamment de la stratégie américaine en Irak qui a augmenté l’antiaméricanisme parmi les Irakiens :
 l’affaiblissement de l’Etat et de l’armée par la « dé-baathisation » du régime a favorisé le développement de « forces centrifuges » (Hoop Scheffer, 2011) comme les groupes islamistes et les milices paramilitaires qui ont remplacé l’Etat dans le fournissement des services et de la sécurité. Les Etats-Unis ne sont pas parvenus à reconstituer un Etat et à nationaliser les forces de sécurité (Laurens, 2005).
 La fondation d’un gouvernement sur des bases confessionnelles et ethniques a alimenté les tensions interconfessionnelles (Hoop Scheffer, 2011).
 Les Américains ont adopté une « approche minimaliste » (Hoop Scheffer, 2011) de la reconstruction. Les sociétés privées devaient ramener les infrastructures à leur état de préconflit alors qu’elles avaient déjà été détruites par la première guerre du Golfe et les sanctions qui l’ont suivie. Ces sociétés ont été dans l’incapacité de fournir les Irakiens en eau et en électricité et ont mené parfois une reconstruction hâtive alors qu’elles disposaient de sommes importantes venant des Etats-Unis.
 Les Américains ne disposaient pas d’une culture du maintien de l’ordre et les bavures se sont multipliées. Des actes de torture notamment dans la prison d’Abou Ghraib ont été révélés.
 Le regime change supposait une orientation spontanée vers la démocratie après la chute de Saddam Hussein. Cette idée reposait sur le « pari de la convergence » (Hoop Scheffer, 2011), selon lequel, l’intérêt pour la démocratie des Américains rejoignaient celui des Irakiens. Cette hypothèse témoignait d’une méconnaissance et d’une absence de prise en compte de la population irakienne par les Etats-Unis. Les Etats-Unis se sont « rapidement installé[s] dans une position totale ou d’autarcie » dans des bases militaires, « manquant de spécialistes de la région » et « incapable d’établir des relations personnelles avec la population qu’[ils se sont] rapidement aliéné[s] » (Laurens, 2005, p. 278).

La stratégie de contre-insurrection (2007-2008)

La situation en Irak se caractérise donc de plus en plus par une guerre asymétrique où l’adversaire n’est pas étatique et n’est pas organisé de manière hiérarchique et où les combats se déroulent principalement en milieu urbain (Gregory, 2008). L’utilisation de la puissance de feu provoque de nombreux dommages collatéraux et est inadaptée à identifier et cibler les insurgés qui dématérialisent leurs réseaux de commandement et sont difficilement distingués du reste de la population (Tenenbaum, 2011). De plus, l’armée américaine juge de plus en plus nécessaire de réduire le fossé entre les troupes militaires et la population.

Les Etats-Unis mettent alors en place une stratégie de contre-insurrection (COIN) qui émane à la fois d’une adaptation tactique de la part de l’armée et d’une réflexion stratégique de think-tanks américains. Cette stratégie avait été abandonnée au profit d’une guerre de haute intensité à la suite de sa mise en place et de son échec lors de la guerre du Vietnam (Gregory, 2010 ; Tenenbaum, 2011). Elle est mise en oeuvre par le général David Petraeus qui est porté à la tête des forces de coalition en Irak, et qui publie notamment un manuel de la contre-insurrection en 2006.

Le « surge » dans cette théorie de la contre-insurrection comporte l’idée de remettre au centre des tactiques militaires les populations et insiste sur la protection des civils dans le cadre des opérations militaires. Selon le général David Petraeus, cette « immersion dans les gens et leurs vies » devait permettre une réhabilitation du concept de « civil », de réduire ainsi le nombre de victimes civiles et de rejeter la déshumanisation des adversaires. Il s’agissait d’une approche psychologique d’une guerre centrée sur une compréhension, un échange culturel, une « conquête des cœurs et des esprits » (Tenenbaum, 2011). Or, cette nouvelle doctrine ne peut être réduite à cette définition et ne repose pas uniquement sur un emploi restreint du feu mais également sur un quadrillage du territoire selon des moyens pléthoriques et sur une durée illimitée des opérations (Tenebaum, 2011). Elle ne correspond pas à un désengagement militaire du champ de bataille, et a même contribué à une augmentation des sommes dépensées : les opérations de 2003 qui ont conduit à la chute du régime de Saddam Hussein ont coûté 53 milliards de dollars tandis que le surge mené en 2007 aurait coûté 140 milliards (Tenenbaum, 2011). Le surge a été principalement mis en œuvre à Bagdad en février 2007 dans le cadre du second plan de sécurité et de l’opération Imposing the Law menée par le Général Petraeus. En effet, dans la tactique contre-insurrectionnelle, Bagdad est définie comme une priorité, l’armée américaine ayant annoncé que 80% des violences interconfessionnelles se déroulaient dans un rayon d’environ 50 km de la capitale (Gregory, 2008). Le surge a été évalué comme étant un succès par l’administration Bush, les violences interconfessionnelles ayant diminué. Néanmoins, ce succès est relatif, cette diminution notamment à Bagdad pouvant être attribuée à d’autres facteurs (cf. partie suivante).

En juillet 2008, George W. Bush annonce que les troupes américaines se retireront des agglomérations irakiennes à la fin de l’année 2009 et que les troupes combattantes se retireront complètement du territoire irakien en décembre 2011. Fin 2008, il restait 14 brigades américaines.

Note :
(1) Pour une autre carte sur la guerre en Irak, voir l’article de Corentin Denis sur les sunnites en Irak : https://www.lesclesdumoyenorient.com/Les-sunnites-d-Irak-au-coeur-des-crises-depuis-2003-l-analyse-par-les-cartes.html.

Bibliographie :
CROISIER C., 2005, « La doctrine Bush de remodelage du Grand Moyen-Orient : entre idéalisme et pragmatisme », Diploweb [en ligne], https://www.diploweb.com/forum/croisier1.htm (consulté le 20 mars 2018).
GREGORY D., 2008, « The Biopolitics of Baghdad : Counterinsurgency and the counter-city », Human Geography. A new radical Journal, Vol. 1, p. 6-27.
GREGORY D., 2010, « Seeing Red : Baghdad and the event-ful city », Political Geography, Vol. 29, p. 266-279.
HOOP SCHEFFER (de) A., 2011, « Les Etats-Unis en Irak : les errances du regime change », Politique étrangère, Vol. 3, p. 559-572.
LACOSTE Y., 2003, « Les Etats-Unis et le reste du monde », Hérodote, Vol. 2, n°109, p. 3-16.
LAURENS H., 2005 [seconde édition], L’Orient arabe à l’heure américaine. De la guerre du Golfe à la guerre d’Irak, Paris : Armand Colin, 453 p.
TENENBAUM E., 2011, « L’Amérique en guerre : grandeur et décadence de la contre-insurrection », Politique étrangère, Vol. 3, p. 617-629.

Publié le 25/04/2018


Elève en géographie à l’Ecole Normale Supérieure et diplômée d’un master de recherche en géographie, Laura Monfleur s’intéresse aux espaces publics au Moyen-Orient, notamment les questions de contrôle des espaces et des populations et de spatialité des pratiques politiques et sociales. Elle a travaillé en particulier sur Le Caire post révolutionnaire et sur les manifestations des étudiants à Amman.
Elle travaille pour la rubrique cartographique des Clés du Moyen-Orient.


 


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