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Etat palestinien (4/4) : Quelle viabilité pour un futur État palestinien ?

Par Ilham Younes
Publié le 04/04/2014 • modifié le 22/04/2020 • Durée de lecture : 9 minutes

Palestinian president Mahmud Abbas delivers a speech during the admission ceremony of Palestine at the UNESCO headquarters in Paris, on December 13, 2011. Abbas said membership in the UN’s education, science and culture agency represented the key first recognition of his state and he hoped other world bodies would follow suit.

JOEL SAGET / AFP

Lire :
 Etat palestinien (3/4) : Les défis du nationalisme palestinien
 Etat palestinien (2/4), Le statut des Arabes israéliens : quel enjeu pour un futur État palestinien ?
 Etat palestinien (1/4) : quelles réalités ?

La composante politique

L’Autorité palestinienne est aujourd’hui la seule entité gouvernementale reconnue par la communauté internationale qui représente les Palestiniens de Cisjordanie et ceux dans la Bande de Gaza. Elle dispose d’un Président, Mahmoud Abbas depuis janvier 2005, d’une Assemblée élue au suffrage universel, de représentants diplomatiques à l’étranger et d’une police. Créée en 1993 par les accords d’Oslo, l’Autorité palestinienne devait être intérimaire et exercer pendant une période transitoire n’excédant pas cinq ans, échéance au terme de laquelle l’État palestinien devait voir le jour.
Les accords d’Oslo prévoyaient deux étapes. La première visait à un transfert progressif d’autorité à l’Organisation de libération de la Palestine (OLP) d’abord à Gaza puis sur une partie de la Cisjordanie pendant cinq ans pour parvenir à l’ensemble de la Cisjordanie à terme. La deuxième phase devait porter sur les questions relatives aux réfugiés, à la sécurité, aux implantations israéliennes ou encore au statut de Jérusalem qui devaient être discutées au début de la troisième année de la période intérimaire.
En principe, l’accord signé entre Yitzhak Rabin et Yasser Arafat en 1993 devait permettre la création d’un État palestinien au terme des cinq ans. Aujourd’hui, 20 ans après les accords d’Oslo, l’Autorité palestinienne est toujours intérimaire et ne dispose pas de souveraineté politique entière sur les Territoires palestiniens. En effet, l’Autorité palestinienne exerce des pouvoirs très restreints et partagés avec Israël sur l’ensemble de la Cisjordanie et la Bande de Gaza.

La victoire du Hamas aux élections législatives du 25 janvier 2006 (42,9% des suffrages exprimés) et la prise de contrôle de la Bande de Gaza par les islamistes le 14 juin 2007 va a fortiori affaiblir le contrôle de l’Autorité palestinienne sur l’ensemble des Territoires palestiniens. Désormais, deux gouvernements se font face : le gouvernement du Fatah en Cisjordanie et celui du Hamas dans la Bande de Gaza.
Ce doublon gouvernemental a lourdement affecté l’Autorité palestinienne en Cisjordanie qui peine à retrouver son autorité et une certaine légitimité auprès de la population palestinienne. En effet, théoriquement, Mahmoud Abbas, Président de l’Autorité palestinienne, n’a plus de mandat depuis 2009 mais le Conseil central de l’OLP a décidé de le prolonger jusqu’à la tenue de prochaines élections et ce pour éviter une crise politique. Mais l’échéance électorale est systématiquement reportée. A cela s’ajoute les scandales de corruption au sein du gouvernement qui ont définitivement écornés l’image de l’Autorité palestinienne. Certains universitaires palestiniens demandent même la dissolution de l’Autorité palestinienne qui selon eux n’a plus de légitimité depuis longtemps.

A ces difficultés d’intégration politique, s’ajoute un problème central pour l’établissement d’un État palestinien viable : l’implantation des colonies en Cisjordanie qui fragmente l’espace territorial palestinien. Or, en droit international public, trois critères sont essentiels pour parler d’État : une population, un territoire et la souveraineté. Dans quelle mesure la construction de colonies en Cisjordanie porte-t-elle atteinte à la continuité territoriale d’un futur État palestinien ?

La composante géographique

La composante géographique est essentielle pour comprendre la viabilité d’une structure étatique. Un État ne peut exister sans continuité spatiale et territoriale. Pour aborder ce deuxième paramètre, il est nécessaire de revenir sur le découpage administratif des Territoires palestiniens. En effet, peu après les accords intérimaires d’Oslo en 1993, l’accord sur la Bande de Gaza et la Cisjordanie (Oslo II en 1995) divise la Cisjordanie en trois zones [1].
 La zone A relevant de l’Autorité palestinienne qui comprend les plus grandes villes palestiniennes de Cisjordanie : Jénine, Qalqiliya, Tulkarem, Naplouse, Ramallah, Bethléem et Hébron. Cette partie du territoire couvre 20% de la Cisjordanie.
 La zone B comprenant le reste des localités palestiniennes, à savoir 28% de la Cisjordanie. Elle est administrée civilement par l’Autorité palestinienne mais Israël dispose d’une responsabilité majeure sur les questions sécuritaires.
 La zone C étant sous l’entier contrôle administratif et sécuritaire de l’État hébreu. Elle est définie selon Israël comme une “ zones de colonies”, “ zones de tirs” ou encore “ zone de réserves naturelles”. Cette partie du territoire représente la plus grande partie de la Cisjordanie à savoir 62%. Les accords d’Oslo de 1993 prévoyaient que la zone C serait progressivement transférée à l’Autorité palestinienne à l’horizon de 1998.

Il y actuellement près de 350 000 colons juifs qui vivent dans près de 250 colonies dans toute la zone C, et 150 000 Palestiniens. Les conditions de vie des Palestiniens restent très difficiles dans cette partie de la Cisjordanie. En outre, ils ne peuvent pas construire sans l’autorisation d’Israël. Au cours des dernières années et selon un rapport de la Société académique palestinienne d’études des affaires internationales (PASSIA), 94% des demandes de permis de construction par les Palestiniens ont été refusées [2]. La majorité des infrastructures palestiniennes étant illégales, près de 500 à 600 structures palestiniennes sont détruites chaque année en zone C par les autorités israéliennes.

La zone C est la seule partie du territoire qui dispose d’une continuité territoriale en Cisjordanie puisqu’elle encercle les zones A et B. Cette stratégie de morcellement du territoire palestinien n’est pas nouvelle et s’ancre historiquement dans la doctrine Allon qui porte le nom du général Ygal Allon, conseiller du gouvernement travailliste israélien (1967-1977). Cette doctrine va s’étendre après la guerre des six-jours (5-10 juin 1967) et la conquête par Israël de nouveaux territoires : la Bande de Gaza, le Sinaï et le Golan. Désormais, il faut protéger les frontières de l’État d’Israël et pour ce faire la doctrine Allon prône l’intégration d’une partie de la Cisjordanie à Israël : c’est le début de l’implantation des colonies juives en Cisjordanie (voir le dossier des Clés du Moyen-Orient consacré à cette question http://www.lesclesdumoyenorient.com/Les-implantations-israeliennes-en-1390.html). Au départ, axée sur une logique sécuritaire, ces implantations de colonies juives en Cisjordanie vont devenir avec l’arrivée de la droite (Likoud) au pouvoir en 1977 des colonies de peuplement avec une volonté « de judéisation des territoires conquis » (D. Perrin 2000). Toutefois, il faut éviter d’appréhender les colons de Cisjordanie comme un ensemble homogène mû par une même intention. Si certains colons s’installent pour des raisons religieuses notamment les ultra-orthodoxes, d’autres s’implantent aussi en raison du faible coût du logement ou encore dans l’espoir d’une vie en communauté. La présence des colons en Cisjordanie et à Jérusalem-est s’accroît depuis les années 1990. En 2008, selon un rapport de la fondation pour la Paix au Moyen-Orient et l’organisation de défense des droits de l’Homme B’Tselem, le nombre de colons en Cisjordanie et à Jérusalem-Est s’élevait à plus de 475 000 sur une population palestinienne totale de 2,3 millions en 2005 [3].

Le morcellement du territoire palestinien est aujourd’hui un problème pour penser la viabilité de l’État palestinien. En effet, l’éclatement de l’espace palestinien a entraîné l’éclatement de la souveraineté palestinienne sur ses territoires [4]. La construction du mur en 2002 a renforcé cette situation de fragmentation géographique du territoire palestinien. En effet, à la suite d’une série d’attentats meurtriers en Israël, le gouvernement d’Ariel Sharon (Premier ministre israélien de 2001 à 2006) décide de construire un mur le long de la ligne verte, frontière définie à l’issue de la guerre des six jours en 1967. Si pour l’État hébreu la barrière de séparation avec la Cisjordanie constitue une mesure de sécurité visant à réduire le nombre d’attentats, elle est considérée du côté palestinien comme un mur de l’apartheid. Selon ses détracteurs, ce dispositif long de 750 km, et toujours en phase de construction, ne respecte pas le tracé initial de la ligne verte. Seule une partie du mur, à savoir 20%, suit le tracé de la ligne verte, le reste empiéterait sur les Territoires palestiniens. Le mur ainsi que l’ensemble des infrastructures liées, les barrières, les zones de sécurité, les routes contribueraient de facto à annexer les terres palestiniennes.
De nombreuses associations palestiniennes dénoncent les situations d’incohérences que provoquent ce mur : terres agricoles situées de l’autre côté du mur nécessitant des autorisations de passage, villages enclavés, difficulté d’accès aux services de santé. Selon Alexandra Novosseloff, co-auteur de l’ouvrage Des murs entre les hommes (2007) : « A terme, quand la construction du mur sera achevée, 274 000 Palestiniens seront enclavés et 400 000 séparés de leurs camps, de leur travail, de leur école et de leur hôpital » [5].
Le mur et le sectionnement du territoire palestinien en plusieurs zones limitent ainsi la circulation des biens et des personnes et rend difficile toute possibilité de développement économique.

La composante économique

L’activité économique est fondamentale pour consolider les institutions politiques d’un pays. Pour Julien Salingue, spécialiste de la question palestinienne, quatre paramètres permettent de caractériser l’économie palestinienne [6] :
 L’économie palestinienne est en relation constante de dépendance voire de subordination avec Israël.
 L’économie palestinienne ne peut maîtriser ses priorités de développement et d’investissement puisqu’ils sont conditionnés à l’approbation de l’État hébreu.
 Les capitaux de l’économie palestinienne ont fui depuis que les banques commerciales sont devenues pour la majorité israélienne. Les Palestiniens ayant dû mal à confier leurs deniers à des banques israéliennes, ils ont eu tendance à placer leur argent à l’extérieur.
 L’économie palestinienne est dépendante de l’économie israélienne aussi bien au niveau des importations que des exportations.
Pour qualifier les difficultés d’intégration économique des Territoires palestiniens, Sarah Roy, chercheuse au Centre pour les Études sur le Moyen-Orient à l’université de Harvard, parle de « de-development ». Selon la chercheuse, le de-development en tant que processus structurel empêche toute possibilité de développement économique global en raison principalement de la subordination de l’économie palestinienne à l’économie israélienne. En 2010, selon un rapport du gouvernement palestinien, le coût de l’occupation sur l’économie palestinienne s’élevait à plus de 5 milliards d’euros, soit près de 85% du PIB palestinien [7].

Toutefois, bien que les entraves à la liberté de circulation ont un rôle décisif dans la difficile intégration de l’économie palestinienne, d’autres facteurs sont à prendre en compte. En effet, l’Autorité palestinienne en tant qu’institution politique a aussi un rôle à jouer dans cet échec. Selon Julien Salingue : « l’apparition de l’Autorité palestinienne va largement participer à une reconfiguration de la scène économique palestinienne » [8]. En effet, l’Autorité palestinienne mise en place en 1993 dans le cadre des accords d’Oslo va devenir le premier employeur dans les Territoires palestiniens. En 2007, on comptait 180 000 membres au sein de l’appareil étatique palestinien comprenant en outre les forces de polices, les fonctionnaires et autres services de l’administration centrale. Le public devient rapidement un secteur privilégié pour les diplômés palestiniens.

En grande partie financée par l’extérieur, l’Autorité palestinienne reçoit en moyenne 1 milliard d’euros par an en provenance principalement de l’Union européenne et des États-Unis. Début 2004, le gouvernement palestinien annonçait sur un projet de budget prévisionnel d’un montant de 3,1 milliards d’euros, 1,2 milliards d’euros d’aides étrangères [9]. Pour les détracteurs de l’Autorité palestinienne, la structure aurait développé depuis la fin des années 90 un vaste réseau de corruption et de clientélisme au détriment du développement économique des Territoires palestiniens. A titre d’exemple, il y a environ 92 ministres ou affiliés au sein du gouvernement palestinien. De plus, 58% des dépenses de l’Autorité palestiniennes sont destinées à la gestion de l’administration centrale, soit 1,7 milliards de dollars. Moins d’un tiers du budget est destiné à l’aide au développement des services sociaux, à savoir la santé et l’éducation.

Le projet du Premier ministre Salam Fayyad (juin 2007-juin 2013) présenté en 2009 a pourtant suscité de l’espoir dans les Territoires palestiniens. Pour lui, seul le développement économique peut garantir la viabilité d’un État palestinien indépendant. Il mise alors sur un plan en deux ans avec l’objectif de moderniser l’économie de la Cisjordanie en valorisant davantage le secteur privé. Adopté en août 2009, le plan Fayyad se fonde sur un renforcement des institutions publiques pour qu’elles soient plus transparentes. En outre, le budget de l’Autorité palestinienne est désormais publié de façon détaillée mois après mois et les fonctionnaires doivent avoir un compte en banque nominatif afin de lutter contre la corruption qui sclérose le système politique palestinien. Ces initiatives ont été saluées par la communauté internationale. En 2011, la Banque mondiale ou encore le Fonds monétaire international ont admis que l’avancement des réformes institutionnelles initiées par Salam Fayyad plaçait l’Autorité palestinienne « au dessus du seuil nécessaire à un État indépendant, viable et souverain de Palestine » [10].

Mais si l’économie palestinienne a connu des taux de croissance élevés (5,8% en 2011) ces dernières années, c’est aussi en grande partie en raison des dons en provenance de l’étranger qui trompent la croissance économique palestinienne. Pour Jacques Bendelac, Chercheur en sciences sociales à Jérusalem, « la viabilité de l’économie palestinienne et la soutenabilité de sa croissance dépendront de trois facteurs principaux : la stabilité des recettes fiscales, l’essor du secteur privé et l’augmentation du commerce extérieur » [11]. Trois composantes qui ne peuvent selon lui se réaliser sans une coopération étroite avec l’État hébreu qui contrôle l’ensemble des frontières extérieures et les infrastructures nécessaires au développement économique : les axes routiers et l’approvisionnement en eau et en électricité. Cette dépendance économique à laquelle s’adjoint une dépendance de facto politique et territoriale avec l’État hébreu interroge les fondements d’un futur État palestinien indépendant. Dans les milieux intellectuels palestiniens, une autre option que celle de la solution à deux États est remise à l’ordre du jour : celle d’un État binational où Palestiniens et Israéliens disposeraient des mêmes droits. 25% des Palestiniens y seraient favorables selon une enquête du Jerusalem Media and Communications center (JMCC) en 2012.

Publié le 04/04/2014


Juriste de formation et diplômée de l’Institut des Sciences Politiques de Paris, Ilham Younes s’est spécialisée sur les relations Union européenne/Proche-Orient avec pour objectif de travailler dans la recherche sur ces questions. D’origine franco-palestinienne, elle a créé en 2007 et préside toujours l’association « Printemps de Palestine » dont le but est de promouvoir la culture palestinienne au travers de festivités, d’expositions ou encore de concerts.
Rédactrice-chercheur pour Carto et Moyen-Orient de janvier à mai 2012, et assistante de recherche auprès de Pascal Boniface (directeur de l’IRIS) de janvier à mai 2013 , elle a rédigé de nombreux articles sur la situation politique en Jordanie, en Égypte, ou encore au Liban. Elle s’est plus récemment impliquée aux côtés de la délégation diplomatique palestinienne pour l’éducation et la culture au cours de la 37ème Conférence générale de l’UNESCO.


 


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