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Les implantations israéliennes en Cisjordanie (2) : histoire d’une colonisation depuis 1967

Par Hervé Amiot
Publié le 25/09/2013 • modifié le 10/03/2018 • Durée de lecture : 9 minutes

Lire la partie 1 : Les implantations israéliennes en Cisjordanie (1) : histoire de la présence juive en Palestine avant 1967

La question des colonies israéliennes en territoire palestinien est une question d’actualité. Pendant l’été 2013, le gouvernement Netanyahou a annoncé la création d’un millier de nouveaux logements à Jérusalem Est et en Cisjordanie.
Cependant, au-delà de l’actualité brûlante et des décisions conjoncturelles sur les colonies, il convient de se placer dans une problématique de long terme et de comprendre les enjeux structurels. Après avoir étudié la présence juive en Palestine jusqu’en 1967 dans une première partie, nous nous pencherons, dans ce second volet, sur la période qui suit la Guerre des Six-Jours, marquée par de grands programmes de colonisation des territoires occupés par Israël, et notamment la Cisjordanie.

I - De 1967 à 1977, une politique pragmatique, basée sur l’exigence sécuritaire

A la suite de la Guerre des Six-Jours (5-10 juin 1967), au cours de laquelle Tsahal défait la coalition arabe, Israël agrandit son territoire en occupant la bande de Gaza, le Sinaï, le Golan, et la Cisjordanie.

La doctrine d’Allon

Ygal Allon, général pendant la première guerre israélo-arabe puis conseiller du gouvernement travailliste (1967-1977), énonce un objectif fondamental : conserver des frontières sûres pour Israël. Pour cela, il va fonder une stratégie territoriale reposant sur des considérations uniquement militaires, n’accordant aucune place aux références historiques ou bibliques.

Concrètement, il s’agit d’incorporer une partie de la Cisjordanie à Israël, tout en en laissant une partie aux Arabes. Dans la vallée du Jourdain, une bande frontalière de 12 à 15 km doit être armée et peuplée de Juifs pour contrôler la Jordanie et l’Irak. Certaines parties des montagnes de Samarie au Nord, et du désert de Judée au Sud, sont considérées comme stratégiques et donc, doivent accueillir des colonies. Enfin, Jérusalem est le dernier secteur stratégique : à l’Ouest de la ville, le corridor qui y mène doit être élargi, et à l’Est la connexion avec la vallée du Jourdain doit être assurée.

Géographie des nouvelles colonies

Ces colonies sont implantées de manière stratégique, tenant compte des réalités du terrain. La ligne de colonie de Mehola à Kalya (tache jaune sur la carte 1) permet de contrôler le fond de la vallée du Jourdain et donc les ressources en eau. La ligne de colonies situées sur les hauteurs (600-700 m) surplombant le Jourdain, de Ro’i à Rimmonim (tache rose sur la carte 1) permet de surveiller à la fois la vallée du Jourdain et les hauteurs jordaniennes, sur l’autre rive, par lesquelles une attaque des forces arabes pourrait venir. La « route Allon » (en violet) est une artère stratégique prévue pour relier les implantations. Alain Dieckhoff (Les Espaces d’Israël, 1989) résume le plan Allon en disant qu’il est « un programme optimal pour donner à Israël le maximum de sécurité tout en réduisant au minimum l’inconvénient majeur qu’aurait été l’incorporation totale des territoires ».

Carte 1 : le plan Allon, 1967

Les écarts par rapport au plan

Allon cède cependant à des considérations historiques, sous la pression de groupes religieux, en acceptant que la zone israélienne s’étende jusqu’à Hébron, la cité des Patriarches, abritant le tombeau d’Abraham. Ainsi, en 1968, la colonie de Kiryat Arba est créée à l’Est de la ville.

Cependant, cette vision stratégique du territoire ne contente pas certains milieux qui voient dans celle-ci l’abandon de la création du Grand Israël avec la reconnaissance de territoires arabes en Cisjordanie, et qui craignent l’abandon des colons israéliens se trouvant dans des zones décrétées non stratégiques pour Israël.

II - A partir de 1977, une politique nouvelle, aux racines idéologiques

La pression du sionisme religieux

Un premier tournant a lieu avec la guerre du Kippour (octobre 1973), comme le souligne Dominique Perrin (Palestine, une terre, deux peuples. 2000. p. 270) : alors que le plan Allon implantait principalement les colonies dans les régions dépeuplées d’Arabes (le Jourdain), les Travaillistes acceptent dorénavant les implantations dans des territoires densément peuplés.

C’est qu’un changement s’est produit au sein du sionisme. Alors que les juifs religieux étaient plutôt opposés au sionisme jusque-là, on voit apparaitre un véritable sionisme religieux, qui se reconnait dans le volontarisme des premiers pionniers sionistes, mais qui change leur registre de justification : les Juifs doivent s’installer dans toute la Palestine du fait de la promesse faite par Dieu. Ces idées sont portées par des groupes de pression. Le plus connu d’entre eux, le Goush Emounim (Bloc de la foi), créé en 1974, incite les Israéliens à venir s’installer en Cisjordanie, par devoir religieux. Le gouvernement, sous la pression de ces groupes, entérine la création de colonies en principe illégales. Ainsi, le Goush Emounim établit une première implantation à Ofra, au Nord de Ramallah en mai 1975, puis une seconde à Kfar Kaddoum, près de Naplouse en novembre 1975.

L’arrivée au pouvoir de la droite en 1977

En 1977, la droite arrive au pouvoir avec le Premier ministre Menahem Begin, appartenant au Likoud, parti sioniste et nationaliste. D’emblée, le Likoud affirme sa volonté de garder les « territoires récupérés » (et non plus les « territoires occupés ») pour constituer le « Grand-Israël ». La colonisation change donc de nature : d’un besoin de sécurité, la colonisation passe à « une volonté de peuplement, de judéisation des territoires conquis » (D. Perrin, 2000).

L’Etat juif emploie une série de tactiques pour s’emparer des terres arabes (par exemple, en les décrétant « absentéistes ») et accorde des avantages fiscaux aux colons venant s’installer. L’enjeu est d’insérer des implantations au sein des régions fortement peuplées d’Arabes, pour contrebalancer leur forte croissance démographique. Mais il y a aussi des enjeux économiques : les réserves en eau de la Cisjordanie sont essentielles pour l’agriculture et l’industrie israéliennes. Pour contrebalancer l’audience naissante de l’Organisation de Libération de la Palestine (OLP), Israël tente de créer des « ligues de villages » arabes, qui lui sont soumises.

Carte 2 : Les implantations israéliennes de 1977 à 1989

Sur la carte, l’on note que la stratégie sécuritaire visant à contrôler les points stratégiques et défendre les frontières est remplacée par une autre logique, que l’on pourrait qualifier de « stratégie de la présence » (A. Dieckhoff, 1989). Il s’agit pour les Juifs d’affirmer leur présence en Cisjordanie, au cœur même des territoires arabes. A. Dieckhoff détaille cette stratégie en plusieurs étapes : la greffe, la segmentation du territoire palestinien, puis l’établissement de continuités entre les différentes colonies. Cet aspect sera étudié plus en détail dans le troisième volet du dossier, consacré à la géographie actuelle des colonies.

III – Colonies et processus de paix

La première intifada (1987) : une menace pour les colonies ?

Alors qu’Israël s’est retiré du Sinaï en 1982, les colonies se multiplient en Cisjordanie. L’OLP acquiert de plus en plus d’audience dans la région et le mécontentement gronde. Le 9 décembre 1987, à Gaza, un accident de la route entre un camion israélien et un taxi collectif palestinien fait quatre morts. La situation s’embrase et la révolte gagne la Cisjordanie. Les jeunes arabes lancent des pierres contre tout ce qui est israélien. Ils s’élèvent contre l’occupation israélienne, que ce soit par l’armée ou par les colonies de peuplement. Mouvement spontané à l’origine, l’Intifada fait le jeu de l’OLP qui gagne en prestige sur le plan international. Par ailleurs, une conscience nationale palestinienne refait surface, même si les divisions sont fortes entre l’OLP et le mouvement islamiste du Hamas, nouvellement créé.

Selon Henry Laurens (1991), « la première conséquence de l’intifada est de faire réapparaitre la ‘’ligne verte’’ qui sépare Israël des territoires occupés en faisant de ces derniers une zone d’insécurité permanente ». La Cisjordanie et Jérusalem Est, dont l’occupation était jusque-là bénéfique pour Israël (source de revenus économiques, ressources en eau, symbole de la présence juive dans le « Grand Israël »), risquent de devenir une charge importante. L’insécurité devient permanente pour les colons, le renforcement du dispositif de sécurité entraine de fortes dépenses, le tourisme pâtit de l’image de violence associée à ces territoires … Les colonies ne constituent plus les avantages qu’elles constituaient pour Israël durant les décennies précédentes.

Le découpage de la Cisjordanie, thème récurrent des pourparlers de paix

Les accords d’Oslo (1993) reconnaissent la souveraineté de l’Autorité palestinienne sur la Cisjordanie et Gaza, et le retrait progressif d’Israël de ces territoires. Cependant, ce retrait n’est pas total. En septembre 1995, l’accord de Taba (« Accord intermédiaire sur la bande de Gaza et la Cisjordanie » ou « Oslo II ») divise la Cisjordanie en trois zones (voir carte 3) :
- La zone A (3% du territoire, 20% de la population cisjordanienne) comprend les principales villes palestiniennes, devant être évacuées par l’armée israélienne et passer sous le contrôle de l’Autorité palestinienne. Hébron fait l’objet d’un accord spécial qui prévoit le maintien partiel des Israéliens.
- La zone B (27% du territoire, 70% de la population) se compose d’une douzaine de régions rurales. L’Autorité palestinienne y possède les pouvoirs civils, et Israël les pouvoirs en matière de sécurité.
- La zone C (70% du territoire, 10% de la population) reste sous contrôle israélien. Les Palestiniens y sont peu nombreux et la zone englobe l’essentiel des colonies juives.

Carte 3 : la partition de la Cisjordanie en trois zones selon l’accord de Taba ou « Oslo II » (1995)

Selon Dominique Perrin (2000), on peut voir dans cet accord la possibilité future d’instaurer un Etat palestinien à l’avenir. Mais on peut aussi y voir un éclatement du territoire palestinien qui devient une « peau de léopard » composée d’enclaves mal reliées et prises dans le réseau des colonies israéliennes.

Les accords de Camp David II (2000) proposent un autre plan de partage pour la Cisjordanie. Israël souhaite annexer 9 à 10% de la Cisjordanie, le long de la ligne verte (en échange de terres données aux Palestiniens dans le Néguev) et prévoit une zone de sécurité le long du Jourdain, occupée par Tsahal. Arafat et les Palestiniens rejettent ce plan. En 2001, les accords de Taba prévoient eux aussi l’annexion de zones le long de la ligne verte (mais plus réduites qu’à Camp David), et ne déterminent pas de zone de sécurité le long du Jourdain. Mais les Palestiniens refusent, car des villages auraient été englobés dans Israël. Par ailleurs, le déclenchement de la seconde Intifada, en septembre 2000, freine le processus de paix. La situation territoriale reste celle des accords d’Oslo II de 1995.

Une donne différente

Deux éléments contribuent à changer quelque peu la donne dans les années 2000 :
En avril 2004, le « plan Sharon » prévoit un retrait israélien de la bande de Gaza. Ainsi, l’année qui suit, les 8000 colons juifs sont évacués du territoire, qui passe sous le contrôle de l’Autorité palestinienne (même si le Hamas la supplantera peu après). En contrepartie, Sharon obtient des garanties américaines sur le « non-retour aux frontières de 1967 » et la « prise en compte des changements démographiques » en Cisjordanie. En abandonnant Gaza, Israël se concentre sur la Cisjordanie, et ne souhaite pas y perdre ses positions.
En 2002, des personnalités de la gauche israélienne demandent la construction d’un « dispositif de séparation », c’est-à-dire d’un mur, entre Israël et la Cisjordanie. La droite s’était jusque-là toujours opposée à une séparation entre Israël et les territoires occupés, puisque cela signifiait une faiblesse face aux terroristes et le renoncement au « Grand Israël » par le figement des frontières de l’Etat. Finalement, le Premier ministre Sharon arrive à l’imposer à son parti, le Likoud, disant que le mur réduira fortement les attaques terroristes. Le mur est un dispositif complexe, fait de plusieurs barrières superposées, qui a été critiqué pour son coût. S’il a peut-être fait diminuer le nombre d’attentats (il n’est pas sûr qu’il soit le seul facteur de cette diminution), il contribue à augmenter la fragmentation du territoire palestinien et à réduire fortement la liberté de circulation de ses habitants.
Ces deux événements ne freinent pas la colonisation juive.

La poursuite actuelle de la colonisation

La politique israélienne des colonies dépend en grande partie de la majorité au pouvoir. En 1992, les travaillistes et le Premier ministre, Yitzhak Rabin, annoncent le gel de la colonisation. En 1996, le Likoud revient aux affaires avec Benyamin Netanyahou : totalement opposé à l’idée d’un Etat palestinien en Cisjordanie, il lève le gel de la colonisation. En 1999, Ehud Barak, travailliste, lui succède et le processus de paix reprend (tenue des conférences de Camp David II et de Taba). En mars 2001, après l’intifada, c’est le Likoud qui revient sur le devant de la scène avec Ariel Sharon.

Cependant, le nombre de colons juifs en Cisjordanie augmente constamment. Le gel de la colonisation n’a pas empêché le nombre des colons de Cisjordanie de passer de 112 000 en 1992 à 150 000 en 1995, auxquels il faut ajouter les 170 000 Juifs de Jérusalem Est. En mai 1999, ce sont 180 000 colons qui résident dans les 123 implantations de Gaza et de Cisjordanie. En 2008, la « Fondation pour la paix au Moyen Orient » estime à 300 000 le nombre de colons en Cisjordanie, et à 185 000 leur nombre à Jérusalem Est, alors que la population palestinienne de Cisjordanie est estimée à 2,3 millions d’habitants (chiffre de 2008). En 2010, le B’Tselem (le « Centre d’information israélien pour les Droits de l’Homme dans les territoires occupés ») estime que les colons occupent 42% du territoire cisjordanien, et sont répartis en 121 colonies, une centaine de colonies sauvages et 12 faubourgs annexés par la municipalité de Jérusalem.

En 2009, sous la pression des Etats-Unis de Barack Obama, Netanyahou annonce un gel partiel de 10 mois de la colonisation. Cependant, il accepte rapidement la construction de plans de logements à Jérusalem-Est et en Cisjordanie. Le 11 août 2013, le ministre du Logement du gouvernement Netanyahou, Uri Ariel a lancé un appel d’offre pour la construction de 793 unités de logement à Jérusalem et 394 en Cisjordanie.

Le processus de paix apparait bloqué, la colonisation se poursuivant et le président palestinien Mahmoud Abbas refusant de négocier avec Israël s’il poursuit la colonisation.

Bibliographie :
 DIECKHOFF Alain, Les Espaces d’Israël. Essai sur la stratégie territoriale israélienne, Presses de la fondation nationale des sciences politiques, 1989, 218 p.
 ENCEL Frédéric, Atlas géopolitique d’Israël. Les défis d’une démocratie en guerre, Autrement, 2012, 96 p.
 GOUËSET Catherine, « Israël : comprendre la colonisation des territoires occupés », L’Express, 26/09/2010, consultable en ligne :
http://www.lexpress.fr/actualite/monde/proche-orient/israel-comprendre-la-colonisation-des-territoires-occupes_921945.html.
 LAURENS Henry, Le Grand jeu. Orient arabe et rivalités internationales depuis 1945, Armand Colin, 1991, 448 p.
 www.lemonde.fr, « Israël veut construire un millier de logements dans les colonies », 11 août 2013.
 PERRIN Dominique, Palestine. Une terre, deux peuples, Presses universitaires du septentrion, 2000, 346 p.

Publié le 25/09/2013


Hervé Amiot est Docteur en géographie, agrégé et ancien élève de l’Ecole Normale Supérieure (Ulm). Après s’être intéressé aux dynamiques politiques du Moyen-Orient au cours de sa formation initiale, il s’est ensuite spécialisé sur l’espace postsoviétique, et en particulier l’Ukraine, sujet de ses recherches doctorales.


 


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