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L’implantation de la France au Proche-Orient, et plus particulièrement au Levant, n’est pas récente : au XVIIIème siècle, elle obtient du Saint-Siège l’exclusivité de la protection consulaire des religieux envoyés dans l’Empire ottoman. Ce n’est cependant qu’à la fin du XIXème siècle, et surtout après l’expédition française à Beyrouth en 1860, que la France se met à exercer une véritable influence au Levant et qu’elle manifeste des ambitions territoriales dans la région. La Première Guerre mondiale et le partage de l’Empire ottoman lui permettent de réaliser en partie ces ambitions, contrariées d’une part par les ambitions rivales de la Grande-Bretagne et d’autre part par la montée en puissance du nationalisme arabe.
La protection consulaire accordée par le Saint-Siège à la France au XVIIIème siècle s’est peu à peu étendue à l’ensemble des catholiques présents au Proche-Orient et parmi ceux-ci les maronites du Mont-Liban. Lorsque les massacres des druzes à l’encontre des maronites débutent en 1860, la France de Napoléon III décide d’intervenir. Les visées de cette intervention ne sont pas seulement de mettre un terme aux massacres et de protéger les catholiques mais également d’étendre le pouvoir et l’influence de la France dans la région en diminuant ceux de la Grande-Bretagne : si le statut autonome accordé au Mont-Liban par l’Empire ottoman en 1861 ne permet pas à la France d’obtenir une assise territoriale sur la région, celle-ci étend néanmoins son influence. Elle a en effet un droit de regard sur le choix du gouverneur du Mont-Liban, bien que celui-ci ne soit pas un chrétien maronite, ainsi que sur les conseillers élus dans le cadre du système de représentativité mis en place.
L’influence de la France au Levant passe également par les liens étroits, à la fois économiques et culturels, qu’elle noue avec l’Empire ottoman dans les dernières décennies du XIXème siècle. Ces liens sont tout d’abord économiques : la France possède de nombreuses entreprises, dans le domaine des communications notamment. Nominalement ottomanes, elles sont en réalité contrôlées par les capitaux français. La France, à la fin du XIXème siècle est la première créancière de la Sublime Porte et en 1914, les capitaux français représentent deux tiers des capitaux placés en fonds publics ottomans. A ces liens économiques s’ajoutent des liens culturels. La France contrôle dans l’ensemble de l’Empire ottoman un réseau d’écoles et d’établissements de charité, notamment dans les grandes villes de l’Empire ottoman comme Constantinople ou Salonique mais aussi Beyrouth et Jérusalem. Elle scolarise près de 90 000 enfants ottomans par an.
Par conséquent, la politique de la France vise à conserver l’intégrité territoriale de l’Empire ottoman mais un effondrement éventuel de celui-ci est envisagé. Si il venait à disparaître, la France souhaiterait revendiquer des zones d’influence sur les régions syriennes, à savoir le Mont-Liban, les vilayet de Beyrouth, Damas et Alep et le sandjak d’Alexandrette. Elle ne cherche pas à occuper la Syrie mais refuse toutes visée territoriale des autres puissances européennes – et notamment la Grande-Bretagne – sur la région. De ce fait, plusieurs accords sont passés. En 1912, un accord naval entre la France et la Grande-Bretagne est signé, la Grande-Bretagne acceptant de confier la défense de ses possessions en méditerranée orientale à la flotte française en échange d’une protection des côtes françaises par ses navires. Un second accord, en février 1914, est passé entre l’Allemagne et la France. Cet accord ferroviaire donne à la France l’exclusivité des droits d’exploitation en Syrie et en Palestine.
Le 9 septembre 1914, l’Empire ottoman abolit les Capitulations qui permettaient jusque-là aux puissances européennes de le contrôler en grande partie. En novembre 1914, la guerre est déclarée à l’Empire ottoman par la Triple Entente à la suite de plusieurs actions militaires turco-allemandes. A son tour, l’Empire ottoman entre en guerre au côté de l’Allemagne, c’est-à-dire contre les puissances qui garantissaient jusque-là son intégrité territoriale, et posant la question du démembrement de celui-ci dans le cas d’une victoire des Alliés. Les premiers « accords » entre les grandes puissances concernant le futur partage de l’Empire ottoman se déroulent dès l’année 1915. En mars 1915, une réunion est organisée à Petrograd, capitale de la Russie, entre la France, la Grande-Bretagne et la Russie. Cette dernière, dans la continuité de sa politique orientale qui a prévalu tout au long du XIXème siècle, souhaite la pleine possession des détroits, de Constantinople et de la Thrace orientale. La Grande-Bretagne a des vues sur la Mésopotamie, la Perse et le Golfe Persique, en raison notamment des ressources pétrolières qui s’y trouvent. Quant à la France, elle cherche à étendre son influence au Levant et souhaite obtenir la Cilicie, la Syrie et la Palestine.
Très vite cependant, la situation se complique et les ambitions de la France au Levant sont freinées. En effet, le chérif de la Mecque, Hussein, s’allie à la Grande-Bretagne et lui propose, en échange de son soutien pour la constitution d’un vaste Etat arabe, de fomenter une insurrection arabe. Une correspondance échangée entre les Britanniques et le chérif de La Mecque, la Correspondance Hussein-MacMahon, décide ainsi de la composition territoriale du futur Etat arabe. Mais ces accords concurrencent directement la France : en effet, l’Etat arabe ainsi constitué s’étendrait sur la Syrie. La France et la Grande-Bretagne engagent alors de nouvelles négociations à l’été 1915 qui aboutissent, le 4 janvier 1916, à la signature des accords Sykes-Picot. L’accord Grey-Cambon du 9 mai 1916 entérine, après négociations avec la Russie, le mémorandum Sykes-Picot. Ceci ne sonne pas pour autant la fin des négociations. Les victoires militaires des Britanniques dans la région remettent en effet en cause, dès octobre 1918, les accords Sykes-Picot : le 24 octobre 1918, l’Etat-major britannique procède au partage territorial de la région du Levant, partage qui se substitue aux accords Sykes-Picot. Même si la France obtient l’administration de la zone nord, c’est-à-dire de la Syrie littorale, l’autorité française se trouve subordonnée à celle du général Allenby.
Cependant, en dépit de la présence et de l’administration britanniques au Levant, des décisions sont prises par les responsables politiques français et britannique. Le président du Conseil français Clemenceau et le Premier ministre britannique Lloyd George entament des négociations, afin de préparer le départ des troupes britanniques de Syrie et d’asseoir la présence française en Syrie. Ce retrait britannique s’inscrit dans le cadre des difficultés que la Grande-Bretagne connaît dans son Empire (troubles et agitation en Inde, Egypte, Irlande). Le 1er novembre 1919, conformément aux décisions franco-britanniques, les troupes françaises commencent à relever les troupes britanniques et sur le plan politique, le général Henri Gouraud est nommé haut-commissaire de France en Syrie par Clemenceau.
Dans le même temps, la conférence de la paix s’ouvre à Paris le 12 janvier 1919. Plusieurs traités fixent le nouveau statut de l’Europe, des anciens Empires et des colonies allemandes. Concernant les anciennes provinces arabes de l’Empire ottoman, la France et la Grande-Bretagne s’entendent pour leur partage : la France souhaite obtenir la Syrie et le Liban ; la Grande-Bretagne la Mésopotamie et la Palestine. Des délégations syrienne et libanaise se rendent également à la conférence afin de faire entendre leurs aspirations : le fils du chérif de La Mecque, Fayçal, qui a conduit la révolte arabe, souhaite réaliser l’unité arabe sous un gouvernement chérifien ; la délégation libanaise du Mont Liban réclame quant à elle la formation d’un grand Liban. Dans le même temps, la diplomatie américaine prône la fin de l’impérialisme, et le président Wilson déclare ne pas être associé aux volontés de partage des alliés. En ce sens, le 20 mars 1919, Wilson propose d’envoyer une commission d’enquête au Levant, afin de déterminer ce que souhaitent les populations : la commission King-Crane se rend ainsi en Syrie, au Liban et en Palestine à partir de mai 1919. Les conclusions de la commission d’enquête font apparaître qu’un mandat de la France ne serait pas accepté sauf au Liban, et qu’un mandat accordé aux Etats-Unis et confié à l’émir Fayçal serait accepté par la population.
Cependant, les aspirations des populations ne sont pas suivies, et la France et la Grande-Bretagne se partagent la région. Seule la délégation libanaise obtiendra satisfaction avec la création par la France d’un grand Liban le 20 septembre 1920.
Une série de décisions est alors prise par la France et par la Grande-Bretagne. La conférence de Londres de mars-avril 1920 attribue Mossoul et la Palestine aux Britanniques ; la conférence de San Remo d’avril 1920 attribue à la France le mandat sur la Syrie et le Liban et à la Grande-Bretagne le mandat sur la Palestine et la Mésopotamie. Sur le plan juridique, cette nouvelle notion de mandat a été mise en œuvre à l’initiative de Wilson. Celui-ci décide de créer la Société des Nations (SDN) lors de la conférence de la paix, le 28 avril 1919. Son but est de maintenir la paix et d’éviter une nouvelle guerre. L’article 22 de la SDN fixe notamment le statut des anciennes provinces arabes de l’Empire ottoman et introduit la notion de mandat : « certaines communautés qui appartenaient autrefois à l’Empire ottoman ont atteint un degré de développement tel que leur existence comme nations indépendantes peut être reconnue provisoirement, à la condition que les conseils et l’aide d’un mandataire guident leur administration jusqu’au moment où elles seront capables de se conduire seules ». C’est ainsi que le 24 juin 1922, la charte du mandat est signée à Londres, précisant les conditions dans lesquelles la France va exercer son mandat.
Entre 1860 et 1920, la présence française au Levant passe d’une influence informelle à une présence territoriale effective. La principale cause de ce changement est la Première Guerre mondiale et l’effondrement de l’Empire ottoman qui en a résulté. Cependant, l’implantation française au Levant n’a pas été aisée et a été l’objet de nombreuses négociations, notamment avec la Grande-Bretagne, et de nombreux compromis. A partir de 1920 et jusqu’en 1945, la France exerce au Levant deux mandats, l’un en Syrie et l’autre au Liban, et cherche à conserver son influence dans cette région malgré la montée en puissance des différents nationalismes.
Bibliographie :
– Anne-Lucie Chaigne-Oudin, La France et les rivalités occidentales au Levant, Syrie Liban 1918-1939, Paris, L’Harmattan, 2006, 328 pages.
– Vincent Cloarec, Henry Laurens, Le Moyen-Orient au 20e siècle, Paris, Armand Colin, 2005.
– Pierre Fournié et Jean-Louis Riccioli, La France et le Proche-Orient, 1916-1946, Tournai, Casterman, 1996, 285 pages.
– Henry Laurens, L’Orient arabe : arabisme et islamisme de 1798 à 1945, Armand Colin, 2002.
– Gérard D. Khoury, La France et l’Orient arabe, naissance du Liban moderne, 1914-1920, Paris, Armand Colin, 1993.
Clémentine Kruse
Clémentine Kruse est étudiante en master 2 à l’Ecole Doctorale d’Histoire de l’Institut d’Etudes politiques de Paris. Elle se spécialise sur le Moyen-Orient au XIXème siècle, au moment de la construction des identités nationales et des nationalismes, et s’intéresse au rôle de l’Occident dans cette région à travers les dominations politiques ou les transferts culturels.
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