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Par Clémentine Kruse
Publié le 09/03/2012 • modifié le 02/03/2018 • Durée de lecture : 5 minutes

Le Mont-Liban, d’un refuge à la crise de l’année 1840

En 1840, le Liban compte onze communautés chrétiennes dont les deux plus importantes sont les maronites et les Grecs orthodoxes ainsi que six communautés musulmanes composées principalement de druzes, de chiites et de sunnites. Pays conquis au VIIème siècle par les Arabes, son relief prend de l’importance et notamment le Mont-Liban qui devient un refuge pour les communautés minoritaires menacées. Les maronites, des chrétiens originaires de Syrie, s’y installent dès le VIIème siècle et les druzes dès le XIème siècle. Le pays est conquis par les Ottomans au XVIème siècle mais le pouvoir est en réalité exercé par les familles musulmanes druzes. Du XVIIIème siècle à la fin de la première moitié du XIXème siècle, la famille des Chéhab exerce son autorité sur le pays, tandis que les peuples vivant dans les hauteurs du Liban jouissent d’une autonomie relative.
Entre 1839 et 1840, l’Empire ottoman est soulevé par une crise d’importance : la montée en puissance de l’Egypte de Méhémet Ali. Les conquêtes territoriales de celui-ci menacent l’intégrité et la stabilité d’un Empire multi ethnique et multi confessionnel. A cela s’ajoute la rivalité franco-anglaise concernant le contrôle de la route des Indes ; il existe alors un axe franco-égyptien qui s’oppose à un axe anglo-ottoman. Ces conflits se cristallisent au Liban et entérinent la séparation jusqu’alors purement confessionnelle des communautés libanaises en une séparation politique. Selon l’expression de G. Corm : « on assiste à un alignement progressif de l’affiliation confessionnelle des habitants du Mont-Liban sur l’affiliation politique [1] »
En 1840, l’émir Bachir II qui gouverne le Liban, s’allie avec Méhémet Ali et le Liban est sous domination égyptienne. Les premiers soulèvements de population face à l’autorité exercée par le pouvoir égyptien sont durement réprimés par Ibrahim Pacha. Les soulèvements ne s’arrêtent pas pour autant et sont au contraire attisés par la politique de force de Méhémet Ali qui exige par exemple que toutes les armes détenues par les Libanais lui soient livrées. Ces soulèvements sont également attisés et soutenus par l’Angleterre qui craint que la domination de l’allié de la France ne s’étende à l’ensemble du Proche-Orient. Le 27 mai 1840 l’insurrection libanaise débute à Deir al-Kamar et gagne rapidement le reste du pays. Le 8 juin 1840, dite « journée d’Antelias », les douze membres du comité, représentant les chefs insurgés contre le pouvoir égyptien, rédigent une proclamation dans laquelle ils réclament l’instauration d’un conseil des communautés auprès de Béchir II ainsi que d’autres revendications politiques. Suite à la convention de Londres visant à régler la question mais qui se solde par un échec, un contingent de soldats britanniques, turcs et autrichiens débarque au Liban, rejoignant les insurgés libanais. Les troupes de Méhémet Ali sont vaincues et Béchir II abdique et se rend aux Anglais qui l’exilent à Malte.

Une solution précaire

Le remplacement de Béchir II par Béchir III et la fin des ambitions territoriales de Méhémet Ali ne sonnent pas pour autant la fin des troubles intérieurs que connaît le Liban. Le 13 octobre 1841, des druzes, soutenus par les Anglais et les Ottomans, attaquent les maronites de Deir el-Kamar afin de venger un incident remontant à plusieurs mois. Le conflit s’étend très rapidement à l’ensemble du Mont-Liban. Le 25 octobre, le chef druze Chibli El-Arian est défait devant la ville de Zahleh mais cela ne permet pas pour autant de rétablir le calme dans la région. L’Empire ottoman intervient et les troupes du général Mustafa Pacha désarment les chrétiens. Béchir III abdique, mettant fin à la dynastie des Chéhab, et l’Empire ottoman rétablit un contrôle effectif sur la région.
A partir de 1842 le système dit du « caïmacamat » est instauré. Le territoire est divisé en deux caïmacamats (ou districts) dont la ligne de séparation est la route allant de Beyrouth à Damas. Les maronites se trouvent au Nord et les druzes au Sud. De plus, les territoires ainsi séparés sont rattachés pour le premier au pachalik de Beyrouth et pour le second au pachalik de Sidon et font désormais partie de plus vastes provinces syriennes. Les territoires ainsi divisés ne sont pas pour autant homogènes : il subsiste au Nord du pays une importante minorité druze, de même que, dans le Sud du pays, une important minorité maronite. La solution trouvée est donc provisoire et n’empêche pas de nouveaux massacres comme en 1845 ou lors de la révolte paysanne de 1858.

L’acmé de la crise et ses solutions

La division du territoire n’a pas entériné les troubles qui persistent entre druzes et chrétiens. Au début de l’année 1860, un accord secret est passé entre les communautés druzes des différentes régions du pays visant à récupérer leur pouvoir et à éliminer les chrétiens alors quatre fois plus nombreux qu’eux. Le 26 mai 1860, un incident entre les deux communautés déclenche les premiers massacres et, contrairement aux événements de 1841, les druzes sont rejoints par les musulmans de la côte, c’est-à-dire chiites et sunnites. Le 30 mai 1860, la ville de Baabda est prise et les violences s’étendent rapidement au reste du pays. 6000 à 12 000 chrétiens sont massacrés en quelques jours et près de 5000 dans le quartier chrétien de Damas.
Les puissances européennes, et notamment la France de Napoléon III, décident d’intervenir. Napoléon III envoie une flotte française vers les côtes libanaises et syriennes. C’est ce que l’on nomme l’expédition française de Syrie, qu’Henry Laurens qualifie dans son ouvrage de première expédition à caractère humanitaire, mais qui participe également de la politique extérieure de la France au Proche-Orient. Le corps expéditionnaire français, composé de 6000 hommes, débarque en septembre 1860. Il est commandé par le général Beaufort d’Hautpoul et intervient au nom des grandes puissances européennes. Il occupe rapidement la ville de Deir el-Kamar où les troubles ont été particulièrement violents. Ce sont les Ottomans qui organisent la véritable répression, limitant la participation de la France. Le Pacha de Beyrouth est destitué et celui de Damas exécuté, de nombreux civils et militaires sont exécutés ou exilés. Une commission internationale est mise en place fin septembre. Elle vise non seulement à régler la situation mais également à placer le Liban sous tutelle européenne.
Les négociations s’achèvent le 9 juin 1861 à Constantinople par la signature d’une convention entre l’Empire Ottoman, la France, la Grande-Bretagne, la Prusse et la Russie. La sublime Porte reconnaît l’existence de la province autonome du Mont-Liban. La région est placée sous la protection de la France. Elle doit désormais être dirigée par un gouverneur ottoman et chrétien mais non libanais. Celui-ci dispose en outre d’un conseil administratif consultatif qui est composé des représentants des différentes communautés, dont le nombre est fixé proportionnellement à leur population. La solution trouvée consiste donc non plus à séparer les communautés mais à reconnaître la présence de celles-ci au sein d’un même territoire et à les représenter en fonction de l’importance de leur population.

Les troubles entre druzes et maronites au Mont-Liban entre 1840 et 1860 ont des origines complexes. Ils sont le résultat du jeu des grandes puissances européennes et plus particulièrement de la France et de l’Angleterre qui poursuivent au Proche-Orient des intérêts opposés. Ils sont aussi le résultat de la volonté des grandes puissances européennes de maintenir l’Empire ottoman coûte que coûte et de limiter à l’intérieur de celui-ci les velléités d’indépendances. Ils sont, finalement, le résultat de tensions attisées par la bipartition du pays en 1842, mais aussi par les changements sociaux et économiques qui s’opèrent alors, l’ancien système féodal de solidarités intercommunautaires laissant place à un système de représentativité des différentes communautés.

Bibliographie :
 Boutros Dib (dir.), Histoire du Liban, des origines au XXème siècle, Editions Philippe Rey, 2006, 1007 p.
 S. Chautard, Comprendre les conflits du Moyen-Orient, Studyrama, 2007, 211 p.
 Georges Corm, Liban : Les guerres de l’Europe et de l’Orient, Gallimard, 1992 (réimpression), 437 p.
 Henry Laurens, L’Orient arabe : arabisme et islamisme de 1798 à 1945, Armand Colin, 2002, 336 p.

Publié le 09/03/2012


Clémentine Kruse est étudiante en master 2 à l’Ecole Doctorale d’Histoire de l’Institut d’Etudes politiques de Paris. Elle se spécialise sur le Moyen-Orient au XIXème siècle, au moment de la construction des identités nationales et des nationalismes, et s’intéresse au rôle de l’Occident dans cette région à travers les dominations politiques ou les transferts culturels.


 


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