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Israël - Arabie saoudite : retour sur un rapprochement discret

Par Elisabeth Marteu, Ines Gil
Publié le 12/11/2018 • modifié le 08/04/2020 • Durée de lecture : 6 minutes

Ines Gil

L’Arabie saoudite et Israël, des relations historiquement limitées

Durant les décennies suivant la création de l’Etat hébreu (1948), les relations entre l’Arabie saoudite et Israël ont été très limitées, sans être pour autant belliqueuses. Le royaume wahhabite n’a jamais reconnu officiellement l’existence d’Israël. Cependant, comme les autre pays du Golfe, il n’a pas non plus « joué de rôle significatif dans les conflits israélo-arabes » (1). En comparaison à l’Egypte, l’Algérie, la Syrie ou encore l’Irak, l’Arabie saoudite s’est montrée plus détachée de la cause palestinienne. Sur le plan diplomatique, elle « n’a donc pas de position radicale sur le conflit », comme l’affirme Elisabeth Marteu. En revanche, la société saoudienne a développé une « culture anti-israélienne, principalement diffusée par l’éducation », comme le souligne la chercheuse.

Les premiers contacts entre Saoudiens et Israéliens remonteraient aux années 1960. Dans le cadre de la guerre au Yémen (1962-1970) « les deux pays développent des relations ponctuelles, basées sur une convergence d’intérêts » pour « soutenir le camp royaliste contre les nationalistes appuyés par Gamal Abdel Nasser » (2). Cependant, ces échanges restent alors extrêmement limités.

Les propositions de plans de paix de Ryad : matrice de la position saoudienne sur le conflit

En 1981, le prince héritier saoudien Fahd Ibn Al Aziz présente un plan de paix pour le Proche-Orient. Il repose sur le retrait d’Israël des Territoires occupés, « le démantèlement des colonies », « le retour des réfugiés palestiniens ou leur indemnisation », « la liberté des lieux de culte dans les lieux saints et à la création d’un Etat palestinien », en échange du « droit de tous les Etats de la région de vivre dans la paix ». Rendues publiques, ces propositions provoquent la polémique dans le monde arabe, car elles évoquent une reconnaissance de l’Etat d’Israël. A l’époque, ce plan n’est considéré que comme un « ballon d’essai », mais il pose les bases de la position saoudienne vis-à-vis du conflit israélo-palestinien.

Durant les décennies suivantes, les relations israélo-saoudiennes sont presque inexistantes, alors même qu’en parallèle, l’Etat hébreu commence à développer des relations avec Oman et le Qatar.

En 2002, en pleine seconde Intifada (2000-2005), l’Arabie saoudite entérine la possibilité d’une normalisation des relations avec Israël, en échange de la création d’un Etat palestinien. Cette proposition est cependant rejetée par l’Etat hébreu.

Quelques années plus tard, en 2011, l’éclatement du Printemps arabe modifie considérablement les rapports régionaux. Par crainte de la montée en puissance des Frères musulmans et de l’Iran, Tel-Aviv se rapproche de certains Etats du Golfe proches de Ryad. Mais les relations avec l’Arabie saoudite n’ont connu une évolution rapide que tout récemment. Selon Elisabeth Marteu, avec l’arrivée de Mohammed Ben Salman sur le devant de la scène politique saoudienne, « les verrous ont sauté », « MBS a poussé au rapprochement entre les deux pays ».

Arabie saoudite-Israël : le développement récent d’intérêts convergents contre l’ennemi commun iranien

Ces dernières années, sous l’impulsion du Prince héritier MBS, les signes d’un rapprochement Tel-Aviv - Ryad sont significatifs. Ils se traduisent principalement par le renforcement de liens économiques indirects entre les deux pays, mais aussi par la multiplication des rencontres très symboliques. En novembre 2017, Mohamed Abdelkarim Al-Issa, le secrétaire général de la Ligue islamique mondiale, bras religieux de la diplomatie saoudienne et proche de MBS, visite la Grande Synagogue de Paris. Un mois plus tôt, le prince saoudien Turki Al-Fayçal, ancien chef des services de renseignements, participe à un débat dans une synagogue de New York, avec Ephraïm Halévy, ex-directeur du Mossad. En parallèle, diverses rencontres sont aussi organisées entre des think tank saoudiens et israéliens.

Le Bahreïn et les Emirats arabes unis, alliés de Ryad, ne sont pas laissés en marge. Le rabbin Marvin Hier, fondateur du centre Simon-Wiesenthal de Los Angeles, a récemment indiqué que le souverain du Bahreïn était favorable à la levée du boycottage d’Israël par les Etats arabes. La fédération des Emirats arabes unis, quant à elle, a permis à l’Etat hébreu d’ouvrir une représentation sur son territoire (3).

Le Premier ministre Netanyahou a profité de la main tendue des pays du Golfe. En novembre dernier, il affirmait : « la coordination productive que nous avons avec les Etats arabes est habituellement secrète, mais je crois que nos relations avec eux vont continuer à mûrir et à donner des fruits ». Le Premier ministre israélien compte sur un rapprochement entre les Etat arabes sunnites et Israël, afin de contrer « l’arc chiite ».

Selon Elisabeth Marteu, « la constitution d’un axe anti-iranien allant de Tel-Aviv à Washington en passant par Abou Dhabi et Ryad n’est plus un secret pour personne ». Ce rapprochement entre Ryad et Tel-Aviv est principalement motivé par le souhait d’affaiblir un ennemi commun, l’Iran.

C’est surtout pendant la présidence Obama que ces intérêts communs entre Israël et l’Arabie saoudite se dessinent. Se sentant délaissés par le rapprochement américain avec Téhéran, notamment lors de la signature de l’Accord sur le nucléaire iranien en 2015, Israël et l’Arabie saoudite décident de faire front commun.
Pour le Royaume wahhabite, la menace de l’Iran est devenue plus importante que la question palestinienne. Le changement de priorités dans la géopolitique régionale saoudienne s’explique notamment par la mutation du conflit israélo-palestinien, qui n’est plus aujourd’hui au centre des évolutions proche-orientales.

Selon Elisabeth Marteu, le rapprochement entre Tel-Aviv et Ryad a entraîné un événement majeur : « la décision du président Trump de retirer les Etats-Unis de l’accord de Vienne », le 8 mai 2018. Suite à de multiples rencontres avec des représentants de l’administration Trump, « et notamment avec son gendre Jared Kushner », qui entretient de bonnes relations avec MBS, l’Arabie saoudite et Israël ont réussi à faire pression sur Washington pour mettre à mal cet accord, dénoncé par les deux pays comme un danger pour la sécurité régionale.

La lune de miel de moins en moins discrète entre les deux pays est aussi de plus en plus solide. Même l’affaire Khashoggi, qui a provoqué une vague d’indignation internationale « n’a pas », selon Elisabeth Marteu, « entaché les relations entre Israéliens et Saoudiens ».

MBS : la tentative de redéfinir la position saoudienne sur Israël

Durant l’entretien de Mohammed Ben Salman à The Atlantic, le Prince héritier affirme le « droit d’exister » pour l’Etat hébreu, mais aussi l’absence d’« objection religieuse » à son existence. Le Prince ajoute cependant qu’il ne pourra y avoir de relations diplomatiques entre Israël et l’Arabie saoudite que si le conflit est résolu : « nous devons obtenir un accord de paix pour garantir la stabilité de chacun et entretenir des relations normales » (4). Dans l’ensemble, MBS défend ici la position historique de l’Arabie saoudite. Selon Sylvain Cypel, « Depuis 2002 et le plan de paix qui avait été proposé par le roi Abdallah, on sait que l’Arabie saoudite est disposée à reconnaître Israël si Israël se retire des Territoires occupés » (5). Les déclarations de Mohammed Ben Salman ne bousculent pas tellement la position officielle saoudienne, mais elles représentent plus un tournant symbolique, car le Prince assume fermement un rapport plus décomplexé à Israël et il normalise la possibilité de relations officielles entre l’Etat hébreu et les pays du golfe : « Il y a beaucoup d’intérêts que nous partageons avec Israël (…) s’il y a la paix, il y aura beaucoup d’intérêts entre Israël et les pays du Conseil de coopération du Golfe ».

Sur la question de Jérusalem, cependant, les propositions du Prince héritier Mohammed ben Salman pourraient profondément bousculer la position officielle de l’Arabie saoudite.

Quelle place pour la question palestinienne dans le rapprochement israélo-saoudien ?

Fin 2017, des sources diplomatiques ont rapporté que le prince héritier a donné son aval lors de discussions avec Washington, pour la constitution d’un Etat palestinien « fantoche » avec pour capitale Abu Dis, « un simple faubourg de Jérusalem-Est ». Après ces fuites, le roi Salmane, encore au pouvoir à Ryad, a recadré le prince héritier, dans des confidences à la presse, laissant entendre qu’« aucun dirigeant arabe ne peut faire de concessions sur Jérusalem ou la Palestine » (6).
D’autre part, d’après Elisabeth Marteu, suite à l’entretien accordé à The Atlantic, le Roi Salmane a « augmenté l’aide financière accordée au Waqf », l’autorité jordanienne en charge du contrôle de l’Esplanade des Mosquées, et il a « renforcé le soutien financier à destination de l’UNRWA », l’agence des Nations unies pour les réfugiés palestiniens. Ce message envoyé aux Palestiniens et à l’ensemble du monde arabo-musulman, est une façon de contrebalancer les propos de son fils.

Selon Elisabeth Marteu, si « l’Arabie saoudite, qui se veut leader du monde sunnite, abandonne Jérusalem, son image risque d’être fortement détériorée. Après tout, il y a déjà des visites, des relations économiques indirectes entre les Saoudiens et les Israéliens basés dans l’Union Européenne et aux Etats-Unis ». Ce serait « contre-productif, et Ryad n’a pas besoin de cela ».

Lire également :
 Entretien avec Elisabeth Marteu concernant la position des Etats du Golfe sur le plan de paix Trump : « la menace iranienne est devenue plus importante que la cause palestinienne »
 Entretien avec Elisabeth Marteu – Le point sur la situation dans les Territoires palestiniens

Notes :
(1) https://www.ifri.org/sites/default/files/atoms/files/marteu_israel_golfe_2018.pdf
(2) https://www.ifri.org/sites/default/files/atoms/files/marteu_israel_golfe_2018.pdf
(3) https://abonnes.lemonde.fr/proche-orient/article/2017/12/06/israel-arabie-saoudite-le-discret-rapprochement_5225369_3218.html?xtref=https://www.lemonde.fr/proche-orient/article/2017/12/06/israel-arabie-saoudite-le-discret-rapprochement_5225369_3218.html
(4) http://www.lefigaro.fr/international/2018/04/03/01003-20180403ARTFIG00114-israel-a-droit-a-un-territoire-nouveau-geste-saoudien-envers-l-etat-hebreu.php
(5) http://www.rfi.fr/moyen-orient/20180403-mbs-arabie-saoudite-ben-salman-israel-droit-exister-jerusalem
(6) https://www.lemonde.fr/proche-orient/article/2018/07/31/sur-jerusalem-le-roi-d-arabie-saoudite-desavoue-le-prince-heritier_5337787_3218.html

Publié le 12/11/2018


Elisabeth Marteu est docteure en science politique de l’Institut d’Etudes Politiques de Paris. Sa thèse de doctorat portait sur les associations de femmes arabes palestiniennes en Israël. Ses recherches portent sur les mobilisations politiques et les mobilités transfrontalières dans les espaces israélo-palestiniens.


Ines Gil est Journaliste freelance basée à Beyrouth, Liban.
Elle a auparavant travaillé comme Journaliste pendant deux ans en Israël et dans les territoires palestiniens.
Diplômée d’un Master 2 Journalisme et enjeux internationaux, à Sciences Po Aix et à l’EJCAM, elle a effectué 6 mois de stage à LCI.
Auparavant, elle a travaillé en Irak comme Journaliste et a réalisé un Master en Relations Internationales à l’Université Saint-Joseph (Beyrouth, Liban). 
Elle a également réalisé un stage auprès d’Amnesty International, à Tel Aviv, durant 6 mois et a été Déléguée adjointe Moyen-Orient et Afrique du Nord à l’Institut Open Diplomacy de 2015 à 2016.


 


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