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Elisabeth Marteu
Elisabeth Marteu est docteure en science politique de l’Institut d’Etudes Politiques de Paris. Sa thèse de doctorat portait sur les associations de femmes arabes palestiniennes en Israël. Ses recherches portent sur les mobilisations politiques et les mobilités transfrontalières dans les espaces israélo-palestiniens.
Elisabeth Marteu analyse pour Les clés du Moyen-Orient la situation politique dans les Territoires palestiniens, les relations entre le Fatah et le Hamas, l’Opération bordure protectrice de 2014 dans la bande de Gaza, les relations avec l’Egypte et la question de l’Etat islamique.
La démission du gouvernement palestinien présentée par le Premier ministre, Rami Hamdallah, le 17 juin 2015, signifie l’échec du gouvernement palestinien d’unité formé à la suite de l’accord de réconciliation du 23 avril 2014. A l’instar des précédents accords signés entre le Hamas et le Fatah (Le Caire en 2011, Doha en 2012), les termes l’accord de 2014 n’ont pas été mis en application. La gestion de la bande de Gaza (dont l’épineux dossier du paiement des salaires des fonctionnaires) est apparue comme l’un des principaux points d’achoppement entre les deux mouvements. Le Hamas n’a pas permis au gouvernement de Ramallah de retrouver son autorité sur la bande de Gaza, en témoignent les blocages structurels et les tensions parfois violentes entre les membres des deux mouvements. Mais force est de reconnaître que Mahmoud Abbas n’a pas accepté de prendre les risques nécessaires pour réinvestir Gaza et répondre ainsi aux attentes de la communauté internationale qui attend un retour de l’Autorité palestinienne pour poursuivre le travail de reconstruction post-guerre de 2014. En somme, les deux mouvements ont tout fait pour saborder les termes de l’accord de réconciliation de 2014 qui, outre la question d’un gouvernement "de consensus national" et l’organisation d’élections, comportent d’autres problématiques fondamentales pour l’avenir de la cause nationale palestinienne : l’intégration du Hamas dans l’OLP, la fusion des appareils sécuritaires entre le Hamas et le Fatah, l’adoption d’une position commune vis-à-vis d’Israël. La démission du gouvernement palestinien, ou plutôt le remaniement gouvernemental demandé par Mahmoud Abbas, confirme aujourd’hui l’impasse de la réconciliation palestinienne face à des mouvements qui cherchent, chacun de leur côté, à satisfaire leurs propres intérêts. Mahmoud Abbas se focalise à présent sur la stratégie d’internationalisation du conflit israélo-palestinien, en pariant sur les Nations unies, en particulier sur une résolution possiblement portée par la France au CSNU fin septembre 2015. De son côté, le Hamas poursuit sa mainmise sur Gaza et se concentre sur sa gestion politico-sécuritaire. Le développement de la question jihadiste le pousse ainsi, dans une certaine mesure, à dialoguer avec Israël. Pour certains observateurs les contacts établis entre Israël et la Hamas sur la question d’un cessez-le-feu de longue durée et donc d’une formalisation pérenne de l’autorité du Hamas à Gaza aurait persuadé Mahmoud Abbas de précipiter la démission du gouvernement d’unité.
L’accord de réconciliation du 23 avril 2014 ne trouve plus aucune concrétisation en l’absence de gouvernement d’unité entre le Hamas et le Fatah. Cet accord comportait de nombreux points qui n’ont jamais été mis en application et les échéances fixées ont été constamment repoussées : organisation d’élections législative et présidentielle en Cisjordanie, à Gaza et à Jérusalem-Est ; règlement des problématiques budgétaires du gouvernement de Gaza ; paiement des salaires de tous les fonctionnaires (y compris ceux employés par le Hamas depuis 2007) ; réforme des structures nationales palestiniennes (élection d’un nouveau Conseil national palestinien, question de l’adhésion éventuelle du Hamas à l’OLP) ; unification des services de sécurité ; libération des prisonniers politiques respectifs des deux camps ; réactivation des instances de réconciliation, etc. Si l’accord de réconciliation n’a pas été dénoncé par les deux mouvements, en revanche son existence et sa portée restent aujourd’hui purement théoriques. Il est peu probable que cet accord puisse trouver une réelle concrétisation à court ou moyen terme. Il devrait rester durablement une source de tension entre les différents mouvements palestiniens.
Depuis l’accord de cessez-le-feu d’aout 2014, la situation au sud est relativement sous contrôle. En dépit de quelques tirs de roquettes, aucune des deux parties n’a pour l’heure intérêt à relancer les hostilités. Par conséquent, il est probable que le Hamas et Israël arrivent à s’accorder de façon ponctuelle sur des cessez-le-feu temporaires. A l’instar des contacts actuels établis entre les deux parties, ces arrangements relèvent de stratégies à court terme, qui ne devraient pas déboucher sur un cessez-le-feu pérenne. Si certains observateurs évoquent une offre israélienne au Hamas pour un cessez-le-feu de long terme, en échange d’une gestion autonome de la bande de Gaza par le mouvement de la résistance islamique, il est peu réaliste de croire à un cessez-le-feu durable dans la zone. L’action des groupes armés dans le Sinaï, le développement jihadiste dans la bande de Gaza, le jeu d’équilibrisme du Hamas vis-à-vis des salafistes, l’impasse des négociations de paix et l’asphyxie économique des Palestiniens ne peuvent qu’alimenter la poudrière gazaouie.
La commission mandatée par l’ONU pour enquêter sur le déroulement de l’Opération bordure protectrice de 2014 dans la bande de Gaza, a précisé avoir recueilli « des informations substantielles mettant en évidence de possibles crimes de guerre commis à la fois par Israël et par les groupes armés palestiniens ». 2 251 Palestiniens (dont 1 462 civils) et 73 Israéliens (67 soldats et 6 civils) ont été tués. Les deux parties sont accusées d’avoir usé de violences indiscriminées, avec des modalités et des degrés différents, ayant mis en jeu la vie de civils. Ces accusations ne sont pas nouvelles, le rapport Goldstone (à la suite de l’offensive israélienne de 2008-2009) avait déjà pointé du doigt les crimes de guerre. A l’instar du précédent rapport, celui de 2014 paraît plus dur à l’encontre de l’armée israélienne au regard de l’ampleur des dégâts, des victimes, des moyens militaires utilisés mais aussi des réactions épidermiques des autorités israéliennes. Comme précédemment, les enquêteurs n’ont pas pu se rendre en Israël, ni dans les Territoires palestiniens. Israël a refusé de se soumettre à toute enquête internationale, préférant pointer du doigt la partialité de ces initiatives. Si les accusations sont accablantes pour les deux parties, le refus d’Israël de coopérer avec les instances internationales ne peut que nourrir la rhétorique tactique du Hamas qui, lui, a salué ce rapport.
Le document rédigé par la commission chargée par l’ONU d’enquêter sur la guerre de 2014 a été débattu le 29 juin devant le Conseil des droits de l’homme de l’ONU. Le représentant palestinien a salué le rapport tout en déplorant qu’il ne prenne pas en compte le fait que "le conflit était déséquilibré et que les pertes n’étaient pas équitables". De leur côté, les Israéliens ont boycotté la séance au Conseil des droits de l’homme et publié un rapport officiel du gouvernement israélien estimant que les soldats n’avaient "pas intentionnellement visé des civils ou des cibles civiles" et que leurs actions étaient "légitimes" et légales".
En conséquence, les dirigeants israéliens et palestiniens trouveront toujours des raisons pour récuser ce rapport, incriminer l’autre partie et justifier ainsi les crimes commis. Les Israéliens accusent le Hamas d’user de la guerre asymétrique pour instrumentaliser la population civile, le Hamas accuse Israël de commettre des massacres de grande ampleur. Le rapport Goldstone avait déjà mentionné ces faits sans que cela ne change la réalité des violences et des affrontements sur le terrain. A défaut de pouvoir changer la nature du conflit, les accusations internationales ont poussé les autorités israéliennes à renforcer la composante juridique au sein de l’armée israélienne. Les nouvelles unités créées au sortir de la guerre de 2014 ont pour objectif de mieux préparer le plaidoyer juridique à destination des chancelleries internationales, mais également des éventuelles accusations portées devant des juridictions internationales, de type CPI par exemple (examen préliminaire ouvert le 16 janvier sur les crimes présumés commis depuis un an dans les Territoires palestiniens).
Depuis le renversement de Mohammed Morsi, durant l’été 2013, Le Caire poursuit sur son territoire une politique éradicatrice à l’égard des Frères musulmans. Le Président Sissi a fait de la lutte contre les Frères et les groupes jihadistes sa priorité intérieure et extérieure. Le Hamas est accusé par les autorités égyptiennes d’avoir soutenu les manifestations pro-Morsi et de nourrir le terrorisme dans le Sinaï en coopérant avec les groupes jihadistes (principalement Ansar beit el Maqdis, ayant fait allégeance à Daech). L’armée égyptienne a donc entrepris une action d’envergure à la frontière égypto-gazaouie pour détruire les tunnels, créer une zone de tampon (de un puis de plusieurs kilomètres) et contrôler drastiquement les circulations de personnes (cf. gestion arbitraire du point de passage de Rafah). Sa politique d’intransigeance à l’égard du Hamas s’articule néanmoins avec une forme de coopération avec l’appareil politique et sécuritaire hamsaoui. Le Caire ne souhaite pas rompre ses relations avec le Hamas, ni même anéantir le Hamas en l’absence de retour de l’Autorité palestinienne à Gaza. Le Président Sissi, autant que Mahmoud Abbas, ont probablement parié à tort sur un effondrement des Frères et du Hamas à la faveur des reconfigurations régionales post-Morsi. En réalité, le Hamas s’impose comme un acteur politique et sécuritaire incontournable pour la gestion de la bande de Gaza. Le Caire est contraint de s’accommoder de sa présence, quand Tel-Aviv participe de sa consolidation pour garantir sa propre sécurité.
La présence de l’EI dans les Territoires palestiniens (Gaza et Cisjordanie) reste encore résiduelle, mais elle commence à s’exprimer avec l’apparition de signes visibles (drapeaux), de messages de sympathisants sur les réseaux sociaux et surtout par les attaques conduites contre le Hamas à Gaza (cf. dernières attaques du 19 juillet contre des voitures du Hamas et du Jihad islamique).
La problématique jihadiste n’est pas nouvelle en Palestine, mais elle s’est longtemps exprimée sous un angle islamo-nationaliste, en particulier dans le cadre du mouvement du jihad islamique palestinien (MJIP). Dès 2009, le Hamas a été confronté à la concurrence de groupes salafistes jihadistes lui reprochant son manque de radicalité face à Israël et prônant le jihad transnational sur le modèle d’al Qaïda. Le Hamas a rapidement réprimé ces groupuscules, comme lors de l’assaut de la mosquée Ibn Taymiyyah située dans la ville de Rafah, à la suite de la proclamation d’un Émirat islamique par le mouvement Jund Ansar Allah. Depuis lors, le Hamas tente de contrôler ces mouvements, en les laissant fonctionner tant qu’ils ne remettent pas fondamentalement en cause son autorité, ni sa supériorité militaire. Jusque-là, la stratégie d’équilibrisme du Hamas semble avoir plutôt bien fonctionné. Néanmoins, la problématique de l’EI pourrait progressivement ébranler la gouvernance hamsaoui à Gaza. Le départ de combattants palestiniens en Syrie (dans les rangs de Jabhat al Nusra ou de l’EI), les succès de l’EI sur les théâtres syro-irakiens, l’allégeance d’Ansar Beit el Maqdis à l’EI dans la péninsule du Sinaï et les relations entre les groupes armés à Gaza et dans le nord-Sinaï pourraient aggraver la menace jihadiste dans cette zone. A terme, le développement jihadiste représente un sérieux défi pour le mouvement islamique palestinien. En Cisjordanie, l’Autorité palestinienne tente de contrôler et de réprimer ces groupes, notamment en coopérant avec les services de sécurité israéliens. Là encore, la problématique jihadiste n’est pas nouvelle, mais elle s’est exacerbée avec l’enlisement des crises syrienne et irakienne et l’expansion des auto-proclamations et des allégeances à l’EI dans la région.
Les affrontements dans le camp palestinien de Yarmouk en Syrie, au mois d’avril 2015, entre différentes factions palestiniennes et l’EI prouvent également que la problématique jihadiste affecte les Palestiniens et l’Autorité palestinienne au-delà de la Cisjordanie et de Gaza. Pour mettre un terme aux violences de Yarmouk, l’ensemble des factions palestiniennes ainsi que le Hamas ont mandaté des représentants pour faire une médiation au sein du camp. La progression de l’EI dans le camp a été favorisée par les concurrences entre les différents mouvements palestiniens et a eu des répercussions directes dans les Territoires palestiniens, en particulier à Gaza où le Hamas a procédé à plusieurs arrestations dans les rangs salafistes.
En somme, le développement des groupes jihadistes trouve aujourd’hui en Palestine un terreau particulièrement favorable pour tous les déçus des autres mouvements de résistance palestiniens, au risque d’hypothéquer la lutte pour la libération nationale au profit d’un hypothétique califat islamique transnational.
La problématique des groupes armés et du jihadisme dans les camps de réfugiés palestiniens est différente au Liban et en Jordanie. Les camps palestiniens au Liban sont historiquement marqués par l’activisme de groupes armés palestiniens et par la répression exercée par l’armée et les forces de sécurité libanaises (cf. affrontements de 2007 à Nahr el Bared, répression par l’armée du groupe salafiste jihadiste Fatah al Islam). Depuis le début de la guerre en Syrie, en 2011, le Liban a été affecté par les débordements de la crise et par la polarisation de la vie politique et de la société autour des camps pro et anti-Assad. Les camps de réfugiés palestiniens ont été impactés de la même manière, tandis que des groupuscules salafistes jihadistes ont profité du développement du Jabhat al Nusra et dans une moindre mesure de l’EI au Liban pour intensifier leurs activités. Le camp d’Ein el Hilweh, par exemple, est devenu une sorte de refuge pour jihadistes et cheikhs salafistes du pays. Cependant, l’emprise de l’EI sur le Liban en général, et sur les camps de réfugiés en particulier, reste très résiduelle. Les groupes jihadistes libanais n’ont pas fait allégeance à l’EI et les jihadistes de l’EI se trouvent essentiellement à la frontière Nord-Est libano-syrienne, notamment autour de la ville d’Ersal. En revanche, il existe une branche libanaise du Jabhat al Nusra et des réseaux-solidarités de circonstance existent au sein de cette nébuleuse salafo-jihadiste. Il existe donc une réelle inquiétude quant à l’évolution sécuritaire des camps palestiniens au Liban et aux risques d’une éventuelle réplique des événements de Yarmouk.
Côté jordanien, les camps de réfugiés palestiniens demeurent relativement calmes et étroitement surveillés par les autorités jordaniennes. La présence de sympathisants de l’EI en Jordanie ne semble pas encore affecter la sécurité du Royaume hachémite. La concurrence entre l’EI et Al Qaïda s’observe dans plusieurs villes jordaniennes où la présence salafiste est connue comme Ma’an, Salt ou encore Zarqa. Les camps de réfugiés palestiniens connaissent eux-aussi un développement des groupes salafistes et salafo-jihadistes, comme le camp de Baqa’a au nord d’Amman. Néanmoins, pour l’heure, cette présence semble encore sous contrôle.
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Mathilde Rouxel
Suite à des études en philosophie et en histoire de l’art et archéologie, Mathilde Rouxel a obtenu un master en études cinématographiques, qu’elle a suivi à l’ENS de Lyon et à l’Université Saint-Joseph de Beyrouth, Liban.
Aujourd’hui doctorante en études cinématographiques à l’Université Paris 3 – Sorbonne Nouvelle sur le thème : « Femmes, identité et révoltes politiques : créer l’image (Liban, Egypte, Tunisie, 1953-2012) », elle s’intéresse aux enjeux politiques qui lient ces trois pays et à leur position face aux révoltes des peuples qui les entourent.
Mathilde Rouxel a été et est engagée dans plusieurs actions culturelles au Liban, parmi lesquelles le Festival International du Film de la Résistance Culturelle (CRIFFL), sous la direction de Jocelyne Saab. Elle est également l’une des premières à avoir travaillé en profondeur l’œuvre de Jocelyne Saab dans sa globalité.
Elisabeth Marteu
Elisabeth Marteu est docteure en science politique de l’Institut d’Etudes Politiques de Paris. Sa thèse de doctorat portait sur les associations de femmes arabes palestiniennes en Israël. Ses recherches portent sur les mobilisations politiques et les mobilités transfrontalières dans les espaces israélo-palestiniens.
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