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La province de l’Azerbaïdjan iranien est indéniablement un des territoires iraniens dont la population détient les traditions les plus marquées et différenciées du reste du pays. Peuplée de la première minorité d’Iran : les turcs azéris, qui représentent environ un quart de la population totale de l’Iran, l’Azerbaïdjan iranien a longtemps revendiqué une autonomie culturelle et même politique de la part de l’Etat central. Englobant tout le Nord-Est de l’Iran, cette province partage ainsi une frontière commune avec la Turquie à l’Est et avec l’Azerbaïdjan et l’Arménie chrétienne au Nord. Cette situation spatiale trahit les enjeux géopolitiques modernes des empires adjacents comme la Russie ou feu l’Empire ottoman qui ont tenté de déstabiliser l’Iran en investissant l’Azerbaïdjan iranien. Les deux caractéristiques, sociale et géographique, de cette province expliquent en large partie les relations centre-périphérie troublées qu’elle a pu entretenir avec la capitale iranienne durant la période contemporaine (1905-2018) (1).
De fait, il s’agit de la province iranienne qui a le plus défié l’autorité centrale de Téhéran tout au long du XXème siècle, ayant notamment été l’épicentre de nombreuses révoltes, d’une révolution en 1905 et d’un séparatisme politique en 1945. Cependant, depuis l’avènement de la République islamique en 1979, la minorité turque azérie peuplant le Nord-Est iranien semble s’être davantage rattachée à l’autorité de Téhéran. Ce mouvement politique s’est accentué lors de l’élection du cheikh Ali Khameini, turc azéri lui-même, au poste suprême de la République islamique : celui de l’Ayatollah. Ce vote ne concerne que le conseil restreint des gardiens de la révolution, ce qui montre bien à quel point la minorité turque azérie est dorénavant intégré à l’Etat iranien.
Dans cet article, nous allons revenir sur l’histoire contemporaine de la province de l’Azerbaïdjan iranien en tentant de donner des clefs d’explication de cette évolution sociétale et politique singulière tout au long du XXème siècle.
La Révolution constitutionnaliste (1905-1911) marque l’entrée de l’Iran dans son XXème siècle politique et montre le fossé qui se creuse entre le peuple et l’aristocratie patrimoniale de Téhéran (2) . L’Azerbaïdjan iranien est la province qui fait office de figure de proue dans cette révolution, qui permettra la création du Majlis ou Parlement iranien. Ainsi, une révolte populaire s’organise en 1903-1904 comme à Tabriz, la capitale, contre le directeur local des douanes. Le régime des capitulations qui provoque la montée des prix et les agents étrangers comme les douaniers belges, excèdent le peuple (3) . De fait, dès le début du XXème siècle, la province de l’Azerbaïdjan iranien montre son opposition face à l’autoritarisme de Téhéran.
La consolidation wébérienne de l’Etat central par la force militaire du nouveau Shah Reza Pahlavi durant l’entre-deux-guerres, suscite en Azerbaïdjan iranien un sentiment de nationalisme qui culmine lors de la crise irano-soviétique de 1945-1946.
En dépit des liens qui pouvaient exister entre les Iraniens d’Azerbaïdjan et les habitants turcs et russes frontaliers, la région est toujours restée politiquement attachée du gouvernement central de Téhéran. La pratique de la religion chiite est un point d’unité national très fort. De plus, les Iraniens d’Azerbaïdjan sont conscients du rôle historique prépondérant qu’a joué leur province dans l’Empire perse. Enfin l’Azerbaïdjan est une des régions les plus dynamiques économiquement de tout l’Iran. En effet, l’Azerbaïdjan iranien est un centre de commerce important ainsi qu’un fournisseur de produit agricole dont la population représente 20% du total national en 1940. Au niveau industriel, la région est très dynamique et comptait dix-huit usines dont cinq de textile en 1941 (4). Ainsi l’Azerbaïdjan iranien est une province dont l’intégration à l’économie et à la conscience nationale iraniennes est profondément ancrée (5).
Cependant, cette province a certaines spécificités qui lui sont propres et notamment la langue. En effet, les Iraniens d’Azerbaïdjan parlent l’azéri, une langue vernaculaire turque qui les distingue de la majorité du pays parlant farsi. Cependant les politiques de « persification » du pays n’ont eu que peu d’impact en Azerbaïdjan (6). De plus, contrairement aux autres minorités linguistiques iraniennes comme les Kurdes ou les Baluches, les Iraniens d’Azerbaïdjan ne sont pas organisés en tribu et sont à ce titre plus proches du gouvernement de Téhéran (7). Ainsi, les caractéristiques générales de l’Azerbaïdjan iranien indiquent que cette province entretient des liens forts avec le reste du territoire iranien en dépit de qualités qui lui sont propres comme la langue ou encore son positionnement géographique.
Ainsi, en dépit d’une histoire politique du XXème siècle troublée, l’Azerbaïdjan iranien reste une province inscrite sur le temps long dans l’héritage de la Perse. Loin d’être une province périphérique, l’Azerbaïdjan iranien fut durant plusieurs siècles le moteur politique et militaire de l’Iran.
Aux abords de la capitale de l’Azerbaïdjan de l’Est, la ville d’Ardabil, avec des maisons aux toits multicolores, attire l’attention du voyageur. Le style asiatique explicite de ces bâtisses rappelle que l’Iran est à la croisée des continents et fut même une étape clef de la route de la soie pendant des siècles.
La capitale de l’Azerbaïdjan de l’Ouest, Tabriz, est une des villes les plus peuplées d’Iran et a pendant longtemps joué le rôle de centre économique et militaire de l’Iran. Si depuis l’avènement de la dynastie Pahlavi, Tabriz a beaucoup perdu au profit de Téhéran, son bazar reste le plus impressionnant du pays. Ici nous pouvons apercevoir le marché au tapis, cœur du bazar.
Construite en 1465 sur ordre d’une dynastie turkmène, les murs extérieurs de cette mosquée étaient entièrement recouverts de bleu. Cependant, les nombreux tremblements de terre qui ont sévi sur Tabriz ont largement détruit ce magnifique édifice, autrefois ancré dans un grand complexe architectural qui comprenait une citerne et une bibliothèque. Seul le portail principal a pu résister aux séismes, on peut donc y voir le bleu originel.
La vallée de l’Araxe est la frontière naturelle entre l’Etat de Azerbaïdjan dont la capitale est Bakou et la province de l’Azerbaïdjan iranien. Des collines aux couleurs variées s’y dessinent donc au Nord des grandes villes comme Ardabil ou Tabriz. Près de Jolfa à l’Ouest de cette vallée, on peut visiter de nombreuses églises arméniennes anciennes comme le monastère Saint Stéphane.
Le château de Babak est un ensemble fortifié datant du début du IX siècle, surnommé par beaucoup le coeur de l’Azerbaïdjan. Il fut le refuge de Babak Khorramdin, chef des Khurramites qui combattit en Azerbaïdjan contre le califat abbasside à la fin du VIIIème siècle. Ce château est situé à 6 km de Kaleybar près de la frontière de l’Etat d’Azerbaïdjan.
Le majestueux lac d’Orumieh sépare les deux grandes villes de l’Azerbaïdjan de l’Ouest, à savoir Tabriz et Orumieh. Des cristaux de sel, dont la couleur rouge indique la présence de bactéries, s’étendent à perte de vue et remplacent peu à peu l’eau du lac. Le spectacle, bien que magnifique, est catastrophique écologiquement et économiquement pour les cultures avoisinantes.
Cette photo, prise depuis une voiture à la frontière entre l’Azerbaïdjan iranien et l’Etat d’Azerbaïdjan, nous montre encore le poids de l’histoire indépendantiste de la région. Les tentatives répétées de l’URSS à travers Bakou de fédérer les deux Azerbaïdjan au XXème siècle ont eu pour conséquence de rendre le gouvernement du Shah et la République islamique actuelle méfiants pour leurs voisins du Nord.
Notes :
(1) CHETABI Houchang, « Ardebil became a Province : Center-Periphery relations in Iran » in International Journal of Middle Eastern studies, Vol 29, 1997, pages 235-253
(2) DIGARD Jean-Pierre, HOURCADE Bernard et RICHARD Yann, L’Iran au XXe siècle : entre nationalisme, islam et mondialisation, Paris, Fayard, 2007.
(3) Idem.
(4) ABRAHAMIAN Ervand, Iran between two revolutions, Princeton, Princeton University Press, 1982 pages 147 et 389-390.
(5) FAWCETT Louise, Iran and the Cold War, Cambridge, Cambridge Middle East Library, 1992, page 6.
(6) RIAUX Gilles, Ethnicité et nationalisme en Iran : la cause azerbaidjanaise, Paris, Editions Karthala, 2012.
(7) EAGLETON JR William, The Kurdish Republic of 1946, Pakistan Horizon, 1963, Vol. 16, pp. 171-173.
Gabriel Malek
Gabriel Malek est étudiant en master d’histoire transnationale entre l’ENS et l’ENC, et au sein du master d’Affaires Publiques de Sciences Po. Son mémoire d’histoire porte sur : « Comment se construit l’image de despote oriental de Nader Shah au sein des représentations européennes du XVIIIème siècle ? ».
Il est également iranisant.
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