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Le voyage historique et légendaire des Hükümdar (7ème-13ème siècles) (3/5)

Par Florence Somer
Publié le 30/06/2023 • modifié le 30/06/2023 • Durée de lecture : 6 minutes

Hazar Kağan

Crédits : Selin Altunsoy. Détail des Bustes des Hükümdar, parc de Maçka à Istanbul.

Cette figure symbolise l’empire Khazar (Hazar Imparatorluğu), composé de semi-nomades originaires d’Asie centrale, membres d’une confédération de tribus turcides qui, selon le Hudūd al-ʿālam - « les frontières du monde », ouvrage écrit en persan au 10ème siècle par un auteur anonyme - descendraient de la lignée des Ānsā. Aux alentours du 6ème siècle, leur empire se développe pour constituer un vaste territoire commercial entre l’Europe et l’Asie et englober l’actuel Kazakhstan, une partie de la Russie, ainsi qu’une partie des pourtours de la mer Noire vers les territoires de l’Europe de l’est. Certainement originaires des régions du nord Caucase, les Khazars sont les alliés des Byzantins et aident notamment Héraclius (r. 610-641) dans ses campagnes contre les Persans sassanides avec lesquels il conclut un pacte de paix entre 628 et 630. Cette trêve sera de courte durée avant l’arrivée des armées musulmanes entre 633 et 634.

Source : Khazar Khaganate, 650–850, https://en.wikipedia.org/wiki/Khazars#/media/File:Chasaren.jpg, carte libre de droits.

Les éléments historiques connus concernant les Khazars sont également liés à ceux de leurs langues et leurs religions dans un contexte géographique polyglotte et polyethnique. Dans une mosaïque religieuse composée de tengrisme, christianisme puis islam, il semblerait que les élites Khazars se soient converties au judaïsme vers le 8ème siècle. Les guerres de territoires entre les troupes arabes et khazares ont forcé ces derniers à abandonner le nord du Caucase pour se replier à Itil en 737. Leurs oppositions aux troupes musulmanes ont néanmoins empêché leur progression en Europe de l’Est. Ils ont ensuite reconquis des territoires de la Volga à la mer Noire et ont contrôlé les tribus caucasiennes, les Hongrois et les Bulgares. Selon certains spécialistes, la dispersion des Khazars après la chute de leur empire pourrait faire d’eux les ancêtres de nombreux Juifs d’Europe de l’Est et de Russie et d’une série de groupes tels que les Hazaras, les Kazaks, les juifs de Bukhara, les Krymchaks ou encore les Karaïtes de Crimée.

Kutluğ Bilge (r. 744-747)

Kutlug Bilge Kol Khagan représente le premier dirigeant des Uyghurs. Selon les dates de l’historiographie officielle, l’empire Uyghur a été inauguré en 745 et s’est éteint en 1368. La capitale de l’empire est basée à Ötüken, aujourd’hui Kharkhorin en Mongolie. Le lieu s’inscrit dans la mythologie turque et le tengrisme car Ötüken est un des noms donnés à la terre mère, au centre de la Terre et à une montagne sacrée, déjà mentionnée dans les inscriptions de l’Orkhon dont nous avons parlé précédemment. La capitale passe ensuite à Ordu-Baliq. Le territoire des Uyghurs s’est constitué grâce aux alliances avec l’empire Tang (618-906) et s’étendait, d’Est en Ouest, de la Mongolie aux montagnes de l’Altaï et au désert de Gobi dans le Sud, soit, comme le font remarquer les sources chinoises du « nouveau livre des Tang », l’entièreté du territoire des Xiongnu, soit le premier « empire » évoqué par le buste de Mete Han ou Mody Chanyu. Cette nouvelle histoire des Tang (Xīn Tángshū) est une révision de l’ancien livre des Tang écrit en 1044 commandée par l’empereur Song Renzong (1010-1063) et préparée par Ouyang Xiu (1007-1072) et Song Qi (998-1061). Cette source donne des informations précieuses sur l’empire Uyghur, ses connexions avec les affaires économiques et politiques chinoises, ses relations avec les marchands sogdiens qui introduisent le manichéisme à la cour uyghur. L’alliance commerciale des marchands sogdiens qui contrôlent plusieurs oasis d’Asie centrale avec les Uyghurs permet également la passation de savoirs et de techniques, notamment dans le mode de gouvernance politique proche de celle des Iraniens ou le mélange des iconographies artistiques telles qu’elles se trouvent sur les murs des grottes de Turfan.

D’autres précisions concernent également les relations avec l’empire tibétain voisin, le califat abbasside et l’empire Khazar auquel les Uyghurs se confrontent. En juillet 751, la bataille de Talas entre les Tang et les troupes abbassides alliées des troupes de l’empire tibétain repousse les Tang hors d’Asie centrale et permet aux Uyghurs de reprendre le pouvoir sur ces terres tout en restant alliés des Tang et en continuant de pratiquer les heqin ou mariages d’alliance.

Crédits : Selin Altunsoy. Détail des Bustes des Hükümdar, parc de Maçka à Istanbul. (HU 3-2)

Satuk Buğra Abdulkerim Han (940-955)

Crédits : Selin Altunsoy. Détail des Bustes des Hükümdar, parc de Maçka à Istanbul.

La figure de ce dirigeant de l’empire Qarakhanide, le quatrième dirigeant du khanat, est particulièrement mise en exergue, car elle est la première dynastie turcide à imposer l’Islam comme religion d’État.

À la naissance de Satuk Buğra, son père Bezir Arslan Khan devait faire face aux effets persistants de la migration de certaines tribus vers les terres qarakhanides après la chute des Ouïghours (840) et aux luttes internes dans son propre clan. Après avoir été vaincu par l’émir samanide Ismāʿil b. Aḥmad en 893, les Qarakhanides se replient à Kāshgar. À la mort de Bézir Arslan Khan vers 303 (915-16), Arslan Khan II monte sur le trône qarakhanide à Balasagun et Satuk se réfugie à Kāshgar avec sa mère et chez son oncle Qadir Khan Oğulçak.

Selon les récits légendaires des Tārīhu Kāshgar et Tezkire-i Satuq Buğra Khan, Satuq se convertit à l’islam à l’âge de douze ans, invite secrètement les membres de la dynastie à faire de même, et à vingt-cinq ans, s’empare de Kāshgar. Il prend alors le nom d’Abdulkerim et œuvre à la propagation de l’islam dans les terres occidentales des Qarakhanides. Le Tezkire-i Satuq Buğra Khan est une hagiographie écrite en prose, certainement entre le 9ème et le 10ème siècle. Il relate la naissance de Satuk et les événements miraculeux qui ont eu lieu à cette époque, décrit la rencontre de Satuq Buğra Khan avec le Prophète sur le mi’raj, sa conversion ultérieure à l’islam, la propagation de l’islam et les succès des Karakhanides contre les infidèles. Satuq Buğra Khan meurt en 955 et est enterré à Artuç. Sa tombe est toujours un lieu de pèlerinage à la fois religieux et ethnique vu l’objectif de Satuq Buğra d’unir sous un même toit les tribus turques en lutte les unes contre les autres.

Les Qarakhanides (814-1212)

Les Karahanlılar ou Qarakhanides, sont nommés pour la première fois comme tels dans un article écrit en 1874 par l’orientaliste russe Vasilij Vasilevic Grigorev en raison de l’utilisation du mot « kara » (hauteur, grandeur), dans leurs titres hiérarchiques et honorifiques donnés. Ce groupe dynastique a évolué dans une période particulièrement riche et complexe d’un point de vue politique, culturel ou religieux et est le premier empire (khanat) turc d’Asie centrale à avoir embrassé l’Islam. Le khanat a conquis la Transoxiane en Asie centrale et l’a gouvernée de manière indépendante entre 999 et 1089. L’arrivée des Qarakhanides en Transoxiane marque le passage définitif de la prédominance iranienne à la prédominance turque en Asie centrale, mais les Qarakhanides assimilent progressivement la culture musulmane perso-arabe, tout en conservant une partie de leur culture turque d’origine. Kashgar, Balasagun, Uzgen et Samarkand sont les capitales du khanat. Dans les années 1040, le khanat se divise en parties orientales et occidentales. À la fin du 9ème siècle, ils passent sous la suzeraineté de l’empire seldjoukide, puis de la dynastie Qara Khitai (1124-1218) au milieu du 12ème siècle. Le khanat oriental a pris fin en 1211, et le khanat occidental a été éteint par l’empire khwarazmien en 1213. Une étude approfondie est nécessaire pour comprendre l’histoire et le fonctionnement de ce khanat, car l’histoire des Qarakhanides est reconstituée à partir de sources écrites fragmentaires et souvent contradictoires, ainsi que d’études numismatiques.

Les Qarakhanides ont renforcé les connexions entre l’Iran, l’Asie centrale et la Chine. Les liens avec la chine des Tang ont influencé le choix du chinois comme langue administrative, l’alternance de périodes de tensions et d’alliance politique avec les Samanides à l’Ouest facilitent les connections économiques, culturelles et le choix du persan comme langue culturelle et poétique. Les Qarakhanides offrent régulièrement refuge à des membres de la cour samanide tels qu’Ilyas b. Ishaq b. Aḥmad, l’oncle du souverain samanide Nasr b. Aḥmad (906-943). Malgré le nom donné en persan à cette dynastie - āl-ī Afrāsiāb (de la maison d’Afrāsiāb) le héros touranien ennemi des Iraniens - de nombreuses sources étayent les rapports entre les Iraniens et les Turcs, loin de l’idée d’une division de l’Asie centrale en deux mondes hostiles, l’Iran et le Touran, condamnés à d’éternelles oppositions et conflits tant ethniques et culturels que religieux, ainsi qu’il est relaté dans l’histoire mythique iranienne du Shāhnāmeh. En Transoxiane, la garde des Samanides est formée de soldats turcs captifs (ghulâm), dont le commandement, lui aussi, est turc. De même, la frontière avec les Turcs, à Isfidjab et Chach (localisés respectivement dans les environs de l’actuelle ville de Tchimkent au Kazakhstan et dans l’oasis de Tachkent), était gardée et défendue, contre leurs compatriotes, par des milliers de soldats turcs.

Quelques liens :
Barfield, T. (1989), The Perilous Frontier : Nomadic Empires and China, Basil Blackwell
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Bosworth, C.E., “Ötüken”, in : Encyclopédie de l’Islam en ligne.
Giraud, R., (1960), L’Empire des Turcs célestes. Les règnes d’Elterich, Qaghan et Bilga (680-734), Paris.
Grousset, R. (2004), The Empire of the Steppes, Rutgers University Press
Kizilov, M. (Ed.). (2009). The Karaites of Galicia : an ethnoreligious minority among the Ashkenazim, the Turks, and the Slavs, 1772-1945 (Vol. 1). Brill.
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Études karakhanides. Cahiers d’Asie centrale nº 9. Tachkent–Aix-en-Provence, Institut français d’études sur l’Asie centrale, 2001. https://journals.openedition.org/asiecentrale/514

Publié le 30/06/2023


Florence Somer est docteure en anthropologie et histoire religieuse et chercheuse associée à l’IFEA (Istanbul). Ses domaines de recherche ont pour cadre les études iraniennes, ottomanes et arabes et portent principalement sur l’Histoire transversale des sciences, de la transmission scientifique, de l’astronomie et de l’astrologie.


 


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