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Le régime de Bachar al-Assad, une autorité en quête de légitimité

Par Emile Bouvier
Publié le 04/11/2021 • modifié le 04/11/2021 • Durée de lecture : 7 minutes

Pourtant, la situation politique, sécuritaire et humanitaire en Syrie ne cesse d’évoluer. Peu couvert par les médias en raison de la crise afghane qui battait alors son plein, le régime syrien a par exemple lancé une offensive estivale dans la région de Dera’a - pourtant reconquise en juillet 2018 - tandis que l’aviation israélienne multipliait les raids en Syrie et que les forces américaines stationnées à l’est de l’Euphrate étaient la cible d’attaques menées par des milices chiites. Ces opérations spectaculaires ont éclipsé les affrontements mineurs mais presque quotidiens émaillant par ailleurs les lignes de front à Idlib ou dans le nord-est syrien.

Malgré une situation sécuritaire pour le moins riche, le volet diplomatique n’est pas en reste : tandis que le régime de Bachar al-Assad parvient à normaliser ses relations avec un nombre croissant de pays, d’autres commencent, au contraire, à initier un combat juridique d’ampleur visant à juger de hauts responsables syriens pour leurs violations répétées des Droits de l’Homme et du Droit international. Avec près de 80% de la population syrienne désormais sous le seuil de pauvreté [2], la situation humanitaire apparaît elle aussi en évolution constante et, en l’occurrence, vers une dégradation continuelle.

Complexe notamment en raison de la pléiade d’acteurs prenant part à l’équation géopolitique locale, le conflit syrien compte aujourd’hui sept belligérants syriens, excluant donc les intervenants étrangers que sont notamment les Etats-Unis, la Russie, l’Iran et la Turquie : il s’agit d’abord du clan al-Assad, à la tête des forces loyalistes ; l’Armée syrienne libre (ASL), conglomérat de divers groupes rebelles formés en 2011 au début de la guerre civile ; les Forces démocratiques syriennes (FDS), alliance de divers mouvements insurgés dominée par les Kurdes ; Hayet Tahrir al-Sham (Organisation de la Libération du Levant), anciennement Jabhat Fateh al-Sham et Jabhat al-Nusra, groupe djihadiste actif notamment dans la poche insurgée d’Idlib ; l’Armée nationale syrienne (ANS), coalition de groupes rebelles - pour une large part turkmènes - soutenus par la Turquie et opérant dans le nord de la Syrie ; Daech, qui garde une forte présence dans le désert de la Badiya et dans les étendues désertiques à la frontière irako-syrienne ; enfin, le Hezbollah, composé essentiellement de Libanais mais aussi de Syriens, et qui compte sur le soutien substantiel de l’Iran.

Dans ce cadre, les clés du Moyen-Orient publient une série d’articles visant à récapituler et analyser l’actualité syrienne de ces derniers mois : la politique intérieure sera abordée dans cet article avant que ne soient traités les volets sécuritaire, humanitaire et diplomatique.

1. Une élection présidentielle à l’issue prévisible

Dans les territoires tenus par le régime syrien (cf. carte en illustration), le régime de Bachar al-Assad tente de restaurer un semblant de normalité. Une nouvelle élection présidentielle a ainsi été tenue le 26 mai, pour la deuxième fois depuis le début du conflit [3]. La Cour constitutionnelle syrienne a sélectionné le 3 mai deux candidats pour s’opposer à Bachar al-Assad, candidat à un quatrième mandat : Abdallah Salloum Abdallah, ministre d’Etat de 2016 à 2020, et Mahmoud Ahmad Marei, un membre de l’opposition dite « tolérée » mais qui, selon l’opposition en exil, n’est qu’une extension du régime syrien [4]. Les quarante-huit autres prétendants à l’élection ont été rejetés par la Cour constitutionnelle au titre de leur échec à « remplir les conditions légales et constitutionnelles » [5]. Chaque candidat devait obtenir le soutien de trente-cinq membres du Parlement syrien, chaque parlementaire ne pouvant soutenir qu’un seul candidat [6].

Décriée à l’étranger et parmi les opposants au régime [7] en raison de son caractère factice, le scrutin sera tout de même organisé et aboutira, sans surprise, à la réélection de Bachar al-Assad à la tête du pays, avec 95,1% des suffrages [8], contre 3,3% pour Mahmoud Ahmad Marei et 1,5% pour Abdallah Salloum Abdallah. Selon le président du Parlement Hamouda Sabbagh, 78,6% des électeurs auraient participé au scrutin, soit 14 millions de Syriens [9], y compris à l’étranger où des bureaux de vote avaient été établis dans les ambassades.

2. Des gestes en direction de la population syrienne

Concomitamment à l’organisation de cette élection, le président syrien s’emploie à multiplier les mesures visant à calmer la gronde populaire nourrie par des années de guerre, de conditions de vie dégradées et la chute de la livre syrienne ; celle-ci, dont le cours était de 1 dollar pour 50 livres avant-guerre, s’échange désormais à raison de 3125 livres pour 1 dollar sur le marché noir [10]. Les salaires des fonctionnaires ont ainsi été augmentés de 50% et le revenu minimum accru de 52% le 11 juillet 2021, passant de 47 000 livres syriennes à 71 515 [11], tandis que plusieurs opérations de police ont été réalisées ces dernières semaines contre les spéculateurs de devises du marché noir, accusés d’encourager la fluctuation de la monnaie syrienne ; douze bureaux de change auraient ainsi été perquisitionnés et fermés à Damas au cours des mois de juillet et d’août 2021 [12].

Des prêts bancaires à faibles taux d’intérêts sont par ailleurs proposés à la population sous le contrôle du régime syrien afin de les aider à reconstruire leur vie [13]. Le 2 mai 2021, Bachar al-Assad ira même jusqu’à annoncer une amnistie pour les spéculateurs de devises, les contrebandiers et criminels de faible envergure arrêtés avant le mois de mai 2021 ; en fonction de la gravité des faits qui leur sont reprochés, les détenus peuvent espérer une libération totale, une réduction de peine, voire une transformation de leur peine de mort en des travaux d’intérêts généraux à vie. Le décret stipule toutefois que cette amnistie ne s’applique pas à ceux ayant pris les armes contre le régime, ni à ceux ayant coopéré avec une puissance étrangère ou accusés de terrorisme [14].

3. Dera’a, toujours révolutionnaire

Malgré ces efforts d’apaisement, le régime syrien reste toujours aux abois face à toute suspicion de contestation de son autorité. La province de Dera’a, creuset de la révolution syrienne dont elle est en partie à l’origine [15], en a violemment fait les frais cet été : à la fin du mois de juillet, le régime syrien a en effet lancé une offensive soudaine contre la ville et ses alentours, consistant dans un premier temps en un blocus militaire puis en un pilonnage continu et indiscriminé des zones pourtant reconquises par le régime en juillet 2018. Si les raisons exactes de cette offensive ne sont pas claires, il semble que plusieurs facteurs, corrélés les uns aux autres, aient abouti au déclenchement des hostilités.

La raison principale invoquée par les médias pro-régime semble être l’échec dans les négociations entre Damas et les cellules rebelles de Dera’a, présentées par le journal Al-Watan comme « des repaires terroristes ayant contrecarré un accord de réconciliation » [16]. En effet, la reconquête de la ville en 2018 se sera faite presque sans coup de feu : suivant un « accord de réconciliation » supervisé par Moscou, les rebelles acceptaient de livrer leurs armes lourdes, cesser les hostilités et, pour ceux qui le souhaitaient, d’être transférés jusqu’à la poche d’Idlib. Ils obtenaient en échange que l’armée syrienne ne se réinstalle pas dans la province et la ville de Dera’a.

Toutefois, des pourparlers étaient en cours depuis plusieurs mois afin d’obtenir, de la part des doyens de Dera’a et des rebelles, que le régime syrien puisse finalement pénétrer dans la ville et y installer neuf checkpoints [17]. Finalement, les négociations piétinant, le régime aurait ordonné le 25 juin que tous les habitants de la province remettent leurs armes aux autorités, même légères, et laissent les forces de sécurité syriennes procéder à une perquisition de leur domicile. Face à la résistance des résidents de Dera’a, l’armée syrienne procède alors à la mise en place du blocus : sans ravitaillements, les conditions de vie d’environ 40 000 habitants [18] se dégradent rapidement.

Le 29 juillet, sans qu’il soit possible de déterminer l’élément déclencheur exact - hormis la persistance du siège -, les rebelles reprennent les armes : dix-huit checkpoints et quarante soldats de l’armée syrienne tombent aux mains des insurgés à la suite d’une offensive éclair. Le régime réplique aussitôt, en bombardant massivement et pendant plusieurs jours la ville de Dera’a, causant la mort de nombreux civils.

Une autre raison, mise en exergue par l’opposition, est celle de l’absence de participation de la province de Dera’a à l’élection présidentielle du 26 mai : alors qu’une majorité de Syriens allait voter - selon les chiffres avancés par les autorités du moins - les habitants de Dera’a, eux, boycottaient l’élection et organisaient une manifestation contre le gouvernement syrien [19] devant la mosquée Omari, celle-là même devant laquelle les premières manifestations s’étaient tenues en 2011. Face à ce camouflet politique venant de la ville berceau de la révolution, et pour mater tout nouveau sentiment contestataire, Bachar al-Assad aurait alors envoyé ses troupes, message clair aux autres dissidents à travers le pays [20].

Les combats se poursuivront pendant plusieurs semaines et seront ponctués d’éphémères cessez-le-feu qui s’effondreront bien souvent le jour même. Finalement, après une intervention de Moscou, un nouvel accord sera trouvé au cours du mois d’août : moyennant un arrêt des hostilités et l’abandon de leurs armes légères, les rebelles peuvent rester dans la ville sans être inquiétés [21] ; ils doivent, en revanche, accepter l’installation des neufs checkpoints que le régime souhaitait mettre en place avant le regain des hostilités en juillet dernier. En tout, cette nouvelle série d’affrontements aura causé la fuite de 38 000 civils, et la mort de 23 civils dont six enfants, 26 soldats syriens et 20 insurgés [22].

Conclusion

Ainsi, malgré le retour de larges pans du territoire syrien sous son contrôle depuis le début de la guerre civile syrienne, Bachar al-Assad apparaît toujours dans une situation politique fragile : toujours contestée malgré un dispositif politico-sécuritaire pour le moins répressif, son autorité apparaît en manque de légitimité et de véritable assise populaire. Le simulacre d’élection présidentielle organisée en mai dernier tend à le démontrer, tout comme la violente offensive contre la contestataire région de Dera’a. Toutefois, malgré la fragilité politique et une situation sécuritaire et humanitaire toujours très dégradée, un nombre croissant de pays normalise leurs relations avec Damas, comme ils sera exposé dans de prochains articles.

Sitographie :
 The Syrian Civil War’s Never-Ending Endgame, WPR, 06/08/2021
https://www.worldpoliticsreview.com/insights/28041/the-syria-civil-war-might-be-ending-but-the-crisis-will-live-on
 Syria holds presidential election dismissed as farce by opposition, BBC News, 26/05/2021
https://www.bbc.com/news/world-middle-east-57252600
 Syria court selects two ‘rivals’ to face Assad in May vote, Al Jazeera, 03/05/2021
https://www.aljazeera.com/news/2021/5/3/court-selects-two-rivals-to-face-syrias-assad-in-may-vote
 Syria approves 14 candidates for presidential election, Libyan Express, 25/05/2021
https://www.libyanexpress.com/syria-approves-14-candidates-for-presidential-election/
 Western countries, activists slam Syria’s upcoming election, Al Jazeera, 21/04/2021
https://www.aljazeera.com/news/2021/4/21/syrian-presidential-elections-neither-free-nor-fair-activists
 Syria election results : Bashar Assad wins 4th term, DW, 27/05/2021
https://www.dw.com/en/syria-election-results-bashar-assad-wins-4th-term/a-57695135
 Syria’s al-Assad re-elected for fourth term with 95% of vote, Al Jazeera, 28/05/2021
https://www.aljazeera.com/news/2021/5/28/no-surprises-as-syrias-assad-re-elected-for-4th-term
 Syria : Assad regime raises public sector salaries by 50%, Middle East Monitor, 11/07/2021
https://www.middleeastmonitor.com/20210711-syria-assad-regime-raises-public-sector-salaries-by-50/
 Syrian pound jumps after crackdown on speculators, Reuters, 05/11/2013
https://www.reuters.com/article/syria-crisis-currency-idCNL5N0IQ3GS20131105
 New stopgap solution : Syrian government issues loans to low-income citizens, Enab Baladi, 12/04/2021
https://english.enabbaladi.net/archives/2021/04/syrian-government-issues-loans-to-low-income-syrians-as-temporary-salve-for-deep-economic-woes/
 Syria : pre-election amnesty for crimes committed before May, Middle East Monitor, 04/052021
https://www.middleeastmonitor.com/20210504-syria-pre-election-amnesty-for-crimes-committed-before-may/
 Deraa, berceau du soulèvement et clé du conflit, L’Orient le Jour, 02/02/2013
https://www.lorientlejour.com/article/798973/Deraa%252C_berceau_du_soulevement_et_cle_du_conflit.html
 Heavy clashes grip southern Syria’s Deraa province, monitor says, Al Jazeera, 29/07/2021
https://www.aljazeera.com/news/2021/7/29/syrias-daraa-gripped-by-worst-clashes-in-three-years-monitor
 Several civilians killed as Syrian gov’t forces bombard Deraa, Al Jazeera, 30/07/2021
https://www.aljazeera.com/news/2021/7/30/several-civilians-killed-as-syrian-govt-forces-bombard-deraa
 Assad regime imposes blockade on 40,000 people in Syria’s Daraa, Daily Sabah, 02/07/2021
https://www.dailysabah.com/world/syrian-crisis/assad-regime-imposes-blockade-on-40000-people-in-syrias-daraa
 Daraa protests burst the Syrian regime’s bubble of election day, Global Voices, 06/06/2021
https://globalvoices.org/2021/06/06/daraa-protests-bursts-the-syrian-regimes-bubble-of-election-day/
 The situation in Daraa is dire. Here’s how it might play out., Atlantic Council, 07/08/2021
https://www.atlanticcouncil.org/blogs/menasource/the-situation-in-daraa-is-dire-heres-how-it-might-play-out/

Publié le 04/11/2021


Emile Bouvier est chercheur indépendant spécialisé sur le Moyen-Orient et plus spécifiquement sur la Turquie et le monde kurde. Diplômé en Histoire et en Géopolitique de l’Université Paris 1 - Panthéon-Sorbonne, il a connu de nombreuses expériences sécuritaires et diplomatiques au sein de divers ministères français, tant en France qu’au Moyen-Orient. Sa passion pour la région l’amène à y voyager régulièrement et à en apprendre certaines langues, notamment le turc.


 


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