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Depuis le début de la guerre entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan, le 27 septembre dernier, l’Azerbaïdjan a enregistré des gains territoriaux dans certains points stratégiques, dans le Haut-Karabakh et dans les territoires occupés par l’Arménie (les 7 districts entourant le Haut-Karabakh, occupés par Erevan depuis 1994). Cette « guerre des tranchées », d’une violence inouïe, aurait déjà fait plusieurs milliers de morts au front, un mois seulement après le début des affrontements. Les enjeux du conflit entre les Azéris et les Arméniens sont principalement territoriaux, ethniques et politiques. Mais cette guerre a pris une dimension régionale et internationale avec l’implication de plusieurs puissances étrangères.
Le lundi 26 octobre, l’Iran voisin a déployé des troupes le long de sa frontière avec l’Azerbaïdjan et l’Arménie. Le territoire iranien a été la cible de tirs depuis le Haut-Karabakh depuis le début de la guerre. La Russie, alliée d’Erevan (mais qui entretient de bons rapports avec Bakou) a déployé des soldats le long de la frontière arménienne et des reporters sur place ont noté la présence de combattants russes dans le Haut-Karabakh. Les armes utilisées durant le conflit ont aussi eu des conséquences diplomatiques : début octobre, Erevan a rappelé son ambassadeur en Israël à cause de la vente d’armes sophistiquées par Tel-Aviv à Bakou. Mais surtout, la Turquie est particulièrement investie aux côtés de l’Azerbaïdjan, qu’elle soutient de manière absolue dans ce conflit. De nombreuses sources sur place ont confirmé la présence de mercenaires syriens pro-turcs pour combattre aux côtés des Azéris. Ce conflit, qui s’enlise de jour en jour (trois cessez-le-feu ont déjà échoué), s’étend donc déjà hors des « frontières » du Haut-Karabakh.
Un point de la situation au Haut-Karabakh ayant été réalisé dans un autre article, celui-ci revient dans un premier temps sur la chronologie des événements, puis dans un deuxième temps sur la problématique de l’utilisation d’armes interdites : en effet, depuis le début de la guerre, les deux camps s’accusent mutuellement d’utiliser des armes interdites en droit international et de viser des cibles civiles. Qu’en est-il ? Quelles sont les conséquences juridiques ?
1805. Le khanat du Karabakh passe sous domination russe.
Février-août 1905. Des violences éclatent entre Arméniens et Azéris dans plusieurs villes, dont Bakou et Chouchi. Plusieurs milliers de morts.
Printemps 1915 à automne 1916. Génocide arménien. Près de 1,5 millions d’Arméniens sont tués par les autorités ottomanes.
4 février 1918. Proclamation de la République démocratique fédérative de Transcaucasie.
26-28 mai 1918. L’Arménie et l’Azerbaïdjan proclament leur indépendance. Des combats éclatent dans le Karabakh.
5 juillet 1921. Le bureau caucasien du parti bolchevique décide le rattachement du Karabakh à l’Azerbaïdjan avec l’accord de Joseph Staline.
7 juillet 1923. Création de la région autonome du Haut-Karabakh. Le chef-lieu du Haut-Karabakh est transféré de Chouchi à Khankendi, rebaptisée Stepanakert.
Eté 1987. Alors que l’Union soviétique entre dans la « Perestroïka », des manifestations éclatent dans le Haut-Karabakh pour demander le rattachement de la région autonome à la République socialiste et soviétique d’Arménie (le Haut-Karabakh est majoritairement peuplé d’Arméniens).
20 février 1988. Le soviet du Haut-Karabakh vote en faveur de son rattachement à l’Arménie. Violences à Askeran, pogrom anti-arménien à Soumgaït (30 morts, exode des Arméniens de l’Azerbaïdjan) et manifestations à Erevan (capitale de l’Arménie).
1990. Les violences contre les Arméniens continuent. Mikhaïl Gorbatchev envoie 26 000 soldats pour stopper celles-ci. Une centaine d’Azéris sont tués.
Août-septembre 1991. Indépendances de l’Arménie et de l’Azerbaïdjan.
10 décembre 1991. Les habitants du Haut-Karabakh votent en faveur de l’indépendance (82%).
1991-1994. Première guerre du Haut-Karabakh. Le conflit fait entre 30 000 et 40 000 morts. 600 000 déplacés internes azéris et 350 000 réfugiés arméniens.
1993. Le Conseil de sécurité de l’ONU demande le retrait des forces arméniennes des territoires azerbaïdjanais occupés.
1994. Un fragile cessez-le-feu est signé à Moscou.
2001. Echec de l’accord de paix entre les présidents arménien et azéri.
2004. L’officier azéri Ramil Safarov tue un officier arménien, Gurgen Margaryan, pendant un séminaire de l’OTAN. Relance les tensions.
2011. Echec d’un accord de paix proposé par Moscou.
2-5 avril 2016 : Guerre des « 4 jours » entre les combattants du Haut-Karabakh soutenus par l’Arménie, et l’Azerbaïdjan. 20 000 soldats sont présents de chaque côté de la ligne de front. Le conflit fait des dizaines de morts. L’Azerbaïdjan prétend avoir conquis 2000 hectares de terres.
2020 :
27 septembre 2020. Des combats éclatent entre les forces arméniennes et azéries dans le Haut-Karabakh.
29 septembre 2020. L’Arménie assure qu’un de ses avions a été abattu par un F-16 de l’armée turque. Information démentie par Bakou et Ankara. Stepanakert, la « capitale », est bombardée pour la première fois par l’armée azerbaïdjanaise.
2 octobre 2020. Le président français Emmanuel Macron réclame des explications à la Turquie sur l’envoie de « 300 combattants djihadistes », des mercenaires partis de Syrie pour combattre dans le Haut-Karabakh aux côtés de l’Azerbaïdjan.
3 octobre 2020. Le président azéri Aliyev annonce qu’une dizaine de villages ont été repris par les forces de l’Azerbaïdjan. Les civils commencent à évacuer en masse le Haut-Karabakh. Dans les jours suivants, la moitié des civils (70 000 sur 140 000) auront évacué, réfugiés en Arménie.
8 octobre 2020. Frappes azéries sur la ville de Chouchi. La cathédrale est lourdement endommagée.
10 octobre 2020. Un cessez-le-feu est signé avec la médiation de la Russie. Reprise des combats dans les heures suivantes, échec de la trêve.
14 octobre 2020. L’Azerbaïdjan annonce avoir frappé deux sites de lancement de missiles sur le territoire arménien. Laisse craindre une escalade des combats.
17 octobre 2020. Gandja, la seconde ville de l’Azerbaïdjan est la cible de missiles arméniens pour la troisième fois consécutive. Bakou accuse l’Arménie de cibler des positions civiles.
18 octobre 2020. Nouvelle trêve humanitaire avec la médiation du ministre russe des Affaires étrangères Sergueï Lavrov. Reprise des combats dans les heures qui suivent, échec de la trêve.
21 octobre 2020. Le Premier ministre arménien affirme qu’aucune solution diplomatique ne se dessine dans ce conflit.
24 octobre 2020. L’Arménie confirme que les districts du sud bordant l’Iran sont passés sous contrôle azerbaïdjanais.
25 octobre 2020. L’Iran annonce que des unités des Gardiens de la Révolution sont déployées le long de la frontière avec l’Arménie et l’Azerbaïdjan.
26 octobre 2020. Nouvelle trêve humanitaire. Quelques heures plus tard, les deux camps s’accusent d’avoir violé le cessez-le-feu.
Le 5 octobre dernier, après d’intenses bombardements sur Stepanakert, la « capitale » du Haut-Karabakh, Amnesty International dénonce, dans un communiqué, l’utilisation de bombes à sous-munitions par l’Azerbaïdjan contre les indépendantistes du Haut-Karabakh. Selon le communiqué, des experts « ont pu localiser les zones résidentielles de Stepanakert où ont été tournées des images, et identifier des bombes à sous-munitions M095 DPICM de fabrication israélienne, qui semblent avoir été tirées par les forces azéries. » Des zones d’impact d’armes à sous-munition M095 et des fragments de sous-munitions d’une roquette LAR-160 ont été retrouvés à plusieurs endroits à Stepanakert. A Hadrout, dans le sud du Haut-Karabakh, où les combats sont très intenses et à Chouchi, des fragments de ces armes interdites ont également été observés par HRW. L’Azerbaïdjan a également accusé l’Arménie d’avoir fait usage de ces armes interdites, mais ces accusations n’ont pas été confirmées par des organismes neutres. Déjà en 2016, durant la guerre dite « des 4 jours » entre Arméniens et Azéris, ces armes avaient été observées dans le Haut-Karabakh.
Les bombes à sous-munitions (BASM) sont créées pour exploser dans le ciel et disperser une multitude de bombes sur des dizaines de mètres. Elles ne permettent pas de cibler avec précision des cibles militaires et jusqu’à 20% de ces bombes n’explosent pas immédiatement. En raison de leur effet indiscriminé, elles peuvent affecter les populations civiles. Adoptée en 2008, la Convention sur les armes à sous-munitions interdit l’usage de ces armes. Mais ni l’Azerbaïdjan ni l’Arménie ne sont partis à la Convention.
Cibles civiles
Dans la « capitale » du Haut-Karabakh, à Stepanakert, des bâtiments civils ont été la cible de bombardements par l’Azerbaïdjan dès le 4 octobre 2020. De l’autre côté de la ligne de front, en Azerbaïdjan, un missile a frappé un centre commercial de Gandja, la deuxième plus grande ville d’Azerbaïdjan, le 5 octobre 2020. Depuis, plusieurs bombardements ciblant des bâtiments civils ont été rapportés des deux côtés. 36 civils arméniens et 63 civils azerbaïdjanais auraient perdu la vie depuis le début de la guerre.
Les Conventions de Genève interdisent formellement de viser des cibles non militaires. Toutes les parties au conflit ont pour obligation de respecter ces conventions, ainsi que les principes fondamentaux du droit international humanitaire. Les parties au conflit responsables de bombardements contre des positions civiles pourraient faire l’objet de poursuites au niveau international.
Sources de la chronologie :
– Le Monde Diplomatique : https://www.monde-diplomatique.fr/mav/128/PIRONET/51658
– France 24 : https://webdoc.france24.com/HAUT-KARABAKH/chronologie-conflit-karabakh.htm
– Sciences Po : https://www.sciencespo.fr/bibliotheque/fr/rechercher/dossiers-documentaires/1991-fin-urss/chronologie.html
– France 24 : https://www.youtube.com/watch?v=xOcqaaWPpjE&t=1s
– Courrier international : https://www.courrierinternational.com/article/armenie-azerbaidjan-haut-karabakh-macron-reclame-des-explications-la-turquie
Le Point : https://www.lepoint.fr/monde/l-iran-deploie-des-troupes-a-ses-frontieres-avec-l-armenie-et-l-azerbaidjan-25-10-2020-2397938_24.php#
Sources de la problématique de l’utilisation des armes interdites :
HRW : https://www.hrw.org/fr/news/2020/10/23/azerbaidjan-recours-des-armes-sous-munitions-au-haut-karabakh
Le Monde : https://www.lemonde.fr/international/video/2020/10/23/armenie-azerbaidjan-les-preuves-en-images-de-bombardements-sur-des-populations-civiles_6057165_3210.html
Le Monde : https://www.lemonde.fr/international/article/2020/10/06/haut-karabakh-amnesty-denonce-l-utilisation-de-bombes-a-sous-munitions-interdites-depuis-2010_6054976_3210.html
Amnesty international : https://www.amnesty.fr/controle-des-armes/actualites/haut-karabakh--les-civils-sous-le-feu-de-bombes-a
France Culture : https://www.franceculture.fr/geopolitique/dans-le-haut-karabakh-le-desarroi-des-civils-dans-un-conflit-aveugle
France 24 : https://www.france24.com/fr/20201006-conflit-du-haut-karabakh-les-civils-en-premi%C3%A8re-ligne
Ines Gil
Ines Gil est Journaliste freelance basée à Beyrouth, Liban.
Elle a auparavant travaillé comme Journaliste pendant deux ans en Israël et dans les territoires palestiniens.
Diplômée d’un Master 2 Journalisme et enjeux internationaux, à Sciences Po Aix et à l’EJCAM, elle a effectué 6 mois de stage à LCI.
Auparavant, elle a travaillé en Irak comme Journaliste et a réalisé un Master en Relations Internationales à l’Université Saint-Joseph (Beyrouth, Liban).
Elle a également réalisé un stage auprès d’Amnesty International, à Tel Aviv, durant 6 mois et a été Déléguée adjointe Moyen-Orient et Afrique du Nord à l’Institut Open Diplomacy de 2015 à 2016.
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