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Le Haut-Karabagh : une ligne de feu pour l’Arménie et l’Azerbaïdjan, une ligne de front diplomatique pour la Russie et la Turquie (1/2). Une Transcaucasie marquée par une diplomatie soviétique hésitante

Par Emile Bouvier
Publié le 30/09/2020 • modifié le 05/11/2020 • Durée de lecture : 6 minutes

De fait, les deux belligérants se sont déjà affrontés à plusieurs reprises autour du différend de la région du Haut-Karabagh : si plusieurs escarmouches se sont produites l’été dernier et qu’une courte passe d’armes (la « Guerre des Quatre Jours ») a opposé forces arméniennes et azéries du 2 au 5 avril 2016, ces dernières se sont avant tout violemment affrontées durant la Guerre du Haut-Karabagh, du 20 février 1988 au 16 mai 1994, au cours de laquelle un total estimé de 30 000 personnes a perdu la vie [2]. Cette guerre portera son lot de massacres, d’interventions étrangères, de crises humanitaires et, surtout, de rancœurs et d’amertume entre protagonistes qui ne feront que croître au fil des ans.

Le différend du Haut-Karabagh conditionne ainsi, à bien des égards, les relations arméno-azéries aujourd’hui. Les racines du problème remontent pourtant à près d’un siècle, sous l’ère soviétique en particulier, et n’ont réellement dévoilé leur ampleur qu’à l’aune de l’effondrement de l’Union soviétique.

Cet article entend ainsi présenter l’histoire du conflit du Nagorno-Karabakh et ses origines dans un premier temps. La teneur exacte de la crise actuelle, mêlée aux enjeux diplomatiques et géopolitiques des puissances qui s’y impliquent, au premier rang desquelles la Turquie et la Russie, fera l’objet de la seconde partie.

1. Un après-guerre résolument guerrier pour la Transcaucasie

Le conflit du Haut-Karabakh trouve ses origines, à bien des égards, dans la soviétisation à marche forcée de la Transcaucasie dans les années 1920-1930, et notamment dans les décisions prises par Joseph Staline et le Kavburo (« Bureau caucasien ») durant cette période [3]. Staline était alors Commissaire des nationalités pour l’Union soviétique au début des années 1920, période pendant laquelle sera créé le Kavburo [4].

En effet, après la Révolution communiste de 1917, la région du Karabakh, propriété de l’Empire tsariste, devient membre de la République démocratique fédérative de Transcaucasie le 22 avril 1918 (composée de la Géorgie, de l’Azerbaïdjan et de l’Arménie) [5]. Elle s’écroule toutefois très vite sous le poids des mésententes : la République démocratique de Géorgie déclare son indépendance le 26 mai de la même année avant d’être imitée, le surlendemain, par les Républiques démocratiques d’Azerbaïdjan et d’Arménie. Les deux années qui suivront, de 1918 à 1920, verront se succéder des guerres mineures entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan à des fins de prédation territoriale essentiellement : les régions de Bakou et Karabakh feront ainsi l’objet d’une lutte féroce de septembre 1918 à janvier 1919 par exemple, à laquelle se joindront les Empires ottoman et britannique, avant de laisser place à la bataille de Nakhchivan de mai à août 1919 entre autres choses.

Dans ce contexte, en juillet 1918, la Première assemblée arménienne de Nagorno-Karabakh déclare que la région éponyme est désormais autonome et établit un Conseil national doublé d’un gouvernement [6] ; l’Empire ottoman lance alors une offensive supposée éclair contre les autonomistes mais y rencontre une forte résistance armée de la part des miliciens arméniens. Quelques semaines plus tard, le 30 octobre 1918, date de l’armistice de Moudros, l’Empire ottoman reconnaît sa défaite dans le premier conflit mondial et se retire du Nagorno-Karabakh. Les forces britanniques s’empressent de combler la vacance ottomane et Londres nomme provisoirement Khosrov bey Sultanov comme gouverneur général de Karbakah et Zangezur, dans l’attente d’une décision définitive de la Conférence pour la paix de Paris sur le sort de la région transcaucasienne [7]. Les Britanniques s’emploient par ailleurs, dans le même temps, à désarmer la population arménienne [8].

La mainmise britannique sur le Nagorno-Karabak, ainsi que la nomination d’un gouverneur azéri, est vivement critiquée par la majorité arménienne [9] y résidant. En février 1920, le Conseil national du Karabakh, sous les ordres de Khosrov bey Sultanov, accepte la juridiction de la République démocratique d’Azerbaïdjan, provoquant l’éclosion de plusieurs mouvements de guérilla arménienne à travers la région. Refusant la tutelle azérie, les Arméniens continuent de suivre les ordres du Conseil national créé en juillet 1918 et, en avril 1920, déclarent caduques les décisions prises jusqu’ici par le Conseil national du Karabakh de Sultanov et intensifient la guérilla contre les forces azéries : ce regain de confiance leur vient, entre autres choses, d’une vaste offensive lancée dans le même temps par les Bolcheviks visant à s’emparer de l’Azerbaïdjan [10]. C’est chose faite en avril 1920 : tandis que l’armée azérie est embourbée dans une guerre asymétrique contre les miliciens arméniens soutenus par l’Arménie dans le Nagorno-Karabak, les forces communistes s’emparent en quelques semaines de l’Azerbaïdjan [11].

2. 1920, ou l’arrivée de la variable soviétique dans l’équation transcaucasienne

Le 10 août 1920, l’Arménie signe un accord préliminaire avec les Bolcheviks, acceptant une occupation temporaire du Nagorno-Karabak par ces derniers, en attendant qu’un accord définitif soit adopté. Finalement, en 1921, l’Arménie et la Géorgie sont également conquises par les Bolcheviks. Afin de s’attirer les faveurs de la population azérie, toujours aussi hostile à l’agression communiste d’avril 1920, les Bolcheviks s’engagent à ne pas rattacher le Nagorno-Karabak à l’Arménie, tout comme les régions de Nakhchivan et Zangezur (la bande de terre séparant le Nakchivan du Karabakh) [12]. Cette promesse s’inscrit dans le cadre, plus large, du projet soviétique d’amélioration de son image en Turquie, notamment grâce à l’aide d’une population azérie qui serait, idéalement, satisfaite du joug communiste [13]. Les Turcs se sont en effet toujours posés en défenseurs des Azéris en raison de leurs origines historiques et ethniques communes : les Azéris figurent en effet en bonne place des peuples dits « turciques » à l’instar des Kazakhs, des Kirghizes, ou encore des Tadjiks par exemple.

Finalement, face à l’échec diplomatique de cette démarche, les Soviétiques prendront la décision de ménager à la fois les Arméniens et les Azéris : si le Nagorno-Karabak et Nakhchivan resteront propriétés de l’Azerbaïdjan, la bande territoriale de Zangezur reviendra à l’Arménie ; de plus, afin de tenir compte de la majorité ethnique très nette détenue par les Arméniens dans la région de Nagorno-Karabak, ils font de cette dernière « l’Oblast autonome de Nagorno-Karabak » le 7 juillet 1923 au sein de la République socialiste soviétique d’Azerbaïdjan [14]. Ces unités administratives, créée au cas par cas - et au compte-gouttes -, permettaient de tenir compte de la réalité ethnique des territoires sous contrôle de l’Union soviétique. Dans le cas présent, la création de cet oblast autonome permettait également aux Soviétiques de donner une part de satisfaction à la population arménienne, tant au sein du Nagorno-Karabak que de l’Arménie elle-même. De fait, les frontières de l’oblast avaient été dessinées afin d’épouser parfaitement, au village près, les zones de peuplement arménien dans la région et exclure, autant se faire que peut, les villages azéris [15].

Le contrôle de la Transcaucasie par l’Union soviétique étant désormais scellé, d’une main de plus en plus ferme de surcroît, le conflit entre Azéris et Arméniens autour de la question du Nagorno-Karabak s’apaisera et ne refera surface qu’à la fin des années 1980. En effet, à la faveur de la dissolution progressive de l’URSS à la fin des années 1980 et au début des années 1990, le différend territorial ré-émergera. Accusant le gouvernement de l’Azerbaïdjan soviétique de conduire une politique d’azérification forcée de la région, la majorité arménienne du Nagorno-Karabak envoie en août 1987 une pétition adressée à Moscou demandant un détachement de l’oblast autonome de la tutelle de Bakou pour intégrer, à la place, le territoire arménien.

Lire la partie 2

Publié le 30/09/2020


Emile Bouvier est chercheur indépendant spécialisé sur le Moyen-Orient et plus spécifiquement sur la Turquie et le monde kurde. Diplômé en Histoire et en Géopolitique de l’Université Paris 1 - Panthéon-Sorbonne, il a connu de nombreuses expériences sécuritaires et diplomatiques au sein de divers ministères français, tant en France qu’au Moyen-Orient. Sa passion pour la région l’amène à y voyager régulièrement et à en apprendre certaines langues, notamment le turc.


 


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