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Le 26 juin, s’est tenu au Château de Chambord un colloque organisé par l’UNESCO, l’Université des Nations unies et le Domaine national de Chambord, sur le thème de la reconstruction de la ville de Mossoul. Ce colloque, organisé dans le contexte du projet conduit par l’UNESCO « Faire revivre l’esprit de Mossoul », a réuni experts, journalistes, artistes.
Il s’est ouvert par l’intervention d’Audrey Azoulay, Directrice générale de l’UNESCO, en compagnie de Jean d’Haussonville, directeur du château de Chambord, et de David Malone, recteur de l’Université des Nations unies.
Daniel Rondeau, écrivain français, ancien ambassadeur de France auprès de l’UNESCO et élu le 6 juin 2019 à l’Académie française, est également intervenu à l’ouverture du colloque.
Le site Les clés du Moyen-Orient remercie vivement Daniel Rondeau d’avoir eu la très grande amabilité d’accepter que son intervention soit publiée dans ses colonnes.
Voici le texte de son intervention :
Madame la Directrice générale, chère Audrey Azoulay,
Monsieur le Directeur de Chambord, cher Jean d’Haussonville,
Monsieur le Recteur, cher David Malone,
Monseigneur, cher Père Najeeb,
Monsieur le Professeur, cher Dominique Charpin,
Mesdames et messieurs les Ambassadeurs, chers amis
En 1519, François 1er décide de faire construire le château de Chambord, qui devient vite la nouvelle « merveille du monde ». Situé au cœur du plus grand parc forestier d’Europe, ceint d’un mur de 32 kilomètres de long, ce joyau du patrimoine français, inscrit depuis l’an 2000 sur la liste du patrimoine mondial de l’Unesco, fête cette année le 500 éme anniversaire de sa fondation. C’est aujourd’hui encore un ensemble architectural à la beauté impressionnante, miraculeusement épargnée par le passage des siècles. Merci, cher Jean d’Haussonville, de nous accueillir dans le rêve de pierre d’un jeune roi. Mossoul à Chambord, c’est une façon de faire dialoguer des univers, éventuellement les faire danser, je sais que cela ne vous déplait pas, vous qui, passionné de Schubert, avait accueilli la semaine dernière 20 000 nightclub bers pour un festival d’électro pop sur les pelouses de François 1er.
A l’occasion de ce jubilé, l’Unesco, le Domaine national de Chambord et l’Université des Nations unies ont décidé de s’associer et d’inviter dans l’écrin préservé du château de François 1er les hommes et les femmes qui, à Mossoul (l’ancienne Ninive), se battent pour relever les monuments et les bibliothèques détruites par l’Etat islamique, consoler les cœurs blessés et faire vivre la liberté dans leur pays.
La Mésopotamie, le pays entre les fleuves, c’est là que les Sumériens, écrit l’écrivain britannique Wilfred Thesiger, « avaient fondé leurs cités, sur les sites des anciens villages enfouis sous des épaisseurs de limon et qui furent ainsi à l’origine de ce qui a peut-être été la première civilisation du monde ». Je cite Thesiger, car il avait eu très tôt conscience d’être entré dans des univers millénaires dont la mémoire et le mode de vie étaient menacés. Wilfred Thesiger est toujours resté, dit de lui l’écrivain Bruce Chatwin, « le gentleman explorateur anglais. Mais la forme d’ascétisme qu’il a pratiquée pendant plus de cinquante ans, le place dans une autre catégorie de voyageurs : les Pères du désert, les pèlerins irlandais, les fakirs, les vagabonds célestes de l’Inde ou les esprits comme le poète Li Bo qui voyageait pour découvrir le grand calme qui est peut-être l’équivalent de la paix de Dieu ».
L’Irlande, l’Inde, la Chine ….
« Nous ne sommes pas seuls », expliquait déjà aux Grecs Hérodote, le père de l’Histoire, plusieurs siècles avant notre ère. « Nous ne sommes pas seuls », répètera Aristote à son jeune élève Alexandre quand il s’élancera vers l’Asie pour faire l’inventaire du monde. Mossoul à Chambord, c’est une façon pour nous de répéter avec force la leçon d’Hérodote, dans la lignée de l’appel lancé par l’UNESCO pour la Nubie en 1960. Nous ne sommes pas seuls !
André Malraux avait alors souligné l’importance symbolique du sauvetage des temples de Haute Egypte. Cet héritage venu des Sumériens irrigue dans notre temps des forces anciennes : esprit et liberté, qui ont inspiré l’initiative phare de l’UNESCO, initiée par Audrey Azoulay, Faire revivre l’esprit de Mossoul (et notamment la reconstruction de la Mosquée Al-Nouri, monument symbole à la fois du rôle de carrefour de cultures que la ville de Mossoul a joué dans l’histoire et de sa chute, suite à sa destruction par l’ l’Etat islamique).
Chacun le sait, des organisations islamistes, sous des drapeaux variables, ont imprimé pendant plusieurs années leur tempo à l’actualité de la planète et fait régner la terreur sur les populations de pays où, pendant des siècles, avaient prospéré de brillantes civilisations. Tout ce qui témoigne du génie de l’homme et de sa transcendance a pu se retrouver sous leur menace.
A Nimrud, l’Etat islamiste a envoyé ses bulldozers contre les monuments de l’ancienne capitale assyrienne. A Hatra, l’Etat islamique a mis en scène ses combattants s’attaquant à l’ancienne cité parthe. A Ninive, il a détruit la mosquée et le mausolée du prophète Jonas. A Mossoul, il a organisé l’un des plus grands autodafés de l’Histoire.
« Nous aussi, nous avions dans notre couvent de Mossoul, me l’avait dit Najeeb Michael, père dominicain irakien, nouvel archevêque de Mossoul, des manuscrits sur toutes les religions du Moyen-Orient, plus de 40 000 livres imprimés, des incunables. Le couvent a été attaqué par des fondamentalistes, et nous avons été obligés de quitter Mossoul en 2007 pour Qaraqosh. Nous avons organisé le déménagement, c’était énorme, pendant six mois, dans la discrétion la plus totale, avec des voitures particulières conduites par des amis. A Qaraqosh, nous avons numérisé les archives et les manuscrits. Puis nous avons vécu un deuxième exode, le 25 juillet 2014, de Qaraqosh vers Erbil ».
Cette politique de la terre brûlée dans le Croissant fertile n’a épargné bien sûr ni les églises, ni les synagogues, ni les mosquées. La contagion de la haine ne connait pas de frontières. La Libye à son tour est contaminée ; destructions de mosquées et de madrasas, pillages de sites prestigieux. Ces saccages, ces vols qui alimentent des trafics illicites, s’inscrivaient et s’inscrivent encore dans une stratégie de nettoyage culturel extrêmement réfléchie et d’une rare violence, dénoncée en son temps par l’UNESCO. Nettoyage déjà à l’œuvre à Bamiyan, quand les statues des bouddhas géants avaient été détruites en mars 2001 par les talibans et à Tombouctou, en juin 2012.
Le monde avait sursauté en apprenant les destructions des mausolées, ces tombes éventrées. Je rappelle que Tombouctou a été l’une des grandes cités spirituelles de l’Afrique et que le savoir accumulé à Alexandrie aux premiers siècles de notre ère avait rayonné jusque dans ses murs. Avec mes camarades ambassadeurs de la présidente du Comité du Patrimoine, Eleonora Mitrofanova, nous avions alors lancé de Saint-Pétersbourg un appel pour protéger Tombouctou, lieu sacré de l’histoire africaine. Depuis l’engagement de l’UNESCO a permis de relever les mausolées et de numériser les manuscrits. Madame la Directrice générale, Mesdames et Messieurs les ambassadeurs, vos combats, nos combats, ne sont pas toujours vains
Il faut préciser que les djihadistes n’ont rien inventé. La volonté de tabula rasa est le sceau de tous les régimes totalitaires. Les trésors du passé les insupportent car ils irriguent dans notre temps des forces anciennes : esprit et liberté. Le patrimoine témoigne de la constance des hommes au milieu de leurs errances. Le patrimoine irradie : rayonnement identitaire, historique, spirituel. Et rayonnement prophétique. Car l’avenir est toujours inscrit dans le passé. La mémoire historique est un enjeu fondamental. Elle nous fait entrer dans la complexité du présent.
« La mémoire des peuples, écrivait Albert Camus, s’envole à la vitesse même où marche l’Histoire ». Le saccage du patrimoine lobotomise les peuples en les privant d’une part de cette mémoire déjà si fragile et volatile.
L’homme déquillé, privé de la joie prophétique du passé, est catapulté vers l’imperium de l’instant. Pris dans un maelstrom qui mêle le vrai et le faux, le tragique, le mièvre, l’obscène, le mort et le vif, un fleuve puissant dont les eaux se renouvellent mécaniquement en permanence mais qui n’a ni source ni rivage, l’homme dérive, il flotte, sans retrouver son visage sur ce miroir qu’aucune terre ne contient, il oublie qui il est, ne sait plus où il va et se détourne de la vie.
Dans ces conditions, il devient pour nous tous assez difficile de se mettre en règle avec nous-mêmes. Je crois que nous en avons tous conscience. C’est pourquoi nous sommes rassemblés ici, à Chambord, aujourd’hui. Et si nous avons tous été sidérés par l’incendie de Notre Dame, le 16 avril dernier, c’est parce que Notre Dame de Paris faisait vivre en chacun de nous une part essentielle de la mémoire du monde et que chacun de nous découvrait soudainement, devant l’ampleur précipitée du brasier, la précarité de cette mémoire.
Lascaux, Mossoul, Tombouctou, Palmyre, Carthage, Notre Dame. Nous avons en charge les biens que nous recevons à chaque génération en compte d’hoirie universelle, il nous revient d’en reconstruire chaque jour la vérité. Ces lieux dépassent bien sûr l’identité nationale et la communion religieuse. En 1960, André Malraux avait précisé que l’appel de l’UNESCO pour la Nubie n’appartenait pas à l’histoire de l’esprit parce qu’il voulait sauver les temples de Nubie, mais parce qu’avec lui, « la première civilisation mondiale revendiquait publiquement l’art mondial comme son indivisible héritage ».
Lobotomie collective, déracinement et terreur sont les armes de destruction massive de l’Etat islamique qui conduit avec brio sa politique d’intimidation par le crime. Car bien sûr, les victimes sont toujours les hommes. Les victimes n’ont généralement que trois solutions : apostasier, mourir ou partir. Dans le viseur des djihadistes, les chiites, les yézidis, les sunnites attachés à un Islam spirituel ou pacifique, et en cœur de cible : les chrétiens d’Orient.
Il est temps d’apprendre à nous méfier des guerres pour le bien des autres. Faut-il renoncer à croire en la Justice ? Non. S’il existe une politique enviable, c’est de vouloir faire vivre une idée de la liberté, d’exprimer une mesure et une clarté dans l’organisation du monde. Nous sommes entrés à nouveau dans un temps de déraison et de haine. Apportons lui notre raison, notre cœur et notre fraternité. Soutenons les Etats et les peuples qui sont en première ligne contre les islamistes (sans ingérence), confions des mandats fermes à l’ONU et à l’UNESCO, donnons une volonté à l’Europe, résistons avec force à ceux qui veulent nous détruire.. Nous ne sommes pas seuls, Mossoul n’est pas seul. C’est avec leur courage, qui nous saluons, et avec notre amitié que les Irakiens pourront retrouver le chemin de la liberté. Je vous remercie.
Lire également sur Les clés du Moyen-Orient :
– Entretien avec Son Excellence M. Daniel Rondeau, Ambassadeur, Délégué Permanent de la France auprès de l’Unesco
– Intervention de Daniel Rondeau prononcée lors du colloque sur les migrations, le 5 mars 2015 à l’Unesco
– Entretien avec Daniel Rondeau – Les chrétiens d’Orient
https://fr.unesco.org/news/lunesco-reunit-experts-artistes-au-chateau-chambord-soutien-ville-mossoul
Daniel Rondeau
Daniel Rondeau, de l’Académie française, est un écrivain français, né en 1948, en Champagne. Il est marié et père de deux enfants.
Il est l’auteur d’une œuvre importante, traduite dans de nombreux pays. Il a publié notamment des romans (Dans la marche du temps), des récits autobiographiques (L’Enthousiasme, Les vignes de Berlin), des portraits de villes méditerranéennes (Tanger, Alexandrie, Istanbul), des livres d’intervention (Chronique du Liban rebelle) et des essais sur la littérature (Les Fêtes partagées, Camus).
Il a travaillé comme journaliste avec la plupart des grands journaux français (Libération, Le Nouvel Observateur, L’Express, Le Monde, Paris Match). Éditeur, il a fondé les éditions Quai Voltaire et dirigé la collection Bouquins.
Il fut ambassadeur à Malte pendant plus de trois ans et ambassadeur de France auprès de l’Unesco.
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