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Intervention de Daniel Rondeau prononcée lors du colloque sur la « mobilisation pour le patrimoine : Irak, Syrie et autres pays en conflit », le 6 mai 2015 à l’Unesco

Par Daniel Rondeau
Publié le 15/05/2015 • modifié le 19/10/2015 • Durée de lecture : 3 minutes

Daniel Rondeau

Des organisations islamistes, sous des drapeaux variables, impriment depuis plusieurs années leur tempo à l’actualité de la planète et font régner la terreur sur les populations de pays où, des siècles durant, ont prospéré, de brillantes civilisations. Leurs vidéos répandent dans le monde entier le spectacle de leur folie de mort et de destruction dans l’ancienne Mésopotamie, le pays entre les fleuves, c’est-à-dire là où « les Sumériens avaient fondé leurs cités, écrit Wilfred Thesiger, sur les sites des anciens villages enfouis sous des épaisseurs de limon et qui furent ainsi à l’origine de ce qui a peut-être été la première civilisation du monde ».

Tout ce qui peut témoigner du génie de l’homme et de son souci de transcendance est pris pour cible. Cette politique de la terre brûlée dans le Croissant fertile n’épargne bien sûr ni les églises, ni les synagogues. Hier nous avons perdu le monastère de Mar Behnam. Aujourd’hui c’est l’antique cité de Palmyre qui est menacée.

La contagion de la haine ne connait pas de frontières. La Libye est contaminée ; destructions de mosquées et de madrasas, pillages de sites prestigieux. Ces saccages, ces vols qui alimentent des trafics illicites, s’inscrivent, comme l’a dit Irina Bokova, l’infatigable directrice générale de l’Unesco, « dans une stratégie de nettoyage culturel extrêmement réfléchie et d’une rare violence ». Irina Bokova vient d’ailleurs de lancer un nouvel appel au Caire devant des représentants de pays arabes et de l’Université El Azar. Il y a urgence ! Nettoyage déjà à l’œuvre à Bamiyan, quand les statues des bouddhas géants avaient été détruites en mars 2001 par les talibans, et à Tombouctou, en juin 2012, le monde sursautait encore en apprenant les destructions des mausolées, ces tombes éventrées. J’avais alors lancé de Saint Pétersbourg un appel pour protéger Tombouctou, lieu sacré de l’histoire africaine.

Les djihadistes n’ont rien inventé. La volonté de tabula rasa est le sceau de tous les régimes totalitaires. Les trésors du passé les insupportent car ils irriguent dans notre temps des forces anciennes : esprit et liberté. Le patrimoine témoigne de la constance des hommes au milieu de leurs errances. Le patrimoine irradie : rayonnement identitaire, historique, spirituel. Et prophétique. La mémoire historique est un enjeu fondamental. Elle nous fait entrer dans la complexité du présent. Mais prenons garde, car « la mémoire des peuples, écrivait Camus, s’envole à la vitesse même où marche l’Histoire ». Le saccage du patrimoine lobotomise les peuples en les privant d’une part de cette mémoire. Nous avons en charge ces biens que nous recevons à chaque génération en compte d’hoirie universelle, il nous revient de reconstruire chaque jour la vérité.

Ces lieux dépassent bien sûr l’identité nationale et la communion religieuse. En 1960, André Malraux avait précisé que l’appel de l’Unesco pour la Nubie n’appartenait pas à l’histoire de l’esprit parce qu’il voulait sauver les temples de Nubie, mais parce qu’avec lui, « la première civilisation mondiale revendiquait publiquement l’art mondial comme son indivisible héritage ».

Lobotomie collective, déracinement et terreur sont les armes de destruction massive de l’Etat islamique qui conduit avec brio sa politique d’intimidation par le crime. L’éclat des supplices fait toujours le buzz. Leurs victimes n’ont que trois solutions : apostasier, mourir ou partir. Dans le viseur des djihadistes, les chiites, les yézidis, les « arabes des Marais » dont parlait Thesiger, tous les sunnites attachés à un Islam spirituel ou pacifique, et les chrétiens d’Orient.

Face à cette folie de destruction, il faut opposer notre capacité de raison et de fraternité. Il faut faire savoir que nous refusons la loi de la haine, c’est pour cela que nous sommes réunis aujourd’hui. Je remercie tous ceux qui ont accepté généreusement de répondre à notre appel et je salue l’obstination inlassable de la directrice générale dans ce combat contre l’ignorance et la. Une chose encore. Nous sommes réunis à l’Unesco. L’Unesco, c’est l’éducation, la culture, le patrimoine. L’Unesco offre un espace unique au débat d’idées. Quand le monde entier se retrouve face à une situation tragique, essayons de profiter de cet espace, cherchons des conciliations, essayons, je sais que ce n’est pas facile, de laisser le tranchant de la politique au vestiaire.

Publié le 15/05/2015


Daniel Rondeau, de l’Académie française, est un écrivain français, né en 1948, en Champagne. Il est marié et père de deux enfants.
Il est l’auteur d’une œuvre importante, traduite dans de nombreux pays. Il a publié notamment des romans (Dans la marche du temps), des récits autobiographiques (L’Enthousiasme, Les vignes de Berlin), des portraits de villes méditerranéennes (Tanger, Alexandrie, Istanbul), des livres d’intervention (Chronique du Liban rebelle) et des essais sur la littérature (Les Fêtes partagées, Camus).
Il a travaillé comme journaliste avec la plupart des grands journaux français (Libération, Le Nouvel Observateur, L’Express, Le Monde, Paris Match). Éditeur, il a fondé les éditions Quai Voltaire et dirigé la collection Bouquins.
Il fut ambassadeur à Malte pendant plus de trois ans et ambassadeur de France auprès de l’Unesco.


 


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