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Il y a cent ans, la bataille de Turabah (4/5)

Par Yves Brillet
Publié le 28/05/2019 • modifié le 08/04/2020 • Durée de lecture : 7 minutes

Photo de l’armée d’Ibn Saoud prise par Shakespear en 1911 près de Thaj.

In HVF Winstone, Captain Shakespear, p. 176.

Lire la partie 2, la partie 3

La préparation de la Conférence interministérielle sur la question de l’arbitrage entre Ibn Saoud et Hussein

L’Arab Bureau avait en juillet et en août 1919 publié deux longues études résumant l’historique du conflit et confrontant les argumentaires d’Ibn Saoud et d’Hussein concernant l’appartenance de Khurma et de Turabah au Nedjd ou à l’Hedjaz. En faveur d’Hussein, l’Arab Bulletin n°113 du 17 juillet 1919 citait :1) la déclaration de C. E. Wilson du 24 octobre 1918 selon laquelle Hussein attestait que les gouverneurs de Khurma avaient toujours été nommés par le Chérif, qui payait leurs salaires, 2) la déclaration d’Abdallah au Bureau arabe du Caire concernant le traité de 1910 et la reconnaissance par Ibn Saoud des droits des Chérifs, 3) le rapport de D. G. Hogarth de janvier 1918 ainsi que les témoignages locaux (Yassim Bey Hassan, janvier 1919), fixant les limites du Nedjd à 8 jours de marche (250 kilomètres ) à l’est de Khurma. En faveur d’Ibn Saoud, l’Arab Bulletin s’appuyait sur les lettres à Philby du 10 et du 15 août 1918 et à Hussein du 13 juin1919. Il rappelait enfin qu’Ibn Saoud déclarait avoir demandé l’arbitrage de Londres et qu’il affirmait l’appartenance de Khurma et de Turabah au Nejd, ainsi qu’il était spécifié dans le rapport de Philby du 13 août 1918. L’Arab Bulletin n°113 insistait sur le fait qu’Ibn Saoud se montrait disposé à accepter l’autodétermination des habitants de Khurma et de Turabah dans la mesure où il savait que ces populations inclinaient pour le wahhabisme.

Dans ce bulletin, Garland constatait que la stabilité de la zone serait constamment menacée si ces populations se trouvaient placées contre leur gré sous l’autorité du Chérif. Il pensait qu’il serait utile que les tribus des Buqum et des Subai soient consultées et que les chefs des Ateibah soient approchés pour déterminer le degré de soutien qu’ils seraient disposés à accorder à Hussein. Leur soutien serait nécessaire pour que le Chérif puisse restaurer son autorité sur le district. En tout état de cause, Garland estimait que le renouveau wahhabite, même en cas d’aboutissement de la procédure d’arbitrage, serait difficile à canaliser dans la mesure où Hussein pouvait difficilement compter sur une aide extérieure pour compenser la faiblesse de ses troupes. Pour l’Arab Bureau, il convenait donc, dans le cadre de la préparation des travaux de la commission, de trouver un exemplaire du traité de 1910, de connaitre avec précision le tracé de la frontière au temps de l’administration ottomane et de savoir si des tribus faisant religieusement allégeance à Ibn Saoud pouvaient reconnaitre l’autorité d’Hussein. En outre, l’Arab Bureau faisait état des déclarations d’Abdallah, ministre des Affaires étrangères du Hedjaz, expliquant qu’en cas d’offensive des troupes wahhabites, le régime chérifien n’offrirait pas de résistance et que l’ensemble du pays passerait sous le contrôle d’Ibn Saoud. Garland concluait qu’il était évident que le Chérif s’opposerait à toute sentence arbitrale qui lui serait défavorable (1).

De son coté, C. E. Wilson transmit le 26 août un mémoire adressé au Major Young du Foreign Office dans lequel il exposait les arguments en faveur d’Hussein. Concernant l’exercice de la souveraineté sur Khurma et se basant sur les déclarations de notables de La Mecque et de Djeddah, il soulignait que malgré les prétentions d’Ibn Saoud rien ne venait corroborer l’appartenance de Khurma au Nedjd. Il réaffirmait qu’accepter le principe d’un arbitrage sur Khurma aurait pour Hussein une incidence négative sur son prestige alors que celui d’Ibn Saoud s’en trouverait renforcé. C. E. Wilson était persuadé que si le gouvernement continuait de proposer une solution d’arbitrage, Hussein serait sans doute tenté d’abdiquer, ce qui provoquerait une situation anarchique au Hedjaz. Il rappelait qu’Hussein avait, à maintes reprises, attiré l’attention des autorités britanniques sur le risque de déstabilisation que constituait l’expansion du wahhabisme pour l’Arabie centrale. Dans l’intérêt de la Grande-Bretagne, il n’était donc pas opportun de provoquer une décision d’arbitrage mais compte tenu des avis convergents concernant l’appartenance de Khurma au Hedjaz, il estimait utile la tenue d’une conférence au Caire sous la présidence de D. G. Hogarth (2).

Pour le responsable de l’India Office E. Montagu, la détente observée entre Ibn Saoud et Hussein n’était pas susceptible de durer et il espérait la mise en place prochaine de la commission de démarcation et d’arbitrage. Il suggérait que la demande soit faite de manière formelle et catégorique à Hussein et que dans l’éventualité d’une réponse favorable, la procédure d’installation de la commission soit initiée immédiatement (3). Shuckburgh remarqua, au sujet de la controverse entre l’India Office et le Foreign Office sur les responsabilités respectives d’Ibn Saoud et d’Hussein que ce dernier avait refusé la médiation portée par Philby en juin. L’India Office suggérait de profiter de la prochaine venue à Londres de Feisal Ibn Abd el Aziz pour rouvrir les discussions avec le Foreign Office (4).

L’India Office, peu avant l’arrivée de la délégation wahhabite à Londres, fit le point sur l’état des relations entre Ibn Saoud et le gouvernement britannique. Après avoir brièvement retracé l’histoire de l’émirat wahhabite au cours du XIXème et au début du XXème siècle, l’auteur de la note faisait remarquer qu’Ibn Saoud avait toujours entretenu des rapports amicaux avec les autorités britanniques. Il rappelait que ce dernier avait coopéré avec les forces du corps expéditionnaire en Mésopotamie autant qu’il lui était possible en organisant le blocus des territoires ennemis et en exerçant une pression sur Ibn Rashid, ce qui avait permis à Hussein de lancer ses opérations contre de chemin de fer du Hedjaz. Les relations entre Hussein et Ibn Saoud n’avaient jamais été cordiales mais Riad s’était engagé (et avait tenu parole) à ne rien faire qui puisse gêner le Chérif tant que ce dernier combattait auprès des forces britanniques (5).
Le document rappelait que l’hostilité entre les deux rivaux avait atteint son paroxysme en mai 1919 avec la déroute infligée aux forces chérifiennes qui avaient perdu de 4000 à 5000 hommes. Ibn Saoud avait regagné Riad après cette victoire et les hostilités n’avaient pas repris après cette date (6).

La note soulignait qu’à l’instigation du gouvernement, Ibn Saoud avait envoyé à Londres une délégation comprenant son fils Feisal âgé de 14 ans accompagné de son cousin Ahmed Ibn Thunaiyan et d’Abdallah al Qusaibi, chargé des Affaires financières et mandaté par Ibn Saoud pour négocier, si Londres le désirait, un accord permanent suite au traité de 1915 comprenant la délimitation des frontières du Nedjd (7).

La délégation arriva à Londres le 13 octobre 1919. Le 1er novembre 1919, un mémoire porté par Ahmed Ibn Thunaiyan et traduit par Philby fut lu lors d’une réunion mixte comprenant les représentants du Foreign et de l’India Office. Ce document résumait les éléments de défense développés par Riad ainsi que les accusations portées à l’encontre d’Hussein. Ibn Saoud rappelait qu’il avait demandé l’envoi d’une commission chargée d’arbitrer le différend frontalier entre le Hedjaz et le Nedjd et en appelait au gouvernement britannique en vertu de l’article 2 du traité de 1915 portant sur les agressions maritimes ou terrestres contre le territoire du Nedjd. Le texte exposait en outre les demandes d’Ibn Saoud concernant la garantie de son indépendance et la non-intervention dans ses affaires intérieures ainsi que ses arguments au sujet de ses droits sur les oasis de Khurma et de Turabah. Dans l’hypothèse où la commission d’arbitrage ne pourrait être installée, il considérait que les frontières revendiquées par Riad seraient défendues en cas d’agression. En troisième lieu, la note demandait la levée de l’embargo sur le pèlerinage des ressortissants du Nedjd et il s’engageait à ce qu’il n’y ait pas d’atteinte à l’ordre public. Le document abordait enfin la question du versement de l’aide financière et de sa pérennisation. En conclusion Ibn Saoud demandait l’envoi de Philby comme Agent politique à Riad autorisé à négocier une solution à la question de la démarcation de la frontière entre les deux Etats (8). Après en avoir délibéré, Montagu suggéra que cette note, avec l’accord de Curzon, fasse l’objet d’une discussion lors de la prochaine réunion du Comité interministériel pour les Affaires du Moyen-Orient, espérant qu’une réponse puisse être communiquée à la délégation avant son départ de Londres (9).

Le même jour, C. E. Wilson transmit à Young au Foreign Office un mémoire concernant la possibilité d’une abdication d’Hussein. Il soulignait que cette éventualité aurait un effet négatif sur les intérêts impériaux de la Grande-Bretagne. Il estimait que les Ikhwan chercheraient à envahir le Hedjaz et considérait qu’aussi longtemps que le Government of l’India Office soutiendrait de façon manifeste Ibn Saoud, l’image de la Grande-Bretagne en souffrirait dans l’opinion des Arabes. C. E. Wilson soulignait la nécessité de tout entreprendre pour prévenir l’abdication d’Hussein et demandait que le gouvernement britannique reconnaisse officiellement l’appartenance légitime de Khurma et de Turabah au Hedjaz. Il demandait en conséquence l’autorisation de transmettre un message en ce sens à Hussein. Ce dernier serait pour sa part invité à dépêcher un émissaire au Caire, de préférence Abdallah, pour y rencontrer un représentant d’Ibn Saoud. Les deux hommes seraient chargés de négocier le tracé de la frontière entre le Nedjd et le Hedjaz. Si ces suggestions étaient adoptées, C.E. Wilson indiquait qu’il serait prêt à se rendre au Hedjaz pour rendre compte auprès d’Hussein. En conclusion, C. E. Wilson insistait sur la nécessité de lui faire comprendre que la Grande-Bretagne ne l’abandonnait pas, éventuellement en l’invitant à se rendre à Londres (10).

Notes :
(1) File 756/1917 pt. 1-2, Arab Bulletins n° 66-114, IOR/L/PS/10/658, Arab Bulletins n°113, July 17th 1919, n° 114 Aug 3rd 1919.
(2) File 2182/1913/pt 10, Colonel Wilson to Major Young, received 26th Aug. 1919, Encl. n° 1 : Some Note on the Ownership of Khurma, 8th Aug 1919.
(3) India Office to Foreign Office, 15th Oct 1919.
(4) Minute, John E. Shuckburgh, 16 octobre 1919.
(5) Note on Central Arabia. Oct. 1919. IOR/L/PS/18/B334.
(6) Ibid., p.2.
(7) Ibid., p.2.
(8) India Office to Foreign Office, 14th Nov. 1919, Encl. in n°1, Note read at the India Office and Foreign Office Joint Conference on behalf of Bin Saud by Ahmad-bin-Thunaiyan, 1st Nov. 1919.
(9) India Office to Foreign Office, 14th Nov. 1919.
(10) Colonel C.E. Wilson to Major Young, Foreign Office, 18th Nov. 1919.

Publié le 28/05/2019


Yves Brillet est ancien élève de l’Ecole Normale Supérieure de Saint Cloud, agrégé d’Anglais et docteur en études anglophones. Sa thèse, sous la direction de Jean- François Gournay (Lille 3), a porté sur L’élaboration de la politique étrangère britannique au Proche et Moyen-Orient à la fin du XIX siècle et au début du XXème.
Il a obtenu la qualification aux fonctions de Maître de Conférence, CNU 11 section, a été membre du Jury du CAPES d’anglais (2004-2007). Il enseigne l’anglais dans les classes post-bac du Lycée Blaringhem à Béthune.


 


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