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La modernisation du Qatar : fondements et ambitions futures (2/2)

Par Justine Clément
Publié le 09/02/2022 • modifié le 09/02/2022 • Durée de lecture : 15 minutes

Picture dated 1950s shows general view of Qatar’s eastern al-Khor port city, famous for pearl fishing.

QATARI MINISTRY OF INFORMATION / AFP

Lire la partie 1

I. Quelles ambitions économiques et diplomatiques pour le « nouveau Qatar » ?

A. Les stratégies de diversification économique du gouvernement qatarien

Si l’exploitation des hydrocarbures propulse l’économie qatarienne, la famille régnante al-Thani, marquée par le contre-choc pétrolier des années 1980, engage rapidement une politique de diversification économique. En outre, même si le pays peut compter sur ses immenses réserves gazières, le développement du gaz non-conventionnel américain (gaz de schiste) au milieu des années 2000 et l’arrivée de nouveaux concurrents sur le marché, comme l’Australie, inquiètent les dirigeants. Le gouvernement se focalise d’abord sur le secteur de l’industrie. À partir de 1981, le terminal pétrolier d’Umm Saïd se voit complété par une immense plateforme pétrochimique, qui accueille l’usine d’engrais azotés Qatar Feritiliser Company (QAFCO) et l’aciérie Qatar Steel Company (QSC). En 2010, la production d’aluminium débute aussi à Umm Saïd, avec la création de la fonderie Qatalum par Qatar Petroleum et la compagnie norvégienne Norsk Hydro. En 2013, à Ras Laffan, la plus grande unité de purification et de liquéfaction d’hélium, dirigée par le groupe français Air Liquide et QatarGas s’implante. L’hélium produit est notamment destiné au développement de l’imagerie par résonance magnétique (IRM), à la construction des câbles en fibre optique ou encore à l’exploration spatiale.

À l’instar de ses voisins rentiers, le Qatar mise sur le développement de son secteur privé. En 1990, le gouvernement met en place la Qatar Industrial Manufacturing Company (QIMC) afin de développer les petites et moyennes entreprises industrielles. En 2005, le pays entreprend la conquête du secteur de la finance, en créant la Qatar Financial Authority et son Qatar Financial Centre, visant à promouvoir un environnement juridique, règlementaire, fiscal et commercial pour les entreprises nationales et internationales et ainsi, attirer des investisseurs étrangers. En 2008, le gouvernement publie la Qatar National Vision 2030 (QNV) et réaffirme sa volonté de diversification économique, notamment en s’appuyant sur des secteurs non-industriels. Le nouvel aéroport de Doha, construit en 2012, vise à propulser la compagnie nationale Qatar Airways, créée en 1993. Cette dernière innove aussi en matière aéronautique, en effectuant le premier vol avec un appareil propulsé par du kérosène à base de gaz naturel, entre Londres et Doha, en 2009. En 2021 et pour la sixième fois consécutive, elle est désignée meilleure compagnie du monde [1]. En constante évolution, le secteur des transports et le secteur touristique est particulièrement visé par le Qatar, qui accueillera en 2022, la Coupe du Monde de football.

Cette dynamique de diversification économique est largement soutenue par le fonds souverain du pays, la Qatar Investment Authority (QIA), créée en 2005. S’il reste moins important en termes de capacité financière que celui d’Abu Dhabi (Abu Dhabi Investment Authority), de l’Arabie saoudite (Public Investment Fund) et du Koweït (Kuwait Investment Authority), il est extrêmement dynamique. La QIA est divisée en trois secteurs stratégiques, aujourd’hui clés de la diversification économique qatarienne. Le premier, porté par la Qatar Holding (QH), se focalise sur les groupes industriels et commerciaux internationaux. QH détient notamment 17% des actions de Volkswagen [2], rachète le célèbre magasin londonien Harrods en 2010, et investit dans des groupes français comme Lagardère (13% des parts), LVMH ou Vivendi. En 2013, le Qatar comptait plus de six milliards d’euros d’actifs investis en France [3]. Le second secteur stratégique, mené par la Qatari Diar Real Estate Company, se concentre sur les acquisitions à l’étranger dans le domaine de la construction et de l’immobilier. Entre 2010 et 2016, elle devient propriétaire du groupe hôtelier FRHI, qui détient notamment le Royal Monceau à Paris et créée en 2010, une co-entreprise avec Vinci, la QDVP, spécialisée dans la conception et l’exploitation des stationnements sur voirie. Enfin, le fonds souverain et sa branche Qatar Sports Investment développent le secteur du sport, et rachètent notamment en 2011, le célèbre club de football Paris Saint-Germain (PSG).

Si la stratégie de diversification économique qatarienne est enclenchée, les revenus liés à l’exploitation des hydrocarbures représentent toujours, en 2019, 47% du PIB, 86% des exportations et 79% des recettes budgétaires [4]. Pourtant, elle a notamment permis au pays de se préserver des effets dévastateurs de l’embargo qui lui est imposé le 5 juin 2017 par l’Arabie saoudite, les Émirats arabes unis, le Bahreïn et l’Égypte. Le pays réussit à contenir son inflation, malgré le creusement de son déficit commercial [5]. Outre sa diversification économique, qui lui permet d’investir dans des secteurs clés de l’économie internationale, le pays mise aussi sur son soft-power pour gagner en influence.

B. Un soft-power hyper-actif et multidimensionnel, composant clé de la diplomatie qatarienne

Le Qatar est un acteur extrêmement important du soft-power, élément qui lui permet d’étendre son influence dans la région, mais aussi de se démarquer de ses voisins du Golfe, en adoptant une posture unique. La création de la chaîne de télévision Al-Jazeera en 1996 est un acte fondateur de sa « diplomatie de l’engagement », puisqu’elle opère une réelle rupture dans une région dominée par le contrôle des médias [6]. En donnant la parole aux peuples arabes tout comme aux dirigeants du Moyen-Orient (y compris israéliens), les émissions al-Itijah al-Mouakis (« À contre-sens »), Akthar min Ra’y (« Plus d’une opinion ») ou encore a-Ra’y wa Ra’y al-Akhar (« Opinion contre opinion ») [7] surprennent de par leur liberté et attirent la colère des régimes arabes, qui les accusent d’interférence dans leurs affaires internes. L’Arabie saoudite, le Koweït, la Syrie ou encore la Jordanie ont interdit la diffusion de la chaîne ainsi que la présence de correspondants sur leur sol.

Al-Jazeera se révèle à la fin des années 1990, notamment lors de l’opération militaire « Renard du désert » menée par l’armée américaine en Irak. Elle diffuse ses propres images des bombardements américains, et critique la minimisation de l’intervention par les autres pays arabes [8]. Son audience s’étend à l’international au lendemain des attentats du 11 septembre 2001, lorsqu’elle diffuse un enregistrement d’Oussama Ben Laden. La chaîne est la seule à disposer d’un correspondant en Afghanistan, le journaliste Tayssir Allouni, et diffuse régulièrement les images des dégâts collatéraux dont est victime la population afghane lors de l’intervention américaine à Kaboul [9]. Ses locaux sont bombardés à deux reprises par les États-Unis – en 2001 en Afghanistan et en 2003 en Irak – qui l’accusent d’être pro-talibans. Dans les années 2010, Al-Jazeera continue son ascension, en révélant les « Documents Palestine », documents secrets retraçant les négociations entre Israël et la Palestine et mettant en lumière les motivations et dommages des bombardements israéliens sur Gaza en 2008-2009. Lors des Printemps arabes de 2011, Al-Jazeera devient une référence, en donnant la parole à l’opposition notamment en Égypte et en Tunisie. Elle joue de même un rôle central dans la médiatisation de la guerre civile syrienne à partir de 2011, en diffusant quotidiennement des vidéos d’activistes et d’opposants syriens, notamment à Homs ou lors de la bataille d’Alep en 2012. Afin d’étendre son influence, la chaîne lance son canal anglophone en 2006, puis ses chaînes serbo-croate, turque et swahilie en 2011. En 2013, elle inaugure sa chaîne américaine, Al-Jazeera US et en 2017, AJ+, chaîne française présente sur les réseaux sociaux, est aussi investie.

Dans le domaine de l’art, le pays souhaite devenir un pôle artistique régional. Tout en conservant les traditions bédouines, le pays devient un réel « épicentre mondial de l’art contemporain » [10]. En 2005, la Qatar Museum Authority (QM), dirigée par la cheikha al Mayassa, est créée et est chargée de la gestion de la stratégie culturelle internationale et nationale du pays. En 2008, cheikh Hamad Ben Khalifa al-Thani inaugure le Musée d’arts Islamiques (MIA) à Doha – pensé par l’architecte américain Ieoh Ming Pei – et le Musée d’arts moderne Mathaf en 2010, dans le quartier d’Education City. Le pays ouvre à partir de 2010 le village culturel de Katara, qui met en lumière le patrimoine culturel qatari. En 2019, le Musée national du Qatar accueille son nouveau bâtiment – imaginé par Jean Nouvel et inspiré de la rose des sables. Le pays entre aussi, en 2011, dans le comité du patrimoine mondial de l’UNESCO et le premier site qatari – celui d’al-Zubarah – est inscrit au patrimoine mondial de l’UNESCO en 2013. La cheikha al-Mayassa est l’une des mécènes les plus influentes dans le monde de la culture et de l’art et fait de son pays, en 2015, le plus gros acheteur d’œuvres d’art du monde.

La troisième caractéristique du soft-power qatarien s’illustre dans le sport et est accélérée lors de l’arrivée du nouvel émir en 1995 [11]. La « diplomatie par le sport », aujourd’hui attribuée au Qatar, n’est pourtant pas nouvelle dans la péninsule Arabique. Le Koweït est le premier pays de la région à investir ce domaine, dans les années 1970, et est le premier pays arabe, en 1982, à se qualifier pour la Coupe du monde de la FIFA. Il crée aussi, en 1981, l’Olympic Council of Asia, qui groupe tous les comités olympiques asiatiques. Plus tard, l’Arabie saoudite organise en 1992, 1995 et 1997, la Coupe des confédérations de la FIFA et Bahreïn et Abu Dhabi sont depuis 2004, des pays organisateurs du Grand prix de Formule 1 [12]. Bien que le Qatar suive le chemin de ses voisins, il se distingue pourtant par ses projets d’ambition internationale. En 2005, il créé l’académie Aspire, un pôle de formation d’excellence de football et rachète en 2009 le portefeuille des droits FIFA détenu par la chaîne saoudienne ART [13]. En 2015, le Qatar accueille la Coupe du Monde de handball, et organisera, en 2022, le Mondial de football. Le pays détient aussi BeIn Media Group – anciennement rattaché à Al-Jazeera Sports –, est partenaire du Tour de France et devient sponsor, en 2008, du Prix de l’Arc de Triomphe, la plus grande course de chevaux au monde. Par ce biais, le Qatar utilise le langage universel du sport pour gagner en influence, et souhaite contrebalancer avec l’image de l’instabilité de la région.

À l’international, le Qatar souhaite avoir un rôle de médiateur important, en devenant un hub régional de la négociation et en exploitant la stratégie du « marketing mondial du positionnement » [14]. Cette politique est révélatrice de ses choix diplomatiques vis-à-vis des autres pays de la région, mais aussi plus globalement, de son positionnement sur la scène internationale.

C. Une politique étrangère « paradoxale » : entre médiation et engagements

La politique étrangère qatarienne est souvent qualifiée comme « exacerbée », notamment parce que la théorie réaliste des relations internationales – qui domine le champ au XXème siècle – questionne souvent l’existence singulière des « petits Etats » et leur rôle dans l’élaboration et la transformation des dynamiques internationales. Le Qatar fait pourtant face à plusieurs facteurs contraignants, qui expliquent la nécessité de s’imposer sur la scène internationale : les limites de son économie rentière le poussent à développer des partenariats solides avec d’autres acteurs internationaux ; le pays est entouré de deux géants ennemis, l’Iran et l’Arabie saoudite ; et il est confronté à l’instabilité de la région, y compris dans son environnement proche.

La politique étrangère qatarienne s’est construite selon l’évolution de plusieurs dynamiques. Après l’indépendance du pays en 1971, l’Émir al-Thani – qui cherche à se détacher des puissances occidentales – se rapproche de son voisin saoudien, afin de bénéficier de son parapluie militaire. Cependant, l’invasion du Koweït par l’Irak en 1990, suivie de l’intervention de la coalition internationale menée par les États-Unis est révélatrice de l’incapacité de protection des pays du Conseil de Coopération du Golfe, ainsi que du danger que peut représenter un pays arabe qualifié de « frère » (ici, l’Irak). Le rapprochement entre la puissance américaine et le Qatar s’accélère d’abord lors de l’intervention de la coalition internationale, lorsque le Qatar autorise les forces américaines à opérer depuis son territoire pour contrer les velléités irakiennes. Après la libération du Koweït, les deux pays signent en 1992 et 1996 deux traités bilatéraux de défense et le Qatar accueille depuis 1996 la plus grande base militaire américaine au Moyen-Orient – la base d’Al Udeid – où près de 9 000 militaires américains sont présents. Cette base a notamment été stratégique pour les États-Unis après les attentats du 11 septembre 2001, en devenant un centre de coordination des interventions militaires en Afghanistan (2001-2021), en Irak (2003-2011 et depuis 2014) et en Syrie (depuis 2014).

La politique étrangère du Qatar, multidimensionnelle, peut être décrite comme la volonté du pays d’« être ami avec tout le monde » [15]. S’il entretient des relations profondes avec les États-Unis, le pays partage aussi de grands intérêts avec l’Iran, pourtant marginalisé par les successifs gouvernements américains et par ses voisins du Golfe. Il partage avec lui le gigantesque gisement gazier de North Dome, et accueille une minorité chiite, qui entretient de bonnes relations avec la dynastie régnante [16]. Les chiites al-Fardan font notamment partie des familles les plus riches du pays, grâce à la création de leur immense empire de perles, de voiture de luxe, de biens immobiliers et de concessions commerciales [17]. Cette proximité avec l’Iran a notamment été l’une des causes du blocus mené par l’Arabie saoudite, le Bahreïn, les Émirats arabes unis et l’Égypte, du 5 juin 2017 au 5 janvier 2021. Les quatre pays annoncent la rupture de leurs relations diplomatiques, en accusant le Qatar de trop grande proximité avec l’Iran (notamment via le financement de milices pro-iraniennes pour libérer des otages qataris détenus par le Kateeb Hezbollah) et de financement de mouvements liés aux Frères musulmans, notamment lors des révolutions arabes de 2011. En outre, l’Arabie saoudite, les Émirats arabes unis, l’Égypte et le Bahreïn accusent Al-Jazeera d’interférence dans leurs affaires internes, et dénoncent la présence militaire turque permanente au Qatar, installée depuis 2015. La monarchie des al-Thani quitte finalement l’OPEP en 2019, en réponse à la crise diplomatique qui l’oppose à ses voisins, mais aussi parce que selon Saad al-Kaabi, ministre de l’Energie qatari, le Qatar souhaite « concentrer ses efforts » [18] dans l’industrie gazière.

Le Qatar se démarque aussi avec un rôle actif de médiation. Le pays finance et soutient les mouvements palestiniens, mais souhaite jouer un rôle dans la résolution du conflit israélo-palestinien. En 2012, le Fatah de Mahmoud Abbas et le Hamas de Khaled Mechaal signent à Doha un accord en vue de la création d’un gouvernement d’union. En 2008, les représentants des différentes factions libanaises, qui s’opposent lors d’un conflit en 2008, signent l’« Accord de Doha », et s’engagent à mettre fin à la crise politique libanaise. En 2013 est aussi signé à Doha un accord de cessez-le-feu entre le gouvernement soudanais et une faction du principal groupe rebelle du Darfour, le Mouvement pour la Justice et l’Égalité (JEM), en vue de la résolution de la crise du Darfour. Au niveau international, le Qatar est membre du conseil de sécurité de l’ONU entre 2006 et 2008 et accueille en 2012 la 18ème conférence des Nations unies sur le réchauffement climatique. Enfin, en 2013, le pays organise le congrès de l’Union postale universelle (UPU), agence spécialisée du système des Nations unies.

La politique étrangère qatarienne rompt aussi parfois avec les lignes politiques des gouvernements de la région. Le pays joue un rôle important lors des révolutions arabes de 2011 ainsi que lors de la guerre civile syrienne qui en découle. Affichant son soutien au peuple, puis au gouvernement d’obédience frériste de Mohamed Morsi, le Qatar investit près de 543,8 millions de dollars en Égypte et y développe près de 4 000 nouveaux emplois [19]. En août 2012, il annonce vouloir investir 2 milliards de dollars supplémentaires dans la Banque Centrale égyptienne, afin d’aider à la stabilisation de l’économie [20]. La chaîne qatarie Al-Jazeera offre de même, une couverture médiatique importante, en donnant la parole aux mouvements populaires dans les différents pays. Après la répression des contestations populaires par Bachar al-Assad en 2011, le Qatar prend la tête des pays qui réclament le départ du Président syrien et accueille la création de la Coalition nationale des forces de l’opposition et de la révolution syrienne (CNFOR), le 11 novembre 2012, à Doha.

Le pays choisit finalement de s’affirmer sur la scène régionale et internationale, par le biais de son hard et soft-power – rompant parfois avec le rôle de médiation qui le caractérise également. De ce fait, la diplomatie qatarienne est souvent qualifiée de « paradoxale », tant les acteurs multiples et parfois opposés sont au cœur de sa politique étrangère.

Conclusion : quel avenir pour le Qatar au travers de la Qatar National Vision 2030 ?

En 2008 et à l’instar de ses voisins du Golfe, le gouvernement qatari publie la Qatar National Vision 2030 (QNV), feuille de route qui dessine les grandes lignes et fixe les objectifs du pays en matière de développement humain, social, économique et environnemental, d’ici 2030. Organisée autour de ces quatre piliers, le gouvernement souhaite d’abord améliorer la qualité de vie de sa population, par la création de nouvelles formations et universités, ainsi que par le développement d’un système médical plus compétent et axé sur la recherche. La « qatarisation » du marché du travail, et plus particulièrement du secteur privé, est aussi affichée comme une priorité. Côté développement social, le pays mise sur l’augmentation de la participation des femmes à la vie sociale et économique, tout en rappelant l’importance de la préservation d’une structure familiale solide. Il souhaite aussi garantir une participation plus active des citoyens à la vie sociale et politique, en développant de nouvelles institutions basées sur le dialogue. Le développement du secteur privé est quant à lui central car décisif pour la diversification économique du pays. Le Qatar entend s’appuyer sur les revenus des hydrocarbures pour développer ce secteur, encourager l’entreprenariat et garantir la compétitivité des entreprises. Il mise aussi sur une coopération régionale accrue, avec la mise en place de nouveaux partenariats économiques durables. Enfin, le gouvernement s’engage à améliorer son impact écologique, en sensibilisant sa population sur les enjeux futurs et en se disant prêt, à toute coopération régionale ou internationale pour préserver l’environnement.

Parmi ces quatre piliers de la QNV 2030, le gouvernement définit cinq objectifs à respecter pour la préservation de l’unité sociale et politique du pays. Le premier est celui de la modernisation par la protection des traditions, notamment bédouines. Le second est celui du principe de la justice intergénérationnelle, pour inscrire plus de durabilité dans une économie florissante mais passagère (rente). Pour le troisième, le gouvernement appelle à la bonne gestion de la croissance et entend lutter contre l’expansion incontrôlable, en ne cédant qu’à des projets viables. Quatrièmement, le pays souhaite contrôler la taille et la qualité de sa population expatriée, à la fois pour être sûr de répondre à ses besoins sociaux, urbanistiques ou culturels, mais aussi pour préserver l’identité nationale – finalement portée par une population extrêmement minoritaire. Enfin, le pays insiste de nouveau sur la nécessité d’une croissance durable, en admettant que son impact écologique le pousse à détenir un rôle clé dans l’appui à la coopération régionale.

Si la Qatar National Vision 2030 est lancée en 2008, il n’existe finalement que très peu de points d’étapes et d’objectifs chiffrés publics. L’embargo imposé au Qatar pendant quatre ans, ainsi que la pandémie de Covid-19, qui paralyse l’économie mondiale, ont aussi pu ralentir les ambitions fixées par la feuille de route. La qatarisation du marché (et notamment privé), priorité du pilier « développement humain » de la QNV 2030 semble être difficile à mettre en place. Si les données publiques sont peu visibles – traduisant d’un malaise sociétal – on estime qu’en 2021, près de 95% des Qataris qui travaillent sont employés dans l’administration publique [21]. L’augmentation de la participation des femmes dans la vie sociale, économique et politique a constitué un élément important des politiques gouvernementales, notamment du fait de la pression de la communauté internationale. L’Émir adhère en 2009 à la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes et annonce, en 2017 la nomination de quatre femmes au Conseil de la Choura (parlement monocaméral). Pourtant, en 2020, Amnesty International dénonce le fait que les femmes de moins de 25 ans ont toujours besoin de la permission de leur tuteur masculin pour certaines activités de la vie quotidienne, comme signer un contrat ou sortir du pays. Au niveau du développement social, la Fondation du Qatar pour l’action sociale est créée en 2013 et supervise les centres spécialisés dans l’action sociale. Le pays abolit en 2020 la kafala, un système de « tutelle » qui permet aux entrepreneurs locaux d’engager des travailleurs étrangers via un sponsorship pour une durée déterminée et selon leurs besoins. Les ONG estiment pourtant, que cette disposition législative est insuffisante [22] et dénoncent notamment les traitements des travailleurs migrants sur les chantiers de la Coupe du Monde de Football 2022. Sur le plan politique, le gouvernement crée en 2011 l’Autorité de contrôle administratif et de transparence, pour l’intégrité de la fonction publique et la lutte contre la corruption sous toutes ses formes. Économiquement, et malgré un effort de diversification économique, le pays reste toujours extrêmement dépendant des hydrocarbures, qui représentent toujours, en 2019, plus de 50% du PIB [23]. L’embargo du 5 juin 2017 a poussé le Qatar à développer des relations économiques avec de nouveaux partenaires, comme la Turquie, l’Iran ou l’Inde [24]. Les entreprises privées peuvent désormais être détenues à 100% par des investisseurs étrangers, facilitant donc les créations d’entreprises sur le sol qatari. Enfin, pour le développement durable, le pays reste en tête des plus gros émetteurs de CO2 par habitant, avec près de 50 tonnes par an et par habitant [25]. À titre de comparaison, le Koweït, second plus gros émetteur de CO2 par habitant, affiche une moyenne de 25 tonnes par habitant et par an, soit moitié moins que son voisin qatari [26]. En amont de la Coupe du Monde de football – largement dénoncée par les organisations écologiques – le pays développe les transports publics (par exemple, le tramway de Lusail), quasi inexistants, afin de limiter l’usage de la voiture. Le stade de Ras Abu Aboud, qui accueillera des matchs en 2022, est par exemple, presque entièrement construit à base de conteneurs [27]. L’évolution des ambitions de la Qatar National Vision 2030 sera donc à observer dans les prochaines années.

Publié le 09/02/2022


Justine Clément est étudiante en Master « Sécurité Internationale », spécialités « Moyen-Orient » et « Renseignement » à la Paris School of International Affairs (PSIA) de Sciences Po Paris. Elle a effectué un stage de 5 mois au Centre Français de Recherche de la Péninsule Arabique (CEFREPA) à Abu Dhabi en 2021, où elle a pu s’initier au dialecte du Golfe. Elle étudie également l’arabe littéraire et le syro-libanais.
En 2022 et 2023, Justine Clément repart pour un an au Moyen-Orient, d’abord en Jordanie puis de nouveau, aux Émirats arabes unis, pour réaliser deux expériences professionnelles dans le domaine de la défense.


 


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