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Par Anne-Lucie Chaigne-Oudin
Publié le 09/03/2010 • modifié le 02/03/2018 • Durée de lecture : 9 minutes

Photos de Hassan Nasrallah

AFP

Le Hezbollah pendant la guerre civile libanaise

Le Liban, pays composé de 17 communautés et dont le système politique est confessionnel (président de la République maronite, Premier ministre sunnite, président de la Chambre chiite), est en guerre depuis le 13 avril 1975. Dans ce contexte politique interne, et dans celui des guerres israélo-arabes qui se soldent par les défaites arabes et de l’opération israélienne Paix en Galilée, le Hezbollah s’impose dans la population chiite, la plus nombreuse sur le plan démographique, mais qui estime être marginalisée sur le plan politique et dont le souvenir de l’oppression et des persécutions est vif sur le plan historique. En outre, le Sud Liban, peuplé en majorité de chiites, a un faible niveau de développement économique. A ce terreau social s’ajoute la Révolution iranienne de février 1979, qui touche les populations chiites et notamment celles du Liban, dans leur résistance menée contre Israël. En effet, les liens sont anciens entre chiites libanais et iraniens sur le plan historique. Ils remontent au XVIème siècle, lorsque l’Iran se convertit au chiisme et fait appel à un théologien libanais vivant au Sud-Liban. Dès lors, les liens se poursuivent, notamment à la suite de la Révolution iranienne, conduisant à la création du Hezbollah libanais. Celui-ci reprend les thèmes développés par l’ayatollah Khomeyni : les déshérités et les oppresseurs, la Palestine, la lutte contre l’impérialisme, en particulier contre les Etats-Unis, en raison de leur soutien à Israël. Muhammad Husayn Fadlallah est considéré comme l’idéologue du Hezbollah lors de sa création et comme son guide spirituel aujourd’hui.

De 1982 à 1985, à la suite de l’opération Paix en Galilée (lancée le 6 juin 1982) qui en est le facteur déclenchant, l’organisation se met en place. Elle se compose de plusieurs groupes islamiques, dont des membres d’Amal (mouvement chiite libanais fondé en 1975 par l’imam Moussa Sadr), mais elle n’a pas de commandement unifié et tous les membres ne se connaissent pas entre eux. Au départ, l’objectif retenu par les membres est la résistance à Israël et non la mise en place d’un projet politique. La population du Sud-Liban soutient cette résistance, qui doit permettre de libérer la terre palestinienne.

Dans le contexte de la guerre civile libanaise, le Hezbollah se fait connaître à partir de 1984 par sa participation à la prise de Beyrouth-Ouest et de la banlieue sud le 6 février. Cela lui permet d’installer son quartier général dans la banlieue sud ainsi que ses activités caritatives. A partir de janvier 1985, devant les actes de guérilla menés contre Israël par les mouvements de résistance, l’armée israélienne décide de quitter le Sud Liban, hormis une bande de 20 km de profondeur située en Territoire libanais, confiée à l’armée israélienne et à la milice libanaise (Armée du Liban Sud, ALS) dirigée par le général libanais Antoine Lahad. Le retrait s’effectue jusqu’en juin 1985. A partir de ce moment, le Hezbollah, qui veut poursuivre la guerre contre Israël se heurte au mouvement Amal, qui souhaite la fin des combats avec l’Etat hébreu. Des affrontements sanglants se déroulent alors entre Amal et le Hezbollah dans la banlieue de Beyrouth et dans le Sud Liban, et ce climat de violence est renforcé par la prise d’otages occidentaux.

En août 1988, la fin de la guerre entre l’Irak et l’Iran fait évoluer la situation au Liban. L’Iran se recentre à partir de ce moment sur sa politique intérieure et se préoccupe moins de porter la révolution islamique en dehors de ses frontières. Cette évolution incite le Hezbollah à se recentrer également sur la politique libanaise, dans le contexte des accords de Taëf d’octobre 1989 : même si le mouvement est critique envers les dispositions de l’accord, le Hezbollah entend participer à la reconstruction nationale par sa participation aux institutions libanaises. Dans le même temps, le Hezbollah, seul mouvement à ne pas être désarmé à la suite des accords de Taëf, poursuit sa résistance contre Israël, dont l’armée est toujours présente dans la zone de sécurité, ainsi que l’ALS. La guérilla menée par le Hezbollah donne lieu aux représailles israéliennes sur le Sud Liban.

Le Hezbollah depuis 1990

Hassan Nasrallah est secrétaire général du Hezbollah depuis 1992. Il est régulièrement réélu à la tête du Hezbollah lors des Congrès généraux, notamment lors des dernières élections qui se sont déroulées le 19 novembre 2009. Sur le plan de la politique libanaise, le Hezbollah présente des candidats aux élections législatives d’août 1992. La poursuite de la résistance contre Israël, la fin du communautarisme, la liberté de presse, la mise en place d’une politique sociale ainsi que le développement économique homogène de toutes les régions du Liban sont les points de son programme. Onze membres du Hezbollah deviennent députés et entrent au Parlement à la suite des élections. Avec Israël, le cycle de la violence se poursuit et deux opérations sont lancées par Israël en riposte aux attaques du Hezbollah sur l’Etat hébreu : le 25 juillet 1993, l’opération « règlement de comptes » est lancée par Israël en riposte aux bombardements du Hezbollah sur la Galilée et en avril 1996 Israël lance l’opération « raisins de la colère » au Sud Liban. L’aviation israélienne bombarde le Sud Liban ainsi que Beyrouth et les banlieues sud et est. Les Etats-Unis, l’ONU et la France interviennent afin de mettre en place un cessez-le-feu. Le 18 avril, Israël bombarde un camp de la FINUL à Cana, dans lequel se sont refugiés des civils libanais. Un cessez-le-feu est mis en place le 26 avril, qui reconnaît au Hezbollah le droit de combattre Israël en dehors des zones habitées et à Israël de rester dans la zone de sécurité. Mais Israël s’enlise dans cette guérilla contre le Hezbollah, et quitte le Sud Liban le 24 mai 2000 à l’exception des fermes de Chebaa, territoire libanais occupé par Israël depuis la guerre de 1967. La région passe alors sous le contrôle du Hezbollah.

A la suite des attentats du 11 septembre 2001, le département d’Etat américain place le Hezbollah sur la liste des organisations terroristes. Le Hezbollah est à nouveau au cœur des décisions internationales lorsque l’ONU vote le 2 septembre 2004 la résolution 1559 sur la présence syrienne au Liban qui demande, entre autre, le désarmement des milices dont le Hezbollah. A la suite de l’assassinat du Premier ministre Rafic Hariri le 14 février 2005 et du retrait de l’armée syrienne du Liban, le Hezbollah organise le 8 mars 2005 une manifestation à Beyrouth, à laquelle participent 800 000 personnes, afin de remercier la Syrie pour son intervention depuis 1976 et l’aide apportée au Liban face à Israël. Sur le plan politique, le Hezbollah participe aux élections législatives de juin 2005 et remporte le Sud Liban, aux côtés de Amal, et pour la première fois, deux membres du Hezbollah entrent au gouvernement.

Les difficultés entre le Hezbollah et Israël reprennent à l’été 2006. Le 12 juillet, à la suite de l’emprisonnement par le Hezbollah de deux soldats israéliens se trouvant à la frontière israélo-libanaise, Israël riposte : la guerre Israël-Hezbollah commence. Le conseil de sécurité de l’ONU vote la résolution 1701 le 12 août 2006, qui met fin au conflit et décide l’envoi de la FINUL II au Sud Liban, à côté de l’armée libanaise. Cette guerre cristallise les oppositions politiques, avec d’un côté le Hezbollah chiite, Amal et le général Aoun (qui s’est rapproché du Hezbollah à son retour au Liban en 2005) et de l’autre côté le gouvernement de Fouad Siniora et ses soutiens sunnites, druzes et maronites. A la suite de l’élection du président Michel Sleimane le 25 juin 2008, le Hezbollah participe au gouvernement avec la nomination de onze ministres. A la suite des élections législatives du 7 juin 2009 qui portent au pouvoir l’alliance du 14 mars (Courant du futur de Saad Hariri, Socialistes progressistes de Walid Joumblatt, Forces libanaises de Samir Geagea, parti phalangiste d’Amine Gemayel) avec 71 sièges sur 128, le Premier ministre Saad Hariri peine à former un gouvernement. Un gouvernement d’union nationale est cependant constitué le 10 novembre 2009, auquel participent deux ministres du Hezbollah.

L’action sociale et médiatique du Hezbollah

Le réseau social et humanitaire mis en place par le Hezbollah est dense et tourné vers l’aide aux « déshérités », aux « faibles » et aux familles des martyrs. Son but est d’aider à la résistance contre Israël. L’association al-Chahîd, qui signifie le martyr, est créée en 1982 à l’initiative de l’Iran et vient en aide aux familles des martyrs, par un soutien financier, des structures scolaires pour les enfants, des dispensaires (banlieue sud de Beyrouth et dans le Sud Liban) et deux hôpitaux. Une autre association, Jihâd al-binâ, est créée en 1985, également à l’initiative iranienne et prend en charge la reconstruction des maisons touchées lors des bombardements israéliens. A cette activité de reconstruction s’ajoute la construction d’écoles et de centres de santé, la distribution d’eau potable dans la banlieue sud de Beyrouth, dans la Bekaa et dans le Sud Liban ainsi que la construction de centrales électriques. Une aide est également donnée aux agriculteurs. Une autre association créée en 1987, al-Imdâd, aide les déshérités. Sur le plan scolaire, deux types d’écoles sont créées par le Hezbollah : les douze écoles al-Mahdi, quasi gratuites, prodiguent un enseignement général multilingue et un enseignement religieux ; des écoles religieuses donnent des cours de théologie. Le financement de ces associations provient de l’Iran, de la zakât (c’est-à-dire de l’aumône religieuse), des dons des chiites libanais habitant à l’étranger et des chiites d’autres Etats.

Sur le plan médiatique, le Hezbollah crée en juin 1991 une chaîne de télévision appelée al-Manâr, signifiant Le Phare. Cette télévision, largement diffusée à partir de 2000 par le réseau satellite, a pour ligne éditoriale la lutte contre l’occupation israélienne, tant par le passé au Liban qu’en Palestine à l’heure actuelle. En ce sens, la chaîne diffuse en direct des images de la résistance en Palestine et au Liban. La chaîne s’ouvre également progressivement à d’autres sujets, comme celui du sport, de la politique libanaise et diffuse des émissions sur la vie quotidienne, familiale et culturelle. En France, suite à la diffusion fin 2003 d’un feuilleton considéré comme « antisémite », le Conseil supérieur de l’Audiovisuel français interdit la diffusion d’al-Manâr en France en décembre 2004. Cette décision est également suivie aux Etats-Unis où la chaîne est considérée comme une organisation terroriste, aux Pays-Bas en mars 2005 et en Espagne en juillet de la même année. Dans le domaine des médias, une radio, radio al-Nûr lancée en mai 1988 et un journal hebdomadaire, al-‘Ahd, fondé en juin 1994, complètent la diffusion médiatique du Hezbollah.

Les liens avec l’Iran et avec la Syrie

La Révolution islamique d’Iran (où le chiisme est la religion d’Etat et la population est en majorité chiite) du 11 février 1979, on l’a dit, galvanise la communauté chiite de la région et plus particulièrement celle du Liban. Sur le plan militaire, à la suite de l’opération Paix en Galilée lancée le 6 juin 1982, l’Iran envoie dans la plaine de la Bekaa des combattants iraniens afin de former les résistants à Israël. Il met également en place un réseau d’aide scolaire, humanitaire et financière, et entend propager les idées de la révolution au Liban. La fin de la guerre Iran-Irak en août 1988 et le recentrage de l’Iran sur sa politique intérieure incitent le Hezbollah à faire de même, mais les liens se poursuivent néanmoins. L’Iran désigne notamment Hassan Nasrallah comme responsable du Hezbollah libanais. Sous la présidence de Mohammed Khatami (1997-2005), les relations avec le Hezbollah se poursuivent, mais le président Khatami en ouvre d’autres avec toutes les communautés libanaises, et en particulier avec le Premier ministre Rafic Hariri. L’élection en 2005 du président Mahmoud Ahmadinejad rétablit les liens avec le Hezbollah. A la suite de la guerre de juillet 2006 avec Israël, l’Iran participe à la reconstruction des régions touchées et met en avant la solidarité sur les questions de la résistance à Israël et à l’hégémonie étrangère.

Entre la Syrie et le Hezbollah, les liens sont moins clairement établis et oscillent de la guerre civile à aujourd’hui. Pendant la guerre civile libanaise, la Syrie fait preuve de bienveillance à la suite de l’opération Paix en Galilée mais la tension s’installe à la suite de l’opération syrienne contre le quartier général du Hezbollah à Beyrouth le 27 février 1987. Pendant la guerre civile et jusqu’en 1990, la Syrie apporte son soutien au mouvement chiite Amal. En octobre 1989, les accords de Taëf placent le Liban sous la tutelle syrienne et décident de ne pas désarmer le Hezbollah. Celui-ci est ainsi contraint d’obéir à la Syrie. En revanche, l’échec des négociations de paix entre la Syrie et Israël sur le Golan change la donne pour le Hezbollah, qui devient un atout pour la Syrie à l’encontre d’Israël, par la lutte que le mouvement mène contre Israël. Ces relations sont également renforcées en 2000, à la suite du retrait de l’armée israélienne de la zone de sécurité du Sud Liban, le Hezbollah étant considéré comme l’acteur majeur de ce départ par ses actes de résistance. Les relations se compliquent à nouveau à la suite de la résolution 1559 de l’ONU votée le 2 septembre 2004 demandant, entre autre, le désarmement du Hezbollah. Cela ne l’empêche pas de montrer son soutien à la Syrie, lors du départ des troupes syriennes du Liban, au cours d’une manifestation qu’il organise le 8 mars 2005.

Bibliographie
 Walid CHARARA et Frédéric DOMONT, Le Hezbollah, un mouvement islamo-nationaliste, Fayard, Paris, 2006, 321 pages.
 Catherine LE THOMAS, « Le Hezbollah et la communauté chiite au Liban : une adéquation imparfaite », Moyen-Orient, numéro 2, octobre-novembre 2009, pages 28-32.
 Sabrina MERVIN (sous la direction de), Le Hezbollah, état des lieux, Sindbad, Paris, 2008, 363 pages.
 Hervé PIERRE, Le Hezbollah, un acteur incontournable de la scène internationale ? L’Harmattan, Paris, 2009, 193 pages.

Publié le 09/03/2010


Anne-Lucie Chaigne-Oudin est la fondatrice et la directrice de la revue en ligne Les clés du Moyen-Orient, mise en ligne en juin 2010.
Y collaborent des experts du Moyen-Orient, selon la ligne éditoriale du site : analyser les événements du Moyen-Orient en les replaçant dans leur contexte historique.
Anne-Lucie Chaigne-Oudin, Docteur en histoire de l’université Paris-IV Sorbonne, a soutenu sa thèse sous la direction du professeur Dominique Chevallier.
Elle a publié en 2006 "La France et les rivalités occidentales au Levant, Syrie Liban, 1918-1939" et en 2009 "La France dans les jeux d’influences en Syrie et au Liban, 1940-1946" aux éditions L’Harmattan. Elle est également l’auteur de nombreux articles d’histoire et d’actualité, publiés sur le Site.


 


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