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Entretien avec Elias et Yousef Anastas – La préservation du patrimoine culturel palestinien

Par Elias et Yousef Anastas, Ilham Younes
Publié le 13/08/2014 • modifié le 03/05/2020 • Durée de lecture : 6 minutes

Church of Nativity

AFP PHOTO/MUSA AL SHAER

Ils reviennent pour Les clés du Moyen-Orient sur le patrimoine architectural palestinien et sur sa préservation.

Les territoires palestiniens regorgent de sites archéologiques et architecturaux, comment est préservé ce patrimoine et par qui ?

Le mécanisme de protection est régi principalement par le ministère du Tourisme et des Antiquités, par des organisations non gouvernementales, par le secteur privé et par des institutions internationales.

Nous aimons à croire que les sites patrimoniaux palestiniens n’ont de sens que dans le cadre historico-urbain dans lequel ils sont inscrits. C’est une vision qui nous permet de déplacer la problématique vers la préservation des modèles urbains palestiniens, c’est une démarche dont l’objectif est de penser l’intérêt du patrimoine comme une source culturelle inclusive et non exclusive. Trop souvent, le patrimoine devient un fardeau, un obstacle au développement urbain de la ville, surtout dans le contexte palestinien où l’expansion urbaine, entres autres dans le cadre du conflit, ne demande qu’a conquérir du terrain. En essayant de penser le patrimoine comme partie intégrante d’un modèle urbain historique palestinien, il s’agit de transcender le symbole exclusif, non contextuel d’un site archéologique ou architectural. Les sites archéologiques et architecturaux deviennent des sources directement impliquées dans le développement optimiste et engagé de la ville palestinienne.

Existe-t-il un cadre législatif précis pour la préservation du patrimoine culturel palestinien ?

Il n’existe pas un véritable cadre législatif pour la préservation du patrimoine. Les différents régimes qui ont gouverné le pays depuis la fin du 19eme siècle ont appliqué différentes lois.

Le mandat britannique, la Jordanie, l’Égypte et l’occupation israélienne ont tous mis en place un certain nombre de lois et législations, dont certaines sont en vigueur aujourd’hui en Cisjordanie et Gaza. Le Conseil législatif palestinien crée en 1996 a lui aussi émis plusieurs lois applicables dans les Territoires palestiniens. Cependant, les différents degrés de souveraineté de l’Autorité palestinienne dans les territoires et Gaza ( zone A, B et C), la mise en place continuelle d’ordres militaires israélien dans la zone C, l’occupation israélienne et l’application de la loi israélienne à Jérusalem Est, mettent en péril l’application de ces législations.

L’actuelle législation pour la préservation du patrimoine culturel palestinien est la loi des antiquités du mandat britannique de 1929 pour Gaza, la loi Jordanienne des antiquités de 1966 pour la Cisjordanie et la loi israélienne de 1978 pour Jérusalem Est. Les lois des antiquités de 1966 et 1929 protègent les sites qui datent d’avant 1700, ce qui laisse une grande partie du tissu urbain des centres historiques non protégés.

La préservation du patrimoine palestinien est malheureusement intrinsèquement liée à la politique. C’est l’une des principales raisons qui nous poussent à penser le patrimoine autrement, à l’intégrer dans une vision à long terme de la ville palestinienne durable. La préservation du patrimoine est un sujet important en Palestine car elle n’a pas le statut que l’on attribue, de facto, aux monuments historiques en Occident. Une étude récente a montré qu’un tiers des bâtiments du monde était des monuments classés. La définition occidentale du monument classé en fait un monument mort : il s’agit de maintenir en vie, aveuglément, un monument dans le respect le plus strict des règles de l’art. En Palestine, le rapport à l’autorité urbaine, inexistante avant l’Empire ottoman, a encore du mal à s’imposer, dans un contexte d’une consommation chaotique des territoires dont le but est la protection des terres et dont le résultat est une altération du paysage urbain et architectural palestinien.

Le modèle urbain de la ville palestinienne disparaît peu à peu car il n’est pas utilisé aujourd’hui pour ce à quoi il était destiné. Le riche héritage de l’habitat palestinien est aujourd’hui exclusivement transformé en restaurant, en centres culturels ou autres fonctions publiques. La subversion des lieux est une tendance urbaine qui ébahit les villes occidentales mais dans le cadre palestinien, cette réutilisation ne peut être exclusivement différente de sa fonction originale car elle se priverait d’une arme essentielle à un urbanisme optimiste qui puise sa force des sources locales profondes du modèle urbain palestinien. Nous ne pouvons nous permettre de geler temporellement des parties exclusives de la ville sous prétexte de les protéger, au risque de compromettre l’avenir de la ville palestinienne. C’est pourquoi, nous militons pour repenser le statut de la préservation en Palestine.

L’entrée de la Palestine à l’UNESCO comme État membre en 2011 a-t-elle permis des avancées dans la préservation du patrimoine culturel et architectural palestinien ?

La vieille ville de Bethléem est depuis peu inscrite au patrimoine mondial de l’UNESCO. C’est une décision qui est prise au sérieux et qui est politiquement une « victoire » pour l’État palestinien. Mais nous restons convaincus que la vieille ville de Bethléem perdrait tout autant à se transformer en musée vivant, faisant fi des typologies urbaines de l’habitat palestinien qui ne peuvent exister sans être habitées.

Avant l’instauration de l’autorité urbaine par l’Empire ottoman, les villes palestiniennes s’organisaient autour d’un noyau très dense avec des champs d’oliviers en périphérie. L’urbanisme de la ville était auto gérée par les habitants qui s’organisaient en « grandes familles ». Dès que l’autorité urbaine fut instaurée, l’organisation a changé et a échoué, faisant fuir les habitants de la vieille ville vers les faubourgs. Une tendance qui s’est accentuée avec l’arrivée du mandat britannique, du conflit israélo-palestinien, et plus récemment avec la construction du mur de séparation. Aujourd’hui, il y a une tendance au remplissage : la limite de la ville est physiquement déterminée par le mur de séparation qui pousse à une consommation des terres, par défaut le seul remède que les habitants trouvent à l’expropriation des terres.

C’est dans ce contexte que le riche modèle de la ville palestinienne se retrouve perdu et est en voie de disparition. Il existe des projets de restauration et de rénovation de certaines parties de la vieille ville mais elles ne prennent pas conscience du contexte urbain dans lequel se trouvent les villes palestiniennes. L’inscription au patrimoine mondial de l’UNESCO de la vieille ville de Bethléem est une attribution à une partie de la ville dont le statut la prive de définir son propre destin. C’est par définition une instauration par le haut d’une vision servant la politique et que nous ne pouvons contester. C’est encore une fois, la raison pour laquelle nous nous battons pour une reconfiguration inclusive de la vieille ville palestinienne.

Quels sont les sites historiques à préserver d’urgence en Palestine ?

Il doit exister une liste des sites historiques à préserver aussi longue que l’histoire de la Palestine. Nous serions tentés de répondre que toutes les terres de Palestine sont à préserver mais c’est une réponse que vous prendriez pour politique.

La coopération internationale est fondamentale dans la préservation du patrimoine palestinien. Quels sont les principaux projets en cours ?

Plusieurs projets importants sont en cours, dont la restauration de la toiture de la basilique de la Nativité, première action entreprise par l’Autorité palestinienne depuis l’adhésion de la Palestine à l’UNESCO.

Nous travaillons actuellement sur la restauration de la Maison du Pressoir à Olives à Bethléem, bâtiment du XVIIIème siècle. Projet financé par la France, il a pour objet de créer une Maison d’Art et d’Histoire de la ville de Bethléem. La conception de cette restauration a été ramenée à l’essentiel, essayant ainsi de mettre en valeur le vécu du bâtiment à travers les siècles. Les travaux sont comme dans le cadre de tous nos projets menés en étroite collaboration avec les artisans, et sont dictés par les méthodes et savoir-faire traditionnels. Pour préserver le bâtiment, et surtout préserver sa forme urbaine et sociale, le musée s’implante dans les différentes pièces de la maison, générant un cheminement à travers son architecture. Le projet comporte également un volet archéologique ajouté au projet initial, compte tenu des trouvailles faites lors de sondages techniques dans le jardin du musée.

Le patrimoine palestinien est-il un moteur pour le développement économique et social de la Palestine ?

Le patrimoine palestinien est la base du tourisme, qui est un des piliers de l’économie locale. En Palestine, le savoir faire artisanal s’est développé parallèlement au secteur patrimonial, à en devenir, pour certain, dépendants. Aujourd’hui, le tourisme laisse « lâchement » la place à des produits d’imitation bois d’olivier fabriqués en Chine et vendus dans des salles closes et obscures, ponctuant ainsi l’urbanisme de la ville de Bethléem de curieux objets. L’enjeu est clairement la disparition de ce savoir-faire qui constitue un patrimoine culturel immatériel actif.

En 2010, nous avons fondé Local Industries (LI). LI est un combat pour redonner sens à l’artisanat palestinien. À travers cette entreprise, nous voulons revaloriser la main-d’oeuvre locale palestinienne sans pour autant la figer dans le rôle traditionnel qu’on lui impose habituellement.
Local Industries travaille de façon polyvalente avec des artisans palestiniens spécifiques : la confection du mobilier a lieu en amont et en aval.

Quels sont les enjeux de la préservation du patrimoine pour l’identité palestinienne ?

Depuis l’intensification de l’appel au béton dans la construction en Palestine, l’architecture entretient un rapport faussé à son passé. Nous avons produit une architecture qui se veut palestinienne, par sa relation à l’architecture traditionnelle, mais qui est réinterprétée de manière totalement insensible. L’architecture du paysage urbain depuis 30 ans a généré toute sorte de répliques et de mise en écho à une idée faussée de l’architecture historique. C’est à travers cette expression superficiellement arabisante qu’est référencée le patrimoine architectural. Nous pensons que l’enjeu majeur actuel de la préservation du patrimoine pour l’identité palestinienne est de le comprendre pour mieux concevoir une architecture moderne palestinienne.

Publié le 13/08/2014


Juriste de formation et diplômée de l’Institut des Sciences Politiques de Paris, Ilham Younes s’est spécialisée sur les relations Union européenne/Proche-Orient avec pour objectif de travailler dans la recherche sur ces questions. D’origine franco-palestinienne, elle a créé en 2007 et préside toujours l’association « Printemps de Palestine » dont le but est de promouvoir la culture palestinienne au travers de festivités, d’expositions ou encore de concerts.
Rédactrice-chercheur pour Carto et Moyen-Orient de janvier à mai 2012, et assistante de recherche auprès de Pascal Boniface (directeur de l’IRIS) de janvier à mai 2013 , elle a rédigé de nombreux articles sur la situation politique en Jordanie, en Égypte, ou encore au Liban. Elle s’est plus récemment impliquée aux côtés de la délégation diplomatique palestinienne pour l’éducation et la culture au cours de la 37ème Conférence générale de l’UNESCO.


Elias et Yousef Anastas sont des architectes franco-palestiniens. Ils sont partenaires au sein d’AAU ANASTAS, et exercent entre Bethléem et Paris.
Diplômé de l’école d’architecture de Paris Val de Seine, Elias collabore au sein de plusieurs ateliers parisiens, avant de gagner un concours pour la construction d’un conservatoire de musique à Bethléem. Il mène actuellement, entre autres, la conception de deux tribunaux en Palestine.
Yousef est diplômé de l’école d’architecture de Marne la Vallée. Il est actuellement chercheur au laboratoire de Princeton University aux Etats-Unis, et obtiendra son diplôme d’ingénieur des Ponts et Chaussées en octobre 2014.
Ils ont en projet de monter un laboratoire de recherche en Palestine, apportant des réponses à des problématiques territoriales ou techniques.


 


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