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Elias Sanbar, Dictionnaire amoureux de la Palestine

Par Anne-Lucie Chaigne-Oudin
Publié le 17/11/2010 • modifié le 25/04/2020 • Durée de lecture : 4 minutes

Quarante-quatre entrées permettent au lecteur d’avoir cette vue d’ensemble sur la Palestine, dont Elias Sanbar soulève le paradoxe : « Comment traiter d’un pays qui n’aurait jamais existé ou d’un Etat qui n’existe pas encore ? ». Les questions abordées par Elias Sanbar peuvent être classées dans plusieurs thèmes, auxquels ses souvenirs d’enfance, ses souvenirs personnels et familiaux et ceux de ses rencontres avec des écrivains, des cinéastes, des responsables politiques israéliens et palestiniens se mêlent. Mentionner ses souvenirs mène alors Elias Sanbar à s’interroger : « Quel Palestinien suis-je ? »

La question historique est centrale dans l’ouvrage d’Elias Sanbar, en particulier les grands moments de l’histoire de la Palestine : l’Empire ottoman, la Palestine sous mandat britannique, les guerres israélo-arabes, l’historique de la ville de Jérusalem, le Fatah, l’OLP, Yasser Arafat, la guerre du Liban, la première et la seconde intifada, la proclamation de l’Etat palestinien en 1988, les « négociations » de Madrid et d’Oslo. Ce retour sur le passé a pour finalité la question de la paix, « quelle est-elle donc alors, cette paix ? » car « cela fait maintenant près de vingt ans que cela dure. Un processus diplomatique inabouti, sans cesse bloqué, malgré les professions de foi, les serments renouvelés d’allégeance de paix, les déclarations d’amour à cette valeur suprême, répétés à l’envi, sincèrement ou pas ».

De façon connexe à l’histoire, Elias Sanbar explique comment le passé (notamment l’archéologie et la notion d’antériorité) peut être utilisé afin de légitimer et d’expliquer la présence actuelle en Palestine.

En lien avec les grands moments de l’histoire, la question de la population est analysée dans plusieurs articles : celle des réfugiés et de l’exil, de leur statut juridique, celle de leur « intégration dans les pays arabes » et de leur retour, l’évolution de la démographie israélienne et palestinienne. Au final, l’auteur aborde la question de l’objectivité historique et de la perception différente que les acteurs ont d’un même événement. Son analyse l’amène a évoquer la « Nouvelle Histoire », dont les réalisations sont le « dévoilement d’éléments capitaux grâce à l’ouverture des archives israéliennes et (la) remise en question du récit fondateur officiel d’Israël ».

D’autres articles du dictionnaire analysent des sujets de société et des concepts. La réflexion d’Elias Sanbar porte notamment sur la notion de l’amitié ; sur les relations entre Palestiniens et Israéliens et sur l’« inimitié », « fille de la longue durée et de l’interminable conflit, elle soulève des questions tout à la fois douloureuses et passionnantes. Elle représente surtout l’une des trames souterraines de l’affrontement » ; sur la notion d’engagement qui, pour l’auteur, « commence par une sorte de détestation de l’injustice, une empathie que nous percevons comme ‘’naturelle’’ envers les faibles, un manque de sympathie envers les puissants, une propension à s’identifier souvent avec les vaincus qui alimentent notre conviction d’être les futurs redresseurs de torts ». La notion de mémoire n’est pas oubliée, car, « chez les Palestiniens confrontés depuis 1948 à une entreprise systématique d’effacement de ‘’leurs traces’’ sur leur terre, les termes de culture nationale se confondent avec résurrection et conservation, comme s’il fallait déterrer pour sauver ». Ce travail de mémoire est réalisé par les historiens palestiniens, dont les modes d’écriture ont évolué, depuis l’époque du mandat britannique, de la guerre de 1948-1949 et des années 1965-1990 pendant lesquelles les historiens dépassent « (le) registre de la défense et illustration » et parlent de leur histoire sans la voir par le prisme israélo-arabe. Les « fondamentalismes » religieux sont analysés, et non pas l’« intégrisme islamique », car pour l’auteur, « il m’importe de préciser que le Proche-Orient souffre depuis des années d’une maladie qui a atteint les trois monothéismes et non la seule religion musulmane ». La question religieuse est également traitée, en particulier « l’identité religieuse de la Palestine », Terre sainte, ainsi que la vie du prophète Elias, « prophète éponyme » de l’auteur et de ses racines familiales chrétiennes. Une note pittoresque est ajoutée à ce tableau de la Palestine, par un article sur « l’art culinaire » palestinien.

Les questions d’actualité sont également au cœur du dictionnaire d’Elias Sanbar, comme celle concernant la colonisation israélienne, ou encore celle ayant trait à la notion de démocratie : « On parle à tort et à travers de la démocratie aujourd’hui. La Palestine n’y échappe guère. Le terme étant valorisant, tout le monde s’en empare et rares sont ceux qui se donnent la peine de penser à son véritable contenu, à ses règles, aux conditions de son avènement, de sa pérennité surtout ». Le questionnement sur l’Etat palestinien et sur les négociations de paix apparaît également au centre des préoccupations d’Elias Sanbar, tout comme la problématique du Mur de séparation.

Elias Sanbar achève ainsi son dictionnaire : « Alors que l’on me permette, ainsi que pour le rappel des artistes à l’issue du spectacle, de ramener sur scène ces deux résonances, Rire et Résistance, ces deux échappées de l’ordre alphabétique, de l’ordre tout court, pour clore, ami lecteur, ce dictionnaire ».

Elias Sanbar, Dictionnaire amoureux de la Palestine, Dessins d’Alain Bouldouyre, Paris, Plon, septembre 2010, 481 pages.

Publié le 17/11/2010


Anne-Lucie Chaigne-Oudin est la fondatrice et la directrice de la revue en ligne Les clés du Moyen-Orient, mise en ligne en juin 2010.
Y collaborent des experts du Moyen-Orient, selon la ligne éditoriale du site : analyser les événements du Moyen-Orient en les replaçant dans leur contexte historique.
Anne-Lucie Chaigne-Oudin, Docteur en histoire de l’université Paris-IV Sorbonne, a soutenu sa thèse sous la direction du professeur Dominique Chevallier.
Elle a publié en 2006 "La France et les rivalités occidentales au Levant, Syrie Liban, 1918-1939" et en 2009 "La France dans les jeux d’influences en Syrie et au Liban, 1940-1946" aux éditions L’Harmattan. Elle est également l’auteur de nombreux articles d’histoire et d’actualité, publiés sur le Site.


 


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