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Considéré comme le passage maritime le plus stratégique du monde, le détroit d’Ormuz est devenu le théâtre de tensions entre les Washington et Téhéran. Depuis plusieurs semaines, les incidents entre ces deux pays se sont multipliés (sabotages et attaques de navires, destruction de drones) dans ce petit bras de mer d’une largeur de 40 kilomètres où circule un tiers des flux maritimes de pétrole. Cette escalade est le résultat du retrait unilatéral des Etats-Unis de l’accord sur le nucléaire iranien, en mai 2018, et du durcissement des sanctions économiques contre l’Iran. Pour Camille Lons, chercheuse au Conseil européen des relations internationales et spécialiste du Golfe, ces incidents impactent davantage les acteurs locaux et asiatiques que les Etats-Unis.
Le détroit d’Ormuz est encore aujourd’hui un passage maritime stratégique car environ un tiers des flux maritimes de pétrole y circule, en particulier depuis l’Iran ou de l’Arabie saoudite. Même s’il y a eu des tentatives visant à développer des routes alternatives, ce détroit reste toujours le moins cher et le plus pratique pour faire passer la production de pétrole.
Les récents incidents impliquant des pétroliers et des drones dans le détroit d’Ormuz montrent que ce bras de mer n’est plus aussi important pour maintenir l’équilibre des prix du pétrole qu’il y a plusieurs années…
Oui. Le détroit d’Ormuz reste stratégique mais plus exactement pour les mêmes pays et pour les mêmes raisons qu’auparavant. Pendant longtemps, le détroit a été crucial pour l’économie américaine, ce qui explique que les Etats-Unis se soient autant investis dans la protection et la stabilité de la région, notamment en y créant des bases militaires. Mais comme le président Donald Trump l’a récemment annoncé, les Etats-Unis ne sont plus dépendants du pétrole produit dans le Golfe persique, même si le détroit reste important pour maintenir les prix du pétrole. En revanche, la majorité du pétrole qui transite aujourd’hui par le détroit est à destination des pays asiatiques, et notamment de la Chine, devenue le premier importateur mondial de pétrole et le client principal de la plupart des pays du Golfe. Les perturbations géopolitiques n’ont pas les mêmes impacts que dans le passé.
La Chine est un acteur nouveau et assez complexe dans la région. Son économie repose en grande partie sur les consommations énergétiques qui proviennent à la fois de l’Arabie saoudite et de l’Iran. Elle ne veut donc pas s’impliquer directement dans les questions politiques et observe discrètement la situation tout en appelant à un apaisement des tensions. Elle sort peu à peu de son silence.
Les attaques ciblées peuvent faire grimper les prix des assurances pour les compagnies de conteneurs et exercer une pression sur les prix du pétrole. Mais l’impact n’est pas aussi important que ce que l’on aurait pu imaginer car il n’y a plus les mêmes équilibres en termes de prix du pétrole qu’il y a vingt ans. Pour autant, les pays de la région qui dépendent du détroit d’Ormuz sont inquiets, notamment les Emirats arabes unis dont une grosse partie de l’économie repose sur le port de Jebel Ali. C’est pour cela que les Emirats ont jusqu’à présent été plus prudents dans leur positionnement sur la crise actuelle que leur allié saoudien et qu’ils n’ont pas attaqué l’Iran directement. Une délégation de garde-côtes émiratis s’est également rendue à Téhéran fin juillet pour relancer les discussions avec l’Iran sur la sécurité maritime, ce qui illustre ses efforts de médiation.
Un blocage total paraît peu probable et ne serait pas dans les intérêts de l’Iran dont l’économie est déjà au bord de l’asphyxie. Cela impacterait le peu de transferts de pétrole par les voies maritimes qu’il a réussi à faire avec la Chine.
Une mauvaise lecture de l’Iran ou des Etats-Unis sur ce qui constitue une ligne rouge pour l’autre pays ou un incident pourraient provoquer une réponse qui échappe au contrôle des deux côtés. Ce qui est frappant aujourd’hui, c’est le manque de communication entre ces deux pays, ce qui augmente le risque d’escalade. Ce n’était pas le cas sous Barack Obama ou d’autres présidents américains qui maintenaient une forme de dialogue et savaient quelles étaient les lignes rouges à ne pas dépasser. De manière générale, les Etats-Unis comme l’Iran n’ont pas intérêt à entrer en conflit. C’est d’ailleurs pour cela que les attaques ne sont jusqu’à présent par très endommageantes ni pour l’un, ni pour l’autre. Il s’agit davantage d’effets d’annonces que d’incidents de grande ampleur.
La politique américaine, avec sa stratégie de pression maximale, a renforcé la position des radicaux en Iran. Certains acteurs qui, au départ, critiquaient les Gardiens de la Révolution (organisation paramilitaire dépendant directement du Guide de la Révolution, ndlr) et la politique étrangère de l’Iran dans d’autres pays de la région comme en Syrie (l’Iran soutient le régime de Bachar al-Assad), au Yémen (l’Iran est accusé par les Etats-Unis et l’Arabie saoudite d’armer les rebelles Houthis) ou en Irak (l’Iran a étendu son influence dans ce pays après la chute de Saddam Hussein en 2003), commencent à être convaincus qu’ils sont le seul levier de pression qu’il reste à l’Iran pour faire face aux pressions américaines. On assiste actuellement à un durcissement et une radicalisation au sein du leadership iranien. En voulant dealer directement avec les Américains, les plus modérés se sont finalement fait prendre à leur propre jeu.
Lire également les articles de Camille Lons :
L’Arabie saoudite dans la lutte contre le terrorisme
Aux origines de la crise du Qatar : entre rivalité pour l’hégémonie régionale et enjeux de politique intérieure
Camille Lons
Camille Lons est programme officer Moyen-Orient et Afrique du Nord du European Council on Foreign Relations (ECFR). Elle y coordonne le travail du think tank sur la région du Golfe Persique.
Elle a travaillé auparavant aux Emirats arabes unis, au Liban et en Jordanie, où elle a notamment publié des recherches de terrain pour les centres Lebanon Support-Daleel Madani et Tamkeen for Legal Aid, sur les conséquences du conflit syrien dans les pays de la région.
Léa Masseguin
Léa Masseguin est étudiante en Master 2 Gouvernance et Intelligence internationale dans le cadre d’un double diplôme entre Sciences Po Grenoble et l’Université internationale de Rabat. Passionnée à la fois par l’actualité et la diplomatie, elle a travaillé au sein du quotidien libanais L’Orient-Le Jour et à la Représentation permanente de la France auprès des Nations unies à New York. Elle s’intéresse à la région du Proche-Orient, en particulier la Syrie et le Liban.
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Francis Perrin est chercheur associé au Policy Center for the New South et directeur de recherche à l’Institut des relations internationales et stratégiques (Iris). Il revient pour Les clés du Moyen-Orient sur l’histoire de l’industrie du pétrole, analyse la manière dont l’or noir a bouleversé la (...)
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