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Le deuxième Etat saoudien (2/2) : des conditions de sa naissance à sa disparition (1843-1865)

Par Yara El Khoury
Publié le 19/05/2014 • modifié le 07/03/2018 • Durée de lecture : 10 minutes

Riyadh : The picture shows the Al Masmak Castle from 1865 in Riyadh, Saudi Arabia, 16 March 2008. Photo : Peter Kneffel

AFP

Lire la partie 1 : Le deuxième Etat saoudien (1/2) : l’occupation égyptienne dans le Nedjd (1818-1840)

Genèse du deuxième Etat saoudien

Après la chute de l’Empire de Mohammad Ali, le Nedjd entre dans une période d’isolement. L’Empire ottoman était incapable d’intervenir dans les affaires du centre de l’Arabie, et les Anglais étaient surtout préoccupés par la nécessité de consolider leur contrôle sur la côte du Golfe et Oman.

Khaled ne se maintient pas plus d’un an au pouvoir. Il est détesté par la population qui le perçoit comme un agent égyptien. A l’automne 1841, il se replie avec ses troupes vers l’est et le Nedjd tombe sous le contrôle d’Abdallah Ben Thaniane, un arrière-petit-fils du fondateur de la dynastie Âl Saoud. Soutenu par la famille de Mohammad Ben Abdel Wahhab, il arrive à rassembler autour de lui suffisamment de partisans et, fin 1841, il occupe Riyad alors que les derniers soldats égyptiens se retirent du Nedjd.

Ben Thaniane devient ainsi l’émir de Riyad, mais des régions importantes continuent de lui échapper : Qassim, Jabal Chammar, et la région est. Sa première campagne est dirigée justement à l’est, vers l’Ihas’a où s’est réfugié Khaled. Ce dernier est battu, il s’enfuit vers le Bahreïn, le Koweït, et arrive au Hedjaz où il s’installe et touche des subsides que lui verse Mohammad Ali. Le gouvernement de Ben Thaniane va se caractériser par une grande cruauté et une pression fiscale importante, ce qui va lui attirer l’hostilité de la population qui était restée attachée à Fayçal.

Prisonnier de Mohammad Ali depuis 1838, Fayçal parvient à s’échapper d’Egypte en 1843. Certains historiens pensent que la famille de Mohammad Ali a pu faciliter son invasion, avec l’idée qu’un Etat fort dans le Nedjd serait un nouvel ennemi pour l’Empire ottoman. Le fugitif arrive d’abord à Jabal Chammar où il est reçu par ses anciens amis, Abdallah et Obeid Âl Rachid. Prenant acte de la volonté de Fayçal de récupérer son pouvoir perdu, ils lui assurent tout l’équipement nécessaire. Ben Thaniane se rend au moment de la chute de Riyad durant l’été 1843. Il est capturé et jeté dans une prison où les gardiens le mettent à mort, car il avait ordonné l’exécution de certains de leurs proches.

L’Etat saoudien renaît et l’émir Fayçal en sera le maître pendant une vingtaine d’années. Au départ, le territoire était plus restreint que celui de l’ancien émirat de Dar’iyya. Une expansion territoriale va avoir lieu alors, dirigée en un premier temps vers l’est, Dammam, et le Bahreïn que Fayçal assujettit, obligeant son gouverneur Mohammad Ben Khalifa à lui payer un impôt. Puis en un deuxième temps, Fayçal et son fils Abdallah prennent le contrôle de la province de Qassim, au nord de Riyad.

Les relations de Fayçal avec les Âl Rachid de Ha’il restèrent bonnes, consolidées par des alliances matrimoniales. Après la mort d’Abdallah Âl Rachid, son fils Talal, gendre de Fayçal, lui succède. Quant aux relations avec le Hedjaz, elles étaient plus compliquées. Les pachas de Djeddah et les chérifs de La Mecque prétendaient en permanence à un droit de regard sur les affaires du Nedjd.

Les relations de Fayçal avec les Ottomans étaient généralement empreintes d’une grande prudence. C’est ainsi que l’émir de l’Etat saoudien s’abstiendra de faire des incursions contre la Syrie, l’Irak et le Hedjaz de peur de provoquer un affrontement avec l’armée ottomane. Dans sa correspondance avec les Anglais, Fayçal se disait rattaché à la Sublime Porte. De leur côté, les autorités ottomanes parlaient volontiers de la souveraineté qu’elles exerçaient sur les régions centrales de l’Arabie.

Les ambitions territoriales de Fayçal sur les côtes est et sud de l’Arabie vont créer une situation extrêmement tendue avec les Anglais. Fayçal considère les territoires situés le long du Golfe comme lui appartenant, et il vise notamment le Bahreïn contre lequel il va mener plusieurs guerres, en 1845-46, 1850 et 1859. A chaque fois, le Bahreïn devra sa survie aux interventions des Anglais. En 1861, les Anglais imposent au Bahreïn un accord qui fait de lui un protectorat britannique. Il est ainsi soustrait aux convoitises de l’Etat saoudien, mais il continue néanmoins de payer des impôts à ce dernier pour les territoires qu’il possède au Qatar. En ce qui concerne Oman et les autres petits Etats de la côte du Golfe, ils vont continuer à subir la double influence des Anglais et de l’Etat saoudien ; la plupart de ces Etats versent des impôts à l’émir de Riyad. En somme, les frontières de l’Etat saoudien sont loin d’être stables ; elles varient en fonction des différentes campagnes militaires et selon l’état des rivalités entre l’émirat saoudien et les Britanniques.

L’organisation du deuxième Etat saoudien

L’émir de Riyad a le titre d’imam des musulmans, comme à l’époque du premier Etat saoudien. Il a entre les mains un pouvoir considérable, couvrant tous les aspects de la vie d’un Etat : la paix et la guerre, les relations extérieures, les finances, les relations avec les tribus, etc. Sa cour n’est pas fastueuse et sa pratique du pouvoir est simple. Ainsi, il prend conseil auprès de ses proches, notamment la famille al-Cheikh, pour toutes les questions importantes.

Afin d’éviter les querelles entre ses fils, il tente de faire un partage équitable entre eux. Ainsi, Abdallah devient son héritier, son associé dans les affaires militaires, au gouvernement de Riyad et des zones centrales. Son second fils Saoud est doté d’une grande autonomie dans les régions sud. A Mohammad, le troisième, il confie les régions nord. Le petit dernier, Abderrahmane, est né en 1850 ; il était donc bien trop jeune pour avoir des fonctions quelconques. Il sera le père du fondateur du troisième Etat saoudien, la monarchie actuelle. Le partage du territoire entre les fils de Fayçal va paver la voie aux querelles qui seront à l’origine de la chute du second Etat saoudien.

Dans les dernières années de sa vie, la santé de Fayçal se détériore. Probablement atteint d’un trachome, il perd la vue. Septuagénaire, il confie les rênes du pouvoir à son fils Abdallah. De manière générale, le pouvoir de l’émir de Riyad s’affaiblit au fur et à mesure que l’on s’éloigne du centre. Les régions centrales sont les mieux tenues et l’émir y nomme les gouverneurs et les oulémas. Il tente en vain de contrôler fermement le Qassim ; quant à Jabal Chammar, les relations avec l’émirat de Riyad restent bonnes. Les familles régnantes maintiennent de bonnes relations entre elles, notamment par le biais des alliances matrimoniales, et parce qu’elles ont besoin les unes des autres sur le plan militaire.

Pour l’émirat de Riyad, la conservation des régions orientales est d’importance capitale, en dépit de l’hostilité manifestée par la population. Un des moyens les plus prisés pour garder une région sous la coupe de l’émir consiste à retenir des notables de cette région en otages à Riyad. Malgré cela, l’émir Fayçal ne parvient jamais à soumettre totalement les tribus. Son règne est ponctué de nombreuses révoltes intermittentes.

Sous le second Etat saoudien, le wahhabisme perd un peu de son intégrisme. A l’évidence, au cours de son séjour forcé en Egypte, Fayçal s’était rendu compte des bienfaits de la tolérance et avait bien compris que l’intégrisme pouvait se révéler fatal pour son Etat. Il pouvait cependant réapparaître de temps en temps.

Sur le plan militaire, le second Etat saoudien est organisé comme le premier. Ainsi, les tribus et les oasis doivent fournir un nombre déterminé de combattants et de montures si l’émir le leur réclame. Les effectifs enregistrés à ces moments-là sont pris en compte pour la détermination du montant de la Zakat. Comme au temps du premier Etat saoudien, chaque combattant apporte ses armes et sa monture, et chaque ville et oasis se distingue sur le champ de bataille par son fanion et ses unités propres. Les combattants ne touchent pas de solde mais les quatre cinquièmes du butin son partagés entre eux. Le cinquième restant est pour le Trésor. L’émir Fayçal dispose d’une garde personnelle composée de près de deux cents esclaves et affranchis qui font la police au besoin. En matière d’armement, les habitants du Nedjd avaient des canons, mais il semblerait qu’ils les aient utilisés dans des cas très rares. Par ailleurs, Fayçal n’a jamais constitué de flotte véritable, mais il avait recours à ses sujets bahreïnis, ainsi qu’aux autres gouverneurs de la côte. Toutefois, il est certain que ces derniers ne mettaient pas beaucoup d’empressement à répondre à ses demandes, d’autant plus que les traités qui leur étaient imposés par les Anglais réduisaient considérablement leur marge de manœuvre.

La fiscalité fonctionne selon des bases régulières et s’applique aux agriculteurs, aux éleveurs et aux commerçants. Les revenus très faibles sont exemptés de la Zakat, mais des taxes supplémentaires sont exigées en temps de guerre. Les sommes payées par le Bahreïn et les autres Etats de la côte apportent des rentrées non négligeables au Trésor de l’Etat saoudien, tout comme les taxes payées par les pèlerins en route pour La Mecque. Les rentrées de l’Etat saoudien sont estimées par des témoins de l’époque à 160.000 Livres Sterlings. Les dépenses sont surtout faites dans le domaine de la guerre, sinon elles concernent les frais de l’émir et sa cour, l’entretien des puits et des mosquées, les salaires des fonctionnaires et des hommes de religion et l’aide aux démunis. Une bonne partie de la Zakat est versée en nature, et le reste en espèces. La monnaie officielle est le Rial-Or, avec le Livre Sterling, et les monnaies d’or et d’argent ottomanes et persanes. De la monnaie indienne est en circulation dans les régions est.

A l’époque de Fayçal, une source importante de rentrées est assurée par la vente de chevaux arabes. Avant la découverte du pétrole, la pêche aux perles était l’activité principale des pays de la côte du Golfe, notamment le Bahreïn, les Etats de la Trêve et le Qatar. Les perles du Golfe étaient envoyées à Bombay et de là elles étaient vendues en Europe.

Malgré tous les éléments positifs qui ont concouru à sa naissance et sa consolidation, le second Etat saoudien va être de nouveau sujet aux forces de dissension décentralisatrices qui causeront sa perte.

La chute du deuxième Etat saoudien et l’avènement de l’émirat de Jabal Chammar

L’émir Fayçal Ben Turki meurt en décembre 1865. Son fils et héritier désigné Abdallah lui succède ; il reçoit l’allégeance de son frère Mohammad, troisième de la fratrie, mais le deuxième, Saoud, s’oppose à lui, et reçoit le soutien des Anglais.

En 1874, suite à une guerre de succession sanguinaire, le pouvoir à Jabal Chammar passe entre les mains de Mohammad Ben Abdallah Âl Rachid, le troisième fils du fondateur de la dynastie qui élimine ses neveux. Inauguré dans le sang, son règne se révèle être un règne de prospérité, jusqu’en 1897. Alors que l’émirat de Ha’il se développe, celui de Riyad s’affaiblit du fait des querelles tribales et fratricides. Au cours des huit années qui suivent le décès de Fayçal, le pouvoir change de mains à plusieurs reprises, comme suit :

Abdallah ben Fayçal, l’héritier, du 2 décembre 1865 au 9 avril 1871.
Saoud Ben Fayçal, son frère, du 10 avril 1871 au 15 août 1871.
Abdallah Ben Turki, leur oncle, du 15 août 1871 au 15 octobre 1871.
Abdallah Ben Fayçal, du 15 octobre 1871 au 15 janvier 1873.
Saoud Ben Fayçal, du 15 janvier 1873 au 16 janvier 1875.
Saoud Ben Fayçal meurt en janvier 1875
Abderrahmane Ben Fayçal, le benjamin, du 26 janvier 1875 au 28 janvier 1876.
Les fils de Saoud Ben Fayçal, du 28 janvier 1876 au 31 mars 1876.
Abdallah Ben Fayçal du 31 mars 1876 à fin 1878.

Tout ceci se produit dans un contexte régional qui se tend brusquement suite à l’ambition du wali de Bagdad Midhat Pacha d’annexer les régions de l’est de la péninsule au profit de l’Empire ottoman, tout comme il vise le Nedjd sous prétexte d’aider Abdallah Ben Fayçal à faire face à son frère récalcitrant. Ces ambitions vont susciter de la tension entre Londres et Istanbul. En mai 1871, les forces ottomanes débarquent à Ras Tannoura et occupent rapidement la province orientale, mais elles ne parviennent pas à envahir Riyad. Les deux frères Abdallah et Saoud tentent de collaborer pour faire face aux Turcs, mais entre eux les conflits reprennent très vite et prennent une dimension régionale : comme Abdallah compte sur les Turcs, les Anglais offrent leur appui à Saoud.

Avec le déclin de l’émirat de Riyad, celui de Ha’il atteint son apogée et les tribus se rassemblent autour de lui. En octobre 1878, les fils de Saoud Ben Fayçal prennent possession de Riyad et font prisonnier leur oncle l’émir Abdallah. Ce dernier a eu le temps d’alerter le gouverneur de Ha’il qui se saisit de l’occasion pour occuper Riyad, en faisant fuir les fils de Saoud. Sous prétexte de protéger Abdallah, il le fait transférer à Ha’il. Fin 1878, le second Etat saoudien cesse d’exister.

En 1889, Abdallah Ben Fayçal, très malade, est autorisé à rentrer à Riyad avec son frère Abderrahmane. Il y décède au mois de novembre. Abderrahmane devient l’émir de Riyad sous l’autorité effective d’Âl Rachid. Fin 1890, ses alliés des oasis de Qassim se révoltent contre le pouvoir de Ha’il. Ils sont mis en déroute en janvier 1891. A l’issue de cette victoire, Abderrahmane est chassé de Riyad. Il erre dans la steppe avec sa famille avant de s’installer au Koweït en 1893, sous la protection de cheikh Mohammad Al Sabbah. Le gouvernement ottoman lui réserve un salaire mensuel modeste de 60 Livres-or.

Entretemps, en 1880, est né Abdel Aziz, fils d’Abderrahmane Ben Fayçal. Sa mère est Sara, fille d’Ahmad al-Soudeiri, de la puissante tribu alliée depuis longtemps aux Saoud. Dès son plus jeune âge, il montre des aptitudes pour le maniement des armes, mais il connaît le Coran par cœur à l’âge de onze ans. En exil au Koweït, il apprend les sciences religieuses sous la supervision d’Abdallah Ben Abdel Latif Âl al Cheikh qui est devenu par la suite le premier cadi de Riyad et le mufti de la ville. Les années de pérégrinations avec sa famille lui ont permis de bien connaître les tribus, leur mode de vie et leurs méthodes de combat. A côté du cheikh du Koweït, il s’initie aux méthodes de gestion étatiques. La situation financière de son père était précaire ; il a recours à l’aide des amis proches pour le marier. Le jeune Abdel Aziz en concevra un désir certain de prendre sa revanche et de restaurer le pouvoir de sa famille sur Riyad. Il sera le fondateur du royaume actuel d’Arabie saoudite.

Publié le 19/05/2014


Yara El Khoury est Docteur en histoire, chargée de cours à l’université Saint-Joseph, chercheur associé au Cemam, Centre D’études pour le Monde arabe Moderne de l’université Saint-Joseph.
Elle est enseignante à l’Ifpo, Institut français du Proche-Orient et auprès de la Fondation Adyan.


 


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