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Imad al-Dîn Zangî, né à Mossoul vers 1085 sous le règne du sultan seldjoukide Malik Shah Ier, est élevé par le gouverneur de l’époque, Kürboğa. Lui-même fils d’un gouverneur d’Alep, il succède à Kürboğa à Mossoul en 1127 et devient également atabeg d’Alep en 1128, unifiant ces deux grandes villes de l’espace levantin sous son pouvoir personnel. Sa proximité géographique avec les États latins fondés à la suite de la première croisade (1096-1099) en fait le promoteur naturel de la restauration de l’unité levantine sous un pouvoir islamique, ce qui implique de chasser les Francs d’Orient : il développe ainsi une rhétorique de contre-croisade, davantage motivée par des raisons politiques et stratégiques que religieuses. Il est le fondateur de la dynastie zengide ; son fils Nûr al-Dîn lancera la première véritable contre-croisade, menée à son apogée par Saladin qui reprendra Jérusalem en 1187. L’influence de Zangî dans l’histoire du Levant au XIIe siècle est donc fondamentale.
On ne peut comprendre le rôle qui est celui de Zangî dans le Proche-Orient du XIIe siècle, ni la manière dont il a pu le jouer, sans connaître le système des atabak ou atabegs. Instauré par les Turcs Seldjoukides, ce groupe de gouverneurs-tuteurs constitue la majeure partie du véritable pouvoir local. Sa création a été rendue nécessaire par le népotisme des Seldjoukides, qui, pour maintenir l’hégémonie du clan régnant, favorisent très largement leur famille, en leur confiant notamment la presque totalité des postes de gouverneurs ; en conséquence, de jeunes enfants sont parfois nommés gouverneurs et envoyés dans une ville où ils se trouvent seuls, séparés de leur famille. Dans de tels cas, l’autorité paternelle est déléguée à un tuteur, l’atabeg – du turc « ata », « père », et « beg », « seigneur » : celui qui joue le rôle de père auprès du seigneur – qui a pour charge de seconder le prince dans son exercice du pouvoir. Le premier à prendre ce titre est le vizir Nizâm al-Mulk (1018-1092) lors de l’avènement de Malik Shah Ier, en 1072 – le jeune sultan étant alors âgé de dix-sept ans. Ce principe d’un gouvernement conjoint du jeune prince et de l’atabeg s’institutionnalise rapidement, le titre d’atabeg n’étant plus alors que réservé à des militaires turcs – alors que Nizâm al-Mulk, quant à lui, était un civil iranien. Mais dès ce premier exemple, l’atabeg prend une place plus importante que celle qui est censée lui être dévolue : supposé se retirer, ou n’occuper plus qu’un poste de conseiller, lorsque le prince devient adulte, Nizâm al-Mulk conserve en réalité une influence et un pouvoir réel beaucoup plus grand, puisqu’en tant que vizir, il est en charge de toute l’administration civile. Concrètement, si les sultans seldjoukides ne leur laissent jamais la possibilité de confisquer le pouvoir central, les atabak s’arrogent le pouvoir réel dans nombre de province et en écartent totalement les princes au nom desquels ils gouvernent, allant parfois jusqu’à les faire assassiner lorsqu’ils deviennent en âge de régner. L’essentiel du pouvoir local, c’est-à-dire provincial, dans l’État abbasside est donc exercé par les atabak, qui sont nommés par les émirs provinciaux.
Zangî, chef militaire turc ayant participé à un jihâd en 1113, fils d’un atabeg d’Alep, élevé par l’atabeg Kürbo ?a de Mossoul, prouve sa valeur en réprimant, en 1126-1127, la révolte du calife abbasside al-Mustaršid contre le sultan seldjoukide Mahmûd II. Il est alors nommé Haut Commissaire du sultan en Irak, puis, à la mort des gouverneurs respectifs, atabeg de Mossoul (1127) et d’Alep (1128). On voit dans cette nomination que le prince légitime n’a plus aucune autorité, s’il est encore vivant ; ce poste est une récompense pour Zangî, en même temps qu’un choix stratégique à une époque où les Francs sont installés en Orient.
Zangî est l’un des premiers à tenter de mettre en place une force capable de repousser les Francs, trente ans après le lancement de la première croisade et la fondation des États latins du Levant (au nombre de quatre : le comté d’Édesse, la principauté d’Antioche, le comté de Tripoli et le royaume de Jérusalem). Selon la légende, sa nomination au gouvernorat des villes d’Alep et de Mossoul aurait été la conséquence d’une demande des populations elles-mêmes, qui auraient réclamé au sultan seldjoukide un chef capable de les protéger contre les Francs – rappelons que la proximité géographique d’Alep et Mossoul, d’une part, et des États latins d’autre part, est très grande, puisque ces différents pouvoirs se situent tous en Syrie. Zangî, chef de guerre qui a déjà participé à un jihad quelques années plus tôt et vient de démontrer sa valeur militaire contre le calife abbasside, apparaît comme l’homme idéal pour rassurer les populations citadines et constituer un rempart face aux Francs d’Orient.
Dès son investiture à Alep, Zangî doit lutter non seulement contre les autres princes musulmans qui lui disputent le pouvoir alépin, mais aussi contre Bohémond II d’Antioche, qui tente de profiter des troubles pour conquérir la ville. Cet événement est révélateur d’un élément essentiel de la politique moyen-orientale de l’époque, à savoir les divisions internes, très importantes, au sein même de l’État seldjoukide. C’est pourquoi Zangî considère que le meilleur moyen de lutter contre les Francs est de restaurer l’unité de la Syrie musulmane, et ce par deux moyens : d’abord, l’unification des différentes villes musulmanes de la région ; ensuite, la reconquête des territoires latins, moyens qu’il va mettre en œuvre pendant ses vingt ans de règne. C’est ainsi qu’après avoir unifié sous son règne deux des plus grandes villes de Syrie, Mossoul et Alep, il se rend en 1129 à la cour du sultan à Bagdad pour se faire délivrer un diplôme lui conférant autorité sur la Syrie et le nord de l’Irak. Son autorité n’est cependant pas reconnue par la plupart des autres princes, notamment l’émir de Damas ; seule la ville de Homs lui fait allégeance, tout en conservant son indépendance. L’action militaire de Zangî se déploie donc à la fois contre les Francs et contre les émirs syriens – en 1130 par exemple, prenant prétexte d’une attaque contre Antioche, Zangî demande l’aide du gouverneur de Hama, qu’il fait prisonnier et ne relâche qu’en échange de la reddition de la ville ; celle-ci sera reprise par l’émir de Damas deux ans plus tard. En 1135, à la faveur d’une révolte, Zangî obtient la reconnaissance nominale de sa suzeraineté sur Damas ; mais il ne parvient pas à contrôler la ville de manière effective, tout comme il ne concrétise jamais son autorité sur Homs. Il n’en reste pas moins que cette idée d’unification du Levant contre l’ennemi franc est neuve, et qu’elle aura une postérité importante.
Face aux Francs justement, Zangî lance une véritable contre-croisade – ou, en tout cas, une contre-offensive musulmane, conçue en termes politiques et stratégiques bien davantage que religieux. C’est la première contre-offensive à avoir un impact réel, avec notamment la prise d’une place forte franque, Baarin, en 1137, alors que Zangî tentait de conquérir la ville de Homs, faisant ainsi planer une menace importante sur le comté de Tripoli dont elle est limitrophe. Zangî en profite pour développer une véritable propagande, invitant par exemple les anciens habitants musulmans de villes devenues franques à revendiquer leurs biens et à reconquérir leurs terres, ce qui lui permet aussi d’étoffer son armée. Fin politique, il joue habilement des dissensions entre Byzantins et Francs pour empêcher la mise en œuvre d’une attaque conjointe contre lui ; mais cette politique se retourne contre lui lorsque les Damascènes s’allient en 1140 aux Francs pour éviter qu’il ne s’arroge le pouvoir de l’émir de Damas. Ce type d’alliance, a priori contre nature, n’est pas rare dans une région où la préoccupation principale de chacun des acteurs est de conserver son pouvoir personnel.
Ce n’est qu’en 1144, après la mort du roi de Jérusalem Foulque d’Anjou (1092-1144), que les dissensions internes au camp chrétien refont surface : c’est à la faveur de ces rivalités que Zangî parvient à prendre Édesse, au terme d’un mois de siège, avant de conquérir l’ensemble du comté. Cette victoire asseoit son aura de chef d’une contre-offensive musulmane face aux Croisés ; mais il s’agit en fait avant tout pour Zangî de se construire un empire.
Après son assassinat par un de ses eunuques en septembre 1146, l’empire de Zangî se divise rapidement et son armée se disperse ; son rêve de restaurer l’unité de la Syrie musulmane pour constituer une force capable de repousser les Chrétiens semble bien, à ce moment-là, avoir échoué. Il n’en reste pas moins qu’il est parvenu, pendant son règne, à unifier une partie de la région sous son autorité, et à lancer un mouvement de reconquête musulmane important. Ces deux théories, les plus marquantes de son règne, auront une postérité importante à travers l’action de son fils et successeur, Nûr al-Dîn (1117-1174), puis du Kurde Saladin (1138-1193), qui les mènera à leur apogée. En ce sens, on peut considérer que sa réussite principale est l’accomplissement de son ambition dynastique : Zangî passe en effet une partie de sa vie à établir, asseoir et faire reconnaître son autorité, par diverses manœuvres politiques (comme les actes d’investiture qu’il réclame au sultan seldjoukide) ou matrimoniales (comme son mariage avec la veuve d’un précédent atabeg d’Alep en 1128, ou avec la fille de l’émir de Damas, la princesse Zomorrod, en 1138). Ce travail de longue haleine, associé à un prestige militaire qui lui assure la fidélité de ses hommes, va de pair avec l’idée de fonder une dynastie – ambition qui se réalise lorsque son fils Nûr al-Dîn parvient à faire reconnaître son pouvoir, dans les années suivant sa mort. L’extension remarquable qu’atteint l’empire zengide sous son règne s’explique par des raisons géopolitiques – notamment la situation déplorable des États francs à cette époque – mais également par l’action de son père, qui a été le premier à ressusciter l’ambition impériale de l’Islam après les croisades et l’a rendue possible.
Bibliographie :
– René Grousset, L’Épopée des croisades, Paris, Éditions Perrin, 1995, 321 pages.
– René Grousset et Jean Richard, Histoire du royaume franc de Jérusalem – Tome 1, 1095-1130 : L’Anarchie musulmane, Paris, Éditions Perrin, 2006, 883 pages.
– Albert Hourani, Histoire des peuples arabes, Paris, collection Points Seuil, 1993, 732 pages.
– Bernard Lewis, Histoire du Moyen-Orient – 2000 ans d’histoire de la naissance du christianisme à nos jours, Paris, Albin Michel, 1997, 482 pages.
– Éric Vallet, « Cours d’introduction à l’histoire de l’Islam médiéval », ENS Ulm, 2011-2012.
Tatiana Pignon
Tatiana Pignon est élève en double cursus, à l’Ecole Normale Supérieure de la rue d’Ulm, ainsi qu’à l’Université de la Sorbonne en Histoire et en langue. Elle s’est spécialisée en l’histoire de l’islam médiéval.
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