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L’Iran entre deux orages : attentats à Téhéran et crise du Qatar (2/3)

Par Michel Makinsky
Publié le 08/08/2017 • modifié le 08/04/2020 • Durée de lecture : 18 minutes

Michel Makinsky

Lire les autres parties :
 L’Iran entre deux orages : attentats à Téhéran et crise du Qatar (1/3)
 L’Iran entre deux orages : attentats à Téhéran et crise du Qatar (3/3)

La crise du Qatar

Un coup de tonnerre dans un ciel déjà orageux

Le 5 juin, l’Arabie saoudite suivie de l’Egypte, des Emirats arabes unis (1) qui jouent un rôle moteur dans le déclenchement de cette crise, de Bahreïn, du Yémen, décident de rompre les relations diplomatiques avec le Qatar, ainsi que les moyens de communication terrestres et aériens. Les citoyens et diplomates des pays respectifs sont sommés de quitter le territoire. Les liens commerciaux et autres sont aussi interrompus. Les racines de cette crise sont plus anciennes, et de nature diverse. Dans le communiqué saoudien (2) dans lequel le Qatar est accusé de graves violations pouvant menacer l’intégrité de l’Arabie saoudite, il lui est reproché le soutien à des groupes terroristes : les Frères musulmans, l’EI, al-Qaïda, le soutien à des groupes « terroristes » soutenus par l’Iran, c’est-à-dire le Hezbollah, ainsi que la promotion par ses médias de ces valeurs. Enfin, il y a la contestation par le Qatar du modèle social, politique et religieux de l’Arabie saoudite, et la contestation par le Qatar de l’hégémonie saoudienne à vouloir dominer la région. L’Arabie saoudite considère en effet les membres du CCG comme étant des partenaires-vassaux, vision contestée par le Qatar, de même que par Oman.

Riyad s’agace aussi vivement de la relation qu’entretient le Qatar avec l’Iran, que le Qatar est obligé de maintenir, partageant avec l’Iran le gisement gazier de South Pars. Il est en effet vital pour le Qatar de maintenir des relations de coopération, même si elles ne sont pas harmonieuses, car le Qatar pompe plus de gaz que l’Iran. Or, l’Arabie saoudite se sent menacée de façon obsessionnelle par l’Iran. Cette perception est partagée par d’assez larges segments de la société saoudienne, bien au-delà des seuls membres des familles princières ou des religieux. Cette iranophobie est entretenue depuis de nombreuses années par des media, supports, prêches, sites, etc. Rares sont ceux qui échappent à ce syndrôme dont il est mal vu de se distancier. On trouvera de rares exceptions dans les milieux d’affaires. Pourtant, ce fossé d’incompréhension n’est pas totalement incomblable. Rohani, comme Zarif, lancent régulièrement des appels à la normalisation des relations. N’oublions pas qu’Ali Shamkhani, secrétaire du Conseil suprême de la Sécurité nationale (iranien d’ethnie arabe), avait été un des artisans des tentatives passées de normalisation aux côtés de l’ancien président Rafsandjani.

Il semble qu’un ultimatum sommant le Qatar de mettre un terme immédiat à plusieurs comportements jugés inacceptables lui a été délivré par l’intermédiaire du Koweït qui dès le 6 juin a entrepris des démarches de médiation (qui le conduiront à un rôle délicat de porte-messages) mais son contenu ne sera rendu public que plus de 12 jours plus tard.
Les griefs à l’encontre du Qatar remontent à environ 1995 (3), avec une première série de crises, qui s’est arrêtée provisoirement à 2014 (l’accord dit de Riyad, signé en avril 2014, devait amener le Qatar à cesser de soutenir notamment les Frères musulmans (4), et à brider al Jazeera). L’Arabie saoudite et les Emirats considèrent que l’engagement souscrit par le Qatar (5) n’a pas été respecté. De plus, historiquement, l’existence même du Qatar est (implicitement ?) mise en cause par les Emirats arabes unis, car initialement, le Qatar devait faire partie de cette fédération. Il a réussi à ne pas y entrer (6), et du côté des Emiratis, cela a laissé des traces très profondes.

Le Qatar est perçu comme participant à la contestation du régime saoudien. Contrairement à d’autres Etats du Golfe, en soutenant des groupes islamistes, il a finalement légitimé le printemps arabe, c’est-à-dire des contestations de régime, ce qui n’est pas acceptable par l’Arabie saoudite. En effet, comme le soulignait déjà Christa Case Bryant en avril 2014 (7), l’appui du Qatar aux Frères musulmans est un abcès de fixation évident, mais qui fait partie d’une contestation plus générale du petit voisin à l’encontre de Riyad. Le mode de gouvernance promu (dans le discours vers l’étranger, donc applicable à autrui !) par Doha est à l’inverse de la monarchie absolutiste, celui découlant du Printemps arabe consistant à donner la parole au peuple. Le turbulent petit voisin a refusé de qualifier les Frères musulmans d’organisation terroriste. Notre analyste précitée identifie dans la posture qatarie d’autres mobiles : en appuyant l’action des Frères musulmans à l’extérieur, le Qatar souscrit une « police d’assurance » contre une contestation intérieure. Selon Mehran Kamrava, cité par la même source, soutenir les Frères est un moyen de se préserver de leur activisme : « Et si le prix de la tranquillité intérieure dans une région très agitée est la colère Saoudienne, c’est un petit prix à payer ».

Riyad et les Emirats, têtes d’une coalition avec plusieurs objectifs

Ceux qui se sont joints à cette contestation contre le Qatar ont des motifs diversifiés. Pour l’Egypte, le facteur Frères musulmans est décisif (8), de même que la dépendance économique de l’Egypte par rapport à l’Arabie saoudite, Le Caire ne pouvant pas se permettre de ne pas s’aligner avec le royaume. Cependant, cette position prise par l’Egypte pourrait lui coûter (9), car elle dépend du Qatar pour une part de son approvisionnement quotidien en gaz (elle importe du Qatar environ 65% de son gaz naturel liquéfié soit environ 10% de sa consommation journalière). Il en est de même pour les Emirats arabes unis (10). Le gazoduc Dolphin, alimenté par le champ géant Northfield, relie les deux pays et livre 2mds de pieds cubes par jour et une tranche identique qui transite par Oman (11). Visiblement, le Qatar a usé de pragmatisme pour ne pas envenimer une situation explosive (12) et… se garder quelques cartes en main.

Les Emirats, avant même la crise de juin 2017, ont entrepris une offensive de discréditation de ce voisin gênant. Ils lui reprochent de soutenir les Frères musulmans qui sont apparus comme la force émergente des révoltes du printemps arabe. Aussi les Emirats ont engagé une guerre de communication/intoxication de grande ampleur contre le Qatar. L’épisode spectaculaire du 23 mai 2017 où des sites qataris ont été hackés pour publier des « révélations » sur les noirs desseins de l’indocile Emir Sheikh Tamim qui affirmerait son soutien à l’Iran, au Hamas, au Hezbollah… et Israël. Le Qatar dément prestement ces allégations, mais rien n’y fait. Cet épisode sera suivi d’un autre tout aussi rocambolesque (une riposte ?) où c’est le compte mail de l’ambassadeur émirati à Washington, Yousef al Otaiba, personnalité très en vue, qui est piraté. Le hacker (qui utilise une adresse russe (13) liée à DCLeaks, site opéré par des Russes), diffuse à plusieurs supports (The Intercept, The Daily Beast, The Huffington Post) des mails entre le diplomate (très introduit auprès de Jared Kushner gendre et influent conseiller de Donald Trump) et diverses personnalités influentes montrant les manœuvres de Yousef al Otaiba destinées à influencer le gouvernement américain au détriment du Qatar. Ainsi sont mis en lumière les liens entre Otaiba et Mark Dubowitz qui appartient au think tank néo-conservateur aux sympathies israéliennes visibles, la Foundation for Defense of Democracies (FDD). Il y est question aussi bien de la dénonciation des entreprises étrangères qui opèrent aux Emirats tout en commerçant avec le Qatar. De même est fustigée la nocivité de la chaîne qatarie Al Jazeera qui menacerait la stabilité de la région (14). La prudence reste de mise sur l’origine et les mobiles de ce « contre-piratage », dont la véritable origine ne semble pas clairement établie. En revanche, le contenu, dont l’authenticité n’est pas complètement avérée, n’est pas très éloigné de ce que l’on sait des convictions des auteurs des mails piratés.

Selon l’analyste réputé James Dorsey (15), les services de renseignement américains ont révélé que les Emirats avaient orchestré le hacking (16) de sites d’information du gouvernement qatari (17) pour diffuser des fausses citations explosives attribuées à l’Emir Tamin bin Hamad Al Tani. Peu après la révélation de cette manipulation, l’agence Reuters retire précipitamment une autre fausse rumeur sur des pressions saoudiennes/émiraties destinées à priver le Qatar de la coupe du monde de football en 2022. James Dorsey précise dans son analyse précitée que dès 2013, les Emirats ont consacré de gros budgets pour qu’une structure de lobbying Camstoll Group dotée d’anciens agents du Trésor (18) s’emploie à influencer négativement les média et vecteurs d’opinion contre le Qatar. Comme le rappelle Cyril Widdershoven, la crise a véritablement éclaté peu après la visite de Tamim bin Hamad Al Thani en Arabie saoudite à l’occasion de la rencontre des chefs d’Etat arabes avec Donald Trump. Tamim y aurait fait l’éloge de l’Iran, « facteur de stabilité » au moment où les autres participants vont affirmer la volonté de « contenir » et isoler la République islamique accusée de vouloir perturber la région.

Les mêmes participants se préparent de même à faire front contre les Frères musulmans abrités et appuyés par le Qatar. Le même observateur souligne que Yusuf Al Qaradawi, tête pensante des Frères, est particulièrement bien en cours auprès de l’Emir. Une péripétie supplémentaire aurait contribué à l’exaspération de Ryad et de ses suiveurs : le versement d’une rançon de quelque $1md pour faire libérer de 26 membres de la famille royale qatarie kidnappés en Irak lors d’une partie de chasse ainsi que 50 militants capturés par des islamistes en Syrie. Plusieurs groupes honnis auraient ainsi perçu des subsides : la branche syrienne d’Al Qaida, des services sécuritaires syriens, des milices chiites soutenues par l’Iran, des responsables iraniens. Derrière cette libération de Qataris égarés se cache un échange plus complexe d’évacuations de belligérants de 4 villes syriennes, deux de chaque camp. Le fait que l’Iran ait reçu une part de ces versements ajoute à la fureur saoudienne, et a contribué à convaincre Riyad de passer à l’action (19). Un autre acteur a aidé à allumer la mèche de cet explosif : Washington. Le président Trump donne un quasi blanc-seing aux Saoudiens en blâmant le Qatar, et John Mattis somme le Qatar de cesser son soutien aux Frères (20). Une boîte de pandore a été ouverte. De fait, dans les jours suivant le piratage du diplomate émirati dont les messages ont vite été repris dans le réseau d’Al Jazeera, l’Arabie saoudite, les Emirats arabes unis et Bahrein déclenchent (le 5 juin) leur palette de mesures visant à isoler et étrangler leur gênant voisin. En quelques heures, plusieurs pays se joignent à l’offensive : l’Egypte, les Maldives (21), le Yémen, la Libye. Les Emirats, outre leur hantise des Frères musulmans, veulent comme Riyad, brider toute opposition interne. La posture prise ainsi par l’Arabie saoudite rejoint leur propre stratégie régionale consistant (en dépit de liens historiques avec l’Iran) à contenir vigoureusement les ambitions de la République islamique. De même, les Emiratis souscrivent à l’idée que l’Etat doit fermement contrôler les islamistes. Enfin, Mohammed bin Salman entretient une vraie complicité avec Mohammed bin Zayed (22) dont il admire les succès (23), les deux hommes se percevant comme les architectes du rééquilibrage régional au détriment de l’Iran. Les Emirats ont un objectif plus ambitieux : ils veulent consolider une alliance avec l’Amérique et souhaiteraient récupérer (en bon élève) la base américaine installée au Qatar (24), qui représente un parapluie précieux pour la sécurité et surtout un gage de solidarité américaine. C’est un enjeu aussi important que les demandes de couper les relations avec l’Iran, le Hamas (25), les Frères, de fermer Al Jazeera, etc. On imagine mal Washington abandonner puis déménager sa base aérienne. Donc ce calcul manque de réalisme.

Les Emirats arabes unis, comme l’Arabie saoudite, sont convaincus (ou veulent convaincre) que le Qatar nourrit l’ambition démesurée de contrôler la péninsule arabique. Ce grief ne semble guère réaliste, bien que le petit émirat affiche parfois une folie des grandeurs pas proportionnelle à sa taille et ses capacités.

On voit donc que la crise qatarie est alimentée par une accumulation/combinaison de griefs et objectifs différents, qui ne reposent pas sur des calendriers identiques, ni des niveaux de priorité analogues en fonction des acteurs : la problématique des Frères musulmans, la crainte de déstabilisation interne du fait de la contestation par le Qatar du mode de gouvernance saoudien en appuyant le printemps arabe, l’utilisation d’Al Jazeera à cette fin, le soutien du Qatar à des mouvements islamistes violents, le soutien du Qatar au Hamas palestinien (26), le dialogue qatari avec Israël, la coopération irano-qatarie, le refus de l’hégémonie de Riyad sur le Golfe par la confiscation du Conseil de Coopération du Golfe, la critique du modèle religieux et sociétal du royaume, etc. Le Qatar refuse aussi de considérer l’Iran comme une menace existentielle. Mais, au bout du compte, comme le dit simplement Rami G. Khouri (27), la véritable « menace » qatarie n’est-elle pas son insubordination, son refus de n’être qu’un pion, sa volonté d’une politique indépendante, y compris au niveau des medias (étant bien entendu que les dits media sont priés de s’abstenir de critiquer… le régime qatari) ?

Quels sont les objectifs réels de l’Arabie saoudite ? S’agit-il d’obtenir une normalisation du Qatar, et qu’il s’aligne, au moins partiellement, sur les positions saoudiennes (28) ? Le royaume a-t-il l’intention de faire sauter l’émir actuel (29) (changement de régime, formule récemment en vogue à Washington) ? Une branche de la famille de l’émir a annoncé la création d’un mouvement d’opposition, présentant ses « excuses aux frères arabes » pour les vilenies qui leur ont été occasionnées (30). Il y a très possiblement une tentative de déstabilisation du Qatar. Les Saoudiens ne rêvent-ils pas d’une annexion du Qatar (quid en cas de résistance) (31) ? Ceci est à mettre en lien avec le bouleversement dynastique saoudien, avec le coup du prince Mohammad bin Salman (32). Il s’agit de la quasi-confiscation par une branche du pouvoir au détriment d’une autre. Il faut se demander si cette confiscation est durable et si les écartés laisseront les choses se faire indéfiniment. Dans le cadre de la présente réflexion, il est permis de penser que le nouveau maître du royaume, dur à l’intérieur, va poursuivre si ce n’est accentuer la ligne « agressive » à l’extérieur : au Yémen, mais aussi à l’égard de l’Iran. Reflétant une absence de véritable réflexion stratégique, (comme on le voit avec le bourbier yéménite aussi financièrement ruineux qu’ingagnable) elle se caractérise par une fuite en avant qui inquiète vivement l’Iran. Les dirigeants du royaume, confrontés à des défis internes redoutables, veulent à la fois imposer à leurs voisins un leadership régional incontestable (Les Emirats et Bahrein (33) adhèrent à ce schéma) et tenter de créer une identité nationale qui suppose à l’intérieur une maîtrise totale des media, notamment des réseaux sociaux, tout en affaiblissant les communications islamistes et en contrôlant l’establishment religieux qu’il faut remettre au pas. Dans ce contexte, les discours très critiques diffusés par Al-Jazeera sont tout simplement intolérables pour Riyad. Au plan extérieur, en prenant le leadership de la coalition anti Houthis au Yémen, le royaume se pose en chef incontesté de la région, posture que rejette le Qatar tout en participant avec du personnel militaire aux opérations lancées au Yémen.

Les objectifs de Riyad et de l’étrange coalition qui suit le royaume sont donc identifiables mais les acteurs des mesures punitives contre le Qatar ont étrangement tardé à communiquer officiellement les griefs précis qui lui sont opposés. Une opacité qui n’est pas que diplomatique, ce dont Washington finira (tardivement et naïvement) par s’étonner. Le 22 juin, les quatre pays « procureurs » du procès intenté au Qatar transmettent enfin par le truchement du Koweït à ce dernier une liste de 13 exigences auxquelles le « petit rebelle » est sommé de se soumettre sous 10 jours. La liste, bien que non publique, est largement ‘fuitée’ (34). L’essentiel est inacceptable pour le Qatar (dont la fermeture d’Al-Jazeera, la rupture des relations avec l’Iran, le renvoi des troupes turques et la fermeture de leur base, consentir à des audits mensuels, puis périodiques). Le 24 juin, sans surprise, le Qatar rétorque que ces exigences dépassent le cadre de la lutte anti terroriste, empiètent sur la souveraineté du pays et sont ‘déraisonables’, et ne reflètent pas le caractère gérable que prescrivait Tillerson (35). Il annonce étudier sa réponse. Une capitulation du Qatar selon ces termes équivaut à sa transformation en vassal de Riyad, un bouleversement dans l’ordre international, comme le relève James Dorsey (36). Bien que le texte ne stipule pas les sanctions d’un refus, si ce n’est la caducité de cette étrange offre, les Emirats laissent filtrer que le Qatar pourrait se trouver isolé (sans préciser la nature ni la méthode de l’isolement) (37). Une déclaration d’Adel Al Jubeir, ministre saoudien des Affaires étrangères, confirme cette impression : si les Qataris ne changent pas de comportement, « ils resteront isolés ». Il ajoute que si les Qataris veulent rejoindre le Conseil de Coopération du Golfe, « Ils savent ce qu’ils doivent faire » (38). Quitter ce « club » serait-il une perte irrémédiable pour le Qatar ? C’est peu probable. Tillerson ne cache pas son embarras en constatant qu’il sera très difficile au Qatar d’acquiescer à certaines de ces demandes. Doha sans surprise oppose le 3 juillet un refus à cet ultimatum par son ministre des Affaires étrangères, Mohammed Aderahmane al-Thani (« Ces mesures sont faites pour ne pas être acceptées ») en dépit d’une prolongation inutile de 48 heures.

Le 5 juillet, le « groupe des quatre » réuni au Caire publie un communiqué énumérant « 6 principes » (39) auxquels le Qatar doit se conformer :
1. L’engagement de combattre l’extrémisme et le terrorisme dans toutes leurs formes et d’empêcher leur financement ou de les protéger.
2. L’interdiction de tout acte d’incitation et toute forme d’expression qui propage, incite, promeut ou justifie la haine et la violence.
3. L’engagement total à l’accord de Riyadh de 2013, à l’accord supplémentaire et ses mécanismes d’exécution pour 2014 dans le cadre du Conseil de Coopération des Pays Arabes du Golfe (C.C.G.).
4. L’engagement vis-à-vis de toutes conclusions du sommet Arabe-Islamique-US tenu à Riyadh en mai 2017.
5. L’abstention d’intervenir dans les affaires internes des Etats et de soutenir les entités illégales.
6. La responsabilité de tous les Etats de la communauté internationale est de combattre toutes les formes d’extrémisme et de terrorisme qui représentent une menace pour la paix et la sécurité internationale.

La portée de ce texte est difficile à analyser en raison de son caractère fort vague. La première question qui se pose est de savoir si ces « principes » se substituent ou non aux « 13 mesures » exigées. Il n’est plus fait allusion à la fermeture de la base militaire turque ni à celle d’Al Jazeera. Le vocabulaire reflète un travail « diplomatique » ainsi qu’un souci curieux de respectabilité juridique par la référence (dans un préambule) aux conventions internationales contre le terrorisme et à la Charte de l’ONU.

Malgré ce ton apaisé, rien n’est résolu. Bien que rien ne filtre, la nervosité persiste. Tillerson reprend une tournée diplomatique au Koweït le 10 juillet pour tenter de trouver un compromis. Il n’est pas en position de force, affaibli en Amérique par les critiques sur sa mauvaise organisation. Le 11 juillet, il signe une lettre d’intention (Memorandum of Understanding) avec le Qatar qui s’engage à cesser le financement du terrorisme (40). De là il s’envole à Djeddah pour tenter de persuader les Saoudiens de lever leur blocus au vu de ce geste de bonne volonté. Or, au moment où Tillerson fait sa tournée, la chaine CNN publie les accords secrets de 2013 et 2014 signés par le Qatar, restés confidentiels jusqu’ici (41). Les quatre « pays procureurs » ont, dans un communiqué, souligné que la publication de l’accord montre à quel point le Qatar ne l’a pas respecté, en particulier par ses ingérences dans les affaires intérieures des autres (42). Les media saoudiens et leurs alliés se gaussent du Memorandum américano-qatari et accusent Tillerson de s’être fait manipuler (43). Le « groupe des quatre » ne se considère pas comme quitte ni lié par le MOU (44). Le 12 juillet, Tillerson termine ses conversations avec l’Arabie saoudite sans compromis en vue (45). Une impasse humiliante et dangereuse. De son côté, Anwar al-Gargash, ministre émirati des Affaires étrangères, déclare que l’absence de solution conduit à envisager une longue séparation d’avec le Qatar (46).

Notes :
(1) UAE Ministry of Foreign Affairs on cutting Qatar ties : satement, The National,5 juin 2017.
(2) http://www.spa.gov.sa/viewfullstory.php?lang=en&newsid=1637321#1637321
(3) Derek Davison,What’s Happening in the Persian Gulf, LobeLog, 5 juin 2017. La date de 1995 n’est pas choisie au hasard :” En 1995, l’ancien émir du Qatar Hamad b. Khalifa Al Thani renversa son père, Khalifa b. Hamad Al Thani, par un coup d’état sans effusion de sang. Sheikh Hamad abdiqua en 2013 en faveur de son fils, Tanim ,l’actuel dirigeant Qatari. »
(4) Le divorce entre l’Arabie saoudite et les Frères musulmans pourtant accueillis d’Egypte dans les années 50 est le résultat d’une évolution qui s’est accentuée dans les années 2000 quand les Saoudiens ont estimé intolérable l’ambition d’influence religieuse et politique des Frères qui furent déclarés « terroristes » en mars 2014 : How the Muslim Brotherhood betrayed Saudi Arabia, Gulf News, 7 juin 2017.
(5) Hussein Ibish, Unfulfilled 2014 Riyad Agreement Defines Current GCC Rift, The Arab Gulf States Institute in Washington (AGSIW), 6 juin 2017.
(6) Kristian Coates Ulrichsen,The United Arab Emirates, Power, Politics and Policy, Taylor and Francis, 2016, p.52.
(7) Behind Qatar’s bet in the Muslim Brotherhood, The Christian Science Monitor, 18 avril 2014.
(8) Le régime d’Abdel Fattah al Sisi n’admet pas le soutien apporté par le Qatar aux Frères, qui n’a pas cessé depuis le départ de l’ancien président Mohammed Morsi : Egypt’s role in the push to cut off Qatar, Al-Monitor, 8 juin 2017. Les autorités égyptiennes se sont employées depuis longtemps à persuader leurs partenaires arabes de durcir leurs positions à l’égard du Qatar. L’hostilité aux Frères est partagée notamment par les Saoudiens, les Emirats et Bahrein : Rufiz Hafizoglu, Muslim Brotherhood-grief for Qatar, Trend, 5 juin 2017.Voir aussi : How current Qatar-GCC crisis has roots in Doha’s decisions after Arab Spring, The National, 5 juin 2017.
(9) Toutefois, par prudence, les autorités égyptiennes s’emploient à rassurer les investisseurs qataris présents sur le marché égyptien en confirmant qu’ils ne sont pas menacés par la crise entre les deux pays (nécessité fait loi…) : Egypt keen on protecting Qatari investments, Al Monitor, 18 juillet 2017.
(10) The U.A.E Needs Qatar’s Gas to Keep Dubai’s Lights On, Bloomberg, 7 juin 2017. Le Qatar continue de livrer son gaz “normalement” à son voisin qui serait bien en peine de s’en passer. Malgré tout, la compagnie du pétrole qatari se plaint auprès de la compagnie nationale du pétrole d’Abou Dhabi de ce que celle-ci a interrompu ses importations de condensat, Mehr News, 5 juillet 2017.
(11) Gas supplies keep flowing as Qatar diplomatic spat flares, The National, 6 juin 2017.
(12) Le Qatar déclare qu’il ne coupe pas ses livraisons de gaz aux Emirats malgré une clause de force majeure : Qatar Not Cutting Gas Supply to UAE, Iran Financial Tribune, 20 juin 2017.
(13) Certaines sources évoquent aussi l’implication de hackers russes dans le piratage des sites qataris : Krishnadev Calamur, Did Russian Hackers Target Qatar ?, The Atlantic, 6 juin 2017. Il faut rester prudent sur ces attributions, qui sont évoquées pour les deux actes (distincts) de piratage (Qatar, ambassadeur émirati). Il y a un risque de confusions ou inversement de « communication ciblée » délibérée.
(14) Hacked Emails Show Top UAE Diplomat Coordinating With Pro-Israel Think Tank Against Iran, The Intercept, 3 juin 2017.
(15) Nous reprenons ici les grandes lignes de l’excellente analyse de James M. Dorsey, The Gulf crisis : Fake news shines spotlights on psychological warfare, Mideastsoccer, 17 juillet 2017.
(16) UAE hacked Qatari government sites, sparking regional upheaval, according to U.S. intelligence officials, The Chicago Tribune, 16 juillet 2017.
(17) Le général qatari Ali Mohammed al-Mohannadi qui dirige l’enquête sur le piratage subi, confirme que ce dernier émane de deux sites émiratis, et que le Qatar étudie des « suites appropriées » : Qatar vows ‘ appropriate’ response to Hacking from UAE, PressTV, 20 juillet 2017.
(18) Voir le dossier documenté de Glenn Greenwald, How Former Treasury Officials and the UAE Are Manipulating American Journalists, The Intercept, 25 septembre 2014.
(19) The $1bn hostage deal that enraged Qatar’s Gulf rivals,The Financial Times, 5 juin 2017.
(20) Cyril Widdershoven, Clash Between Qatar And The Saudis Could Threaten OPEC Deal, OILPRICE.com, 1er juin 2017.
(21) Sous influence saoudienne croissante : Alexandre Sehmer, Maldives : Saudi Influence and Rising Intolerance, Terrorim Monitor, vol 15, n°11, 2 juin 2017.
(22) The Saudi Prince, the Sheikh and a Gulf Renegade, Bloomberg, 7 juin 2017. Voir aussi : Simon Henderson, Meet the Two Princes Reshaping the Middle East, The Washington Institute for Near East Policy, 13 juin 2013.
(23) Kristin Smith Diwan, Saudi Leadership and Qatar Media,The Arab Gulf States Institute in Washington, 6 juin 2017.
(24) Mehran Kamrava, What Does the UAE Want ?, Georgetown University Qatar, 5 juin 2017.
(25) Le Qatar se refuse à couper les relations avec le Hamas mais prudemment, les deux partenaires s’arrangent pour que les responsables du mouvement installent ailleurs leurs activités : Hamas could be next victim of Qatari-Gulf brawl, Al-Monitor, 8 juin 2017.
(26) Bien que la collaboration avec le Hamas soit un des griefs portés par Riyad et ses alliés contre le Qatar, on notera que les relations entre Le Caire (viscéralement anti-Frères musulmans) et le Hamas se sont paradoxalement améliorées voici peu alors qu’elles se dégradent avec l’Autorité palestinienne. La nouvelle ligne du Hamas exposée par Ismail Haniyeh, chef du bureau politique, n’y est pas étrangère : Egypt, Dahlan foiling Abbas’plot against Hamas in Gaza Strip, Al-Monitor, 13 juillet 2017 ; et : New Hamas chief’s first speech reflects strategic shift, Al-Monitor, 18 juillet 2017. D’aucuns estiment au contraire que le Hamas est plutôt mal vu au Caire et que le mouvement est en phase d’isolement : Daoud Kuttar, Hamas could lose Qatar’s support amid GCC strife, Al-Monitor, 9 juin 2017.
(27) Rami G.Khouri, The real threat that Saudi Arabia sees in Qatar, The New Arab, alaraby.co, 8 juin 2017.
(28) Le 6 juin, Adel Al-Jubeir, ministre saoudien des Affaires étrangères, déclare que le Qatar doit “changer de politique” et cesser de soutenir les « groupes extrémistes ». Il n’a pas spécifié quelles démarches précises étaient exigées : Qatar must ‘change policies’:Saudi foreign minister, Al-Monitor, 6 juin 2017.
(29) Georges Malbrunot signale que l’émir Sheikh Tamim Al Thani a renoncé à se rendre à Paris, souhaitant éviter le risque d’une mise à l’écart semblable à celle menée par son père Sheikh Hamad en 1995 qui avait chassé son grand-père Khalifa qui régnait alors. Malbrunot évoque aussi la possible tentation d’intervention militaire saoudienne soulignées par Khaled al Attiyah, ministre Qatari de la Défense qui semble ne pas la redouter : Le Qatar ne se soumettra pas aux exigences de ses voisins, Le Figaro, 5 juillet 2017.
(30) Qatari ruling family dissidents to form opposition party, Egypt today, 1er juin 2017.
(31) Emile Nakieh, Saudi Arabia an Qatar : Tribal Feud with Regional and Global Implications, LobeLog, 7 juin 2017.
(32) Saudi King’s Son Plotted Effort to Oust His Rival, New York Times, 18 juillet 2017. Le nouveau maître de Riyad pourrait-il « encourager » un “coup” au palais du souverain qatari ?
(33) Tout en “appréciant” la tentative de médiation koweitie, Bahrein a fait savoir qu’il n’excluait aucun moyen pour ramener le Qatar à la raison : Bahrain foreign minister says all options open on Qatar, Trend news, 8 juin 2017.
(34) Qatar given 10 days to meet 13 sweeping demands by Saudi Arabia, The Guardian, 23 juin 2017 (liste en annexe : https://www.theguardian.com/world/2017/jun/23/close-al-jazeera-saudi-arabia-issues-qatar-with-13-demands-to-end-blockade)
(35) Qatar says Saudi-led demands not ‘reasonable’ and is preparing response, Middleeasteye.netnews, 24 juin 2017.
(36) Saudi-UAE demands challenge fundamentals of international relations,mideastsoccer.blogpost.com,23 juin 2017.
(37) UAE sees ‘parting of ways’ if Qatar does not accept Arab demands, Reuters, 25 juin 2017.
(38) Saudi FM calls Qatar demands non-negociable,Qatar calls them unrealistic,PressTV,27 juin2017.
(39) http://ksamissioneu.net/en/joint-press-release-ambassadors-egypt-saudi-arabia-bahrain-united-arab-emirates-brussels/ .
(40) Carol Morello,Qatar agrees to curb terrorism financing under deal with U.S., The Washington Post, 11 juillet 2017.
(41) http://edition.cnn.com/2017/07/10/politics/secret-documents-qatar-crisis-gulf-saudi/index.html
(42) Arab starts seek to step up pressure on Qatar over 2013 accord, Reuters, 11 juillet 2017.
(43) Voir : Abdulraham al-Rasheed, Is the US Secretary of State on Qatar’s side ?, Al Arabiya, 12 juillet 2017.
(44) Rex Tillerson applauds Qatar plan but Gulf rivals refuse to lift sanctions, The Guardian, 11 juillet 2017.
(45) Top US Diplomat Ends Talks In Gulf ; No Sign Qatar Crisis Resolved, Radio Farda, 13 juillet 2017. Tillerson leaves Gulf with no end in sight to Qatar crisis, middleeasteye.net, 13 juillet 2017.
(46) UAE says it is headed for ’long estrangement’ with Qatar, Reuters, 14 juillet 2017.

Publié le 08/08/2017


Outre une carrière juridique de 30 ans dans l’industrie, Michel Makinsky est chercheur associé à l’Institut de Prospective et de Sécurité en Europe (IPSE), et à l’Institut d’Etudes de Géopolitique Appliquée (IEGA), collaborateur scientifique auprès de l’université de Liège (Belgique) et directeur général de la société AGEROMYS international (société de conseils sur l’Iran et le Moyen-Orient). Il conduit depuis plus de 20 ans des recherches sur l’Iran (politique, économie, stratégie) et sa région, après avoir étudié pendant 10 ans la stratégie soviétique. Il a publié de nombreux articles et études dans des revues françaises et étrangères. Il a dirigé deux ouvrages collectifs : « L’Iran et les Grands Acteurs Régionaux et Globaux », (L’Harmattan, 2012) et « L’Economie réelle de l’Iran » (L’Harmattan, 2014) et a rédigé des chapitres d’ouvrages collectifs sur l’Iran, la rente pétrolière, la politique française à l’égard de l’Iran, les entreprises et les sanctions. Membre du groupe d’experts sur le Moyen-Orient Gulf 2000 (Université de Columbia), il est consulté par les entreprises comme par les administrations françaises sur l’Iran et son environnement régional, les sanctions, les mécanismes d’échanges commerciaux et financiers avec l’Iran et sa région. Il intervient régulièrement dans les media écrits et audio visuels (L’Opinion, Le Figaro, la Tribune, France 24….).


 


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