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Depuis le 7 octobre 2023, l’Iran est sur tous les fronts au Moyen-Orient, bien qu’il ne souhaite pas entrer dans un conflit de haute intensité. Pour comprendre la politique étrangère de la République islamique d’Iran, Thierry Coville, chercheur à l’Institut des relations internationales et stratégiques (IRIS), spécialiste de l’Iran, répond aux questions des Clés du Moyen-Orient.
Pour analyser la politique étrangère de la République islamique d’Iran, il faut comprendre qui détient les rênes du pouvoir dans ce pays. Après la sortie des Etats-Unis de l’accord sur le nucléaire iranien décidée par Donald Trump en mai 2018, et du fait de la crise économique qui s’ensuivit, les modérés ont perdu le pouvoir en Iran. Au terme des élections législatives de 2020 et présidentielles de 2021, les conservateurs les plus radicaux leur ont succédé, avec l’obtention d’une majorité au Parlement et l’arrivée d’Ebrahim Raïssi à la présidence. Aujourd’hui, le guide suprême, le Parlement et le gouvernement sont sur la même ligne idéologique, qui a pour principal objectif la défense de l’« axe de la résistance », représenté par l’Iran et ses alliés régionaux. Le pouvoir en place critique d’ailleurs régulièrement l’équipe précédente des modérés, représentée par l’ancien président Hassan Rohani (2013-2021), qui selon lui n’accordait pas assez d’importance à la lutte contre Israël. L’« axe de la résistance » est l’un des points clés de l’idéologie de la mouvance actuellement au pouvoir en Iran. Depuis le 7 octobre, plus que jamais, l’Iran a mobilisé ses alliés régionaux pour faire pression sur Israël et sur les Etats-Unis, sans pour autant entrer dans un conflit régional de haute intensité.
Néanmoins, cela n’empêche pas les conservateurs iraniens de faire preuve d’un certain pragmatisme, notamment sur la question des relations avec l’Arabie saoudite. Le pouvoir iranien s’est rendu compte que l’absence de relations diplomatiques avec Ryad avait des effets néfastes sur l’économie de Téhéran et sur l’influence iranienne dans la région. En avril 2023, les deux pays se sont donc rapprochés sous l’égide de la Chine. Et ce, malgré le fait que Ryad soit également engagé dans un processus de normalisation avec Israël. Si ces discussions entre les Saoudiens et les Israéliens se sont avérées gênantes pour l’Iran, elles n’ont pas remis en cause le rapprochement avec Ryad, preuve d’un certain pragmatisme iranien. Depuis le 7 octobre, cette normalisation entre l’Arabie saoudite et Israël n’est cependant plus à l’ordre du jour. Par ailleurs, depuis le début de la guerre Israël-Hamas, l’Iran mobilise certes les référents idéologiques classiques, mais il tente aussi de s’adapter aux contraintes régionales pour éviter un conflit ouvert avec Washington et Tel-Aviv. La politique étrangère iranienne montre certains signes de modération, comme lorsque l’Iran s’est montré en faveur de la solution à deux États durant un vote à l’Assemblée générale des Nations unies, alors même qu’il appelle régulièrement à la disparition d’Israël.
La République islamique d’Iran a développé cet axe de la résistance pour établir un rapport de force vis-à-vis d’Israël et des Etats-Unis, avec pour objectif principal d’obtenir le départ des troupes américaines d’Irak et de Syrie. L’axe de la résistance est un atout majeur pour l’Iran, car il lui donne une profondeur stratégique. Le message de Téhéran est clair, si le territoire iranien est attaqué, la région pourrait s’embraser.
Il existe une proximité idéologique entre l’Iran et ces mouvements, tous engagés dans la lutte contre les Etats-Unis et Israël, et Téhéran soutient ces groupes tant sur le plan financier que militaire. Les actions armées des mouvements de l’axe de la résistance sont d’ailleurs coordonnées par le général Ismaël Qaani, chef de la force Al-Qods, le bras armé des gardiens de la révolution islamique.
Néanmoins, ces récentes années, les groupes alliés de l’Iran ont gagné en autonomie. Téhéran a cherché à favoriser l’implantation locale de ses proxys pour leur donner plus de légitimité. C’est une réussite concernant le Hezbollah libanais, qui fait partie intégrante de l’économie et du système politique libanais, même si cela n’empêche pas les contradictions idéologiques. Bien que le Hezbollah soit fortement implanté sur la scène libanaise, Hassan Nasrallah [1] continue de défendre l’idéologie développée par Rouhollah Khomeini [2] appelée velayat-e faqih, basée sur le principe de supériorité du religieux sur le politique.
Pour l’instant, l’Iran a réussi à maintenir cet équilibre. Téhéran parvient à faire pression sur Washington et Tel-Aviv, sans rentrer dans un affrontement direct avec Israël et les Etats-Unis. Les actions des groupes pro-iraniens lui permettent de se positionner comme le pays qui est le plus radical dans la défense de la cause palestinienne, en accord avec le programme idéologique de la République islamique d’Iran.
L’Iran vit une crise économique et politique depuis septembre 2022. Certes, le pouvoir fait face à une réelle crise de légitimité en interne, mais cela n’a pas eu d’effet sur la politique iranienne au Moyen-Orient. La politique régionale de l’Iran a toujours été organisée par les Pasdarans, cela ne change pas, quelles que soient les difficultés internes. Le seul élément notable ces dernières années est le contrôle de tous les pouvoirs, depuis 2020 et 2021, de la mouvance politique des conservateurs radicaux, proche de la ligne des Pasdarans, ce qui peut avoir eu pour conséquence de conforter les Gardiens de la révolution dans leurs actions régionales.
Les discussions officieuses sur le nucléaire iranien entre les Etats-Unis et l’Iran ont été stoppées avec la guerre à Gaza. Depuis, selon l’Agence internationale de l’Energie atomique (AIEA), Téhéran aurait accéléré son programme nucléaire depuis novembre 2023. Aujourd’hui, il est impossible pour le président américain Joe Biden, du moins de manière officielle, de relancer des négociations avec l’Iran, alors qu’il est en campagne électorale et qu’il est déjà critiqué pour avoir levé le blocage de 6 milliards de dollars en échange de la libération de prisonniers américains en septembre dernier. Pour assister à la relance des discussions, il faudra attendre l’éventuelle réélection du candidat démocrate.
En revanche, si Donald Trump est réélu, cela renforcerait les incertitudes, déjà fortes, au Moyen-Orient. Tous les conseillers de Donald Trump affirment remettre en place une « politique de pression maximale » contre l’Iran, alors même que celle-ci n’a montré aucun effet positif.
L’activisme de certains groupes baloutches investis dans la lutte armée contre le pouvoir iranien et implantés au Pakistan, crée, depuis longtemps, un vif mécontentement à Téhéran. Ce sont ces groupes qui ont été visés lors des frappes de la mi-janvier. Certes, ces attaques iraniennes sur le sol pakistanais étaient inattendues, mais elles sont à appréhender dans un contexte particulier, dans lequel le régime iranien fait face à des pressions multiples. Les attaques contre l’Iran et ses intérêts se sont multipliées ces dernières semaines : l’attaque d’un poste de police dans la province du Sistan-Baloutchistan du groupe terroriste baloutche Jaish Ol Adl (11 morts) en décembre 2023, l’assassinat par Israël du haut commandant des Pasdarans, le général Hossein Hamedani, en Syrie et début janvier 2024, l’attentat revendiqué par l’Etat islamique qui a fait près de 90 morts à Kerman en Iran. Dans ce contexte, le pouvoir iranien, qui souffre d’une crise de légitimité en interne, a voulu montrer qu’il pouvait frapper fort, pour assurer la sécurité de la population iranienne.
Les frappes sur le Pakistan ont surpris et ont été l’objet de critiques, même en Iran, car les deux pays entretiennent depuis longtemps de bonnes relations. Mais le Pakistan a répondu à ces frappes de manière maîtrisée, les deux pays ont ainsi montré qu’ils ne souhaitaient pas un embrasement. Ils espèrent avant tout que leurs services de renseignement coopèrent, notamment sur la question de l’activisme armé baloutche.
Thierry Coville
Thierry Coville est chercheur à l’IRIS.
Ines Gil
Ines Gil est Journaliste freelance basée à Beyrouth, Liban.
Elle a auparavant travaillé comme Journaliste pendant deux ans en Israël et dans les territoires palestiniens.
Diplômée d’un Master 2 Journalisme et enjeux internationaux, à Sciences Po Aix et à l’EJCAM, elle a effectué 6 mois de stage à LCI.
Auparavant, elle a travaillé en Irak comme Journaliste et a réalisé un Master en Relations Internationales à l’Université Saint-Joseph (Beyrouth, Liban).
Elle a également réalisé un stage auprès d’Amnesty International, à Tel Aviv, durant 6 mois et a été Déléguée adjointe Moyen-Orient et Afrique du Nord à l’Institut Open Diplomacy de 2015 à 2016.
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