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Dans ce numéro de la revue Etudes du mois de juillet-août 2011, Bertrand Badie, professeur à l’Institut d’études politiques de Paris et membre du CERI, analyse les événements de ces derniers mois dans le monde arabe. Bertrand Badie constate : « le printemps arabe a mis en mouvement des sociétés qui ont été longtemps apparemment immobiles. Si ces sociétés semblent suivre un chemin commun depuis quelques mois, il faut pour autant insister sur leur extrême variété. Il n’y a pas de portrait type du régime politique du monde arabe avant ces grands événements ». Il classe alors les Etats par type de régime, au nombre de trois : les traditionnels (Etats de la péninsule arabique et la Jordanie) ; les conservateurs et républicains (Tunisie, Egypte) ; les « révolutionnaires ». Les points communs de ces trois régimes sont l’autocratie, la répression et la non participation, mais se définissant et se présentant comme « modernisateur ». Dans le domaine des sciences politiques, ils sont ainsi qualifiés d’« autocratie modernisatrice ». L’auteur explique que ces régimes - dont on pensait qu’ils devaient passer par une période autoritaire avant de parvenir à la démocratie, et sur certains desquels l’Occident s’est appuyé dans sa recherche de sécurité à la suite du 11 septembre 2001 - « même déviants, arrangeaient à peu près tout le monde ».
A la suite de son introduction, Bertrand Badie articule son analyse en sept points. Evoquant le « rôle de l’islam », il constate qu’il est excessif d’en faire « la cause » de « l’autoritarisme » et de la « contestation », même si cette raison a souvent été avancée. En revanche, évoquant le « temps social et (le) temps politique », il explique que les mouvements dans le monde arabe « appartiennent plus au temps social qu’au temps politique », et insiste sur la volonté des populations qui a été de reconstruire le lien social avant de se mobiliser sur le plan politique. Ce prisme social a surpris les autorités en place, « personne ne croyant aux vertus de la dynamique sociale dans l’espace politique ». Ce choix a été motivé par les difficultés économiques et le chômage, mais également par la recherche de la « dignité humaine » et de la lutte contre « l’humiliation ». Bertrand Badie s’interroge ensuite sur la pertinence ou non de parler de « dissidence » dans les mouvements actuels. Il rappelle qu’à la différence des événements de 1989 en Europe de l’Est, qui sont passés « de la dissidence au mouvement social », ceux du monde arabe aujourd’hui n’ont connu aucune incitation à la mobilisation. C’est pourquoi ni les gouvernements arabes ni les puissances occidentales n’ont prévu ou pensé que ces mouvements pouvaient survenir. L’auteur analyse ensuite la « spécificité arabe de ce mouvement », en particulier l’identification, la solidarité et la perception commune d’une arabité. Mais ce ne sont pas les seules spécificités. Pour l’auteur, ce qui a également joué est le sentiment des populations arabes d’être considérées comme un « instrument de sécurité » sur le plan géostratégique par l’Occident, et leur volonté de sortir de ce rôle. Le « lien social » est ainsi victorieux dans ces mouvements, et non pas le politique. Cependant, ce renforcement amène l’auteur à s’interroger sur la pérennité des autres liens existants, en particulier le lien tribal, et sur le lien social tissé par Internet, qui « est un des facteurs de ce mouvement ». La question du lien social soulève celle de la « reconstruction politique ». Il paraît difficile aujourd’hui d’évoquer cet avenir politique car « l’expérience manque sur la manière d’articuler le temps social et le temps politique. Ces révolutions ont appartenu au temps social. Organiser un gouvernement, c’est passer à la temporalité politique. Comment peut-on, à partir de mouvements sociaux sans expérience, ni slogan ni orientation politique, faire naître des formes de gouvernement, ou d’expression programmatique ? Personne ne le sait ». Bertrand Badie évoque alors, dans ce contexte, le risque d’élections trop rapides, qui pourraient faire revenir au pouvoir les anciennes équipes, déjà rodées et organisées. Le « programme politique » est pour l’auteur celui de mettre au cœur du politique la dignité humaine.
Au final, Bertrand Badie met en évidence que ces mouvements, soudains, ne sont « pas l’aboutissement d’un processus, mais le commencement de quelque chose de nouveau dont on ne sait pas vers quoi il va aller ».
Anne-Lucie Chaigne-Oudin
Anne-Lucie Chaigne-Oudin est la fondatrice et la directrice de la revue en ligne Les clés du Moyen-Orient, mise en ligne en juin 2010.
Y collaborent des experts du Moyen-Orient, selon la ligne éditoriale du site : analyser les événements du Moyen-Orient en les replaçant dans leur contexte historique.
Anne-Lucie Chaigne-Oudin, Docteur en histoire de l’université Paris-IV Sorbonne, a soutenu sa thèse sous la direction du professeur Dominique Chevallier.
Elle a publié en 2006 "La France et les rivalités occidentales au Levant, Syrie Liban, 1918-1939" et en 2009 "La France dans les jeux d’influences en Syrie et au Liban, 1940-1946" aux éditions L’Harmattan. Elle est également l’auteur de nombreux articles d’histoire et d’actualité, publiés sur le Site.
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