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« La France et le nouveau monde arabe », débat du 27 juin 2012 à l’Institut d’Etudes Politiques de Paris, introduit et animé par Gilles Kepel, en présence de M. Laurent Fabius, ministre des Affaires étrangères

Par Clémentine Kruse
Publié le 29/06/2012 • modifié le 20/01/2017 • Durée de lecture : 6 minutes

Le discours de M. Laurent Fabius visait à conclure ce colloque qui faisait un état des lieux du monde arabe à l’âge des révolutions. Le discours se plaçait dans la perspective d’une définition des relations que la France a pu, jusque là, entretenir avec les pays du monde arabe ayant connu ou connaissant actuellement des révolutions, ainsi qu’un bref aperçu des grands orientations politiques de la France dans les années à venir en ce qui concerne ces pays. Les révolutions arabes, ou le « printemps arabe », ont commencé pour M. Fabius avec l’immolation, le 17 décembre 2010, de Mohamed Bouazizi, devant le siège du gouvernement tunisien. A l’époque, « personne ne sait qu’une onde de choc », qui va bouleverser le monde arabe, est en train de naître. Un an et demi plus tard, le 26 juin 2012, Mohamed Morsi, est officiellement élu président de la république égyptienne. La France se trouve donc désormais face à un « nouveau monde arabe » et doit « se situer par rapport à lui ».

Cependant, selon M. Fabius, pour comprendre l’importance des transformations en cours il est nécessaire de faire un bref rappel historique : en effet, au milieu du XXème siècle, lors des indépendances des différents pays du monde arabe : « si les Etats avaient bien gagné leur indépendance », cela ne semblait pas être le cas des peuples. De nombreux coups d’Etat militaires avaient mené des régimes autoritaires, voire même dictatoriaux, à se mettre en place. Les révolutions qu’ont connues les pays arabes les font entrer, en quelque sorte, dans une « troisième époque », à compter des indépendances. De « nouveaux paysages » et une nouvelle « cartographie » géopolitique se dessinent, mais ces changements sont également marqués par « de grandes incertitudes ». Ces révolutions, « issues d’une alliance inédite entre la jeunesse, les classes moyennes, et les militaires » doivent désormais se transformer pour bâtir « un ordre économique, politique et social plus juste et plus stable ». Tous les pays n’en sont pas au même point dans leurs avancées : le Maroc donne un « exemple », suivi par la Jordanie, et l’on retrouve de très fortes attentes en Algérie. Les pays du Golfe, depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, sont devenus des acteurs importants tant à l’échelle mondiale qu’à l’échelle régionale, où ils ont un rôle essentiel à jouer. La répression que connaît actuellement la Syrie déstabilise la région, notamment des pays comme le Liban ou la Palestine. D’autres « foyers d’insécurité et d’instabilité » demeurent : ainsi, il reste beaucoup à accomplir en Irak pour assurer la stabilité du pays, tandis que la zone saharo-sahélienne traverse une « crise complexe et dangereuse ». Pour M. Fabius, si les changements sont « spectaculaires », l’avenir apparaît cependant « fragile et incertain ». Son discours s’articule donc autour de trois questions que l’on peut se poser, et que se pose la France : « que peut-on espérer, que peut-on craindre, et que peut-on faire ? » La position de la France est de faire le « pari de la démocratie », et d’y contribuer en assurant avec les différents pays concernés des relations à la fois « bilatérales et multilatérales ».

La première question qui oriente le discours de M. Fabius est de savoir ce que l’on peut espérer des révolutions arabes. Les attentes sont nombreuses : attente de « liberté » mais également de « justice, de dignité et de démocratie ». Aujourd’hui, les peuples qui ont mené ces révolutions ou les mènent actuellement ont « pour la première fois le sentiment d’être des citoyens depuis les indépendances » et « les sociétés ont montré qu’elles voulaient prendre en main leur avenir ». Le monde arabe avait déjà connu au début du XXème siècle des « expériences démocratiques », notamment alimentées par le mouvement de renaissance politique et intellectuelle du XIXème siècle : la Nahda. Les révolutions arabes seraient donc une « réappropriation de ce qui est commun » aux peuples : l’aspiration démocratique. L’espoir que la France peut nourrir est donc le suivant : montrer non seulement que ceux qui sont désormais au pouvoir peuvent « passer de l’opposition au gouvernement », qu’ils sont capables de respecter les « cadres légaux » dans lesquels ils ont été élus, et qu’ils rendront le pouvoir s’ils venaient à être défaits.

La seconde question posée par M. Laurent Fabius est de savoir ce que l’on peut craindre. Sa réponse principale est claire : que ceux en possession de ces nouveaux pouvoirs « refusent de les remettre » à d’autres, et qu’ils ne parviennent pas à passer d’un statut d’opposant à celui de gouvernant. De plus, on peut craindre que les difficultés économiques et sociales qui persistent ne mènent à « une radicalisation » des positions des différents acteurs. L’actualité immédiate serait ainsi source de nombreuses inquiétudes : la crainte que « les démocrates ne se fassent voler leur révolution », au profit d’islamistes radicaux ou des militaires. D’autres inquiétudes sont présentes : les droits des femmes demeurent souvent attaqués et il est nécessaire de protéger les différentes minorités religieuses. Cependant, M. Fabius précise que tout processus démocratique est inscrit dans le long terme, et que « les doutes succèdent bien souvent aux promesses ». Il évoque ainsi, à titre d’exemple, l’histoire de la France qui, après la Révolution française a connu la Restauration (1815-1848), après la révolution de 1848 a connu le Second Empire (1852-1870), et après la déclaration de la IIIème République en 1870 a connu la période de « l’ordre moral. » (1871-1875) De plus, M. Fabius estime qu’il n’existe pas « un seul et unique modèle démocratique », mais que chaque pays doit « construire le sien », à l’exemple de la Turquie moderne. Les craintes et les espoirs sont donc entremêlés et la dernière question que peut se poser la France est : que faire ?

Pour M. Fabius, face « à une situation aussi complexe », la France doit être « un appui » pour ces pays. Le monde arabe est « voisin » de la France et l’objet de multiples « enjeux », notamment en raison de la richesse de « ses ressources naturelles », et plus particulièrement des ressources pétrolières. Quatre grands principes ont été érigés par M. Fabius : « le refus de la violence », « le respect des droits fondamentaux », « la nécessité de faire des réformes en profondeur » et, finalement, « le respect des minorités et du pluralisme ». En ce qui concerne la question de la Syrie, par exemple, la France se « mobilise » pour mettre fin à la répression. Le 26 juin, l’Union européenne a ainsi adopté de nouvelles sanctions, tandis que les négociations entre les Etats membres du conseil de sécurité de l’ONU se poursuivent, afin « d’adopter une résolution sous chapitre VII de la Charte », chapitre qui régit les actions à prendre en cas de « menace contre la paix ». La « situation au Sahel » est la seconde urgence définie par M. Fabius : il est pour lui nécessaire que le Mali retrouve une stabilité et soit « sécurisé ». D’autres questions, telles que celles de l’Iran ou de la situation israélo-palestinienne sont également des priorités pour la France. Plusieurs objectifs ont été définis à la fois sur le moyen terme et sur le long terme. A moyen terme, il s’agit « d’accompagner tous les pays dans le processus démocratique. » Pour cela, le ministre a déclaré qu’il était nécessaire de s’affranchir « à l’égard de tout ce qui ressemblerait à une tutelle qu’elle soit interne ou externe » ; qu’il fallait refuser « tout paternalisme futile » et être « pratique et ferme ». La France tient à observer en priorité la façon dont les droits des femmes seront, ou non, respectés, ainsi que la présence d’une alternance et d’un pluralisme politiques. A plus long terme, la France espère pouvoir mettre en place un véritable partenariat entre Europe et pays riverains de la Méditerranée, et fonder un « grand ensemble » aux « outils efficaces ».

Pour conclure, M. Fabius a affirmé que la France se trouvait face à un nouveau monde arabe : « divers, parfois déroutant, (…) mais qui parle le langage de la liberté. » Citant Jacques Berge qui déclarait en 1956 que la langue française était « l’hellénisme des peuples arabes », le ministre a estimé que la France, en raison de sa place dans l’histoire du monde arabe, devait « cultiver les sympathies » que ces pays lui porte, « les faire fructifier et les mériter. » Il a terminé par l’idée selon laquelle, au vu de l’histoire que partage la France avec les pays du monde arabe, il lui revient « d’écrire une nouvelle page, faisant de la Méditerranée un espace prometteur de coopération et de partage. »

Publié le 29/06/2012


Clémentine Kruse est étudiante en master 2 à l’Ecole Doctorale d’Histoire de l’Institut d’Etudes politiques de Paris. Elle se spécialise sur le Moyen-Orient au XIXème siècle, au moment de la construction des identités nationales et des nationalismes, et s’intéresse au rôle de l’Occident dans cette région à travers les dominations politiques ou les transferts culturels.


 


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