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Le lundi 18 novembre, dans la soirée, le Secrétaire d’Etat américain Mike Pompeo a déclaré que Washington considère maintenant que les colonies israéliennes ne violent pas le droit international. Une annonce pour venir en aide à Benyamin Netanyahou, mis en difficulté par les progrès de son rival Benny Gantz pour former un gouvernement minoritaire (1). Deux mois plus tôt, en septembre 2019, à quelques jours des élections, Benyamin Netanyahou avait promis d’annexer la vallée du Jourdain et le nord de la mer Morte s’il était reconduit comme Premier ministre.
Ces dernières années, la construction dans les colonies s’est intensifiée en Cisjordanie et à Jérusalem Est, mettant à mal les espoirs de création d’un Etat palestinien viable incluant ces territoires et la Bande de Gaza. En Israël, l’issue des élections est encore incertaine. Benyamin Netanyahou comme Benny Gantz n’arrivent pas à former un gouvernement. Mais une chose est sûre, les partis dominants ne semblent pas faire preuve d’une volonté politique forte pour réamorcer le processus de paix. Côté palestinien, l’Autorité palestinienne est plus marginalisée que jamais et ne parvient pas à s’imposer pour proposer une issue au conflit. Le président Mahmoud Abbas, impopulaire, ne semble plus répondre aux attentes de la population palestinienne. Les espoirs portés par la solution à deux Etats s’amenuisent.
Pour éclaircir la situation, Les clés du Moyen-Orient a mené un entretien avec Jean-Paul Chagnollaud. Professeur émérite des Universités, il a été Doyen de la faculté de Droit de l’Université Cergy‐Pontoise. Il est également directeur de la revue Confluences Méditerranée, et en charge de certaines collections concernant la Méditerranée aux Éditions L’Harmattan.
A l’heure actuelle, il est encore difficile de le savoir. Mais ces dernières années, la conjoncture était plutôt favorable à Benyamin Netanyahou, pour plusieurs raisons :
D’abord, en raison de la réalité sur le terrain. Depuis plusieurs années, de facto, la vallée du Jourdain est entièrement sous l’emprise israélienne. Depuis qu’il est au pouvoir, et il faut remonter aux années 1990, car il a été Premier ministre de 1996 à 1999, Benyamin Netanyahou a tout fait pour mettre en place un contrôle total de la vallée du Jourdain sur le terrain. Pour lui, un contrôle de fait de ces territoires permettrait de mieux faire accepter une annexion de jure.
Ensuite, en raison de la conjoncture internationale. Depuis l’arrivée de Donald Trump à la Maison Blanche, les Etats-Unis ont soutenu la politique de B. Netanyahou sur plusieurs plans : concernant la reconnaissance de Jérusalem comme capitale d’Israël, avec la fin du financement de l’UNRWA (2) ou avec la reconnaissance de l’annexion du Golan (3) par Israël. Avec Donald Trump comme président, Benyamin Netanyahou bénéficie d’une fenêtre d’opportunité pour annexer une partie de la Cisjordanie.
Enfin, en raison de la séquence électorale israélienne. Durant les campagnes électorales pour les élections d’avril puis de septembre 2019, Benyamin Netanyahou a fait feu de tout bois pour remporter les élections. Il n’a pas hésité à s’allier avec l’extrême droite raciste, le parti Otzma Yehudit (force juive), qui réunit des anciens partisans du très radical rabbin israélo-américain Meïr Kahane (4). Il est donc possible qu’il annexe une partie de la Cisjordanie pour contenter l’électorat d’extrême droite.
Cette fenêtre d’opportunité s’est récemment réduite avec l’échec de Benyamin Netanyahou à former un gouvernement lors des deux dernières élections. Cependant, son rival Benny Gantz n’a pas plus de chances de former un gouvernement en ce moment. Il semblerait donc qu’Israël se dirige vers de nouvelles élections. Si Benyamin Netanyahou est alors reconduit comme Premier ministre, et que dans le même temps Donald Trump remporte la présidentielle de 2020, le leader du Likoud pourrait annexer une partie de la Cisjordanie, comme il l’a promis. Mais s’il échoue, les rennes du gouvernement reviendraient à son rival Benny Gantz, qui ne prendrait sûrement pas la même décision.
Benny Gantz n’a pas fait de déclaration claire à ce sujet, sauf pour critiquer l’annexion envisagée par Benyamin Netanyahou. Le leader de Bleu Blanc est plutôt de centre droit, mais son entourage, au sein de sa formation politique, provient majoritairement de la droite. Moshe Ya’alon par exemple est un ancien du Likoud, Ministre de la Défense sous un gouvernement Netanyahou. Politiquement, il n’est pas très loin de Benyamin Netanyahou.
Mais d’un autre côté, Bleu Blanc a des alliés potentiels dans la gauche israélienne. Que ce soit le Parti Travailliste ou l’Union Démocratique, ces alliés ne sont pas totalement fermés à une relance des négociations avec les Palestiniens. Benny Gantz est un libéral, il est distancié du religieux et il affirme régulièrement son attachement aux valeurs démocratiques. Le bloc autour de Benny Gantz est sensiblement différent du bloc politique formé autour de B. Netanyahou, qui réunit la droite, l’extrême droite et les religieux. Pour preuve : la plupart des membres de la Liste Arabe Unifiée ont recommandé Gantz pour faire barrage à B. Netanyahou. Le bloc autour du Premier ministre est ethno-nationaliste religieux. Il est fermé sur la question palestinienne.
Même si la nuance est fragile, ces forces politiques sont tout de même bien différentes. Pour l’illustrer, en 1996, le candidat travailliste Shimon Peres avait utilisé une formule assez juste au moment de la victoire de Benyamin Netanyahou aux élections (5), dont le scrutin consistait pour la première fois à élir un Premier ministre au suffrage universel (6). Selon lui, cette victoire était « la victoire des juifs » - c’est-à-dire de l’identité juive – « contre les Israéliens » - plus attachés à l’Etat de droit, et plus séculiers.
Selon un récent sondage, environ 60% des Palestiniens souhaitent la démission de Mahmoud Abbas. L’Autorité palestinienne (AP) traverse une véritable crise structurelle. Elle ne parvient plus à convaincre les Palestiniens, principalement chez la jeune génération. La population palestinienne ne voit pas sa situation évoluer.
Pour retrouver la confiance des Palestiniens, l’AP doit se ressourcer en organisant des élections, à commencer par la Présidentielle. A condition que le scrutin soit libre et transparent. Elle retrouverait alors un leadership et pourrait lancer une nouvelle stratégie sur le plan international. Depuis l’arrivée de Donald Trump à la présidence américaine, l’AP est inaudible. Or, avant même qu’il ne devienne président de l’AP, Mahmoud Abbas a tout misé sur le dialogue avec les Etats-Unis. Il a notamment joué un rôle important à la fin des années 1980 puis dans les négociations qui ont mené à Oslo (1993).
Néanmoins, des élections ne suffiront pas. Le clientélisme, le népotisme et la corruption sont omniprésents dans les institutions de l’Autorité palestinienne, et intensifient la frustration des Palestiniens.
Jusqu’aux années 1970, la colonisation des Territoires palestiniens était marginale, sauf à Jérusalem Est. Mais l’arrivée de Menachem Begin à la tête du gouvernement israélien en 1977 a changé la donne. L’ancien Premier ministre issu du Likoud (7) a changé le discours sur ces territoires en affirmant qu’ils étaient des territoires libérés et non pas occupés. Depuis 20 ans, et surtout après la Seconde Intifada, la colonisation s’est beaucoup accélérée et intensifiée. La dimension religieuse a pris un poids considérable. Les religieux considèrent que la terre qui correspond à la Cisjordanie - Judée Samarie pour beaucoup d’Israéliens - est une terre qui appartient au peuple juif.
Par ailleurs, en Israël, les sionistes religieux occupent aujourd’hui des positions importantes sur le plan politique, dans l’administration, ou encore dans l’armée. Ils sont parvenus à influencer la population israélienne. Actuellement, la colonisation est acceptée chez une bonne partie des Israéliens. Même si le Conseil de Sécurité l’a condamnée en décembre 2016, on assiste à une fuite en avant de ce processus de colonisation dans l’indifférence de la communauté internationale. C’est dangereux pour Israël et pour la solution à deux Etats.
Oui, il en est le parfait exemple. Mais il ne faut pas surestimer le poste de Ministre de la Défense. Un autre ministère s’est avéré bien plus important en Israël pour influencer la population : celui de l’Education. Naftali Bennett est par ailleurs passé par le poste de Ministre de l’Education, nourrissant les esprits de son idéologie ethno-nationaliste et religieuse. Le vote de la loi sur l’Etat nation juif en juillet 2018 comme loi fondamentale en est un parfait exemple. Dans son article 7, cette loi présente la colonisation comme un principe à défendre. La colonisation est donc devenue un principe à valeur constitutionnelle (8).
Il est vrai qu’il y a différents profils parmis les colons. Les principales colonies sont proches des grandes agglomérations israéliennes, il est possible de s’y rendre en 30 minutes depuis Tel Aviv, ce qui diversifie la population qui les compose. Mais quand on observe les résultats électoraux dans les colonies, on est face à un constat : la droite et l’extrême droite sont largement dominantes. Les religieux y ont une place prépondérante et ils cherchent à étendre toujours plus les implantations. Maale Adumim en est un parfait exemple.
Pour autant, je ne crois pas que cette réalité matérielle empêcherait la création d’un Etat palestinien. S’il y avait une vrai volonté politique, un Etat palestinien pourrait voir le jour.
L’échec d’Oslo a eu un impact considérable. Oslo avait introduit des règles, notamment la division de la Cisjordanie en trois zones : les zones A, B et C. En principe, toute la Cisjordanie devait devenir une zone A (avec un contrôle administratif et sécuritaire de l’Autorité palestinienne), l’occupation devait prendre fin. Mais ce n’est pas ce qui s’est passé. Ce qui a été dicté à Oslo, et qui devait être temporaire, s’est figé. C’est devenu la norme aujourd’hui. Benyamin Netanyahou, en tant que Premier ministre de 1996 à 1999, a contribué à bloquer les choses. Aujourd’hui, la zone C - où Israël exerce un contrôle tant administratif que sécuritaire - représente plus de 60% de la Cisjordanie.
La Seconde Intifada a aussi contribué à figer la situation. Elle a marqué une rupture radicale entre les deux sociétés. Auparavant, dans les années 1990, on observait des éléments de confiance entre Israéliens et Palestiniens. Mais après les années 2000, cela a disparu. Depuis, la crédibilité de la solution à deux États s’est effacée et la colonisation s’est intensifiée. En conséquence, la nouvelle génération n’a aujourd’hui plus d’espoir dans la solution à deux États, surtout chez les Palestiniens, qui subissent les conséquences de l’occupation.
Mais quelle est alors l’alternative ? Un seul État ? Je ne le crois pas car avec un seul État, nous serions dans une situation d’apartheid. Le gouvernement Netanyahou ne donnera pas le droit de vote aux Palestiniens, et la loi sur l’État nation du peuple juif est désormais le fondement juridique des discriminations possibles. Nous faisons face à une impasse. Il faut donc impérativement une séparation entre les deux peuples, avec deux États. C’est encore possible. Même si cette solution a été décrédibilisée les deux dernières décennies, il n’y a pas d’autre issue : soit un État palestinien est créé aux côtés d’Israël, soit nous allons droit vers l’apartheid.
Mahmoud Abbas n’a jamais voulu remettre en question Oslo. Il a toujours espéré que Washington le soutiendrait. Mais aujourd’hui, il a été pris de court par l’arrivée de Donald Trump.
Depuis la mort de Yasser Arafat, et encore plus depuis la victoire du Hamas en 2006 et son arrivée au pouvoir à Gaza en 2007, la dynamique du mouvement palestinien est cassée. Mahmoud Abbas brandit donc des menaces pour redonner un souffle à sa présidence. Ces dernières années, il multiplie les annonces de ce type, mais il ne les applique pas. Il n’a pas de stratégie et il est très critiqué, surtout depuis l’arrivée de D. Trump à la Maison Blanche.
Depuis quelques temps, le président de l’AP évoque la fin de la coopération sécuritaire avec Israël. Un vote a été organisé au sein de l’OLP pour ratifier cette mesure, mais cela n’a jamais été mis en oeuvre, car la coopération sécuritaire est en fait une priorité pour lui.
Concernant la dissolution de l’Autorité palestinienne, elle est peu envisageable à l’heure actuelle. Cela aurait par ailleurs des conséquences lourdes sur la population palestinienne, dans de nombreux domaines, comme la santé ou la sécurité.
Plusieurs éléments rendent la réconciliation difficile.
D’abord, les différences politiques, et même idéologiques entre les deux partis. En 2006, le Fatah était réellement déchaîné contre la victoire du Hamas aux élections.
Ensuite, le rapport au pouvoir. Le Hamas comme le Fatah veulent conserver le pouvoir qu’ils ont acquis. Ils ne veulent pas le lâcher.
Enfin, le contrôle des forces de sécurité. C’est un enjeux majeur : qui aura le contrôle de la force ? Le Hamas ne va pas lâcher les forces de sécurité à Gaza. Et du côté de l’Autorité palestinienne, assurer le pouvoir sans avoir le contrôle sécuritaire n’a pas de sens.
Les accords de réconciliation initiés entre les deux partis sont vivement souhaités par la population palestinienne. Mais ils ne sont pas mis en oeuvre. Quand on se penchera sur l’histoire, cela sera vu comme un grave échec du mouvement national palestinien.
Notes :
(1) Un gouvernement minoritaire ne comprendrait pas le Likoud de B. Netanyahou.
(2) Agence des Nations unies pour les réfugiés palestiniens.
(3) Partie du Golan syrien occupé par Israël depuis 1967 et annexé par l’Etat hébreu en 1981.
(4) Fondateur du parti anti-arabe Kach.
(5) Mai 1996.
(6) Système utilisé en 1996, puis en 1999 et en 2001 puis abandonné.
(7) Premier chef de gouvernement de droite dans l’histoire d’Israël.
(8) Israël n’a pas de Constitution, mais des lois fondamentales considérées comme étant de valeur constitutionnelle.
Jean-Paul Chagnollaud
Jean-Paul Chagnollaud est Professeur des universités, directeur de la revue Confluences-Méditerranée et de l’iReMMO.
Ines Gil
Ines Gil est Journaliste freelance basée à Beyrouth, Liban.
Elle a auparavant travaillé comme Journaliste pendant deux ans en Israël et dans les territoires palestiniens.
Diplômée d’un Master 2 Journalisme et enjeux internationaux, à Sciences Po Aix et à l’EJCAM, elle a effectué 6 mois de stage à LCI.
Auparavant, elle a travaillé en Irak comme Journaliste et a réalisé un Master en Relations Internationales à l’Université Saint-Joseph (Beyrouth, Liban).
Elle a également réalisé un stage auprès d’Amnesty International, à Tel Aviv, durant 6 mois et a été Déléguée adjointe Moyen-Orient et Afrique du Nord à l’Institut Open Diplomacy de 2015 à 2016.
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