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Frédérique Schillo est chercheuse en Histoire, spécialiste d’Israël. Sa thèse de doctorat, soutenue à Sciences-Po, sur La politique française à l’égard d’Israël, 1946-1959 (publiée chez André Versaille en 2012) a reçu le prix Jean-Baptiste Duroselle couronnant la meilleure thèse de Relations internationales. Elle est l’auteur de La Guerre du Kippour n’aura pas lieu (André Versaille, 2013) et d’un ouvrage sur Jérusalem à paraître chez Plon.
C’est à la fois l’aboutissement d’un processus de longue haleine, d’une vieille utopie, le projet sioniste, et un mélange de ce qu’on appelle la haltoura en hébreu ; c’est-à-dire une chose qui est faite à la dernière minute, qui est décidée dans la précipitation. Pourquoi ? Parce que David Ben Gourion décide de cette proclamation très peu de temps avant. Il a obtenu l’approbation du conseil de l’agence juive le 12 mai 1948 pour proclamer la naissance de l’Etat, le 13 mai seulement le représentant de l’Agence juive à l’ONU est informé de cette décision, de la date et de l’heure, et le 14 mai au matin encore, le gouvernement provisoire discute des termes de la déclaration, qui n’est pas encore finalisée. Pourquoi également au dernier moment ? Parce que Ben Gourion est pressé par le temps, en raison de la fin du mandat britannique le 15 mai, et du fait qu’il faut procéder à cette proclamation, si elle se fait, avant shabbat. Le gouvernement provisoire se réunit donc le vendredi 14 mai, dans le musée de Tel-Aviv. A 16 heures, installé dans la grande salle du Musée sous le portrait de Theodor Herzl, Ben Gourion proclame la fondation de l’État juif, qui prend le nom d’Israël. Autre surprise, 11 minutes plus tard, les États-Unis reconnaissent de facto l’État israélien.
Il n’en demeure pas moins que tout le monde est pris de court, c’est notamment le cas des Français, surpris par la proclamation de l’État, et sans doute encore plus par la reconnaissance américaine, puis, quelques jours plus tard, la reconnaissance de jure soviétique.
Cependant, cette proclamation, même si elle est organisée à la dernière minute, est l’aboutissement d’un très long processus, le projet du sionisme politique. Rappelons ici les mots de Herzl, qui prophétisait fin 1897 : « à Bâle j’ai fondé l’Etat juif, d’ici cinq ans peut-être, 50 ans sûrement, chacun de vous le verra. »
Entre-temps, le projet sioniste a été reconnu internationalement, il a été légitimé par la déclaration Balfour du 2 novembre 1917, appelant à l’établissement en Palestine d’un foyer national pour le peuple juif. Cela a été réitéré dans le mandat confié par la SDN à la Grande-Bretagne, et plus tard encore dans la résolution 181 de l’ONU du 29 novembre 1947 sur le plan de partage. On peut donc dire que l’État d’Israël naît avec des bases juridiques, légitimes, très solides.
Il y a également nombre d’institutions, qui sont apparues pendant la période mandataire et qui font qu’Israël existait d’une certaine manière déjà avant Israël ; c’est même le titre des mémoires de Ben Gourion, Israël avant Israël. Ainsi, la Histadrouth a été fondée en 1920, la Haganah en 1921, l’Université hébraïque en 1925.
De fait, quand l’État naît, il a déjà une assise juridique et institutionnelle, ce qui va faciliter sa construction.
La proclamation de Ben Gourion du 14 mai parle de la création « d’un Etat juif en Eretz Israël (« en terre d’Israël ») », qui est une référence au Grand Israël, auquel Ben Gourion lui-même a d’ailleurs dû renoncer en 1946 à Paris, lors d’un congrès historique où pour la première fois l’Agence juive a accepté le principe du partage de la Palestine et a renoncé à l’Israël biblique. Mais cette idéologie du grand Israël continuera à être portée par la droite révisionniste.
Ben Gourion marque également tout de suite le fait que cet État sera établi « dans la plus complète égalité sociale et politique pour tous ses habitants, sans distinction de religion, de race ou de sexe ». Voici réunis tous les fondements de ce qui est jusqu’à nos jours la définition même d’Israël, à savoir un État juif et démocratique, ce qui peut paraître parfois contradictoire, notamment dans son rapport aux citoyens arabes qui représentent aujourd’hui 20 % des Israéliens.
L’État est juif également de par les premières grandes lois fondamentales, en particulier la Loi du retour adoptée en 1950, grâce à laquelle 4 millions de Juifs pourront « monter » en Israël. On est là au cœur de l’idéologie sioniste, le rassemblement des exilés, même si, dans la réalité, la définition de « qui est juif ? » suscite de nombreux débats. Ben Gourion lui-même a tenté d’y répondre en convoquant des intellectuels, mais il faudra attendre 20 ans pour avoir une définition stricte de qui est juif – celui dont la mère est juive – et mécaniquement un assouplissement de la loi du retour (élargi aux conjoints ou parents éloignés) de façon à encourager l’aliyah.
De grandes institutions du jeune Etat fondent aussi son caractère juif : l’Agence juive, le Keren Kayesod pour les relations avec la diaspora, le KKL pour l’acquisition des terres.
Et dans le même temps, Israël se construit comme un État profondément démocratique au rythme des lois fondamentales, qui culmineront en 1992 avec l’adoption de lois sur les droits de l’Homme. Son cadre institutionnel est fortement inspiré de la démocratie britannique : le bipartisme, le parlementarisme, la proportionnelle pure. On le voit aussi à travers quelques figures de l’État, par exemple le président de la Knesset qui, même s’il n’a pas la même stature que le speaker britannique, a une image très forte : chaque année, aux célébrations de Yom Haatsmaout (la fête de l’Indépendance), il est le seul à pouvoir s’exprimer. Cette année cependant, la tradition a été rompue car Benyamin Netanyahou a pu y prononcer un discours, de surcroît très politique. D’autre part la présidence de l’État a été pensée comme une présidence honorifique. Shimon Peres a su exploiter le lustre de cette fonction en se faisant un peu l’ambassadeur d’Israël, et l’ambassadeur de la paix, à l’étranger. Très différent aujourd’hui, Reuven Rivlin se révèle pleinement dans le rôle de gardien des institutions, jusqu’à incarner un contre-pouvoir à Netanyahou, pourtant représentant du même parti que lui. C’est quelque chose que Ben Gourion sans doute n’imaginait pas et ne souhaitait sûrement pas d’ailleurs, puisqu’il avait fait en sorte que le mandat présidentiel soit court de façon à atténuer la position de son rival Haïm Weizmann : le mandat était à l’époque de cinq ans, et il est de sept ans aujourd’hui.
La construction de l’État se fait aussi, et c’est essentiel, au rythme des guerres. Israël naît dans la guerre, il se maintient grâce à la guerre, et il va conserver son aspect démocratique malgré l’état de guerre permanent. Pendant les premières années, la figure du pionnier-soldat imprègne les esprits, les deux se confondant : le kibboutznik est en même temps un soldat en première ligne. Il y a également tout ce que Ben Gourion insuffle dans les premières années avec ce qu’il a appelé la Mamlahtiout, un néologisme renvoyant à l’intérêt supérieur et à la conscience civique, qui signifie la force unitaire de l’État. S’en suit un profond respect pour les institutions politiques et militaires, à commencer par Tsahal, véritable creuset national.
Autre élément : la mémoire, car Israël est un Etat fondé sur une identité forte, une identité nationale, une histoire, fruit d’un long héritage. Le travail mémoriel était au départ très tourné vers les grands gestes antiques, par exemple la résistance à Massada, ou les héros du sionisme, comme le « martyre » de Joseph Trumpeldor à la bataille de Tel-Haï en 1920. Puis la mémoire de la Shoah a vraiment forgé l’État, Yom HaShoah (le Jour du Souvenir) a été institué en 1951, l’ouverture de Yad Vashem, le mémorial de la Shoah, en 1953, a été une étape importante, tout comme évidemment le procès Eichmann en 1961-62, qui a marqué les consciences. Israël, et c’est vraiment sa raison d’être, incarne à la fois le passé et l’avenir, et c’est ce qui se voit aujourd’hui dans les célébrations de la fête de l’indépendance, la veille étant toujours le temps de Yom HaZikaron (le jour du souvenir), en mémoire de ceux qui sont tombés pour l’Etat, victimes des guerres et du terrorisme. C’est vraiment cette ambivalence là qui donne aussi sa force unitaire à l’État, et permet de rassembler des citoyens venus d’horizons différents : Séfarades et Ashkénazes, gens de gauche ou de droite, laïcs et religieux.
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Anne-Lucie Chaigne-Oudin
Anne-Lucie Chaigne-Oudin est la fondatrice et la directrice de la revue en ligne Les clés du Moyen-Orient, mise en ligne en juin 2010.
Y collaborent des experts du Moyen-Orient, selon la ligne éditoriale du site : analyser les événements du Moyen-Orient en les replaçant dans leur contexte historique.
Anne-Lucie Chaigne-Oudin, Docteur en histoire de l’université Paris-IV Sorbonne, a soutenu sa thèse sous la direction du professeur Dominique Chevallier.
Elle a publié en 2006 "La France et les rivalités occidentales au Levant, Syrie Liban, 1918-1939" et en 2009 "La France dans les jeux d’influences en Syrie et au Liban, 1940-1946" aux éditions L’Harmattan. Elle est également l’auteur de nombreux articles d’histoire et d’actualité, publiés sur le Site.
Frédérique Schillo
Frédérique Schillo est chercheuse en Histoire, spécialiste d’Israël. Sa thèse de doctorat, soutenue à Sciences-Po, sur La politique française à l’égard d’Israël, 1946-1959 (publiée chez André Versaille en 2012) a reçu le prix Jean-Baptiste Duroselle couronnant la meilleure thèse de Relations internationales. Elle est l’auteur de La Guerre du Kippour n’aura pas lieu (André Versaille, 2013) et d’un ouvrage sur Jérusalem à paraître chez Plon.
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