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Le président algérien Abdelaziz Bouteflika a annoncé lundi 11 mars au soir renoncer à briguer un cinquième mandat et reporter la présidentielle prévue initialement le 18 avril. Malgré cette annonce, la contestation se poursuit en Algérie, en particulier chez les jeunes. Entretien avec Brahim Oumansour, chercheur à l’Institut de relations internationales et stratégiques (IRIS).
Le bilan d’Abdelaziz Bouteflika est mitigé sur le plan sécuritaire depuis son arrivée. Ses mandats successifs sont accompagnés d’un retour à l’ordre même si Abdelaziz Bouteflika a réussi à mettre fin au terrorisme et à l’insécurité des années 1990. Le régime capitalise beaucoup sur ce retour à la paix grâce à sa politique de réconciliation nationale.
Du côté de l’économie, la rente pétrolière lors de la première décennie de ce siècle a permis à l’État d’investir sur le plan économique pour la construction et la modernisation des infrastructures. Cela a eu un impact sur la société puisque cette évolution a permis d’acheminer le gaz et l’électricité dans plusieurs villes et régions, même éloignées. Le régime a également construit de nombreuses universités, écoles et logements et il n’y a presque plus de bidonvilles.
En revanche, beaucoup de choses restent à faire. La construction de ces logements s’est faite en urgence, avec peu de réflexion en matière d’urbanisme. Le secteur de la santé est affaibli et détérioré. Beaucoup de réformes économiques structurelles sont également nécessaires, en particulier en ce qui concerne le système bancaire et financier. Il est nécessaire de diversifier l’économie algérienne pour sortir de la dépendance pétrolière.
Le système politique freine actuellement le pays car il n’arrive pas à se régénérer et la concentration de pouvoir mène à la situation actuelle. Le président est malade, très affaibli, mais le pouvoir en place cherche à le maintenir pour protéger des privilèges politiques et économiques, mais aussi pour des raisons sécuritaires et de stabilité. Malheureusement, cela a un impact considérable sur le moral des Algériens, très mobilisés aujourd’hui.
Le renoncement à sa candidature pour un 5e mandat est loin d’apaiser la colère de la population. Il est d’ailleurs considéré comme une prolongation déguisée du 4e mandat, alors que les manifestants revendiquent actuellement un changement profond du système et ne font plus confiance à la classe qui dirige le pays en ce moment. Il y a une crise profonde de confiance qu’il faut prendre en compte vis-à-vis non seulement des dirigeants mais de toute l’élite politique, y compris l’opposition.
Cette forte mobilisation des jeunes est liée à plusieurs facteurs. Il existe un malaise social qui touche davantage les jeunes, les plus affectés par le chômage. Même les jeunes diplômés sont concernés (17% de chômage selon les régions), et le taux est encore plus élevé pour les jeunes déscolarisés. Avec la chute du prix du pétrole et les politiques d’austérité, le pouvoir d’achat de la population s’est par ailleurs considérablement affaibli et les classes populaires et moyennes sont les premières touchées. Enfin, on assiste à l’émergence d’une classe moyenne éduquée, bien formée, ouverte au monde avec des aspirations et des ambitions considérables ces dernières années. Contrairement à l’époque des Printemps arabes en 2011, les réseaux sociaux couvrent désormais l’ensemble du territoire national, ce qui permet un partage d’informations plus important, et ce qui explique la rapidité de la mobilisation, qui concerne finalement l’ensemble de la société.
Je crois que ce scénario, que craignent certains pays et observateurs, est très peu probable. Les institutions de l’État sont très solides et, si le pouvoir politique algérien tombe, tout ne s’effondrera pas. L’affaiblissement du régime politique n’atteint pas les autres institutions de l’État. C’est le cas de l’armée qui reste stable pour l’instant. De plus, la population a démontré jusque-là de la prudence et de la maturité politique qui privilégie une mobilisation pacifique loin de toutes formes de violence. La même prudence est observée chez les dirigeants, et notamment au sein de l’armée qui évite à tout prix que la situation dégénère et devoir en conséquence intervenir face à la population pour rétablir l’ordre.
Brahim Oumansour
Brahim Oumansour est géopolitologue et consultant en stratégie internationale. Chercheur associé à l’Institut de prospective et sécurité en Europe (IPSE), au Centre d’études et de recherche sur le monde arabe et méditerranéen (CERMAM) et à l’IRIS où il intervient en tant qu’expert en stratégie internationale du diplôme d’IRIS Sup’ Défense, sécurité et gestion de crise et Géopolitique et prospective.
Ses recherches portent principalement sur le Maghreb ainsi que sur la diplomatie publique et au rôle des acteurs non-étatiques (ONG, syndicats, groupes d’influences, multinationales, etc.), aux questions relatives au terrorisme, à la gestion des conflits, etc.
Il enseigne Systèmes politiques comparés, Géopolitique et l’anglais économique respectivement à l’Université Paris-Est Créteil, à l’Université d’Évry val d’Essonne et à l’école SUPii Mécavenir.
Il est régulièrement invité en tant que consultant et conférencier par différentes institutions et différents médias français et étrangers.
Léa Masseguin
Léa Masseguin est étudiante en Master 2 Gouvernance et Intelligence internationale dans le cadre d’un double diplôme entre Sciences Po Grenoble et l’Université internationale de Rabat. Passionnée à la fois par l’actualité et la diplomatie, elle a travaillé au sein du quotidien libanais L’Orient-Le Jour et à la Représentation permanente de la France auprès des Nations unies à New York. Elle s’intéresse à la région du Proche-Orient, en particulier la Syrie et le Liban.
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