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Les rendez-vous de l’histoire du monde arabe se sont tenus à l’Institut du Monde arabe du 25 au 27 mai 2018. Pendant ces trois jours, des conférences, tables rondes, rencontres et présentations d’ouvrage ont été organisées sur le thème « Arabes, Français : quelle histoire ! », mettant en avant les liens historiques et actuels entre la France et les pays arabes. Ces relations sont culturelles, politiques et sociales, volontaires ou forcées. La table ronde « La France dans les pays du Golfe arabe » questionne et remet en cause l’idée d’une France reléguée ou écartée dans un rôle secondaire par la Grande-Bretagne puis par les Etats-Unis dans la région du Golfe. Elle permet de montrer que les liens entre la France et les pays du Golfe sont anciens et se manifestent encore aujourd’hui.
Cette table ronde est modérée par Philippe Pétriat, historien et maître de conférences à l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne et à l’Institut d’Histoire moderne et contemporaine, et réunit des chercheurs de diverses disciplines : Mohamed Said et ‘Abd al-Hadi al-‘Ajmi, tout deux historiens et professeurs à l’université de Koweït, Guillemette Crouzet, historienne à l’Université de Warwick en Grande-Bretagne, Laurent Bonnefoy, chercheur CNRS en Sciences politiques au Centre de recherches internationales (CERI) de Sciences Po et Guillaume Charloux, archéologue et ingénieur de recherche CNRS.
Ces chercheurs ont tout d’abord évoqué l’ancienneté et la nature des relations entre la France et les pays du Golfe.
Guillaume Charloux évoque les campagnes archéologiques menées sous Napoléon. Il existe une lutte entre les Britanniques et les Français au Moyen-Orient pour obtenir le droit de fouiller au XIXème siècle car l’archéologie est considérée comme une source de prestige et de puissance. En Arabie saoudite, les premières collectes scientifiques françaises ont été menées par Jaussen et Savignac dans le Hedjaz en 1907.
Le professeur ‘Abd al-Hadi al-‘Ajmi rappelle que les premières formes de rapport politique entre la France et le Koweït apparaissent à la suite de la libération d’un envoyé français par l’émir du Koweït au XIXème siècle. Cet incident marque le point de départ des relations diplomatiques entre les deux pays qui se voient mutuellement comme des partenaires politiques. Jusqu’au XIXème siècle, les rapports sont surtout économiques et politiques. Les contacts culturels se développent par la suite et passent par l’intermédiaire de l’Egypte. Le Koweït déploie des missions en Egypte où les Koweïtiens découvrent la culture française.
Le professeur Mohamed Said ajoute que la présence française s’est manifestée dès le XVIIIème siècle par la présence de la marine française dans la région et par des relations avant tout économiques.
Guillemette Crouzet montre quant à elle que la présence marine et militaire française résulte de la stratégie napoléonienne de s’implanter dans la région du Golfe pour prendre les Indes britanniques et ainsi inquiéter la Grande-Bretagne. Des missions militaires ont notamment été déployées auprès des Perses. Cette logique de contrôle des espaces maritimes dans le Golfe se poursuit après Napoléon. Pour consolider la présence française dans l’Océan Indien, la France a notamment renforcé ses liens avec le Sultanat d’Oman à la fin du XIXème siècle. Sous la IIIème République, un vice-consulat français est ouvert à Oman, sous la direction de Paul Ottavi qui gagne la confiance du Sultan Faysal. Une concession de charbon au sud de Mascate est cédée à la France, avant qu’elle y renonce à la fin du XIXème siècle sous la pression des Britanniques. La IIIème République est marquée par un regain d’engouement pour Oman. Antonin Goguyer, arabisant, trafiquant d’armes, se prend de passion pour Oman. Il y voit un point de départ pour créer un Moyen-Orient français et ainsi concurrencer les Britanniques. Les liens économiques sont aussi importants : les routes commerciales pour les perles fines se développent entre la France et le Golfe et à la fin du XIXème siècle et au début du XXème siècle, des bijoutiers et des courtiers se rendent dans le Golfe pour négocier directement avec les marchands arabes. C’est le cas de Léonard Rosenthal, diamantaire russe naturalisé français, en 1905 ou du petit-fils de la Maison Cartier en 1907.
Pour Laurent Bonnefoy, le Yémen se caractérise par des logiques et des temporalités différentes, logiques qui sont plus économiques que militaires. Des routes commerciales se mettent en place au XVIIème siècle autour du commerce du café. Le livre de Jean de La Roque, Voyage de l’Arabie heureuse, évoquant le commerce du café entre 1708 et 1713, est un succès à la cour du roi et nourrit les fantasmes français sur le Yémen. La présence diplomatique française est faible au Yémen mais la production culturelle, notamment celle de Rimbaud ou de Malraux, est très marquée par une vision orientalisante du Yémen.
Mohamed Said pour sa part invite à relativiser la notion de faible présence française par rapport à une puissance coloniale omniprésente britannique. Tout d’abord, les Britanniques se sont surtout installés dans les ports et sont peu présents dans les terres. De plus, la présence militaire, scientifique et intellectuelle des Français était importante. C’est ce dont témoignent les récits de voyageurs comme Victor Fontanier (Voyage dans l’Inde et dans le Golfe Persique par l’Egypte et la Mer Rouge, 1844-1846) ou Louis Damoiseau (Voyage en Syrie et dans le désert, 1833). Ces sources ont été oubliées ou reléguées du fait de leur orientalisme. Pour Mohamed Said, elles constituent néanmoins des archives vitales pour l’historien du fait de leurs descriptions très précises des sociétés.
A la suite de ces exemples, Philippe Pétriat pose la question des interlocuteurs arabes que ces Français ont rencontrés. A Oman, le sultan semble être un interlocuteur privilégié aussi bien pour le vice-consul Paul Ottavi que pour Antonin Goguyer, selon Guillemette Crouzet. Pour Mohamed Said, Victor Fontanier et Louis Damoiseau ne semblent pas avoir de partenaires durables.
Selon Laurent Bonnefoy, la difficulté à citer des interlocuteurs arabes est symptomatique de la manière dont on a longtemps lu l’histoire de cette région. Cette manière se caractérise par des effets de domination. Les historiens se sont concentrés sur les sources françaises. Au Yémen, les Français ont pourtant interagi lors de leurs voyages avec les tribus et les sultans locaux. Ils avaient des accompagnateurs et des traducteurs arabes dont certains ont également raconté leur voyage. De plus, l’histoire écrite en France s’est intéressée aux interactions de la France vers les pays du Golfe alors que l’inverse existe également. Il n’y avait pas que des voyages de Français au Yémen mais aussi des migrations du Yémen vers la France.
Cette question épistémologique est également abordée par le professeur ‘Abd al-Hadi al-‘Ajmi. Les sources arabo-musulmanes ont souvent été reléguées voire délégitimées par les chercheurs anglo-saxons qui ont longtemps dominé les recherches archéologiques et scientifiques dans la région du Golfe. Selon Abd al-Hadi al-‘Ajmi, l’école anglo-saxonne s’est caractérisée au XXème siècle par une orientation théorique qui mettait en doute la totalité des sources arabo-musulmanes pour écrire l’histoire. Un des enjeux actuels est donc de redonner une validité scientifique à ces sources.
Mohamed Said invite à considérer les sources en langue française et en langue arabe comme étant complémentaires et donc à casser les barrières linguistiques en traduisant ces sources dans les deux langues.
Certains chercheurs ont également évoqué la présence actuelle de la France dans les pays du Golfe.
Celle-ci se manifeste notamment par les 9 missions archéologiques françaises en Arabie saoudite qui sont menées avec le Saudi Commission Heritage. Cette collaboration porte sur la fouille des sites mais également sur la restauration des bâtiments et sur la protection et la sauvegarde des sites face notamment au développement rapide du tourisme qui peut avoir des répercussions négatives sur les sites. Pour Guillaume Charloux, il existe ainsi trois enjeux majeurs dans cette collaboration en archéologie : la gestion des flux touristiques, la protection du patrimoine et l’éducation des chercheurs locaux.
Les relations économiques entre le Yémen et la France sont marquées par l’échange de gaz naturel depuis les années 2000, la France y exploitant des champs gaziers. Les conflits récents au Yémen invitent les entreprises françaises à revoir leur stratégie. Engie avait en effet prévu d’avoir un quart de ces achats de gaz naturel en provenance du Yémen mais la construction d’un pipeline a été différée puis arrêtée du fait des conflits en zone tribale. De plus, depuis la révolution yéménite, des débats sur les prix d’achat du gaz naturel par les entreprises françaises se sont développés : des soupçons de corruption ont émergé car ces prix d’achat étaient en-dessous du prix du marché. Enfin, selon Laurent Bonnefoy, si la France cherche à présenter sa stratégie dans ce pays comme étant équilibrée, elle est perçue de plus en plus comme étant problématique car elle a signé des contrats d’armement avec l’Arabie saoudite qui intervient dans le conflit yéménite.
Les pays du Golfe et la France ont une histoire commune marquée par des rapports coloniaux et d’exploitation, des rapports de négociation et des relations culturelles, sociales, politiques et militaires. Ecrire cette histoire nécessite de prendre en compte conjointement les sources françaises et les sources arabes. L’écriture de cette histoire est nécessaire pour éclairer les enjeux et les débats actuels.
Laura Monfleur
Elève en géographie à l’Ecole Normale Supérieure et diplômée d’un master de recherche en géographie, Laura Monfleur s’intéresse aux espaces publics au Moyen-Orient, notamment les questions de contrôle des espaces et des populations et de spatialité des pratiques politiques et sociales. Elle a travaillé en particulier sur Le Caire post révolutionnaire et sur les manifestations des étudiants à Amman.
Elle travaille pour la rubrique cartographique des Clés du Moyen-Orient.
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