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Le voyage historique et légendaire des Hükümdar (209 avant J.C.-5eme siècle après J.C.) (1/5)

Par Florence Somer
Publié le 16/06/2023 • modifié le 23/06/2023 • Durée de lecture : 4 minutes

On retrouve ce panthéon des Hükümdar turcs au palais présidentiel d’Ankara et dans le parc de Maçka à Istanbul. Étymologiquement, le mot turc hükümdar ou monarque est dérivé du mot arabe et persan ḥukm (pluriel aḥkām : l’ordre, la sentence, le décrit) et du suffixe persan -dar. Le terme désigne un chef de tribu, un monarque, un empereur, un roi, etc. La séquence des hükümdar commence en Mongolie et en Chine du Nord. Dans ce premier article, nous voyagerons des steppes d’Asie centrale des Xiongnu à l’immense empire gouverné par Attila (5 ème siècle après J.C.).

Crédits : Selin Altunsöy. Panthéon Hükümdar, parc de Maçka à Istanbul.

Mete Han

Mete Han (appelé également Maodun, Modu Chanyu ou Oğuz Kağan) inaugure le panthéon. Mort en 174 av. J.-C., il devient, en 209, le fondateur et le chef suprême de la tribu des Xiongnu, une confédération de tribus nomades mentionnées par les sources chinoises. Sima Qian écrit entre 109 et 91 son grand œuvre, le Shiji (« mémoires historiques ») dans lequel il tente de retracer l’histoire de la Chine depuis l’époque mythique de l’empereur jaune et où il parle de cette tribu. Il classe les Xiongnu parmi les peuples nomades dont le pouvoir s’accroit avec Modu/Mete Han mentionné par les Chinois selon l’appellation turco-mongole chēnglí gūtú shànyú, soit « shanyu, fils du ciel ». Leur campement est situé au sud-est des monts Khangaï, au centre de la Mongolie et, à partir de là, Modu étend un vaste empire qui va de la Sibérie, la Mongolie et la Mandchourie où ils repoussent les Tokhariens Yuezhi et arrivent à contrôler une grande partie de la Route de la Soie et le Xiyu ou régions de l’Ouest. Constituant une menace pour la nouvelle dynastie Han (206 av. J-C. -220 ap. J-C.), qui règne sur la Chine depuis la fin de la dynastie Qin (221-206 av. J-C.), les Xiongnu et les armées Han s’opposent pour ensuite signer un accord de paix par l’établissement d’un heqin ou mariage d’alliance et les versements par les Han d’une grande quantité de soie, d’or ou de riz aux tribus.

https://fr.wikipedia.org/wiki/Xiongnu#/media/Fichier:Asia_200bc.jpg
Carte libre de droit. Carte réalisée par Thomas Lessman pour Wikipedia.

Outre la riche histoire des peuplades unifiées par Mete Han/Modu et dont l’extension s’est perpétuée avec son fils Laoshang jusqu’aux portes de la Bactriane, la question de l’identité ethnolinguistique des Xiongnu est centrale pour comprendre celle de la réappropriation de cette histoire par les Turcs.

La première inconnue concerne l’appellation de cette peuplade par elle-même, car « Xiongnu » est un terme péjoratif chinois signifiant littéralement « esclave féroce ».

Iraniens ou Turcs ?

Les spécialistes des langues indo-iraniennes, dont Harold Walter Bailey (1899-1996), affirment que tous les noms de cette peuplade auraient des origines scythes, saka ou sogdiennes et que ces tribus parlaient donc une langue iranienne orientale.

D’autres, dont Louis Bazin (1920-2011), donnent à la langue xiongnu l’appartenance linguistique turque, prototurque ou turco-mongole. Le livre de Zhou (histoire officielle de la dynastie de Chine du Nord compilé par Linghu Defen (583-666) et achevé en 636 pendant la période Tang) rapporte une inscription sogdienne indiquant la présence de Turcs comme un sous-groupe de Huns.

D’autres encore, comme le turcologue Gerhard Doerfer, affirment que la langue xiongnu est une langue isolée alors que Edwin G. Pulleyblank parle d’un lien avec le peuple sibérien Kète.

Panu

Crédits : Selin Altunsöy. Détail du Panthéon des Hükümdar, parc de Maçka à Istanbul.

Panu (48-216/46-156) s’inscrit également dans la continuité des shanyu des Xiongnu mais ceux du nord. Il est d’ailleurs mentionné dans les sources comme : púnú dānyú ou běi dānyú. Par contre, les dates de vie et de mort sur la stèle (48-216) correspondent à celle de Pi, le shanyu du sud, l’oncle de Panu, avec lequel il s’est violemment opposé, ce qui a conduit à la division du territoire Xiongnu. Les sources chinoises donnent quelques informations sur ce personnage arrivé au pouvoir en 46 après J.-C. à la mort de son frère Kut’ersh. À cette époque, les Xiongnu subissent une grave sécheresse sur leur territoire et des raids en provenance de Wuhuan. L’oncle de Panu, Sutuhu, proposa d’agir en tant qu’agent pour demander de l’aide à la dynastie Han. Lorsque les officiers de Panu l’apprennent, ils recommandent son arrestation et son exécution. Mais Sutuhu en a été averti et, en représailles, il a rassemblé environ 50 000 hommes pour attaquer les officiers de Panu avant de se déplacer dans la région d’Ordos, vers le sud. Au cours de l’hiver 48/49, Sutuhu s’allie à la dynastie Han et s’autoproclame Pi Chanyu, ce qui conduit à la division des Xiongnu. Panu meurt à une date non précisée, et le prochain shanyu des Xiongnu du Nord est Ulug, l’un de ses petits-fils.

Attila

Crédit : Selin Altunsöy. Détail du Panthéon des Hükümdar, parc de Maçka à Istanbul.

Attila (375-454 sur la stèle, 405-453 dans les sources), le plus puissant des rois des Huns, a régné sur un immense empire s’étendant de la Mongolie ou la Sibérie jusqu’aux frontières de la France et la Pologne et l’Estonie, de la rivière Ural jusqu’au Rhin et au Danube. Bien qu’il soit synonyme de désolation par les chroniques de certains pays du nord, l’histoire légendaire des peuples turcs s’approprie Attila comme l’héritier de la force des peuples turcides d’Asie centrale. Bien que ses troupes aient apporté leurs lots de misères à Constantinople (notamment la peste de 445 et 446 suivie d’une période de famine), Atilla est perçu positivement par l’histoire nationale turque qui retient le déploiement de la force et des conquêtes des présumés ancêtres. Hyun Jin Kim et Omeljan Pritsak considèrent l’origine turcique du nom "Attila" qui pourrait signifier « dirigeant des océans ou du monde ».

https://fr.wikipedia.org/wiki/Empire_hunnique#/media/Fichier:450_roman-hunnic-empire_1764x1116.jpg. Carte libre de droits.

Cette légende est encore vivante aujourd’hui. La fondation hongroise Turan en association avec l’agence de coopération et de coordination turque (TIKA) se sont maintes fois associées ces dernières années pour célébrer la « journée des ancêtres » avec des manifestations en costumes et armures que se veulent similaires à celles organisées en Asie centrale. Cette journée a pour but de commémorer le règne d’ Attila et de recréer, le temps de cette manifestation, les conditions de vie qui auraient été celles des tribus nomades d’Asie centrale, là où le voyage des tribus turcides a commencé.

Quelques liens :
Étienne de la Vaissière, « Huns et Xiongnu », in Central Asiatic Journal, 2005-1
Nicola Di Cosmo, Ancient China and Its Enemies, Cambridge University Press, 2002.
Nicola Di Cosmo, Military Culture in Imperial China, Harvard University Press, 2011.
Crespigny, Rafe de, A Biographical Dictionary of Later Han to the Three Kingdoms (23-220 AD), Brill, 2006.
Golden, Peter Benjamin, An introduction to the History of the Turkic peoples : ethnogenesis and state formation in medieval and early modern Eurasia and the Middle East, Wiesbaden : Otto Harrassowitz, 1992.
René Grousset, L’Empire des steppes, Attila, Gengis-Khan, Tamerlan, Paris, Éditions Payot, 1965, 4e éd.
Juliana Holotová Szinek, « L’organisation sociale et économique des Xiongnu de Mongolie. Interprétation des sources archéologiques et textuelles (IIIe siècle avant notre ère –IIIe siècle de notre ère) », Études mongoles et sibériennes, centrasiatiques et tibétaines,‎ 2009.
Kim, Hyun Jin, The Huns, Rome and the Birth of Europe. Cambridge University Press, 2013.
Doris Srinivasan, On the Cusp of an Era : Art in the Pre-Kuṣāṇa World, Leiden, Brill, 2007.
Ying-shih Yü, The Cambridge History of China, Volume 1 : The Ch’in and Han Empires, 221 BC – AD 220, Cambridge, Cambridge University Press, 1986.

Publié le 16/06/2023


Florence Somer est docteure en anthropologie et histoire religieuse et chercheuse associée à l’IFEA (Istanbul). Ses domaines de recherche ont pour cadre les études iraniennes, ottomanes et arabes et portent principalement sur l’Histoire transversale des sciences, de la transmission scientifique, de l’astronomie et de l’astrologie.


 


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