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Le nouvel exil des Palestiniens de Syrie face aux violences qui traversent le pays depuis 2011 pose avec d’autant plus d’acuité la question du statut des réfugiés palestiniens au Proche-Orient.
A la suite de la guerre israélo-arabe de 1948, près de 750 000 Arabes de Palestine ont quitté leurs foyers pour fuir les combats, principalement vers les pays voisins. En septembre 1949, on dénombrait 280 0000 réfugiés en Cisjordanie, 70 000 en Transjordanie, 190 000 dans la bande de Gaza, 100 000 au Liban, 75 0000 en Syrie, 7000 en Égypte et 4000 en Irak. C’est la Nakba pour les Palestiniens : la Catastrophe. Pendant la guerre de 1967, près de 500 000 Palestiniens ont été à nouveau déplacés. Sous l’égide de l’Office de secours et de travaux des Nations unies pour les réfugiés de Palestine dans le Proche-Orient (URNWA) depuis 1949, il y aurait 4,4 millions de réfugiés palestiniens enregistrés auprès de l’office, 6 millions selon les estimations officielles du bureau de la statistique palestinien [1]. Aujourd’hui, les Palestiniens sont « les réfugiés les plus vieux du monde » puisque depuis près de 60 ans, ils ne sont pas autorisés à retourner dans leurs foyers d’origine [2].
En novembre 1948, l’Assemblée générale des Nations unies crée l’Aide des Nations unies aux réfugiés de Palestine (ANURP) afin de fournir et de coordonner les aides d’urgence aux réfugiés palestiniens. En parallèle, le 11 décembre 1948, l’Assemblée générale décide par la résolution 194 : « qu’il y a lieu de permettre aux réfugiés qui le désirent de rentrer dans leurs foyers le plus tôt possible et de vivre en paix avec leurs voisins, et que des indemnités doivent être payées à titre de compensation pour les biens de ceux qui décident de ne pas rentrer dans leurs foyers et pour tout bien perdu ou endommagé lorsque, en vertu des principes du droit international ou en équité, cette perte ou ce dommage doit être réparé par les gouvernements ou autorités responsables ». C’est la proclamation du droit au retour pour les Palestiniens, rejeté aussitôt par l’État hébreu, principalement par crainte du déséquilibre démographique.
En décembre 1949, l’Office de secours et de travaux des Nations unies pour les réfugiés de Palestine dans le Proche-Orient (UNRWA) succède à l’ANURP afin de répondre plus efficacement aux besoins économiques et sociaux de l’ensemble des réfugiés palestiniens. Désormais, l’URNWA devient le seul garant par défaut du statut international du réfugié palestinien. Dès lors, est considéré comme réfugié palestinien « une personne qui a eu sa résidence normale en Palestine pendant deux ans au moins avant le conflit de 1948 et qui, en raison de ce conflit, a perdu à la fois son foyer et ses moyens d’existence, et a trouvé refuge, en 1948, dans l’un des pays où l’UNRWA assure ses secours. » En d’autres termes, sont réfugiés palestiniens les personnes qui sont arrivées entre 1948 et 1949 et qui se sont inscrites auprès de l’office dans l’une des cinq zones où elle opère, à savoir, la Bande de Gaza, la Cisjordanie, la Jordanie, la Syrie et le Liban. Aujourd’hui, plus de 4,4 millions de réfugiés palestiniens sont enregistrés auprès de l’office, 90 % d’entre eux se trouvent dans les pays voisins : 1,78 millions en Jordanie, 960 000 à Gaza, 680 000 en Cisjordanie, 420 000 en Syrie et 400 000 au Liban [3].
Mais ces chiffres approximatifs ne comptabilisent que les réfugiés enregistrés auprès de l’agence de l’ONU et excluent de facto les réfugiés de 1948 qui n’ont pas voulu s’inscrire auprès de l’URNWA, ceux qui ne répondent pas aux critères d’éligibilité, les déplacés après 1967 ou encore les déplacés internes. Si l’on prend en compte l’ensemble de ces critères et selon des estimations officielles, on compte aujourd’hui près de 6 millions de réfugiés palestiniens à travers le monde.
Les réfugiés palestiniens sont sous l’assistance de l’UNRWA depuis 1949. Ils se distinguent du reste des réfugiés dans le monde, qui bénéficient pour leur part de la protection internationale du Haut Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR), institution créée le 14 décembre 1950 par l’Assemblée générale des Nations unies.
Pour Jalal Al-Husseini, chercheur à l’IFPO à Amman : « l’un des traits les plus marquants du statut des réfugiés palestiniens vivant au Proche-Orient a été leur exclusion des deux instruments fondamentaux du système juridique mis sur pied par la communauté internationale pour rechercher des solutions permanentes aux problèmes rencontrés par les réfugiés : le statut du Haut Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR) et la Convention relative au statut des réfugiés de juillet 1951 » [4]. Comment l’expliquer ? En effet, alors que l’ensemble des réfugiés dans le monde dispose d’une protection juridique garantie par « le régime international des réfugiés », les Palestiniens sont soumis à régime juridique différent puisqu’ils sont rattachés à un office distinct : l’UNRWA. Or, le HCR et la Convention de 1951 sur le statut des réfugiés n’intègrent pas dans leur régime de protection « les personnes qui continuent de bénéficier de la protection ou de l’assistance d’autres organismes ou institutions des Nations unies » dont l’URNWA fait partie.
La spécificité de ce statut juridique a plusieurs conséquences. Il assure une meilleure visibilité politique et symbolique aux réfugiés palestiniens puisqu’ils sont considérés comme différents de l’ensemble des réfugiés. En revanche, ils ne disposent pas d’une protection juridique optimale. Contrairement au régime de protection internationale du HCR, le statut juridique des réfugiés palestiniens est défini de façon discrétionnaire par les États d’accueil en fonction de leurs propres intérêts nationaux. Ainsi, un réfugié palestinien qui vit au Liban n’a pas le même régime de protection juridique qu’un réfugié qui réside en Jordanie. Cette différence de traitement a non seulement été largement soutenue par les États arabes mais aussi par les réfugiés palestiniens qui ont vu dans la reconnaissance de cette spécificité l’assurance du maintien de leur droit au retour sur leurs terres. A contrario, l’octroi d’un statut de réfugié permanent signifiait pour les Palestiniens leur installation définitive dans les pays d’accueil et l’abandon de leur droit à retourner dans leur pays. Ce déséquilibre juridique est souvent instrumentalisé par les États d’accueil pour justifier les différences de traitement qu’ils exercent entre les nationaux et les réfugiés palestiniens.
Les pays d’accueil sont les « principaux décideurs » du statut de réfugié palestinien. Ces régimes juridiques très différents selon les pays ont pour ambition commune de préserver au mieux le droit au retour des Palestiniens. Mais cette liberté accordée aux pays hôtes dans la définition du statut de réfugié palestinien va être rapidement encadrée par la Ligue arabe pour empêcher les abus.
Le 11 septembre 1965, la Ligue arabe établit plusieurs recommandations dans le protocole de Casablanca à destination des États arabes sur le traitement des réfugiés palestiniens [5]. L’objectif est d’assurer l’égalité de traitement entre Palestiniens et nationaux dans les domaines de l’accès à l’emploi et la liberté de circulation, tout en préservant le droit au retour. Ratifié pleinement par l’Égypte, l’Irak, la Jordanie et la Syrie, cet accord fait l’objet de réserves par le Liban et le Koweït qui craignent, en assurant l’égalité face à l’accès à l’emploi, des distorsions sur le marché du travail. Ce protocole, bien que juridiquement contraignant pour ceux qui l’ont pleinement ratifié, ne va pas empêcher de nombreux abus et discriminations exercés à l’encontre des réfugiés palestiniens.
La Syrie a été le pays qui a respecté le plus fidèlement le protocole en accordant aux Palestiniens une pleine égalité dans le domaine de l’emploi et du commerce. La part de réfugiés palestiniens au regard de la population totale étant beaucoup plus faible, 2,7% en 2002, selon un rapport de l’URNWA [6]. Le Royaume hachémite est quant à lui le seul pays à avoir octroyé pleinement la citoyenneté jordanienne aux réfugiés palestiniens après les guerres israélo-arabes de 1948. Pourtant, même si les Jordano-palestiniens sont pleinement intégrés dans le marché du travail, ils restent encore aujourd’hui exclus de certains postes stratégiques au sein de la fonction publique jordanienne.
Cette exclusion est beaucoup plus marquée au Liban où plus de 416 000 Palestiniens, enregistrés par l’UNRWA, font face à de sévères difficultés économiques et sociales [7]. Plus de 60 ans après leur arrivée, 2/3 des réfugiés palestiniens vivent dans des camps dans des conditions très difficiles. La majorité d’entre eux enregistrés par l’UNRWA sont encore aujourd’hui considérés comme des ressortissants étrangers disposant d’un droit de résidence temporaire. Seule une minorité de palestiniens chrétiens a obtenu la nationalité libanaise en 1950 et ce afin de maintenir l’équilibre confessionnel entre chrétiens et musulmans dans le pays [8]. Les réfugiés palestiniens du Liban sont ceux qui connaissent le plus de difficultés en matière d’intégration économique, sociale et politique. Ils font face à des restrictions dans quasiment tous les domaines en matière d’emploi, d’accès à la propriété et à l’ensemble des services sociaux. A titre d’exemple, les Palestiniens sont exclus de plus de 20 professions principalement dans le domaine du droit, de la médecine ou de l’ingénierie où la préférence nationale est de rigueur. Cette exclusion a notamment été institutionnalisée par un décret datant de septembre 1962 qui consacre la préférence nationale pour plus de cinquante professions principalement libérales [9]. En 2010, selon un rapport des Nations unies, le taux de chômage des réfugiés palestiniens s’élevait à plus de 60 % [10]. C’est d’ailleurs cette marginalisation que craignent les 45 000 réfugiés palestiniens de Syrie enregistrés par l’UNRWA au Liban. Ils redoutent en effet, avec le début des hostilités en mars 2011, de perdre l’égalité de traitement dont ils bénéficiaient en Syrie.
De nombreuses institutions internationales au premier rang desquels l’Union européenne ont fortement condamné les discriminations systématiques et les abus portés à l’encontre des réfugiés palestiniens résidant au Liban, mais sans effet concrets. En effet, le régime juridique des réfugiés palestiniens ne leur garantit aucune protection humanitaire internationale face aux inégalités de traitement dont ils font l’objet dans les pays d’accueil. Dès lors, comment ce problème est-il perçu par la communauté internationale ?
Vu de l’extérieur, beaucoup dénoncent l’inefficacité de l’UNRWA dans l’amélioration des conditions de vie des Palestiniens. Crée en 1949 pour faire face aux besoins des Palestiniens, l’organisme n’a cessé d’étendre son mandat et par récurrence son budget pour faire face aux besoins économiques, éducatifs et sociaux des réfugiés palestiniens. Le budget annuel pour la période 2012-2013 s’élevait à plus de 1,93 milliards de dollars [11]. Les États-Unis, l’Union européenne et le Royaume-Uni constituent les principaux contributeurs. Plus de la moitié de ces fonds est destinée à l’éducation, le reste est consacré aux services de santé et à l’amélioration des infrastructures dans les camps.
Face à cette lourde charge qui perdure depuis près de 60 ans, l’UNRWA peine à trouver un équilibre entre l’assistance et l’impératif d’émancipation à terme. Mais cette autonomie est difficilement envisageable puisque les réfugiés palestiniens sont enfermés dans un statut perpétuel d’apatridie qui se transmet de génération en génération. Le statut de réfugié est en effet accordé aux descendants par l’UNRWA. Certains chercheurs se sont interrogés sur le rôle de l’UNRWA et des États arabes dans cette spirale [12]. En effet, face à l’irréalisable retour de centaine de milliers de palestiniens dans leur pays, l’option d’une intégration définitive et durable des réfugiés de Palestine dans leur pays d’accueil n’est plus écartée. Toutefois, une telle évolution du statut juridique des exilés palestiniens semble difficilement envisageable et se heurte au consensus général présent dans le monde arabe depuis 1948 en faveur du droit au retour consacré juridiquement par la résolution 194 des Nations unies.
A fortiori, cette question fait l’objet de tiraillements au sein même de la diaspora palestinienne prise entre la volonté de conserver l’identité palestinienne et la nécessaire intégration dans le pays d’accueil comme outil de survie.
Dès lors, comment est vécu ce tiraillement de l’intérieur ?
L’identité du réfugié palestinien reste intimement liée à sa patrie d’origine : la Palestine est vécue, selon Jalal Al-husseini, chercheur à l’IFPO à Amman « d’avantage à travers la recréation d’un entre-soi culturellement rattaché à la notion de Palestine que par une implication directe dans les processus en cours en Palestine » [13]. Si les réfugiés palestiniens sont mobilisés pour conserver leur identité culturelle, ils ne sont pas pour autant tous engagés dans le mouvement politique national palestinien. L’attachement affectif au pays se traduit davantage par une relation nostalgique et psychique avec la terre perdue. L’exil et le statut d’apatride qui perdurent depuis plus de 60 ans sont au fondement même de cette relation fidèle à la patrie. D’où la difficulté à la fois affective, politique et juridique d’évoquer l’évolution du statut juridique des Palestiniens tant du point de vue des États arabes que des réfugiés palestiniens.
Si le problème se perpétue de génération en génération, c’est aussi parce que les principaux acteurs, les réfugiés palestiniens, voient dans ce statut une reconnaissance de la spécificité même de leur exil : l’inconditionnel espoir d’un retour.
Ilham Younes
Juriste de formation et diplômée de l’Institut des Sciences Politiques de Paris, Ilham Younes s’est spécialisée sur les relations Union européenne/Proche-Orient avec pour objectif de travailler dans la recherche sur ces questions. D’origine franco-palestinienne, elle a créé en 2007 et préside toujours l’association « Printemps de Palestine » dont le but est de promouvoir la culture palestinienne au travers de festivités, d’expositions ou encore de concerts.
Rédactrice-chercheur pour Carto et Moyen-Orient de janvier à mai 2012, et assistante de recherche auprès de Pascal Boniface (directeur de l’IRIS) de janvier à mai 2013 , elle a rédigé de nombreux articles sur la situation politique en Jordanie, en Égypte, ou encore au Liban. Elle s’est plus récemment impliquée aux côtés de la délégation diplomatique palestinienne pour l’éducation et la culture au cours de la 37ème Conférence générale de l’UNESCO.
Notes
[2] Jalal Al-Husseini, « Les Palestiniens entre État et Diaspora, Le temps des incertitudes », 2011, p. 37-65.
[4] Jalal Al-Husseini, « Les Palestiniens entre État et Diaspora, Le temps des incertitudes », 2011, p. 37-65.
[6] UNRWA, UNRWA in figures (as of 31 December 2002), Public Information Office (Gaza), mars 2003.
[13] Jalal Al-Husseini, « Les Palestiniens entre État et Diaspora, Le temps des incertitudes », 2011, p. 37-65.
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