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Ce numéro spécial, février-mars 2018, a été conçu à partir de la décision prise par le président américain Donald Trump le 6 décembre 2017 de reconnaître Jérusalem comme capitale d’Israël. Pour les préfaciers, Akram Belkaïd et Olivier Pironet, cette décision prouve avant tout que le soutien de nombre de gouvernements arabes à la cause palestinienne relève d’une « dialectique creuse » (p. 4). Elle manifeste aussi l’inaction de Mahmoud Abbas, qui « s’enfonce dans l’autoritarisme » (p. 5) sans avoir pourtant atteint un seul de ses objectifs. En reprenant à travers les soixante-dix ans de l’histoire du conflit israélo-palestinien des textes-clés publiés par des journalistes et des chercheurs depuis 1960, ce numéro offre une large perspective historicisée sur la question palestinienne.
La revue se découpe en plusieurs temps. Une première partie, intitulée « Une guerre de cent ans », propose la publication d’un texte inédit du chercheur Gilbert Achcar, « La dualité du projet sioniste », la réédition d’un texte de juin 1960 de l’ancienne rédactrice en chef du Monde Diplomatique Micheline Paunet, un texte de 1969 du chercheur spécialiste des guérillas et des questions stratégiques Gérard Chaliand, un texte de 1988 du journaliste Amnon Kapeliouk, un texte de 1993 de l’intellectuel palestinien et ancien membre du Conseil national palestinien Edward Saïd, deux textes de 1999 et 2000 du journaliste Alain Gresh et un texte du journaliste et historien Dominique Vidal publié en 2017.
Dans son article, Gilbert Achcar revient sur les origines du sionisme étatique pensé par Théodore Hertzl à la fin du XIXe siècle. S’en suivit déclaration Balfour en 1917 qui acta un projet sioniste réalisé « sous l’égide d’une grande puissance européenne » (p. 10), et « structurellement intégré au système impérialiste » (p. 11). Dans un article écrit en 1960 et retitré pour cette édition « La naissance de la question des réfugiés », Micheline Paunet revient sur l’exode des Palestiniens en 1948 et la mise en place d’une aide internationale aux réfugiés (l’UNRWA). « Quand la résistance s’organise » reprend un texte de Gérard Chaliand publié en 1969, qui explique l’organisation de mouvements de lutte armée – d’abord l’Organisation de Libération de la Palestine (OLP), les Héros du retour (Abtal Al-Aouda) et le Front Populaire de Libération de la Palestine (FPLP), puis les premiers commandos du Fatah à partir de 1965. Il insiste notamment sur l’impact de la bataille de Karameh en 1968 sur les populations palestiniennes, qui sent naître un « sentiment d’appartenance à l’identité collective » (p. 17), tout en mettant fin « aux pratiques ‘légalistes’ de l’Organisation de libération de la Palestine », comme le précise Samir Frangié dans un encadré sur la lutte armée placé en corps d’article (p. 20). Dans un article de 1988, le journaliste Amnon Kapeliouk atteste de l’émergence de la première intifada, et reprend la comparaison désormais fort répandue qui met en pendant la situation israélo-palestinienne et la situation sud-africaine, assimilant Gaza à Soweto (p. 21). Il explique l’éclatement de l’Intifada par les conditions économiques dans lesquels les Gazaouis sont plongés, mais aussi la « désillusion à l’égard du monde arabe » (p. 22) qui au sommet de la Ligue arabe à Amman en 1987 traitait le conflit israélo-palestinien comme un problème secondaire. En 1993, ce sont les accords d’Oslo qu’Edward Saïd commente, en les comparant à un traité de Versailles (p. 23) pour lequel « les Palestiniens, loin d’être victimes du sionisme, en étaient les agresseurs » (p. 24). En 1999, Alain Gresh revient sur un discours prononcé par Yasser Arafat le 5 décembre 1998 pour discuter une solution à deux États, reconnaissant « implicitement les déboires du ‘processus d’Oslo’ » (p. 27). En effet, les accords de 1993 menèrent rapidement à un blocage des négociations, « de nombreux engagements israéliens ne furent pas respectés » (p. 28), conduisant même à une extension des colonies (p. 29). Alain Gresh note tout de même que les accords d’Oslo « ont créé une réalité nouvelle », notamment dans la reconnaissance du « fait palestinien » aux États-Unis et le renforcement du soutien diplomatique à l’OLP (ibid.). En 2000, une nouvelle intifada éclate à la suite d’une visite d’Ariel Sharon sur l’esplanade des mosquées à Jérusalem. Alain Gresh, dans un article suivant, explique la colère des Palestiniens face aux colonies et à l’inanité de dix années de négociations. Malgré l’arrêt des violences du côté palestinien, « l’État israélien a […] continué à confisquer des terres » (p. 31) et annoncé le maintien des colonies. La victoire du Hezbollah et la libération du Sud Liban en 2000 ont aussi participé au déclenchement de ces nouvelles violences. Dans le dernier article de cette première partie, un texte de Dominique Vidal daté de 2017, c’est la loi dite « de régulation » adoptée à la Knesset le 6 février 2017 qui est discutée : ouvrant « la voie à l’annexion de tout ou partie de la Cisjordanie » (p. 34), cette loi risque de mener à un « État d’apartheid » (ibid.), de surcroît soutenu par le nouveau président des États-Unis Donald Trump.
Une deuxième partie, intitulée « Résistances » rassemble des textes de l’historienne Nadine Picaudou (2001), du journaliste Graham Usher (2003), de l’ancien ambassadeur de France et journaliste Éric Rouleau (2004), d’Edward Said (1998), de la journaliste Wendy Kristanasen (1995), de l’historien Jean-Pierre Filiu (2012), du journaliste Olivier Pironet (2014), de la journaliste au quotidien israélien Haaretz Amira Hass (2008), du professeur de sociologie à l’université de Ramallah Abaher El Sakka (2005), de l’historien Alain Ruscio (2013) et du poète palestinien Mahmoud Darwich (1987).
Le texte de Nadine Picaudou souligne la désorientation qui domine parmi les jeunes qui se sont soulevés lors de la seconde Intifada, baptisée par l’opinion générale l’« Intifada al-Aqsa ». L’auteure souligne l’absence de continuité de l’intifada de 2000 avec celle de 1987-1993, la violence des affrontements de la seconde marquant sa différence face à la révolte des populations civiles désarmées en 1987. Il s’agit davantage d’une « insurrection qui repose sur la participation active d’une minorité » (p. 38) agissant « aux lisières des zones palestiniennes » (ibid.) : la précarité dans laquelle avaient été plongés les Palestiniens à la suite des accords d’Oslo favorisait le recrutement des factions politiques (principalement les milices du Tanzim, issue du Fatah de Yasser Arafat) parmi les réseaux de comités populaires, qui devinrent « l’instrument d’une mobilisation sociale de masse qui triomphera lors de l’Intifada » (p. 40). Le texte de Graham Usher questionne quant à lui l’issue de cette Intifada, alors qu’au printemps 2002, toute la Cisjordanie est réoccupée par l’armée israélienne et que le secrétaire d’État américain Colin Powell, le président Bush et le premier ministre israélien Ariel Sharon poussent l’Autorité palestinienne à faire des réformes destinées à « écraser Yasser Arafat, l’Autorité palestinienne et tout ce qui rappelait les accords d’Oslo » (p. 44). Sous les pressions, Arafat accepte l’élection, le 9 mars 2003, de Mahmoud Abbas au poste de Premier ministre. Avant sa mort en 2005, Éric Rouleau dressait le portrait du leader palestinien, Arafat, comme un « insubmersible » (p. 47) personnage politique, que le pragmatisme avait conduit à penser une solution à deux États (p. 48). Malgré tout, son manque de concession et la « dualité » (p. 49) de son discours conduisirent « nombres d’intellectuels palestiniens » à lui reprocher « un ‘laxisme’ s’apparentant à une trahison » (p. 50). À la suite de ce portrait, deux pages de bande dessinée de Samir Harb relatent l’histoire – autobiographique – d’un Palestinien en exil. Dans un texte de 1998, Edward Said raconte la « judaïsation continue » (p. 55) de Jérusalem, mais aussi l’émergence de « nouveaux historiens » israéliens qui confirment « que la campagne militaire de 1948-49 avait délibérément visé à expulser du pays le maximum d’Arabes » (ibid.), Saïd y voyant l’espoir d’un « futur moins sombre » pour la Palestine.
C’est ensuite la riposte armée du Djihad islamique et du Hamas qu’analyse Wendy Kristanasen deux ans après les accords d’Oslo, en 1995, ainsi que leur tentative d’entente avec l’Autorité palestinienne en vue d’entrer en politique. Dans un article daté de 2012, Jean-Pierre Filiu présente la situation à Gaza au lendemain des révolutions arabes, alors que lorsque leurs voisins appelaient à la chute du régime, les Gazaouis disaient vouloir « ‘en finir avec la division’, renvoyant dos à dos Hamas et Fatah au nom de l’intérêt supérieur du peuple palestinien » (p. 59). Olivier Pironet analyse la situation de la Cisjordanie en 2014, en regard des accords sécuritaires israélo-palestiniens élaborés en 1993. Ces accords sont très critiqués par l’opinion palestinienne, qui les juge amplement favorables aux colons, contre lesquels « la police de l’Autorité palestinienne n’a pas le droit d’utiliser la force » (p. 60), alors qu’elle est tenue par ailleurs « de coopérer pour cibler et interpeller les militants palestiniens constituant un ‘danger potentiel’ vis-à-vis d’Israël » (ibid.). Il souligne également les inégalités entre les classes sociales, creusées d’année en année (p. 63). Les différences sont aussi marquées par l’exercice d’une double autorité politique dans les territoires, sur laquelle revenait en 2008 Amira Hass, correspondante en Palestine du quotidien israélien Haaretz. En expliquant les rivalités entre le gouvernement de Gaza, du Hamas, et celui du Fatah en Cisjordanie, elle fait le constat du désintérêt des jeunes de la politique palestinienne, doublant la « crise gouvernementale » par une « crise idéologique » (p. 65). Abaher El Sakka s’intéressait quant à lui en 2005 au système de « checkpoints » qui rythme le quotidien des Palestiniens, concrétisation de « la biopolitique décrite par Michel Foucault, ce contrôle physique de la société sur les individus » (p. 66) en ce qu’ils « symbolisent la classification par le pouvoir israéliens des Palestiniens selon leur lieu de naissance » (ibid.). L’article d’Alain Ruscio, daté de 2013, sur la présence de colonies israéliennes à Hébron est un témoignage sur les difficiles conditions d’occupation pour les Palestiniens. En clôture de cette partie, un texte de Mahmoud Darwich analyse les complications liées à la sortie des territoires pour un Palestinien.
La dernière partie, plus courte, interroge les actes de la communauté internationale relatifs au conflit israélo-palestinien à partir des textes du journaliste Mohamed Sid-Ahmed (2000), de la journaliste Marina Da Silva (2006), du journaliste Maurice Lemoine (2011), des textes inédits des journalistes Hélène Servel et Isabelle Avran, et un texte d’Alain Gresh daté de 2017.
Dans un premier article, Mohamed Sid-Ahmed revient sur la visite d’Ariel Sharon à Jérusalem, à l’origine de la première Intifada soutenue par d’immenses manifestations de solidarité dans toutes les grandes capitales arabes, divisée depuis la guerre lancée par l’Irak de Saddam Hussein contre le Koweït en 1990. Marina Da Silva expose quant à elle en 2006 la situation des réfugiés palestiniens, « les oubliés des accords d’Oslo » (p. 78), vers lesquels se sont prioritairement tournées les organisations islamistes tel le Djihad islamique ou le Hamas qui leur fournissaient une « assistance matérielle » (p. 79). La journaliste insiste sur la politique d’exclusion notamment du gouvernement libanais, qui vient « rappeler que l’évolution du conflit israélo-palestinien est aussi liée à la solution du problème des réfugiés » (p. 81). Maurice Lemoine revient pour sa part sur le soutien de nombreux gouvernements d’Amérique latine à la cause palestinienne, reconnaissant l’État palestinien et ouvrant ses voies au commerce avec les pays arabes au détriment d’Israël. Hélène Servel travaille quant à elle sur l’attrait de Jérusalem pour les journalistes français, « qui viennent s’y faire un nom » (p. 84) quel que soit leur statut, employés ou pigistes, et conclut qu’« une véritable économie (…) se crée autour de la presse étrangère » (p. 85). Isabelle Avran présente le BDS, « mouvement populaire non violent » né en 2005 pour réclamer la suspension d’un partenariat scientifique entre l’Union européenne et Israël, et qualifié de « menace stratégique » (p.86) par le gouvernement israélien, qui depuis 2015 a « mis en place un département spécial chargé d’espionner les militants du boycott » (p. 87). Alain Gresh clôt la revue en soulignant la persistance des Palestiniens à résister.
Avec ce grand panorama journalistique et académique à travers soixante-dix ans d’histoire de conflit, ce numéro édité par Le Monde Diplomatique et Manière de Voir offre un aperçu précis de la question palestinienne. Il permet de mieux saisir les enjeux, notamment, de la décision du président Donald Trump de faire de Jérusalem la capitale d’Israël, alors que le processus de paix israélo-palestinien est encore au point mort.
Mathilde Rouxel
Suite à des études en philosophie et en histoire de l’art et archéologie, Mathilde Rouxel a obtenu un master en études cinématographiques, qu’elle a suivi à l’ENS de Lyon et à l’Université Saint-Joseph de Beyrouth, Liban.
Aujourd’hui doctorante en études cinématographiques à l’Université Paris 3 – Sorbonne Nouvelle sur le thème : « Femmes, identité et révoltes politiques : créer l’image (Liban, Egypte, Tunisie, 1953-2012) », elle s’intéresse aux enjeux politiques qui lient ces trois pays et à leur position face aux révoltes des peuples qui les entourent.
Mathilde Rouxel a été et est engagée dans plusieurs actions culturelles au Liban, parmi lesquelles le Festival International du Film de la Résistance Culturelle (CRIFFL), sous la direction de Jocelyne Saab. Elle est également l’une des premières à avoir travaillé en profondeur l’œuvre de Jocelyne Saab dans sa globalité.
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