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Sous le titre Les Secrets de la création de l’Etat d’Israël, les Editions de la Martinière publient une sélection d’extraits du journal de Ben Gourion, de discours, de lettres et de comptes-rendus de réunions stratégiques datant pour l’essentiel de la période qui a vu naître l’Etat hébreu. Traduits spécialement pour la publication de ce livre, ces documents historiques encore inédits en français portent un éclairage sur des années décisives pour la poursuite du projet sioniste.
Les conflits israélo-arabes puis israélo-palestiniens ont contribué à structurer les rapports de force à l’œuvre dans leur environnement immédiat depuis plus de soixante ans. Aujourd’hui encore et bien qu’ayant radicalement changé de nature, la « question israélo-palestinienne » continue à catalyser de nombreux enjeux régionaux. Les pressions qui pèsent sur le programme nucléaire iranien et la lutte d’influence qui oppose Téhéran aux puissances occidentales et à leurs alliés dans la région y sont indirectement liées de même que toute la politique proche-orientale de la République islamique. A une échelle plus réduite, Israël et les Territoires palestiniens se trouvent dans l’impasse. L’intransigeance des dirigeants de l’Etat hébreu quant au processus de colonisation de la Cisjordanie entretient une situation de blocage qui favorise à son tour la division du camp palestinien et la radicalisation constante de certains éléments. Pour comprendre la situation actuelle et ses derniers développements, le recul historique est une nécessité. Les archives de Ben Gourion, dont certains extraits figurent dans Les Secrets de la création d’Israël, permettent à cet égard une mise en perspective bienvenue. Les événements des années 1947-1948 y apparaissent non pas comme le résultat d’une nécessité historique liée à la fin de la Seconde Guerre mondiale et à la prise de conscience mondiale de la Shoah mais comme le résultat d’un processus long, commencé plusieurs décennies plus tôt dans la Palestine ottomane où David Grün (nom d’origine de David Ben Gourion, originaire de l’Empire russe) s’est installé en 1906, puis s’est poursuivi sous le mandat britannique établi en 1922.
Dans son introduction historique, David Peschanski, chercheur au CNRS, présente le contexte dans lequel les structures institutionnelles du mouvement sioniste ont initié une dynamique progressive de construction étatique et ce avec la participation essentielle de Ben Gourion. Le mouvement se place alors et ce dès avant la guerre, dans un double rapport de force avec les autorités mandataires britanniques d’une part, et avec les élites et populations arabes palestiniennes d’autre part. A la bienveillance initiale de la déclaration Balfour se substitue au cours des années 1930 une certaine méfiance de la part de Londres quant à la poursuite du projet sioniste tandis que sur le terrain, les Palestiniens voient leurs rapports avec les colons juifs se dégrader. Accédant en 1935 au poste de Président de l’Agence juive qui fait office de gouvernement pour la communauté installée en Terre sainte, Ben Gourion comprend, dans le contexte de la Seconde Guerre mondiale, que la défaite allemande et la découverte par l’opinion publique internationale des horreurs de la Shoah donnent au mouvement sioniste une occasion historique d’atteindre son objectif ultime : la fondation d’un Etat juif en Palestine.
Ben Gourion mène alors une triple action, à la fois diplomatique, politique et militaire dont les archives présentées témoignent. Sur le plan diplomatique, l’assistance de l’Union Soviétique s’avère décisive, aussi bien aux Nations unies qui viennent d’être créées que sur le terrain. Moscou, qui sait le Royaume-Uni affaibli par la guerre, recherche des appuis au Moyen-Orient et facilite la livraison de matériel militaire en provenance de Tchécoslovaquie aux combattants sionistes, et encourage l’émigration de juifs originaires de Bulgarie et de Roumanie vers la Palestine. Politiquement, Ben Gourion doit s’assurer de l’unité des différentes composantes du mouvement sioniste, ce qui passe par l’intégration des divers partis et milices que distinguent des orientations idéologique divergentes. Enfin, le Président de l’Agence juive étant arrivé à la conclusion que la création d’un Etat juif ne pourra être arrachée que par les armes, il coordonne avec la Haganah et les forces armées rivales (l’Irgoun notamment) une action militaire conjointe visant aussi bien les représentants de l’autorité britannique que les Palestiniens, puis protège l’existence du jeune Etat face aux armées arabes coalisées contre lui après la déclaration d’indépendance.
Dans ce contexte troublé, Ben Gourion guide la transformation du yeshouv, la communauté de pionniers et d’immigrants juifs établis en Terre Sainte, en Etat. Si les structures institutionnelles du mouvement sioniste ont permis au cours des décennies précédentes de jeter les bases d’une construction proto-étatique, il doit encore parvenir à constituer une armée unifiée, à agrandir le territoire contrôlé par les forces juives et à en chasser les populations palestiniennes pour garantir le caractère spécifiquement juif du futur Etat. Ces différents objectifs sont menés de front. Les décisions prises par Ben Gourion, conformes à une pensée théorique et stratégique mûrement travaillée et dont les documents réunis dans cet ouvrage portent la trace, déterminent profondément l’histoire d’Israël. On voit en effet, dans cette période violente et intense, se mettre en place des oppositions, des problématiques et des rapports de force dont l’influence demeure et est aujourd’hui encore sensible, et dont les documents présentés permettent de retracer les origines profondes.
Dès 1947-1948, il apparaît que les structures étatiques sont les seules à même de permettre la création d’une société israélienne cohérente. Déjà plurielle, la population des premiers colons doit intégrer de nouveaux migrants au moment même de la fondation de l’Etat. La démographie est en effet une question stratégique pour Ben Gourion. Elle est la garantie de la pérennité d’un Etat spécifiquement juif dans une région de peuplement arabe. Or l’accueil de Juifs de la diaspora, dont nombre de survivants de l’extermination allemande, pose problème, et ce au-delà des premiers obstacles posés par les autorités britanniques à l’installation de certains d’entre eux en Palestine. Les immigrants souhaitant rallier le projet sioniste ne représentent qu’une fraction assez faible de la diaspora, même parmi les rescapés de l’Holocauste. Par ailleurs, ils viennent d’horizons très divers, n’ont pas nécessairement la maîtrise de l’hébreu et doivent composer avec des structures institutionnelles qui leur sont au premier abord étrangères. La confrontation armée avec les Palestiniens, puis avec la coalition arabe après la proclamation de l’Etat juif, sert de creuset intégrateur.
L’armée unifiée de l’Etat hébreu, Tsahal, composée en grande partie des troupes de la Haganah, joue donc dès les origines un rôle fondamental dans la formation de la nation et dans la cohésion de la société. Cela va de pair avec l’impératif sécuritaire indissociable du mode d’existence même d’Israël. Toutes les oppositions internes au mouvement sioniste ne se résorbent cependant pas au contact du danger extérieur. Déjà sensibles avant même que ne se déclenche le processus de formation étatique, les clivages structurants de la société israélienne transparaissent dans les écrits de Ben Gourion. Le fondateur de l’Etat est dépositaire de la tradition socialiste du sionisme et s’oppose aux sionistes révisionnistes revendiquant des positions plus droitières. Il paraît à la lecture de l’ouvrage que l’inclinaison progressiste et utopique donné par Ben Gourion à la culture politique israélienne originelle n’a jamais été véritablement hégémonique. Le parti travailliste a pu dominer la scène jusqu’aux années 1970 mais la formation de l’Etat d’Israël paraît, si l’on considère les toutes premières années de son existence, comme le fruit d’un compromis particulièrement instable voire d’une mise au pas parfois violente. C’est notamment visible lors des événements de la dite « Saison » qui ont vu s’affronter les différentes factions juives et ceux de l’Atalena, en juin 1948, au cours desquels un bateau du même nom approvisionnant en arme l’Irgoun a été coulé par les forces de la Haganah. La droitisation de l’échiquier politique, manifeste après la Guerre de six jours, a des racines profondes qui remontent à une période antérieure à la déclaration d’indépendance.
Autre problématique datant de la naissance même de l’Etat hébreu voire propre à la nature même au projet sioniste, les rapports qu’entretient un certain messianisme religieux et idéologie nationaliste résolument moderne, traversent dans toute leur équivocité les discours du fondateur d’Israël. Publiquement athée, Ben Gourion émaille ses discours de citations de l’Ancien testament. Le livre sacré offre en effet une légitimation mythologique à la présence de colons juifs en Palestine. Toute construction nationale appelle ses mythes mais la pensée de Ben Gourion semble emprunte, au miroir de ses écrits, d’une « confusion » entre religion, nationalité et légitimité historique. La réappropriation du passé sert en effet un projet essentiellement politique : la création d’un Etat-nation et la conquête par ses membres d’un territoire appelé à être homogénéisé. Ben Gourion envisage ouvertement la déportation des Palestiniens en dehors de son territoire et tente par tous les moyens, mais avec un succès limité, de hâter l’arrivée de migrants de la diaspora dont l’Ancien testament constitue par ailleurs l’unique référence commune.
En se rapprochant au plus près des faits historiques, le recueil permet de dissiper certains mythes tenaces entourant la création de l’Etat d’Israël, notamment celui du départ volontaire des Palestiniens et de l’appel radiodiffusé à quitter leur pays que les Etats arabes voisins leur aurait lancé. Par ailleurs, les archives publiées mettent en relief le caractère finalement peu évident d’une construction nationale et étatique telle qu’envisagée par Ben Gourion, donnant à voir les puissantes divisions à l’œuvre dès les origines au sein du mouvement sioniste. Les moments les plus noirs de la création d’Israël, à savoir les massacres de civils « arabes », les crimes commis à l’encontre de soldats britanniques et de diplomates par des éléments sionistes radicaux ne sont pas omis par David Peschanski, bien qu’ils soient évoqués avec une certaines discrétions. Cependant, on ne peut que demeurer sceptique à la lecture du second texte de Tuvia Friling qui complète l’appareil critique du livre. Professeur à l’Université Ben Gourion du Neguev, Tuvia Friling semble s’y livrer à un exercice d’hagiographie dépourvu d’intérêt historique .
David Ben Gourion, Les Secrets de la création de l’Etat d’Israël – Journal 1947-1948, Paris, La Martinière, 2012.
Allan Kaval
Journaliste, Allan Kaval travaille sur les politiques intérieures et extérieures de la Turquie et de l’Iran ainsi que sur l’histoire du nationalisme et des identités minoritaires au Moyen-Orient.
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