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Le « Deal du siècle » : un échec annoncé ?

Par Ines Gil
Publié le 30/01/2020 • modifié le 02/02/2020 • Durée de lecture : 9 minutes

United States President Donald J. Trump shake hands with Israel’s Prime Minister Benjamin Netanyahu during a meeting in the East Room of the White House in Washington.

JOSHUA LOTT / CONSOLIDATED NEWS PHOTOS / DPA PICTURE-ALLIANCE / AFP

La veille de son investiture comme 45ème Président des Etats-Unis, Donald Trump confiait une tâche épineuse à son gendre, Jared Kushner. Proposer un plan pour établir la paix entre Israéliens et Palestiniens : « Si tu ne peux pas apporter la paix au Moyen-Orient, personne ne le pourra » lui confiait le candidat républicain. Trois ans plus tard, Donald Trump s’avance dans la salle de presse de la Maison Blanche aux côtés du Premier ministre israélien Benyamin Netanyahou ; il est prêt à présenter son plan. Face à une salle conquise, qui applaudit chacune de leurs interventions, les deux hommes se lancent des sourires complices pendant près d’une heure. La scène est étrange, même gênante. En cause : aucun représentant palestinien n’est présent. Depuis la décision de Donald Trump de déplacer l’ambassade américaine à Jérusalem en décembre 2017, Mahmoud Abbas a coupé les relations diplomatiques avec Washington. Le Président de l’Autorité palestinienne ne voit plus les Etats-Unis comme un acteur pouvant apporter une réponse équilibrée pour résoudre le conflit. D’autant plus que plusieurs mesures américaines favorables à Israël ont été prises depuis deux ans : fin des subventions à l’Autorité palestinienne et à l’UNRWA, affirmation que les colonies israéliennes ne sont pas contraires au droit international, fermeture des bureaux de l’Organisation de Libération de la Palestine à Washington. Ces derniers mois, les rumeurs annonçaient un plan de paix très favorable à Israël. Des rumeurs qui se sont avérées vraies. Tout de suite après sa publication, le Président Abbas a refusé l’accord.

Une victoire pour Benyamin Netanyahou

Durant la conférence, Donald Trump a annoncé les grandes lignes du plan, mais c’est le Premier ministre Netanyahou qui en a détaillé le contenu. Signe qu’il épouse la vision du plan Trump dans son ensemble. Même si le « Deal du siècle » comme il est communément appelé, n’est pas contraignant, car il « n’a pas de valeur juridique », il « valide et même encourage le projet d’annexion, en sachant d’avance que la partie palestinienne condamnerait en bloc le document » (1).

Le timing semble parfait pour Benyamin Netanyahou. Le plan est dévoilé cinq semaines à peine avant les élections israéliennes, alors que le Premier ministre n’a jamais été aussi affaibli (2). De quoi mobiliser son électorat en vue des élections du 2 mars prochain, et même attirer les voix d’extrême droite. Depuis qu’il est au pouvoir, « Bibi » (son surnom en Israël) souhaite imposer le récit israélien dans la diplomatie internationale, comme aucun Premier ministre avant lui. Son but : prouver à son électorat, très sensible au discours nationaliste, qu’un « Israël rayonnant [à l’international] n’est possible qu’avec lui » (3). Le dévoilement du plan Trump, ce mardi, était le point d’orgue de cette stratégie. « Bibi » s’est présenté comme le dirigeant d’un petit pays du Moyen-Orient ayant réussi à imposer sa vision à la première puissance mondiale.

Ce plan de paix est aussi le sésame que le Président Trump se fait à lui-même. Favorable à Israël, cet accord pourrait attirer l’électorat évangéliste pro-israélien, en vue de l’élection présidentielle de novembre prochain.

La mort de la solution à deux Etats ?

Pour la première fois, un président américain reconnaît la souveraineté israélienne sur les colonies implantées en Cisjordanie, niant le droit international. Il officialise le contrôle israélien sur une partie de la Cisjordanie et sur Jérusalem Est selon la politique du fait accompli. Tout au long des dizaines de pages de propositions pour la « paix », Donald Trump épouse presque entièrement la vision politique d’une partie de la droite israélienne et de B. Netanyahou. Une vision présentée par « Bibi » dès les années 1990, dans son livre Une place parmi les nations, puis affinée durant le discours de Bar-Ilan en 2009, durant lequel il exprime son accord à la formation d’un Etat palestinien démilitarisé, sur un territoire réduit, à condition que les Palestiniens reconnaissent Israël comme un Etat juif.

Durant des mois, Donald Trump a affirmé que son « Deal du siècle » rebattait entièrement les cartes au Proche-Orient. Pourtant, certains aspects du plan Trump ne se démarquent pas profondément de la vision américaine défendue pendant des décennies, c’est-à-dire « une solution à deux Etats » qui octroie « la responsabilité de la souveraineté pour les frontières extérieures à Israël, notamment pour le contrôle de l’espace aérien et maritime » (4).

Même si Donald Trump épouse les positions du gouvernement israélien, exigeant de larges concessions à la partie palestinienne, force est de reconnaître qu’il n’a « pas piétiné la solution à deux Etats ». Jean-Paul Chagnollaud, Professeur en Sciences politiques et spécialiste de la question palestinienne, estime qu’il est « possible de travailler sur le plan proposé par Donald Trump, mais en modifiant plusieurs aspects : la vallée du Jourdain doit être intégrée à la future Palestine, tout comme Jérusalem Est, qui doit en devenir la capitale ». Pour lui, l’Etat palestinien proposé par le président américain « n’est pas viable » : « l’amputation de la vallée du Jourdain est inacceptable, elle est fondamentale pour assurer la viabilité de l’Etat palestinien, c’est une région riche sur le plan agricole ». Mais certains aspects sont à étudier : « on revient à Oslo avec l’idée d’un tunnel qui relie Gaza à la Cisjordanie ». Par ailleurs, « les deux zones industrielle et agricole rattachées par une route à Gaza, qui seraient annexées par l’Etat palestinien, est une idée intéressante dans le cadre d’un échange de territoire ». Mais le chercheur admet : « ces scénarios sont possibles seulement si on veut rester optimistes ».

En observant la carte de partage entre Israël et la future palestine publiée par le plan Trump, on ne peut s’empêcher de penser au plan Allon. Rédigé en 1967, à l’issu de la guerre des six jours par le Vice Premier ministre israélien Yigal Allon, ce plan proposait un scénario similaire, avec l’annexion israélienne de Jérusalem et de ses environs, et de la vallée du Jourdain. « C’est vrai que la carte du plan Allon est similaire » reconnaît Jean-Paul Chagnollaud. Mais « la Vallée du Jourdain n’a plus le même sens aujourd’hui » ajoute-il, « en 1967, cette région est très stratégique sur le plan sécuritaire pour les israéliens. De leur point de vue, cela paraissait alors pertinent d’annexer. Mais les moyens militaires ont considérablement changé avec l’utilisation de drones et de missiles. Aujourd’hui, il n’y a aucune justification sécuritaire à l’annexion de la vallée du Jourdain. Cette annexion vise seulement à conforter les colons israéliens ».

Si le plan Trump marque donc une certaine « continuité » avec des propositions délivrées par le passé, les « modifications » apportées par le président américain sont tout de même remarquables.

Un nouveau paradigme aux conséquences lourdes

Ce qui change vraiment avec ce plan pour la paix est la vision apportée par Donald Trump sur Jérusalem. Pour la première fois, un président américain refuse officiellement toute souveraineté palestinienne sur la ville (la capitale de la future Palestine se situerait dans les faubourgs de la ville sainte, à l’est (5)).

Par ailleurs, cette proposition est passée plus inaperçue, mais Donald Trump a également remis en cause le statu quo concernant l’Esplanade des mosquées/Mont du Temple. Situé dans la vieille ville de Jérusalem, ce lieu hautement sensible est à la fois saint en islam, puisque la mosquée Al Aqsa y est érigée, et dans le judaïsme. Dans la tradition juive, c’est à cet endroit que le second temple aurait été bâti. Depuis 1967 (6), le statu quo autorise seulement les musulmans à prier sur l’esplanade des mosquées. Mais dans son plan pour la paix, le président Trump remet en cause ce consensus, affirmant que « les fidèles de toutes les religions doivent pouvoir prier sur le Mont du Temple/Haram al Sharif » (7). Cette décision, qui semble être un détail anodin, pourrait avoir des conséquences politiques majeures, car ce lieu est hautement sensible. En 2000, la visite d’Ariel Sharon, alors en campagne électorale, sur l’esplanade, avait été un élément accélérateur pour le déclenchant de la Seconde Intifada (8). Et ces dernières années, les restrictions de passages à certaines entrées du lieu saint ou encore le projet israélien d’installer des caméras sur l’esplanade des mosquées ont créé de vives tensions entre les fidèles musulmans et les autorités israéliennes.

Par ailleurs, sur la question des réfugiés palestiniens, Donald Trump a également tranché par rapport à ses prédécesseurs : pas de retour possible en Israël. Il s’oppose ainsi au droit au retour énoncé par la résolution 194 de l’Assemblée générale des Nations unies et crée l’inquiétude dans les pays voisins qui ont accueilli un grand nombre de réfugiés palestiniens, notamment au Liban. Si elle semble radicale, sa position n’est pas surprenante. Elle marque une continuité avec sa politique depuis qu’il est arrivé à la Maison Blanche, avec notamment la fin du financement américain de l’UNRWA, l’agence pour les réfugiés palestiniens, dès septembre 2018.

Les Palestiniens isolés

Il a beau être largement aligné sur les positions de Benyamin Netanyahou, le plan Trump n’a pas soulevé d’indignation générale parmi les leader arabes. Au contraire, il montre que « le consensus arabe sur la Palestine, incarné par le plan du roi Abdallah d’Arabie saoudite en 2002, commence à s’effriter », isolant un peu plus les Palestiniens. Ce mardi 28 janvier, durant la présentation du plan, parmi un public acquis à la vision pro-israélienne de l’accord, trois ambassadeurs arabes étaient même présents, à la surprise générale : « les représentants à Washington des Emirats arabes unis, de Bahreïn et d’Oman » (9), que le Premier ministre Netanyahou a remercié pour leur soutien. Les trois pays, très proches de Washington, ont accueilli avec enthousiasme l’accord. L’Arabie saoudite de son côté, s’est montrée plus prudente. Gardienne des lieux saints musulmans sunnites, Ryad ne peut applaudir la fin des revendications arabes sur Jérusalem, ville sainte en islam. Le Royaume a cependant « salué les efforts » de Washington. Ces dernières années, la lutte contre l’influence iranienne dans la région a renforcé les liens entre certains pays du Golfe et Israël. « Faisant passer au second plan la cause palestinienne » (10). Seule la Jordanie, accompagnée sans surprise du Liban et de la Syrie, se démarque. Elle a critiqué l’accord, appelant à respecter les frontières de 1967. Le Royaume Hachémite n’est pas favorable à l’annexion de la vallée du Jourdain par Israël, le long de sa frontière, et surtout, elle craint la remise en cause du statu quo sur l’esplanade des mosquées, qu’elle administre à travers le Waqf.

La Ligue Arabe se réunira samedi 1er février pour évoquer le plan Trump. Mais ce « long délai de quatre jours (…) est déjà une forme d’isolement de M. Abbas » (11). La seule nouvelle positive de ces derniers jours pour le président palestinien est l’unité palestinienne qu’il a réussi à créer ce mardi, contre le plan de Trump. Mais elle semble bien fragile et de circonstance.

Une unité palestinienne de façade ?

Mardi 28 janvier, les représentants du Hamas et du Jihad islamique se sont réunis autour du Président palestinien à Ramallah, pour prendre connaissance ensemble des détails du plan de paix. Une première en 9 ans. Mais cette unité de façade n’est en rien l’assurance d’une réconciliation entre le Fatah et le Hamas, les deux frère ennemis. Depuis la prise de pouvoir à Gaza par le Hamas en 2007, les deux partis se déchirent. Aucun accord de réconciliation n’a été mené à bien, principalement parce que « le Hamas comme le Fatah veulent conserver le pouvoir qu’ils ont acquis » (12) affirmait Jean-Paul Chagnollaud lors d’un précédent entretien pour Les clés du Moyen-Orient. Les prochains jours seront déterminants pour décrypter l’évolution des relations entre les deux factions. Le leader du Hamas, Ismaïl Haniyeh, a invité Mahmoud Abbas à se rendre au Caire pour « définir une réponse à apporter au plan Trump ».

Outre le manque de solidarité des Etats arabes, et une unité palestinienne plus qu’incertaine, Mahmoud Abbas devra faire face aux demandes de la population palestinienne et de son propre parti, qu’il tient pourtant d’une main de fer depuis son arrivée au pouvoir en janvier 2005. Pour Khalil Shikaki, Directeur du Centre palestinien de recherche politique et de sondage, « Mahmoud Abbas ne pourra pas se contenter d’encourager une démonstration de colère populaire. Il subira une immense pression, notamment de son organisation, le Fatah, pour réarmer le parti, ou pour mettre un terme à la coopération sécuritaire. Alors, ce ne sera qu’une question de temps avant que des incidents n’éclatent avec les forces israéliennes, qui peuvent mener à une confrontation » (13).

Au-delà du contenu du plan Trump, un style critiqué

Les symboles ont leur importance. Outre un plan qui s’aligne largement sur les positions de Benyamin Netanyahou, c’est aussi la forme, le style adopté par Donald Trump, qui a entraîné de vives réactions, principalement chez les Palestiniens. A la Maison Blanche ce mardi 28 janvier, Donald Trump et Benyamin Netanyahou ont tour à tour délivré les détails du plan de paix, face à une audience acquise à la cause israélienne. L’air satisfait, presque blagueurs et sourires complices, ils ont détaillé un plan imposant de lourdes concessions aux Palestiniens, balayant, avec légèreté, certaines de leurs revendications nationales les plus précieuses, comme Jérusalem. Un moment vécu comme une « humiliation » (14) pour de nombreux Palestiniens. Au lendemain du dévoilement du « Deal du siècle », des analystes israéliens mettaient en garde : « le plan de paix de Trump peut nous amener à la guerre » (15).

Lire également :
 Entretien avec Elisabeth Marteu concernant la position des Etats du Golfe sur le plan de paix Trump : « la menace iranienne est devenue plus importante que la cause palestinienne »

Notes :
(1) https://www.lemonde.fr/international/article/2020/01/29/israel-le-plan-de-trump-dessine-la-perspective-tres-lointaine-d-un-etat-palestinien-croupion_6027697_3210.html
(2) Inculpé en novembre dans trois affaires de corruption.
(3) https://www.lesclesdumoyenorient.com/Benyamin-Netanyahou-vu-par-Anshel-Pfeffer-Bibi-The-Turbulent-Life-and-Times-of.html?fbclid=IwAR0zKrud-e91X8_r8PoiTXL8XDPzODVLw1J1oO1ZL2W56Dr87gDSsozo8nI
(4) https://www.haaretz.com/israel-news/.premium-trump-fulfills-netanyahu-s-vision-but-is-unlikely-to-save-his-political-career-1.8468595
(5) Probablement ce qui correspond à Abu Dis.
(6) A l’issue de la guerre des six jours, début de l’occupation israélienne de Jérusalem Est.
(7) https://www.whitehouse.gov/wp-content/uploads/2020/01/Peace-to-Prosperity-0120.pdf
(8) Elle avait été vue comme provocatrice par les Palestiniens. Ariel Sharon entretien des relations très tendues avec les Palestiniens, notamment parce qu’il est vu comme un des responsables du massacre de Sabra et Chatila (1982).
(9) https://www.lemonde.fr/international/article/2020/01/29/avec-le-plan-de-paix-americain-le-consensus-arabe-sur-la-palestine-s-effrite_6027632_3210.html
(10) https://www.lecho.be/economie-politique/international/moyen-orient/au-proche-orient-un-plan-de-paix-voue-a-l-echec/10203855.html
(11) https://www.lemonde.fr/international/article/2020/01/29/avec-le-plan-de-paix-americain-le-consensus-arabe-sur-la-palestine-s-effrite_6027632_3210.html
(12) https://www.lesclesdumoyenorient.com/Entretien-avec-Jean-Paul-Chagnollaud-Retour-sur-la-Cisjordanie-les-colonies-et.html
(13) https://www.lemonde.fr/international/article/2020/01/29/avec-le-plan-de-paix-americain-le-consensus-arabe-sur-la-palestine-s-effrite_6027632_3210.html
(14) https://www.lemonde.fr/international/article/2020/01/29/les-palestiniens-se-sentent-humilies-par-le-plan-des-etats-unis_6027624_3210.html
(15) https://www.lepoint.fr/monde/le-plan-de-paix-de-trump-peut-nous-amener-a-la-guerre-29-01-2020-2360351_24.php

Publié le 30/01/2020


Ines Gil est Journaliste freelance basée à Beyrouth, Liban.
Elle a auparavant travaillé comme Journaliste pendant deux ans en Israël et dans les territoires palestiniens.
Diplômée d’un Master 2 Journalisme et enjeux internationaux, à Sciences Po Aix et à l’EJCAM, elle a effectué 6 mois de stage à LCI.
Auparavant, elle a travaillé en Irak comme Journaliste et a réalisé un Master en Relations Internationales à l’Université Saint-Joseph (Beyrouth, Liban). 
Elle a également réalisé un stage auprès d’Amnesty International, à Tel Aviv, durant 6 mois et a été Déléguée adjointe Moyen-Orient et Afrique du Nord à l’Institut Open Diplomacy de 2015 à 2016.


 


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