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Le 30 novembre 1967, après le départ des dernières troupes britanniques de l’ancien protectorat d’Aden, la République Populaire du Yémen du Sud est créée avec à sa tête Qahtan al-Sha’bi, membre du Front de Libération Nationale (FLN) [1]. Cependant, le leader idéologique de la révolution est Abd al-Fattah Ismail, originaire de la région d’Hugarriyah dans le Yémen du Nord, marxiste qui souhaite transformer le pays en une république soviétique. En combinant son influence à celle des nombreux chefs révolutionnaires de l’arrière-pays, al-Sha’bi est destitué et le pays devient communiste en 1970. Malgré une économie que l’on tente de redresser, les inégalités augmentent rapidement, en particulier entre Aden et l’arrière-pays. L’ouverture vers le capitalisme à partir des années 1980 ne permet pas d’améliorer l’économie du pays. Une réunification avec le Yémen du Nord, plus fort sur les plans économique et diplomatique, semble alors nécessaire. Elle est effective le 22 mai 1990.
La reconquête se déroule facilement dans l’Hadramawt car les Etats Khatiri et Qu’ayti [2] ont disparu dans les années 1950 sous la pression du FLN [3], et que la région du Mahrah n’a jamais eu d’Etat fort et stable. Cependant, ailleurs, il faut reconquérir le pays des mains des dirigeants placés par les Britanniques. Deux figures majeures apparaissent pendant cette reconquête du FLN dans l’arrière-pays d’Aden : Ali Antar qui s’est battu autour d’al-Dali et Salmayn (Salim Rubay Ali) originaire de Radfan, région dans laquelle les premiers combats contre les Britanniques se sont déroulés dès 1963.
Le 30 novembre 1967, la République Populaire du Yémen est créée avec Qahtan al-Sha’bi à sa tête. Néanmoins, celui-ci est dépassé sur le plan idéologique par Abd al-Fattah Ismail, marxiste s’inspirant du modèle russe. Il est pour le socialisme scientifique, qui remplace très vite le nationalisme « bourgeois » à l’origine de la plupart des soulèvements contre les Britanniques. Il se concentre en particulier sur les ouvriers et les paysans qui devraient, selon lui, être menés par les intellectuels pour leur garantir de meilleures conditions de vie. Cependant, ces populations sont peu nombreuses dans le Yémen du Sud. En effet, le prolétariat d’Aden était en grande partie composé de Yéménites du Nord, rentrés chez eux une fois les Egyptiens et les Saoudiens partis en 1967. Le prolétariat restant s’élève donc seulement à quelques milliers de personnes. Certes, la population paysanne se trouve dans l’Hadramawt et dans les régions cotonnières du Lahij et de l’Abyan, mais la plus grande partie habite dans les autres régions et est composée de membres de tribus qui n’ont pas de liens avec le socialisme. Ce sont plutôt des partisans du président al-Sha’bi, lui-même issu d’une famille de petits propriétaires, qui ne se reconnaissent pas dans les objectifs socialistes.
Néanmoins, les marxistes gagnent de l’importance au sein du FLN et lors du quatrième congrès du parti à Zinjibar (à l’est d’Aden) en mars 1968, les progressistes de gauche dominent. L’armée décide alors d’intervenir et arrête les responsables de gauche pour les empêcher de progresser politiquement mais Aden, qui est le fief du FLN, se soulève ainsi que la zone cotonnière de Ja’ar dans la région de Fadli. Le président al-Sha’bi n’a donc pas d’autre choix que de changer sa politique : il décide notamment de donner les propriétés des anciens dirigeants destitués aux guérilléros du FLN. Cette mesure n’est cependant pas suffisante pour la ligne dure du parti, et l’Hadramawt fait sécession. Ja’ar et Zinjibar (deux régions cotonnières dans la sphère d’influence de Salmayn) tombent dans la violence révolutionnaire. Al-Sha’bi manquant d’une base politique solide est alors forcé de céder la place de Premier ministre (jusqu’alors tenue par son beau-frère Faysal) en avril 1969. Puis, en juin, il est déposé en faveur de Salmayn.
Le « mouvement correctif du 22 juin » lancé par Salmayn dès son arrivée au pouvoir s’intègre à la transformation du pays qui avait déjà débuté. En effet, en janvier 1968, un décret interdit les disputes tribales et, progressivement, le tribalisme s’effondre face à la puissance du gouvernement. Les cheiks mineurs sont ainsi expulsés du pays, étant considérés comme des figures féodales. Parallèlement, une réforme agraire plus dure que sous al-Sha’bi est promulguée en novembre 1970.
Rapidement, tous les aspects de la vie sont contrôlés par l’Etat : patrouilles dans les rues ; interdiction de voyager hors du pays et de parler aux étrangers ; interdiction de pêcher du poisson, considéré comme un « vol de propriété de l’Etat ». Un quart de la population fuit alors le pays. En 1962, la plupart des grands marchands avaient déjà quitté Aden pour Hudaydah (ville portuaire principale du Yémen du Nord), mais avec l’arrivée du FLN au pouvoir, les petits marchands fuient également. Il en est de même pour les Adénites qui ont perdu toutes leurs possessions au profit de l’Etat socialiste.
Cependant, si une bonne partie de la population quitte le Sud pour le Nord, quelques figures politiques du Nord choisissent de se rendre dans le Sud, comme Abd al-Fattah Ismail et Muhsin (Muhammad Said Abdullah), chef de la Sécurité de l’Etat pendant de nombreuses années. Ils favorisent la création d’un parti fort, exigent l’union des deux Yémen et accusent les hommes politique du Yémen du Nord d’avoir trahi la « révolution de septembre » (coup de 1962 contre la famille de l’imam) en se soumettant à l’influence saoudienne et plus globalement impérialiste, en particulier américaine. Néanmoins, le président Salmayn est plus réservé sur les questions de réunification que les hommes issus du Yémen du Nord. De même, son modèle n’est pas celui d’un parti centralisé à la russe comme le souhaite al-Fattah, mais plutôt celui d’actions « spontanées » sur le modèle de la révolution culturelle chinoise.
Parallèlement, la planification économique débute dès 1971. En effet, le Yémen du Sud comme celui du Nord a rejoint le Fonds Monétaire International et la Banque Mondiale dès 1969, ce qui exige une certaine stabilité économique. De plus, dès 1969 également, une relation privilégiée avec l’URRSS est établie : plus d’un quart de l’aide étrangère au Yémen du Sud est soviétique. Le Koweït à partir de 1971, la Banque Mondiale à partir de 1975 puis les Emirats arabes unis financent quant à eux plusieurs projets, essentiels pour l’économie du pays qui s’effondrerait sans les prêts étrangers. Mais cette aide ne suffit pas à restaurer une économie viable et l’émigration d’une main d’œuvre déjà réduite se poursuit, jusqu’à la tentative du gouvernement de l’interdire. L’application de la loi se révèle néanmoins impossible. Ainsi, parmi les employés de la raffinerie d’Aden envoyés à l’étranger se perfectionner entre 1967 et 1974, aucun ne revient au pays une fois la formation terminée. La non-application de la loi se constate également dans l’augmentation exponentielle du nombre de travailleurs migrants dans la décennie : 125 000 en 1975, 200 000 vers 1980. Les transferts d’argent de ces travailleurs sont d’ailleurs essentiels pour l’économie du pays, composant 40% du PIB. Cependant, en dépit de ces difficultés économiques, le rêve d’autosuffisance socialiste est poursuivi. Moins d’1% du pays étant cultivable, on dépense deux fois plus dans les engrais qu’au Yémen du Nord afin d’agrandir la surface arable. Deux-tiers des terres redistribuées sont organisées en coopératives pour augmenter la production. Cependant, si les dépenses sont partagées collectivement, la production est laissée aux différentes familles. De même, 90% du cheptel est entre les mains de particuliers.
Sur le plan idéologique, l’on note la volonté de créer « l’homme nouveau » avec de nouvelles valeurs. C’est notamment visible avec l’expansion de la scolarisation : en 1976-77, 60% des enfants âgés de 10 ans sont scolarisés (contre 40% au Yémen du Nord). Les uniformes scolaires sont également modifiés, s’inspirant du modèle des écoliers d’Europe de l’Est avec shorts et jupes : l’idée est de s’occidentaliser pour se différencier des « barbares du Nord ». Enfin, on cultive le nationalisme en donnant aux rues de nouveaux noms en rapport avec la révolution, en valorisant le folklore tribal et en honorant d’anciens martyrs (tels ceux tués au XIVe siècle par un raid portugais dans l’Hadramawt).
Dès la fin des années 1970, selon les collaborateurs du président Salmayn, celui-ci concentre trop de pouvoir et, en 1978, il est déposé puis tué. Peu de temps après, en octobre 1978, le Parti Socialiste Yéménite (PSY) est créé, dont Abd al-Fattah Ismail devient secrétaire général. La constitution est alors révisée pour donner au parti le contrôle de l’Etat et du peuple. Al-Fattah désire néanmoins l’unité avec le Yémen du Nord pour avoir une économie viable. Ce n’est cependant pas le souhait de tous et une guerre éclate entre les deux pays en janvier 1979, lorsque les troupes du Sud envahissent des villes au nord de la frontière. Les combats prennent fin en mars grâce à l’intervention diplomatique des pays arabes et le nouveau président Ali Nasir s’engage avec son homologue du Nord à travailler à de meilleures relations en vue d’une future réunification. En politique intérieure, le président Ali Nasir possède déjà les trois postes-clés du pays : président, Premier ministre et secrétaire général du PSY, en remplacement de al-Fattah qui a été poussé à s’exiler à Moscou. Le président place alors ses proches à tous les postes stratégiques, éliminant ainsi toute possible opposition. En novembre 1981, il visite le Yémen du Nord pour évoquer la future réunification, puis une rencontre avec le président nordiste, Ali Abdullah Saleh, se déroule au Koweït. Ali Abdullah Saleh se rend également à Aden. Sur le plan économique, avec l’exil d’Abd al-Fattah, Ali Nasir a toute latitude pour ouvrir le pays au capitalisme et en particulier aux Etats pétroliers de la région pour tenter d’améliorer la situation. Cependant, les inégalités font très vite leur apparition, entre l’élite (qui concentre les voitures, le capital immobilier et l’argent) et le reste de la population, mais également entre l’arrière-pays et la ville d’Aden qui concentre la plupart des capitaux et qu’Ali Nasir fait embellir (par exemple création de fontaines gigantesques alors que l’arrière-pays est la proie de la sécheresse).
La situation politique du pays se détériore, le président endettant le pays et, en janvier 1986, ses hommes tuant une grande partie du Politburo par peur d’être renversés. Des violences éclatent dans les rues, contraignant Ali Nasir à fuir le pays avec 30 000 de ses partisans. Des hommes politique originaires de l’Hadramawt, jusqu’alors délaissé par Ali Nasir, prennent alors le pouvoir et les politiciens Adénites se retrouvent en minorité. Cependant, ce changement d’équipe dirigeante ne modifie pas les orientations politiques du pays.
Il semble ainsi nécessaire de s’associer avec le Nord, plus fort économiquement et diplomatiquement. C’est ainsi qu’en mai 1988 un accord est passé sur l’exploitation de la zone frontalière riche en pétrole et que la création d’une compagnie commune est envisagée.
En novembre 1989, les deux présidents, Ali Abdullah Saleh pour le Nord et Ali Salim al-Bid pour le Sud, annoncent publiquement à Aden qu’une proposition de réunification datant de 1981 sera soumise à un référendum en novembre 1990. Cependant, sans attendre le référendum, la nouvelle république du Yémen est créée le 22 mai 1990, le texte ayant été accepté par les deux Parlements à l’exception des députés islamistes au nord. Ali Abdullah Saleh est nommé président et Haïdar Abou Bakr al-Attas, ancien chef de l’Etat sud-yéménite devient chef du gouvernement. La nouvelle république compte 13 millions d’habitants dont 80% originaires de l’ex-Yémen du Nord. Les anciens cadres du Sud, souvent marxistes, ont un rôle essentiel dans la nouvelle république, ce qui posera de nombreux problèmes de politique intérieure, dans un contexte international et régional très instable.
Bibliographie :
– Article « Yémen », Encyclopedia Universalis
– Victoria Clark, Yemen : dancing on the heads of snakes, Yale, 2010.
– Paul Dresh, A history of modern Yemen, Cambridge, 2000.
– R.J. Gavin, Aden under British Rule : 1839-1967, Londres, 1975.
Ainhoa Tapia
Ainhoa Tapia est étudiante en master d’histoire contemporaine à l’Ecole doctorale de l’Institut d’Etudes Politiques de Paris. Elle s’intéresse à l’histoire des Etats du Moyen-Orient au vingtième siècle, en particulier à la création des systèmes étatiques et aux relations diplomatiques que ces Etats entretiennent entre eux.
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