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La fin du protectorat d’Aden : les années 1960

Par Ainhoa Tapia
Publié le 03/07/2012 • modifié le 02/03/2018 • Durée de lecture : 7 minutes

Le début des combats dans l’arrière-pays : le soulèvement contre l’administration britannique

Les combats contre les Britanniques débutent le 14 octobre 1963 dans la région montagneuse du Radfan (située à plusieurs centaines de kilomètres au nord d’Aden), placée par les Britanniques sous le contrôle de l’émir de Dali. Mais la famille régnante locale, les Qutaybis, se plaint de l’oppression de l’émir de Dali et soumet une pétition aux Britanniques dans laquelle elle critique la façon dont est administrée la région et exige des changements. Les Britanniques ne répondent pas, et quelques semaines plus tard, une patrouille britannique est visée par des tirs de rebelles. L’Armée fédérale intervient alors et tue Rajih Labuzah, un cheik Qutayni qui avait d’importants liens avec le Yémen du Nord, ce qui en faisait un ennemi puissant car il pouvait importer des armes. Les Britanniques envoient alors leurs propres soldats combattre les rebelles et non plus seulement les forces qu’ils ont entraînées sur place : les Levées Adénites et les Légions Bédouines. Après avoir pacifié le Radfan, l’armée britannique lance au printemps 1964 une offensive dans toute la région, afin de couper les routes permettant la diffusion hors de la région du message des « dissidents » contre eux. La victoire britannique n’est néanmoins pas définitive et l’exemple du Radfan inspire d’autres nationalistes. Très vite, de nouveaux fronts sont ouverts dans le Bas Yafi par le Front de Libération Nationale (FLN), principal groupe nationaliste du pays. Ainsi, si la loi britannique est rétablie au Radfan et l’agriculture relancée, des actions de guérilla sont désormais lancées dans l’arrière-pays.

Aden : noyau des attentes politiques

Au-delà des combats dans l’arrière-pays, les Britanniques doivent également faire face à une population adénite de plus en plus politisée et, si la lutte dans l’arrière-pays peut être considérée comme un simple mécontentement de tribus, les événements qui se déroulent à Aden - tel la tentative d’assassinat du gouverneur Trevaskis en décembre 1963 - sont difficiles à contenir. Dès ce premier attentat, l’état d’urgence est déclaré dans la ville, situation qui se répètera de nombreuses fois les années suivantes. Cependant, les Britanniques ne parviennent pas à reprendre le contrôle de la ville, les attentats à la bombe se multipliant. Par ailleurs, les Britanniques se heurtent, dès les années 1950, aux syndicats d’ouvriers et de dockers fédérés par l’Aden Trades Union Congress (ATUC), dirigé au début des années 1960 par Abdullah al-Asnaj, neveu de l’ancien imam du Nord, Ahmad. Les Britanniques ne l’apprécient pas et préfèrent s’adresser au gouvernement élu d’Aden ou, à partir de janvier 1963 et de l’intégration d’Aden à la Fédération d’Arabie du Sud, aux dirigeants de la Fédération. Ils ne prennent donc pas en compte le mécontentement grandissant des travailleurs, notamment les mouvements de grèves, dont al-Asnaj est le porte-parole. Ces travailleurs sont par conséquent réceptifs aux idées égyptiennes de mettre fin à la présence britannique dans la région. En effet, pour les Egyptiens, la création d’une fédération qui lie le port d’Aden à son arrière-pays augmente le pouvoir de contrôle des Britanniques. Radio Le Caire diffuse ainsi des messages s’opposant fermement à toute négociation avec les Britanniques, n’hésitant pas à traiter de traître les chefs qui envisagent de négocier. En outre, en janvier 1964, une bombe placée dans le bâtiment de la Législature Fédérale - lieu de rassemblement des dirigeants de la Fédération d’Arabie du Sud - tue cinq représentants politiques adénites dont deux membres de l’ATUC, empêchant la tenue de négociation pour arrêter les combats dans l’arrière-pays. En juin 1964, six mois après l’attentat, les leaders fédéraux décident de se réunir à Londres pour évoquer la date de l’indépendance. Ils se mettent d’accord sur la fin de l’année 1968. Cependant, les Britanniques profitent de cette promesse pour refuser d’accorder plus de pouvoir aux chefs fédéraux. Les militants constatent donc que les négociations menées par les chefs fédéraux sont inutiles puisque les Britanniques ne les considèrent pas comme des égaux politiques. Sur le plan politique, les élections d’octobre 1964 portent au pouvoir l’homme qui avait attaqué le gouverneur Trevaskis en décembre 1963, nommé par les Britanniques « grenadier Khalifah ». Son élection semble être du à son aura personnelle plus qu’au soutien à ses idées politiques. Aucune majorité politique n’émerge de ces élections, les différentes factions nationalistes n’étant pas en mesure de travailler ensemble.

Par ailleurs, en octobre 1964, des élections se déroulent également en Grande-Bretagne. Le Parti travailliste l’emporte, dont la conséquence pour le Yémen est un changement de politique : les Travaillistes considèrent en effet que les syndicats adénites fonctionnent sur le même modèle que les syndicats britanniques, et entament des pourparlers avec l’ATUC. Inversement, ils considèrent les chefs fédéraux comme des figures féodales et refusent de s’entretenir avec eux. Le gouverneur Trevaskis, dont la politique était à l’opposé, est donc remplacé.

Fin 1964, le FLN estime que la situation n’a pas évolué et décide d’intervenir par la force. Il pose une bombe dans une soirée d’adolescents britanniques, puis s’en prend à des résidences de fonctionnaires britanniques. Le FLN se militarise de plus en plus et, en mars 1965, lors de la réunion de la Ligue arabe, alors que l’ATUC demande des fonds pour la scolarisation des enfants adénites, le FLN en exige pour acheter des armes. Le FLN décide en outre de s’emparer de l’ATUC qui est un organisme essentiel, ne serait-ce que symboliquement, dans la lutte contre les Britanniques. Al-Asnaj perd donc la direction de l’ATUC et, en juin 1965, lorsque les Britanniques réinstaurent l’état d’urgence, il est parti pour Le Caire, suivi par l’ancien Premier ministre d’Aden, Abd al-Qawi Makawi. La situation se complique pour les Britanniques qui annoncent en février 1966 qu’Aden n’est plus essentiel pour leurs intérêts et qu’ils quitteront le pays en 1968 sans en assurer la protection après l’indépendance.

Le départ des Britanniques renforce les luttes entre factions nationalistes opposées

L’annonce du départ des Britanniques ne fait que renforcer les dissensions entre les différentes factions nationalistes. Ainsi, al-Asnaj a formé au Caire une alliance avec la Ligue d’Arabie du Sud des frères al-Jifri et avec quelques membres de familles régnantes anticoloniales de la région du Yafi. Quant à l’Egypte, elle soutient le FLN et crée pour l’aider le Front de Libération du Sud Yémen Occupé (FLSYO) en janvier 1966. Cependant, les dirigeants du FLN, dont un certain nombre est originaire du Yémen du Nord et se méfie de l’aide égyptienne, refusent d’unir le FLN et le FLSYO. En outre, ils se sont déjà éloignés du nassérisme au niveau de leurs idées politiques. Enfin, le Mouvement des Arabes Nationalistes (MAN) ne s’entend pas avec la Ligue d’Arabie du Sud ainsi que le parti Baath duquel al-Asnaj est proche. Les inimitiés sont donc fortes et même le FLN et le FLSYO finissent par rompre leur alliance en novembre 1966.

Le FLN, encouragé par Nasser, et même si les Britanniques ont annoncé leur départ prochain, décide d’utiliser la rancœur de la population contre ces derniers et obtenir une base de soldats conséquente. Cette volonté du FLN de gagner par la violence n’est cependant pas acceptée par tous : al-Asnaj refuse de voir Aden se transformer en un nouveau Congo et les quelques nordistes impliqués dans la lutte dans le protectorat ne voient plus la nécessité de se battre puisque les Britanniques ont déjà annoncé leur départ. Mais Nasser, pour des raisons personnelles, soutient la décision du FLN car pour lui, une indépendance n’est pas « offerte » mais « acquise ». Il va même jusque traiter de traître ceux qui refusent de se battre. Or, si le FLN est désormais séparé de Nasser, il ne peut se laisser qualifier de « traître » par les Egyptiens. La violence à l’égard des Britanniques redouble donc d’intensité après cette déclaration de Nasser. Celle entre factions nationalistes augmente également et, en février 1966, le nouveau président Baathiste de l’ATUC est tué par un membre du FLN. En février 1967, trois fils de la famille Makawi, puissante famille adénite, sont assassinés par le FLN et, lors des funérailles, des membres de la Ligue d’Arabie du Sud sont frappés à mort par des membres du FLN. Dans les mois qui suivent, des membres du FLN et du FLSYO s’entretuent. Il apparaît ainsi que le problème n’est plus celui du départ des Britanniques, mais de la prise du pouvoir une fois ceux-ci partis. Les seuls à ne pas vouloir entrer dans ce conflit fratricide sont les sultans Hadramis.

Finalement, en juin 1967, avec la défaite de l’Egypte face à Israël lors de la guerre des six jours, le FLSYO est affaibli et perd sa place de candidat au contrôle du pays. Le FLN poursuit ainsi sa montée en puissance. Avec le départ des Britanniques, les Etats fédéraux tombent les uns après les autres aux mains des Légions bédouines et du FLN, y compris les Etats Hadrami. Le FLSYO tente de se maintenir mais lorsque l’armée choisit le FLN, c’est une victoire définitive pour ce dernier. Après le départ des dernières troupes britanniques, le 29 novembre 1967, de véritables purges débutent.

Le 30 novembre 1967, la République populaire du Yémen du Sud est créée, avec le FLN à sa tête. Cependant, son économie est touchée par la fermeture du canal de Suez et par celle de la base britannique (qui versait à l’économie du pays environ 15 000 livres par an). La nouvelle république se voit ainsi confrontée à de nombreux défis, la branche marxiste du FLN souhaitant notamment transformer la république en un pays communiste.

Bibliographie :
 Article « Yémen », Encyclopedia Universalis.
 Victoria Clark, Yemen : dancing on the heads of snakes, Yale, 2010.
 Paul Dresh, A history of modern Yemen, Cambridge, 2000.
 R.J. Gavin, Aden under British Rule : 1839-1967, Londres, 1975.

Publié le 03/07/2012


Ainhoa Tapia est étudiante en master d’histoire contemporaine à l’Ecole doctorale de l’Institut d’Etudes Politiques de Paris. Elle s’intéresse à l’histoire des Etats du Moyen-Orient au vingtième siècle, en particulier à la création des systèmes étatiques et aux relations diplomatiques que ces Etats entretiennent entre eux.


 


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