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Crédits photo : Ines Gil
Dans la nuit du vendredi 15 novembre, deux jets de lumière foudroyants partent de Gaza. Deux roquettes sont tirées en direction de la ville israélienne de Beer Sheva (1). Dans cette localité du sud, située aux portes du désert du Negev, les sirènes d’alarmes retentissent. En ce début de Shabbat, les festivités tournent court et les habitants se précipitent vers les abris. Mais les roquettes n’ont pas le temps de finir leur course : elles sont interceptées par le Dôme de fer, le système de défense aérienne israélien. Dans les heures qui suivent, dans un éclat terrible, le ciel s’illumine au dessus de Gaza. L’armée israélienne a répliqué. Pour la première fois depuis le début du nouveau cycle de violences entamé quatre jours plus tôt entre Israël et l’enclave palestinienne, elle bombarde des positions du Hamas (2). Deux sites situés dans le nord de l’enclave palestinienne sont visés. En cause : selon l’armée israélienne, les deux roquettes lancées un peu plus tôt sont le fait du parti islamiste au pouvoir à Gaza. Il était pourtant resté à l’écart des affrontements avec l’Etat hébreu durant la semaine (3). Jusqu’à ce vendredi, seuls l’armée israélienne et le Jihad Islamique étaient impliqués dans les combats.
Le déchaînement de violence survenu la semaine dernière a éclaté avec un événement : le 12 novembre, tôt dans la matinée, Baha Abu Al-Ata, un commandant du Jihad Islamique palestinien, est tué avec sa femme à Shuja’iyya, une bourgade à l’est de la ville de Gaza. Revendiqué par l’armée israélienne et le Shin Bet, les renseignements intérieurs israéliens, cet assassinat provoque la colère du Mouvement du Jihad Islamique Palestinien (MJIP). Quelques heures plus tard, les Israéliens se réveillent au son des sirènes d’alarme. Elles retentissent dans les localités du sud, à proximité de l’enclave palestinienne, et jusqu’à la métropole économique, Tel-Aviv. Rien que dans la matinée, 50 roquettes sont envoyées.
Au même moment, toujours très tôt le matin, des frappes ciblent la maison d’Akram Ajouri, un responsable du Jihad Islamique à Damas, en Syrie (4). A. Ajouri survit, mais l’attaque tue deux personnes, dont son fils. L’agence Sanaa, proche du régime syrien, impute la responsabilité à Israël, mais l’Etat hébreu ne fait aucun commentaire.
Si la tentative d’assassinat à Damas est confirmée, elle marque un retour des assassinats ciblés contre les Palestiniens. Le dernier en date avait visé Hamad al-Khodori en mai 2019. A l’époque, ce responsable du Hamas avait été tué dans sa voiture par une frappe israélienne en marge de la flambée de violences inouïe entre Israël et les factions palestiniennes de Gaza.
En ciblant directement un - voire deux - dirigeants du Jihad Islamique, Israël ouvre un nouveau chapitre dans sa politique à Gaza. Habituellement, après chaque tir de roquette, quelque soit le responsable, l’Etat hébreu vise le Hamas dans des bombardements aériens. Le parti au pouvoir à Gaza était jusqu’ici considéré comme responsable de toutes les activités à Gaza. Mais ce mardi 12 novembre, Tel-Aviv a uniquement ciblé le Jihad Islamique, la seconde force armée de l’enclave. Une stratégie nouvelle, totalement revendiquée par les Israéliens. Le porte-parole de l’armée israélienne, Jonathan Conricus a affirmé qu’« au cours de l’opération », ils ont « établi une distinction entre le Hamas et le Jihad islamique » avec un objectif : « garder le Hamas hors des combats » (5).
Pendant près de quatre jours, sauf pour les événements survenus dans la soirée du vendredi 15 au samedi 16 novembre, seul le Jihad Islamique Palestinien a été visé par Israël. Le Hamas a préféré rester à l’écart des violences.
En milieu de journée, le 12 novembre dernier, dès le premier jour de violences, tous les regards sont tournés vers le Hamas. Depuis le matin, les roquettes ne cessent de pleuvoir sur l’Etat hébreu (plus du cinquantaine jusqu’en fin de matinée) en riposte à l’assassinat ciblé de Baha Abu Al-Ata. En réponse, l’armée israélienne bombarde des positions du Jihad Islamique, tuant une dizaine de membres de la faction palestinienne. Tous, incluant le MJIP lui-même, se demandent alors si le Hamas va rejoindre les affrontements. Le parti au pouvoir à Gaza témoigne son soutien au Mouvement du Jihad Islamique dans un communiqué officiel, mais il ne procède à aucun tir.
Deuxième jour, mercredi 13 novembre : les salves de roquettes continuent, passant à 100, puis 150, puis 200, dans un rythme effréné. Dans le même temps, l’armée israélienne bombarde Gaza et fait des premières victimes civiles parmi les Palestiniens. Des Gazaouis non affiliées aux factions locales. Mais toujours pas d’intervention du Hamas.
Troisième jour, jeudi 14 novembre : à l’aube, un cessez-le-feu est signé entre Israël et le Jihad Islamique avec la médiation de l’Egypte et de l’émissaire de l’ONU pour le Moyen-Orient, Nickolay Mladenov. Mais dans les heures qui suivent, de nouvelles roquettes sont lancées par le MJIP. Dans la soirée de jeudi, plus de trente morts sont à déplorer du côté palestinien. Dont une famille entière qui n’avait aucun lien avec les factions armées : le drame s’est déroulé jeudi, très tôt dans la matinée, avant l’entrée en vigueur du cessez-le-jeu. Un pilote de l’armée israélienne bombarde une maison à Deir Al-Balah, dans le sud de la Bande de Gaza. Une famille entière est tuée. Parmi eux, cinq enfants. Le lendemain, questionnée par le média Haaretz, l’armée israélienne reconnaît des victimes « inattendues ». Selon elle, la maison de la famille Abou Malhous n’avait pas été étudiée depuis longtemps (6), et contrairement à la procédure habituelle, les forces israéliennes n’avaient pas vérifié si des civils s’y trouvaient. Mais malgré cette tragédie, dans la journée de vendredi 15 novembre, le Hamas ne s’engage toujours pas.
Les jours passent, et le doute s’amoindrit : le Hamas ne semble définitivement pas prêt à participer aux affrontements. La presse israélienne parle d’une situation exceptionnelle, le parti islamique est vu - surement pour la première fois - comme un partenaire pour les Israéliens (7). Et même, comme le seul acteur responsable dans le conflit entre Israël et Gaza (8).
Le Hamas a ses propres raisons d’éviter les affrontements : il souhaite maintenir le cessez-le-feu à long terme avec Israël. Sans être devenu un « partenaire » pour l’Etat hébreu, il partage certains objectifs avec les Israéliens : tous deux souhaitent préserver ce parti islamiste comme dominant le pouvoir à Gaza, tout en maintenant un conflit de basse intensité dans l’enclave palestinienne.
Le premier parti de Gaza espère par ailleurs que les responsables israéliens se souviendront de son geste (9). Par exemple en favorisant les entrées d’argent qataries ou encore les déplacements de personnes et de marchandises à la frontière. Le parti, qui a récemment fait face à une lourde crise financière, ne peut risquer un nouveau conflit coûteux et impopulaire. Les Gazaouis ont vécu trois guerres ces dix dernières années, faisant près de 3 500 morts palestiniens et des dégâts matériels considérables. Ils sont peu enclins à vivre un nouveau conflit. Sur le plan financier aussi, le Hamas cherche à assurer ses arrières. La crise financière traversée ces dernières années a été durement vécue par la population à Gaza, qui dépend notamment des aides locales fournies par le Hamas. Historiquement, la popularité du parti se base en partie sur un réseau de soutien social et éducatif construit pendant des décennies. En mars 2019, des manifestations - lourdement réprimées par le Hamas - avaient éclaté dans la Bande de Gaza pour protester contre la dégradation de la situation économique, montrant l’impopularité grandissante du parti dans l’enclave palestinienne. Or, le Hamas doit commencer son opération séduction pour les législatives prévues pour l’année prochaine. Ces dernières semaines, l’Autorité palestinienne a multiplié les annoncées sur l’organisation d’élections présidentielle et législatives en 2020.
En évitant de s’engager dans ce conflit, le Hamas envoie aussi un message au Jihad Islamique : il prévient le parti - qui sans être un rival, ne partage pas toujours les mêmes objectifs - qu’il ne peut mener une attaque de grande ampleur sans le Hamas, qui reste le maître à Gaza et que le Hamas ne sera pas toujours là pour lui.
Cependant, dans la nuit de vendredi à samedi, deux roquettes ont été envoyées par le Hamas sur Beer Sheva, tranchant avec l’absence d’engagement du parti islamiste. L’armée israélienne s’est empressée de répliquer, visant des cibles du Hamas et fragilisant le cessez-le-feu en vigueur. Un affrontement éclair qui ne vient pas vraiment changer les nouveaux rapports de forces mis en place ces derniers jours à Gaza.
Cette riposte de l’armée israélienne sera le seul épisode de violence qui éclatera entre elle et le Hamas dans le cycle ouvert mardi 12 novembre. Plusieurs hypothèses ont pu conduire le Hamas à tirer ces roquettes : soit elles n’ont pas été approuvées par la haute hiérarchie du Hamas, et elles ont été tirées par des loups solitaires du parti, comme semble le penser l’armée israélienne ; soit le Hamas souhaitait réaliser une démonstration de force limitée, avec un double objectif : montrer que, contrairement aux affirmations dans la presse israélienne, le parti n’est pas devenu un partenaire privilégié d’Israël qui partagerait les mêmes objectifs que l’Etat hébreu (toujours ennemi). Mais aussi réagir à la mort de la famille Abou Malhous tuée dans le bombardement israélien de jeudi matin.
Malgré cette démonstration de force contenue, les événements de la semaine dernière marquent un nouvel épisode à Gaza et ouvrent un nouveau cycle pour l’enclave palestinienne et Israël.
Notes :
(1) Pas de blessés à déplorer : https://fr.timesofisrael.com/liveblog_entry/roquette-interceptee-a-beer-sheva/
(2) https://www.france24.com/fr/20191116-nouvelles-frappes-israeliennes-gaza-hamas-jihad-islamique
(3) https://www.lemonde.fr/international/article/2019/11/16/israel-mene-de-nouvelles-frappes-a-gaza-apres-des-tirs-de-roquettes_6019396_3210.html
(4) Le Mouvement du Jihad Islamique Palestinien est basé à Damas. La haute hiérarchie du groupe palestinien, dont son leader Ziad Al-Nakhalah, réside dans la capitale syrienne : https://www.lesclesdumoyenorient.com/Le-Mouvement-Jihad-Islamique-Palestinien-une-faction-islamo-nationaliste.html
(5) http://www.leparisien.fr/international/offensive-d-israel-contre-le-groupe-jihad-islamique-des-tirs-de-roquettes-en-reponse-12-11-2019-8191191.php
https://www.haaretz.com/middle-east-news/palestinians/.premium-israeli-army-admits-strike-that-killed-palestinian-family-intended-for-empty-house-1.8129435
https://www.haaretz.com/israel-news/.premium-islamic-jihad-has-long-range-rockets-hamas-has-long-term-goals-1.8129645
https://www.haaretz.com/middle-east-news/.premium-hamas-is-for-now-the-only-responsible-adult-in-the-israel-gaza-conflict-1.8123757
(9) https://www.haaretz.com/middle-east-news/palestinians/.premium-hamas-stopped-gaza-escalation-this-time-but-israel-should-know-there-s-no-freebies-1.8129543
Ines Gil
Ines Gil est Journaliste freelance basée à Beyrouth, Liban.
Elle a auparavant travaillé comme Journaliste pendant deux ans en Israël et dans les territoires palestiniens.
Diplômée d’un Master 2 Journalisme et enjeux internationaux, à Sciences Po Aix et à l’EJCAM, elle a effectué 6 mois de stage à LCI.
Auparavant, elle a travaillé en Irak comme Journaliste et a réalisé un Master en Relations Internationales à l’Université Saint-Joseph (Beyrouth, Liban).
Elle a également réalisé un stage auprès d’Amnesty International, à Tel Aviv, durant 6 mois et a été Déléguée adjointe Moyen-Orient et Afrique du Nord à l’Institut Open Diplomacy de 2015 à 2016.
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