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Compte rendu de la conférence de François-Xavier Fauvelle au musée du Louvre, « Sijilmâsa du VIIIe au XIVe siècle, porte marocaine des relations à travers le Sahara »

Par Delphine Froment
Publié le 28/10/2014 • modifié le 03/04/2020 • Durée de lecture : 15 minutes

François-Xavier Fauvelle est un historien et archéologue de l’Afrique. Il est aujourd’hui directeur de recherches au CNRS, directeur du laboratoire TRACES (Université de Toulouse Jean-Jaurès) et chercheur associé au Centre Jacques Berque de Rabat. Il a dirigé le Centre français d’études éthiopiennes et coordonné plusieurs programmes de recherche sur les domaines chrétien et musulman.
Son livre Le Rhinocéros d’or. Histoires du Moyen Âge africain (Alma, 2013), a reçu le Grand Prix du livre d’histoire aux Rendez-Vous de l’histoire de Blois en 2013.
Il est co-directeur avec Lari Erbati (INSAP, Rabat) de la mission archéologique franco-marocaine à Sijilmâsa.

Au cours d’une conférence d’une heure donnée au Louvre le 20 octobre 2014, François-Xavier Fauvelle a présenté les recherches historiques et archéologiques qu’il mène à Sijilmâsa.
« Sijilmâsa » est un nom presque mythique : un nom que l’on retrouve dans de très nombreuses sources anciennes, qu’elles soient européennes, arabes ou juives, et qui nous parle d’une ville assez fascinante, qui a été la première, sinon l’une des toutes premières, ayant permis la mise en place du commerce à travers le désert du Sahara avec les royaumes d’Afrique de l’Ouest.

Sijilmâsa dans l’histoire : un point nodal dans le commerce transsaharien

Pour mieux appréhender cette ville, et donner à voir la place qu’elle occupe dans l’Afrique de l’Ouest, François-Xavier Fauvelle a ainsi présenté plusieurs documents qui évoquent Sijilmâsa. A commencer par cette carte issue de l’Atlas catalan (1375).

Conservé à la Bibliothèque nationale de France, cet atlas appartenait à la bibliothèque du roi Charles V. Ecrit en catalan, émane de l’atelier d’un cartographe juif de Majorque, aux Baléares, il avait été offert à un souverain espagnol qui l’avait lui-même offert à roi français.
Cette carte présente l’ensemble du monde périméditerranéen, allant jusqu’à la Scandinavie au nord, et jusqu’au Sahel en Afrique de l’Ouest (qui occupe toute la partie basse de la carte). Il s’agit d’un miroir de la façon dont est vu le monde à la fin du XIVe siècle. Elle donne aussi à voir l’axe du commerce entre le Sahel et l’Europe occidentale, du nord au sud (Paris, Barcelone, Majorque, Sijilmâsa et enfin la capitale du Mali tout en bas de la carte).
Il s’agit là d’un des documents qui attestent que le Ghana (aux IXe-XIIe siècles) ainsi que le Mali (aux XIIIe, XIVe et XVe siècles) sont les royaumes africains qui sont les deux principaux exportateurs de l’or. Et Sijilmâsa est une plaque tournante de ce commerce sur un axe nord-sud.

Atlas catalan, 1375, BNF

D’autres documents permettent d’aborder l’histoire de Sijilmâsa.

François-Xavier Fauvelle a ainsi présenté la première page d’un chapitre décrivant le royaume du Ghâna, dans un ouvrage rédigé par al-Bakrî. Ce géographe andalou arabe avait eu accès à des archives pour brosser un livre exceptionnel, publié autour de 1068, qui donne à voir la description du pays des noirs du 10ème au 11ème siècle.

Un autre document, plus rare encore, mais qui fait partie du répertoire de sources avec lequel notre historien travaille, écrit en graphie hébraïque mais dont la langue est l’arabe, provient de la geniza [1] du Caire : il s’agit d’une lettre envoyée de Kairouan à Fustat, et datée des environs de l’an mil, dans laquelle un marchand dit à son destinataire qu’il vient de confier une certaine somme d’argent à la caravane qui vient de Sijilmâsa et qui se rend au Caire. Il s’agit d’une information qui atteste une fois de plus l’importance de Sijilmâsa comme carrefour extrême-occidental d’un long réseau qui reliait le Caire, et plus lointainement encore, l’Inde.

Au XIIe siècle, on retrouve encore un atlas : celui d’Al-Idrisi, Arabe d’occident, géographe, installé à la Cour du roi chrétien Roger II de Sicile, pour qui il réalise l’atlas en question, composé d’une dizaine de feuillets, et accompagné d’une espèce de livret, véritable compilation à partir de sources anciennes (al-Idrisi n’ayant jamais voyagé) contenant notamment une description de Sijilmâsa : la ville y est présentée comme une grande ville de marchands, avec des jardins, des habitants vivant dans des sortes de châteaux, où l’on cultive des palmiers-dattiers. En outre, sont évoqués des troubles récents qui auraient détruit une grande partie des constructions.

Enfin, dernière source évoquée par François-Xavier Fauvelle : celles qui émanent de Léon l’Africain. Ce célèbre auteur, issu d’une famille de diplomates et de marchands marocains, qui, après avoir été capturé au cours de ses pérégrinations par des corsaires chrétiens en Méditerranée, avait été réduit en esclavage et offert au Pape, a rédigé une description de l’Afrique au tout début du XVIe siècle, sur la foi de ses propres expériences et souvenirs. Au sein de ses textes, on retrouve quelques lignes sur Sijilmâsa : « La Segelmesse est une province qui tire son nom de la ville principale. Elle s’étend le long de la rivière Ziz, en commençant au défilé proche de la ville de Gherseluin et descend vers le Sud sur un espace de 120 milles, jusqu’aux confins du désert de Libye. Elle est habitée par diverses tribus berbères qui sont ou Zeneta, ou Zanhagia, ou Haoara. Elle fut jadis sous l’autorité d’un souverain qui était indépendant, mais elle est ensuite passée sous celle de Joseph, roi des Luntuna. Puis cette province est passée aux mains des Muahidin. Après que les Muahidin eurent perdu leur royaume, elle fut dominée par la famille des Beni Marin. Son gouvernement fut confié aux proches parents des rois, en principe à leurs fils. Il en fut ainsi jusqu’à la mort d’Achmed, roi de Fez. Alors la province se souleva, les habitants du pays tuèrent le gouverneur et démolirent le mur d’enceinte de la ville. Celle-ci est demeurée déserte jusqu’au temps présent. Les gens se sont regroupés et ont bâti de gros châteaux parmi les propriétés et les cantons de la province. Parmi ces châteaux, les uns sont libres, les autres assujettis aux Arabes. J’ai dit brièvement ci-dessus ce qui m’a paru digne d’être noté sur la province de Segelmesse. Il me reste néanmoins à dire que le territoire propre de Segelmesse, qui s’étend sur une distance de 20 milles le long du Ziz, du Nord au Sud, contient environ trois cent cinquante châteaux, tant grands que petits, en dehors des villages. »

Ainsi que le montre l’extrait présenté par François-Xavier Fauvelle, lorsque Léon l’Africain a connu Sijilmâsa, celle-ci était détruite et l’on circulait au milieu des ruines de la ville.

Sur la base de cette documentation écrite, qu’il s’agisse de sources arabes ou juives, qu’il s’agisse de récits ou de cartes, on est capable de dresser une liste historique déjà assez longue, et ce malgré les nombreuses lacunes des sources, courant du VIIIe siècle, date de sa fondation, à nos jours. François-Xavier Fauvelle nous dévoile ainsi les jalons chronologiques de la ville :
 La « ville » (madîna) de Sijilmâsa est donc fondée vers le milieu du VIIIe siècle, par la tribu berbère des Banû Midrar, qui en font le siège d’un émirat kharidjite. Une liaison caravanière régulière entre le Maghreb et les royaumes soudanais (Ghâna du VIIIe au XIIe siècle, Mâli du XIIIe au XVe siècle) est mise en place.
 Autour de 910, la ville connait un bref épisode de domination fatimide.
 Aux Xe et XIe siècles, la dynastie maghrwâwa règne sur la ville. C’est aussi à cette période que l’on y instaure le sunnisme malékite.
 Du XIe au XVe siècle, les dynasties des Almoravides, des Almohades et des Mérinides se succèdent à Sijilmâsa. Sans en faire leur capitale, Sijilmâsa étant trop proche du désert, et trop au sud, toutes font de la ville la « banque » de leurs conquêtes du Maghreb et de l’Espagne, puisque tout au long de cette période, Sijilmâsa reste le point d’arrivée des caravanes de l’or.
 Mais à un moment donné, au XVe siècle, la ville connait la ruine. C’est ce que constate Léon l’Africain. Il y a bien l’épisode historique de conflits qu’il relate et qui a été citée ; mais François-Xavier Fauvelle propose également d’inscrire cette ruine dans une perspective plus large, et la relier au fait que les grandes routes transsahariennes ont alors changé : en effet, les terminus sud de cette route ne sont plus au Mali, mais se trouvent à Tombouctou, et les terminus nord ne sont plus au Maroc, mais plutôt en Algérie.
 Enfin, la période post médiévale, un moment important où nous savons que le Tafilalet (région de Sijilmâsa, région de palmeraies dans le sud-est du Maroc) devient un foyer de développement pour un groupe de personnes de haut rang et de haut prestige dans la société marocaine : les shérifs [2] alaouites, d’où émerge la lignée royale marocaine actuelle. Il y a aussi une dissémination dans le Tafilalet de confréries soufies maraboutiques.

Après avoir décliné ces grandes lignes de l’histoire de Sijilmâsa, François-Xavier a évoqué une autre dynamique, qu’il a largement décrite dans son ouvrage Le Rhinocéros d’or au sujet de l’Afrique au Moyen Âge : celle des liaisons commerciales, entre l’Afrique du Nord et l’Afrique de l’Ouest à travers le désert de sable du Sahara, et qui présente environ 60 jours de marche en caravane, ce qui n’est pas rien. Au sein de ces liaisons commerciales, il montre ainsi que Sijilmâsa est l’un des principaux « ports » ou « entrepôts » transsahariens situés en périphérie du Maghreb et en bordure du désert et qui communiquent avec les villes plus au nord comme Fez, Kairouan, Tripoli en Libye ou même le Caire, et avec les villes plus au sud (souvent décrites dans les sources, souvent également difficilement localisables sur le terrain) comme Ghâna, Gao (villes que l’on sait localiser) ou Mâli (que l’on ne sait pas localiser) par exemple. En reliant ces points, François-Xavier Fauvelle a pu donner à voir une figure du commerce transsaharien au Moyen Âge, et montrer, de manière à nouveau extrêmement limpide, le rôle qu’a pu y jouer Sijilmâsa, comme l’un des tous premiers et l’un des principaux carrefours de ce commerce au cours de la période médiévale, du VIIIe au XVe siècle.

Au-delà de la cité : le site

Après avoir présenté le cadre chronologique, historique et géographique de Sijilmâsa, son rôle dans l’histoire comme plaque tournante, et ses sources, François-Xavier Fauvelle évoque l’archéologie du site. Le conférencier a utilisé dans son analyse force photographies, plans et cartes : nous tenterons ici d’en résumer les idées principales, ainsi que les résultats des fouilles, et les conclusions à en tirer.

Sijilmâsa se trouve dans le sud du Maroc, en bordure du désert, dans une palmeraie, non loin du fleuve du Ziz.
Depuis les années 1930, le site a connu une série d’opérations archéologiques, bien rappelées par François-Xavier Fauvelle :
 C’est dans les années 1930-1940 qu’on a les premières mentions modernes des vestiges par Henri Terrasse et Vincent Monteil.
 Dans les années 1960, des fouilles sont menées par la surintendance des Antiquités marocaines.
 En 1971-1972, Sijilmâsa connait deux campagnes de fouilles italiennes, notamment avec Boris de Rachewiltz.
 En 1974, Ben Chemsi entreprend également des fouilles sur le site.
 Entre 1988 et 1996, l’Américain Ronald Messier mène cinq campagnes de fouilles.
 Enfin, depuis 2011, et jusqu’en 2019, François-Xavier Fauvelle dirige (avec Larbi Erbati) de nouvelles fouilles dans le cadre d’une mission franco-marocaine.

A quoi ressemble le site aujourd’hui ? On retrouve ces châteaux ou villages fortifiés par dizaines dans le Tafilalet : ce sont les mêmes que ceux décrits par Léon l’Africain au XVIe siècle, ou d’al-Idrisi au XIIe siècle.
La palmeraie du Tafilalet est claire, pas du tout aussi densément peuplée qu’elle peut l’être ailleurs. En effet, le sable envahit année après année les quartiers de cette oasis anciennement cultivée en palmiers. On peut tout d’abord relier ce phénomène à des travaux publics récents (un grand barrage, par exemple, a été construit 50km en amont, et assèche l’oasis à cet endroit) ; mais il faut également noter un phénomène de plus longue durée : la désanthropisation de la palmeraie. En effet, la période urbaine du Tafilalet, lorsqu’il y avait une grande ville à cet endroit, correspond très certainement au moment où la palmeraie était la plus grande de son histoire ; c’est du moins ce que pense François-Xavier Fauvelle, car selon lui, ville et oasis vont ensemble, et il y a grande ville quand il y a grande palmeraie.
Du site en lui-même, on voit très bien des ruines de mur depuis les photos satellites. On distingue également des espèces de cratères, qui correspondent à des ruines d’habitations à plusieurs étages.
Toutes les élévations sont en pisé, c’est-à-dire des murs en terre, armés avec du galet, des cailloux, des restes de céramique. Ces murs sont construits entre des planches, elles-mêmes tenues par des traverses. C’est ce que l’on appelle en construction la technique de la terre banchée.
Au-delà des séries de murs en pisé, François-Xavier Fauvelle a présenté trois formes possibles d’empiètement :
 Un empiètement dû au sable éolien amené par le vent. Ce sable forme des dunes contre les murs d’élévations. Il s’agit là d’un phénomène naturel, mais qui est bien-sûr permis uniquement par un mur qui se dresse et arrête le vent. De l’aveu de François-Xavier Fauvelle, ce phénomène est très utile pour repérer un mur sur le site.
 Un empiètement avec des tas de déblais. En effet, il y a des déblais de partout, car le site est à la fois utilisé comme dépotoir à ciel ouvert et à la fois utilisé comme carrière, puisque certains pillards viennent chercher du sable et autres matériaux sur le site.
 Enfin, un empiètement avec un cimetière musulman qui est installé contre les ruines.

François-Xavier Fauvelle précise que tous les murs de la ville que l’on voit aujourd’hui en surface sont en pisé, ainsi que les murs qui sont en dessous. Ce qui indique clairement que même au Moyen Âge, la ville était déjà en pisé, contrairement à ce que certains historiens avaient pu prétendre auparavant, affirmant qu’avant les destructions constatées par Léon l’Africain au XVIe siècle, la ville était en dur. Il a bien sûr existé des technologies différentes selon les périodes, avec un pisé de forme ou de couleur différente, mais dès le début de la construction de la ville, celle-ci s’est faite en terre.

Le site est très mal conservé, non pas tellement parce que le pisé s’érode et s’effondre tout seul, mais surtout en raison des pillages. Ces pillages ne datent pas seulement de l’époque contemporaine, mais plutôt du XIXe siècle au moins, voire avant. François-Xavier Fauvelle a ainsi montré, à l’aide d’une carte, de très nombreuses fosses qui ont été entièrement pillées, les pilleurs creusant, perçant les différents niveaux archéologiques anciens.
Au-delà de son mauvais état de conservation, une autre difficulté se présente à l’archéologue : on a longtemps pensé qu’on pourrait dire beaucoup de choses, en dépit des pillages, sur la chronologie de Sijilmâsa et son histoire, car en trouvant des céramiques on pourrait les comparer et ainsi savoir à quelle époque on avait à faire. C’est en effet ce que l’on fait en général dans l’archéologie de l’Islam. Seul problème avec Sijilmâsa, et qui rend cette démarche impossible : tout le mobilier, qu’il s’agisse de verre ou de céramique, est local, ce qui le rend incomparable.

Malgré ces quelques difficultés, les fouilles ont apporté des résultats très intéressants.
Tout d’abord, trois ensembles de murailles ont pu être identifiés à découvert, à commencer par une muraille datant du XIIIe siècle, et une autre, très différente, datant du XIVe siècle, avec une double enceinte et contre laquelle est adossé un petit mausolée. Enfin, François-Xavier Fauvelle nous a fait le récit de la découverte de la troisième muraille, datant du Xe siècle. Celle-ci a en quelques sorte été découverte par, ou du moins avec « l’aide » des pilleurs de sable : lors du début de la campagne de fouilles en 2011, François-Xavier Fauvelle et son équipe ont pu observer tout un manège de tractopelles et de camions pour venir emporter du sable ; or, ces tractopelles, à force de prendre du sable, semblent être finalement tombés contre un mur ; il s’agissait de la muraille du Xe siècle. A noter que le pillage de sable a continué par la suite, permettant à nouveau de découvrir également des tourelles. Loin d’être reconnaissant envers ces pilleurs, François-Xavier Fauvelle a évoqué les conséquences désastreuses qu’un tel pillage entraîne : alors que le sable avait protégé pendant plus de mille ans les murs, le pillage du sable leur a ôté toute couche de protection ; ainsi, moins de deux ans après sa découverte par les pilleurs, une tourelle s’était déjà effondrée. Suite à ces débuts de découverte de la muraille du Xe siècle, l’équipe a dû, pour en savoir plus, affiner les recherches afin de repérer le tracer de la muraille : satellites, photos aériennes, repérage au sol ont alors été mobilisés… mais surtout, François-Xavier Fauvelle a révélé que le meilleur outil pour ce repérage est tout simplement la rosée du matin. En effet, celle-ci laisse, uniquement entre 6h30 et 7h30 du matin, une trainée rouge dû à un différentiel de conservation d’humidité au sol. Extrêmement utile, c’est elle qui a permis aux archéologues de retrouver la trace de la muraille du Xe siècle.

Un autre résultat des fouilles, présenté par François-Xavier, est celui des occupations : en effet, dans le secteur où ils font actuellement des fouilles, l’on distingue trois occupations principales entre le VIIIe et XIIIe siècle. On trouve tout d’abord, tout au fond, des murs en pisé orange très caractéristique, avec de gros galets qui forment l’armature du soubassement du mur, et qui ont été très précisément datés du VIIIe siècle. Au-dessus, on trouve des occupations plus difficiles à individualiser et à dater, car ce sont elles qui ont été percées par les pillages. Enfin, tout au-dessus se trouvent les fosses les plus récentes, celles du XIIIe siècle. Rien de plus récent n’a été découvert au-dessus. A la surface, il n’y a guère que des murs qui, eux, datent du XVIIe siècle. Qu’en déduire ? Que ce qui date du XIVe siècle et des suivants se trouve donc ailleurs.
Les fouilles des occupations ont incité les archéologues et les chercheurs à repenser le modèle que l’on se faisait jusqu’à présent de Sijilmâsa. En effet, jusqu’à présent, on pensait qu’il n’y avait qu’une seule Sijilmâsa. Mais finalement, en fouillant, on trouve des séquences archéologiques différentes et non continues : on ne trouve aucune séquence ininterrompue entre le VIIIe et le XVe siècle par exemple. Il n’y a donc pas une seule ville continue du VIIIe au XVe siècle, ce qui veut dire qu’il y a eu plusieurs Sijilmâsa, à chaque époque, avec différents quartiers : un quartier marchand arabe, un pour les élites, un pour les artisans, un quartier juif peut-être, ou un quartier d’autre chose encore peut-être… François-Xavier Fauvelle a ainsi bien démontré qu’il y a eu des occupations différentes, avec des fonctions différentes sur le site.

Nous a également été présenté un ensemble remarquable trouvé cette année. Il s’agit d’un bassin, non pas construit en pisé, mais en béton de chaux coulé dans la masse, enduit, et associé à des dispositifs de canalisation coffrés. Un peu partout autour de ce bassin ont également été découverts des canalisations. Mais surtout, pour la première fois dans ce secteur-là, les archéologues ont découvert un mobilier en céramique qui paraît très homogène, laissant à penser qu’on a des choses en dessous, non pillées. Ce secteur semble donc plutôt prometteur.

Enfin, François-Xavier Fauvelle s’est attardé sur un dernier phénomène qui, même s’il se déroule à une période postérieure à la sienne, l’intéresse au plus haut point. Il s’agit des mausolées qui ont été construits après l’abandon du site : parfois refaits, parfois repeints, ces mausolées sont néanmoins assez anciens et attestent la présence de populations maraboutiques ou shérifiques. Un cimetière juif postérieur à l’abandon du site au XVe siècle a également été repéré. Pour cela, il s’agit déjà d’un phénomène sociologiquement intéressant. Mais comme les archéologues ont pu le constater, ces constructions se trouvent systématiquement en périphérie du site, juste au bord, ce qui a beaucoup interpellé François-Xavier Fauvelle. Il voit dans les constructions un phénomène très intéressant de fixation du site, comme si le site, après sa destruction, avait continué à attirer des formes de mémoires des shérifs, des marabouts, mais également des formes de mémoires concurrentes.
Or ces constructions ont très souvent permis la préservation du site. Par exemple, le cimetière juif est installé juste dans le secteur d’un ancien quartier artisanal : le fait qu’un cimetière se trouve à la surface de ce secteur a permis la conservation de l’ancien quartier, et permet aujourd’hui de trouver plein de choses sur une période de sept à huit siècles. Autre exemple, celui d’un mausolée fixé contre la muraille du XIVe siècle : or, c’est uniquement à cet endroit-là que la muraille a été conservée. Selon François-Xavier Fauvelle, ce n’est pas d’une coïncidence : c’est bien uniquement parce qu’il y avait un mausolée que cette muraille a été conservée.

C’est ainsi que François-Xavier Fauvelle a mis en parallèle le pillage et conservation du site, deux phénomènes concurrentiels et paradoxaux, l’un consistant en l’appropriation des richesses, l’autre à sa conservation (indirecte). Mais ces deux phénomènes ne procèdent-ils pas de la même idée, c’est-à-dire de la captation symbolique ou matérielle du prestige et des richesses préservées dans le sous-sol ? C’est tout du moins l’hypothèse soulevée par le conférencier.
Mais d’ailleurs, de quelles richesses s’agit-il ? En effet, la ville, ayant été liée au grand commerce comme on l’a bien vu dans les sources, a dû préserver de grandes richesses dans son sous-sol. Aucun archéologue n’a jamais trouvé d’or sous terre à Sijilmâsa, mais surement beaucoup de choses s’y trouvaient par le passé. Du fait des pillages, les archéologues ne retrouvent plus rien aujourd’hui. François-Xavier Fauvelle a néanmoins pu montrer les découvertes que les fouilles ont récemment permis de faire : toute une vaisselle de grande qualité avec notamment des bouteilles en verre ont pu être trouvées, le tout ne venant que d’une seule petite fosse, pas plus large qu’un fauteuil, et seulement sur un mètre de hauteur.
Cette découverte se fait ainsi le témoin de la réalité du pillage, ainsi que le témoin de ce qui y a été pillé.

Au terme de cette très belle conférence, François-Xavier Fauvelle a rappelé que dans l’Atlas catalan, Sijilmâsa se trouve tout en bas de la carte, avec au sud, l’horizon africain du commerce de l’or. Cet horizon, François-Xavier Fauvelle l’a rappelé, n’est finalement guère qu’un mirage pour l’historien. Ces traces du commerce de l’or, ou de l’esclavage, on ne les retrouvera pas, si ce n’est dans les sources. De ce commerce, les vestiges ne nous montreront rien. Seule restera la vérité des textes, et non celle de l’archéologie. Il n’en demeure pas moins que les fouilles du site, conduites par cette équipe franco-marocaine de François-Xavier Fauvelle et Larbi Erbati, commencent, aujourd’hui, à dessiner l’image d’une cité aux multiples visages. Une cité qui, malheureusement, fut, comme souvent, très fréquemment pillée.

Publié le 28/10/2014


Agrégée d’histoire et élève à l’Ecole Normale Supérieure de la rue d’Ulm, Delphine Froment prépare actuellement un projet doctoral. Elle a largement étudié l’histoire du Moyen-Orient au cours de ses études universitaires, notamment l’histoire de l’Islam médiéval dans le cadre de l’agrégation.


 


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