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L’Institut du monde arabe, l’Institut français du Proche-Orient (Ifpo) et la Fondation Maison des Sciences de l’Homme (FMSH), ont organisé, le jeudi 22 septembre, une conférence consacrée à l’impact sur la société yéménite des mouvements révolutionnaires qui touchent le pays depuis janvier 2011. Dans un débat animé par Hosham Dawod, responsable de l’Ifpo en Irak et directeur du Programme Proche et Moyen-Orient à la FMSH de Paris, François Burgat et Laurent Bonnefoy, reviennent sur la spécificité du Yémen dans la région même si, comme en Tunisie, en Egypte, en Libye ou encore en Syrie, les contestataires yéménites réclament le départ de leur dirigeant, le président Ali Abdallah Saleh au pouvoir depuis 1978.
François Burgat, directeur de l’Ifpo à Damas et ayant résidé à Sanaa au Yémen entre 1997 et 2003, insiste, dans un premier temps, sur le fait que le Yémen est une nation ancienne. Son histoire récente a cependant été marquée par la rivalité entre les empires ottoman et britannique. Au XIXème siècle le pays se retrouve en effet scindé en deux parties avec au Nord les Ottomans, à partir de 1852, et au Sud les Britanniques. Lorsqu’en 1967 le Sud accède à l’indépendance, il devient le seul Etat arabe à utiliser des références marxistes de manière aussi explicite. Côtier, le pays s’ouvre sur l’extérieur contrairement aux régions du Yémen du nord qui, plus montagneuses, tendent à s’isoler. Ces différentes évolutions expliquent alors, en partie, la diversité de la société yéménite.
Par ailleurs, sans surévaluer la variable sociale de la révolte, il est important, pour François Burgat, de rappeler que le Yémen est un des pays les plus pauvres au monde. Il juge également nécessaire de se méfier des raccourcis simplificateurs sur le rôle joué par les tribus. Tout au long de l’histoire du Yémen, elles se sont positionnées pour ou contre le régime en place et peuvent donc aussi bien devenir des vecteurs de la modernité comme cela a été le cas lors de la guerre civile de 1962.
L’histoire politique du Yémen unifié en 1990 est elle-même atypique à un moment où un certain nombre de pays arabes se renferment. Le Yémen vit alors une embellie pluraliste où la liberté de la presse est garantie. La société expérimente ainsi différentes formes d’expression politique avec, notamment, deux principaux partis : le Parti socialiste (ancien parti unique de l’ex Yémen Sud) et le Congrès général populaire (ancien parti de l’ex Yémen du nord). Tous deux ont gardé leurs branches militaires. En 1994, le pays s’engouffre dans deux mois de guerre civile qui vont entrainer le rétrécissement du système politique. Les événements du 11 septembre 2001 vont ensuite engendrer la reprise en main du pouvoir par le gouvernement au détriment des libertés. Peu à peu, la capacité oppositionnelle des partis d’opposition est décrédibilisée et une bonne partie de la population ne se reconnait plus dans leur système politique. De ces multiples dégradations naissent les sentiments de frustration. Enfin, suivant la logique « diviser pour mieux régner », le pouvoir a idéologisé les revendications du nord, en leur imputant d’être les alliés de l’Iran et de vouloir restaurer l’imamat, et du sud en les accusant de vouloir fragmenter le pays sur une base régionaliste. L’opposition cherche quant à elle à former des liens, rendant ainsi possible un rapprochement entre socialistes, les tribus et les partis islamiques. Dans la crise actuelle ces lignes de clivage sont bien sûr exacerbées.
Laurent Bonnefoy, politiste à l’Ifpo et auteur d’une thèse sur les relations religieuses transnationales contemporaines entre le Yémen et l’Arabie Saoudite, revient alors sur la chronologie des révoltes, souvent moins traitées dans les médias, afin d’analyser les perspectives possibles pour l’Etat.
Le Yémen a, tout d’abord, tardé à se lancer dans un mouvement contestataire construit. Fin janvier 2011, « l’opposition unifiée » déclenche les premières manifestations. Le 2 février le président Saleh réagit en promettant de ne pas se représenter, tout comme son fils, aux prochaines élections (concessions qu’il avait déjà formulé en 1999 et en 2006) et parvient ainsi à calmer la contestation.
Elle reprend cependant de plus belle mi-février avec d’importants rassemblements dans les trois villes : Sanaa, Aden et Taïz. Le régime qui contrôle encore la majeure partie de l’appareil sécuritaire ne bouge pas vraiment. La mobilisation prend un nouveau tournant lorsque, le 18 mars, des snipers tirent sur des manifestants. Des proches du pouvoir et des militaires se rallient alors à la contestation comme le général Ali Mohsen al-Ahmar, importante figure controversée du régime. Le président Saleh refuse à trois reprises de signer le plan de sortie de crise proposé par l’Arabie Saoudite. Le 3 juin marque alors une troisième rupture. Le président est grièvement blessé suite à un attentat à Sanaa. Il fuit, avec l’ensemble des dignitaires, en Arabie Saoudite avant de réapparaitre à la télévision. Dans ses discours, il continue d’affirmer sa volonté de faire des concessions tout en rappelant sa légitimité institutionnelle. Entre dimanche 18 septembre et mardi 20 septembre, plus de 75 manifestants ont trouvé la mort à Sanaa.
Dans ce contexte, de nouveaux acteurs ont émergé. Le mouvement est aujourd’hui transgénérationel et en dehors de tout parti politique. La révolution a donc réussi à donner naissance à une identité tierce qui dépasse les clivages Nord-Sud et regroupe des groupes qui jusque là s’ignoraient. On peut également noter, dans une société fortement armée, que les manifestations ont su rester pacifiques et que les affrontements du 3 juin 2011 ont été immédiatement condamnés par la « jeunesse révolutionnaire ».
On observe, toutefois, un certain dynamisme de reprise en main. La révolution semble, en effet, aujourd’hui échapper à ceux qui l’ont initié. Les opposants traditionnels, qui ont donc pris la révolution en marche, ont finalement réussi à être érigés en interlocuteur.
En outre, si l’armée protège les manifestants, elle amène également un certain équilibre de la terreur. Le dernier élément contre-révolutionnaire, selon Laurent Bonnefoy, est la capacité du régime à recentrer le mouvement en plaçant face à ses opposants des manifestants qui le soutiennent.
Finalement si un changement de régime ne résout pas tous les problèmes de la société yéménite, comme la crise économique, un bouleversement politique, un retour à l’ouverture, permettrait de sortir le pays de la spirale destructrice initiée dans les années 2000.
Lisa Romeo
Lisa Romeo est titulaire d’un Master 2 de l’université Paris IV-Sorbonne. Elle travaille sur la politique arabe française en 1956 vue par les pays arabes. Elle a vécu aux Emirats Arabes Unis.
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