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La révolte des Maccabées est un évènement important de l’histoire du peuple juif, qui est d’ailleurs raconté et commenté par deux livres de la Bible (Maccabées, I et II). Révolte politique contre un pouvoir étranger, elle est aussi une réaction contre l’hellénisme, et pose donc la question de l’identité du peuple juif dans ce monde hellénisé qu’est le Proche-Orient du IIe siècle avant J.-C. ; elle permet aux Juifs de Judée comme de la Diaspora de se recentrer autour du Temple de Jérusalem, qui devient le centre religieux et politique, mais aussi le fondement identitaire du peuple juif.
La révolte des Maccabées a pour facteur déclenchant la destruction du Temple en 168 par le roi séleucide Antiochos IV, qui y impose un culte hellénique – donc, aux yeux des Juifs, un culte païen. Cet événement rend le Temple inutilisable pour les cérémonies religieuses juives : le culte est donc interrompu pendant quatre ans, jusqu’à la restauration du Temple en 164. La destruction du Temple est considérée comme un acte politique autant que religieux, touchant aux fondements identitaires du peuple juif. Les deux livres des Maccabées insistent sur le processus d’assimilation culturelle mené par le pouvoir séleucide, qu’ils comprennent en termes de déjudéisation et perçoivent donc comme visant à supprimer l’identité juive pour la fondre dans l’hellénisme.
Cet événement recouvre en outre une opposition interne aux Juifs de Judée, celle qui, depuis plusieurs années, voit s’affronter les Juifs « hellénisés » et les Juifs « traditionnels » ou « conservateurs » et qui trouve ses origines dans une question politico-fiscale : lorsque le grand prêtre Onias II, à la toute fin du IIIe siècle, avait refusé de continuer à prélever l’impôt, le roi Ptolémée d’Égypte avait désigné un fermier de l’impôt – le Tobiade Joseph – créant ainsi de fait deux factions opposées : celle du grand prêtre du Temple de Jérusalem, qui appartient à la dynastie sacerdotale sadocide, et celle des Juifs hellénisés qui soutiennent le pouvoir étranger, d’abord lagide puis séleucide à partir de 198 avant J.-C. Cette opposition s’accentue, dans les années qui précèdent la destruction du Temple, dans le cadre du combat pour le grand pontificat – fonction suprême tant sur le plan religieux que politique – puisque le parti des Juifs soutenant la conquête séleucide impose au grand pontificat des Juifs hellénisés : d’abord Jason (175-172), puis Ménélas (172-167), qui ont d’ailleurs hellénisé leurs noms hébreux de Joshua et d’Onias. Pour Jason de Cyrène, Juif de la Diaspora grecque et rédacteur du second livre des Maccabées, la révolte trouve aussi son origine dans cette division interne au judaïsme de Judée : contre la politique d’hellénisation, qui ne serait pas seulement le fait des Séleucides mais aussi des grands prêtres à partir de 175, elle serait l’expression d’un désir de retour aux origines identitaires du peuple juif, à savoir la religion, la restauration du Temple comme centre religieux et politique, et la pureté ethnique. Cette hypothèse semble corroborée par le fait que l’acte de départ de la révolte est le meurtre non pas d’un étranger, mais d’un Juif ayant accepté de sacrifier aux dieux grecs, le sacrifice étant présenté par le premier livre des Maccabées comme l’épreuve identitaire par excellence, celle où l’on se définit comme Juif ou comme Grec.
La révolte des Maccabées apparaît donc comme un sursaut identitaire qui s’oppose à la fois au pouvoir étranger et aux Juifs hellénisés, qui mettraient en péril l’identité juive.
Les formes que prend la révolte des Maccabées sont révélatrices de cette volonté de préserver l’identité juive. La révolte emprunte son nom à Judas Maccabée, troisième fils du leader de la révolte, Mattathias, du clan des Hasmonéens. Celui-ci, dès décembre 167, quitte Jérusalem pour Modin, petite ville où il possède un domaine, afin de se séparer des cercles hellénisants. Mais l’édit de déjudaïsation d’Antiochos IV dépasse le cadre de Jérusalem pour s’étendre à toute la Judée, interdisant la pratique rituelle du sabbat, de l’holocauste et de la circoncision, et obligeant les Juifs à sacrifier aux dieux grecs ainsi qu’à consommer les viandes déclarées impures par la Loi. Jason de Cyrène, dans le deuxième livre des Maccabées, énonce également le fait de se reconnaître publiquement Juif comme un délit religieux.
Lorsque les officiers chargés de faire appliquer ces nouvelles règles parviennent à Modin, Mattathias prend les armes et se constitue, avec sa famille et quelques partisans, en résistant. Plus encore que contre l’occupation étrangère, il lutte contre certains Juifs qui acceptent de se soumettre aux règles de déjudéisation : la révolte des Maccabées est religieuse avant d’être nationaliste, et prend d’ailleurs pour mot d’ordre le « zèle pour la Loi », c’est-à-dire la volonté de lutter pour préserver la Loi ancestrale – celle qui a été révélée à Moïse sur le mont Sinaï – et le culte du « vrai Dieu ». Outre la lutte armée, lutte de guérilla dans les premiers temps avant l’organisation des combattants par Judas Maccabée – qui permettra leur victoire face aux phalanges séleucides à la bataille d’Emmaüs, en 165 avant J.-C. – les Maccabées entreprennent également la destruction des espaces sacrificiels païens, la circoncision forcée des habitants d’Israël et les déplacements ethniques engendrés par le recrutement rural. On trouve là la volonté d’unifier le pays d’Israël. Ils appliquent de plus, au sein du groupe des résistants, non seulement le respect strict de la Loi mais aussi des règles ascétiques, entre autres le célibat et un régime végétarien. Cette piété très forte n’exclut pas un pragmatisme réel : par exemple, les Maccabées établissent qu’il est licite de combattre le jour du Sabbat pour se défendre, mais pas pour attaquer, position qui sera inscrite dans la Loi au moment de la campagne judéenne de Pompée en 63 avant J.-C. Leurs méthodes de combat, surtout après que Judas Maccabée a succédé à son père comme chef de la révolte en 166, témoignent également d’une acculturation retournée contre l’occupant puisqu’ils s’inspirent de la stratégie grecque, à Emmaüs en particulier. Leur lutte se révèle efficace, puisqu’ils sont en mesure de purifier le Temple et d’y restaurer le culte en 164. Mais elle ne s’arrête pas là : Jérusalem est alors partagée en deux zones, l’une libérée, l’autre encore occupée. Malgré la mise en place de discussions, la question du grand pontificat fait échouer toute tentative d’accord. En effet, les Maccabées refusent le maintien du grand-prêtre Ménélas, qui n’a aucune légitimité à leurs yeux parce qu’il tient sa place d’une désignation royale et non du principe dynastique sacerdotal. Le roi séleucide Démétrios, arrivé au pouvoir en 162, cherche à rallier les Juifs en nommant grand prêtre un Juif hellénisé de la dynastie sadocide (donc légitime), Alcime. Celui-ci rallie les « pieux » (hassidim), qui se séparent alors des Maccabées.
Mais ce n’est qu’en 152, lorsque Jonathan, qui a repris la tête de la révolte à la mort de son frère Judas, est nommé grand prêtre, que la situation s’apaise réellement. Jonathan est alors intégré à la cour séleucide, qui lui confie les fonctions d’administrateur et de stratège en Judée. Cet événement constitue une rupture dans la tradition juive, puisque les Maccabées acceptent alors pour eux-mêmes ce qu’ils refusaient à Ménélas, c’est-à-dire que la nomination au poste de grand prêtre émane d’un pouvoir étranger et non du principe de légitimité sacerdotale. Cela permet à Jérusalem de devenir une principauté sacerdotale au sein du royaume séleucide, lui conférant une assez grande autonomie tout en ramenant la paix en Judée.
La révolte des Maccabées a, dans l’histoire du peuple juif, une signification bien plus large que la seule résistance à l’hellénisation. Elle est un révélateur de l’identité nationale, qui se construit autour du Temple de Jérusalem comme centre et référence ultime, à la fois religieuse et politique. L’établissement de la fête de la Purification, commémorant la restauration du Temple par les Maccabées en 164, permet d’associer les Juifs de la Diaspora à ces événements de Judée. De façon générale, le calendrier des fêtes et des cérémonies rituelles, partout en Diaspora, s’aligne sur celui du Temple. Un sentiment d’appartenance commune est ainsi nettement renforcé, sentiment qui fonde la cohésion du peuple juif. Dans le même temps, la terre d’Israël connaît une « re-judéisation » : c’était l’un des objectifs des Maccabées que de l’unifier, refondant ainsi l’identité des Juifs de Judée-Palestine. La circoncision, forme de résistance passive promue par les Maccabées qui en ont fait à la fois l’expression de la foi en l’Alliance d’Abraham et un acte rituel de séparation d’avec les Grecs, est imposée par la dynastie sacerdotale des Hasmonéens issue des Maccabées. Cette pratique met en place, à côté du droit du sang, un droit du sol constituant comme Juif tout enfant né sur la terre d’Israël. On a donc une redéfinition de l’identité juive, qui se détermine par l’appartenance ethnique autant que par la pratique rituelle. La politique de judéisation de l’espace palestinien menée par les Hasmonéens – qui exercent le pouvoir jusqu’à l’avènement d’Hérode, reconnu comme roi de Judée en 37 avant J.-C. – est claire : pour donner un exemple, Jean Hyrcan détruit en 129 le sanctuaire samaritain et procède à la soumission, la circoncision et la judéisation des Iduméens, peuple du sud de la Judée.
La révolte maccabéenne est donc l’occasion, pour les Juifs de l’espace palestinien mais aussi pour ceux de la Diaspora, de redéfinir leur identité et de renforcer leur cohésion autour de la figure du Temple de Jérusalem. Cette identité, toutefois, sera à nouveau bouleversée lors de la destruction du Temple en 70, à la suite de la grande révolte juive contre la domination romaine.
Bibliographie :
– Marie-Françoise Baslez, Bible et histoire. Judaïsme, hellénisme, christianisme, Paris, Fayard, 1998, 485 pages.
– Marie-Françoise Baslez (dir.), L’Orient hellénistique 323-55 avant J.-C., Atlande, 2004, 416 pages.
– Pierre Cabanes, Le monde hellénistique, De la mort d’Alexandre à la paix d’Apamée 322-188, Nouvelle histoire de l’Antiquité T4, Paris, Points Seuil, 1995, 276 pages
– La Bible, Premier livre des Maccabées ; Deuxième livre des Maccabées ; Livre de Daniel.
Tatiana Pignon
Tatiana Pignon est élève en double cursus, à l’Ecole Normale Supérieure de la rue d’Ulm, ainsi qu’à l’Université de la Sorbonne en Histoire et en langue. Elle s’est spécialisée en l’histoire de l’islam médiéval.
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