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Chaque année, courant mai-juin, des milliers de personnes manifestent pour commémorer la prise de Jérusalem Est par Israël en 1967 durant le « Jour de Jérusalem » (Yom Yerushalayim en hébreu). Instaurée par l’Etat hébreu, cette journée célèbre l’unification de la ville en 1967 mais marque aussi un moment de crispation avec les Palestiniens, qui revendiquent de leur côté la partie orientale de la ville. Depuis 1967, l’Organisation des Nations unies condamne la présence israélienne à Jérusalem Est. Après avoir proposé l’internationalisation de la ville en 1947, l’ONU avait supervisé l’armistice de 1949, qui régissait le partage de la ville entre Israël et la Transjordanie. Aujourd’hui, la ville sainte constitue un point central de tension entre Israéliens et Palestiniens, qui n’ont pas trouvé d’accord sur son statut. Cependant, les différentes dispositions du droit international, ainsi que l’évolution de la ville, permettent de mettre la lumière sur son statut complexe.
Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, la montée des revendications juives et arabes sur la Palestine pousse l’ONU à proposer un plan de partage qui coupe le territoire en trois zones : un Etat juif, un Etat arabe, et une zone internationale qui couvre la ville de Jérusalem. La ville sainte comporte des monuments religieux de premier ordre, qui doivent être protégés des revendications nationales. En effet, parmi les plus importants de ces monuments, nous trouvons le Saint-Sépulcre, lieux le plus saint pour les chrétiens, il constituerait le tombeau du Christ ; le mur des lamentations, premier lieu saint dans le judaïsme, il serait le dernier vestige du second temple de Jérusalem détruit en 70 après Jésus-Christ ; l’Esplanade des mosquées, troisième lieu saint en islam sunnite, il comporte la mosquée Al-Aqsa, d’où le prophète Mohammed se serait élevé au ciel, mais aussi le dôme du rocher et la Mosquée du Bouraq. Dans la tradition juive, l’Esplanade des mosquées constitue aussi le Mont du temple, lieu sur lequel était construit le second temple.
Ainsi, le 29 novembre 1947, l’Assemblée générale de l’ONU vote la résolution 181, qui propose un plan de partage de la Palestine. Concernant Jérusalem, elle propose la création d’un Corpus separatum, une entité à part, faisant de la ville une zone démilitarisée sous l’égide du Conseil de tutelle des Nations unies. Le plan de partage ne spécifie pas le statut de la ville, c’est alors au Conseil de tutelle de l’élaborer. Cependant, au lendemain du vote de la révolution, la guerre israélo-arabe éclate et en empêche l’application. En décembre 1948, l’Assemblée générale des Nations unies vote la résolution 194, qui donne pour mission à la Commission de conciliation pour la Palestine (CCP), d’établir un statut pour la ville sainte. Les travaux du Conseil de tutelle sont donc abandonnés. La CCP propose une internationalisation des lieux saints de Jérusalem, mais cette idée est rejetée par plusieurs Etats - la France, les Etats arabes, le bloc soviétique et le Salvador. Ces derniers parviennent à faire adopter la résolution 303, le 9 décembre 1949, qui affirme l’internationalisation de l’ensemble du territoire de Jérusalem et donne une nouvelle fois pour mission au Conseil de tutelle de définir le statut de la ville. Le projet de la CCP est alors abandonné. L’ensemble des discussions sur l’internationalisation de Jérusalem visent alors à savoir si l’internationalisation doit être territoriale, c’est-à-dire concerner l’ensemble du territoire de la ville, ou fonctionnelle, à savoir n’être appliquée que sur les lieux saints (1).
En avril 1950, le Conseil de Tutelle élabore un projet qui reprend les principes de l’internationalisation développés en 1947. Il est soumis à l’approbation de l’Assemblée générale des Nations unies en juin 1950. Cependant, ne comportant pas le soutien des populations juives et arabes de Jérusalem, il est rejeté par la majorité des Etats de l’Assemblée générale. Il ne sera pas appliqué. Dans le même temps, l’issue de la guerre israélo-arabe rend difficile la possibilité d’une internationalisation de la ville. A la suite de la guerre, Israël a conquis la partie Ouest de Jérusalem et la Transjordanie la partie Est.
Crédit photo : Ines Gil
Le 14 mai 1948, le Royaume-Uni met fin à son mandat sur la Palestine et le même jour, l’Agence Juive déclare la création de l’Etat d’Israël. De violents affrontements éclatent entre Juifs et Arabes, et le 15 mai, les forces armées de plusieurs pays arabes pénètrent en Palestine pour soutenir l’Armée de libération de la Palestine et les factions irrégulières palestiniennes. L’Egypte, la Transjordanie, la Syrie, l’Irak, et dans une moindre mesure le Liban, participent au conflit. Les combats modifient considérablement le partage des territoires prévu par le plan de partage de la Palestine en 1947, et mettent à mal le projet d’internationalisation de Jérusalem. En 1949, les accords d’armistices israélo-arabes sont signés entre Israël et l’Egypte, la Transjordanie, la Syrie et le Liban. Ils mettent fin à l’état de guerre et définissent par « la ligne verte » le partage de la Palestine historique, et donc de Jérusalem. Hormis quelques zones théoriquement démilitarisées, la ville est partagée entre la partie occidentale qu’Israël a annexé dès février 1949, et la partie orientale, qui revient à la Transjordanie.
En décembre 1949, le Parlement israélien déclare Jérusalem Ouest comme capitale d’Israël. L’Etat hébreu cherche alors à faire de Jérusalem Ouest sa capitale politique, en transférant les institutions gouvernementales de Tel-Aviv à Jérusalem Ouest. En 1967, à la veille de la guerre des six jours, 23 ambassades sont installées à Jérusalem Ouest. Cependant, la majorité de la communauté internationale reconnait toujours Tel-Aviv comme capitale (2). De son côté, le roi Hussein de Transjordanie cherche à faire de Jérusalem Est sa capitale religieuse, puisqu’il contrôle de facto la vieille ville, qui renferme l’Esplanade des mosquées (3).
L’Organisation des Nations unies ne se prononce pas clairement sur la partition de Jérusalem. Cependant, elle encadre les accords d’armistices entre Israël et les Etats arabes, qui peuvent être considérés comme des documents régissant le nouveau statut de Jérusalem.
En 1952, les Nations unies abandonnent les discussions sur l’internationalisation de Jérusalem. Avec le vote de la résolution 512, elles affirment par ailleurs la nécessité d’inclure les parties prenantes contrôlant la ville sainte, sans lesquelles un statut ne peut être défini : « c’est aux gouvernements intéressés qu’il appartient au premier chef de s’entendre pour trouver une solution » (4).
Malgré la partition de facto de Jérusalem entre Israël et la Transjordanie, quelques « poches » démilitarisées subsistent en théorie, comme le secteur de Gouvernement House. Mais mal défini, leur statut reste ambigu (5). Elles ne constituent par ailleurs par un intérêt primordial pour l’ensemble de la ville.
En 1967, à l’issue de la guerre des six jours, Israël conquiert la partie orientale de Jérusalem Est, incluant la Vieille ville. La présence et la politique israéliennes à l’Est de Jérusalem sont condamnées par la résolution 252 du Conseil de Sécurité des Nations unies votée en 1968, qui stipule « que toutes les mesures et dispositions législatives et administratives prises par Israël, y compris l’expropriation de terres et de biens immobiliers, qui tendent à modifier le statut juridique de Jérusalem sont non valides et ne peuvent modifier ce statut ». Il est aussi demandé à Israël « de rapporter toutes les mesures de cette nature déjà prises et de s’abstenir immédiatement de toutes nouvelles actions qui tendent à modifier le statut de Jérusalem ». Même si le droit international est marqué par un flou juridique concernant le statut de Jérusalem, la résolution semble faire référence à la séparation constituée par la ligne verte, qui prévalait depuis 1949. Israël ne prend cependant pas en compte les demandes du Conseil de Sécurité. En 1980, le Parlement israélien vote la Loi fondamentale, qui déclare Jérusalem comme capitale « éternelle et indivisible » de l’Etat hébreu. En réponse à cette loi, le Conseil de sécurité vote la résolution 476, demandant à Israël « de se conformer à la présente résolution et aux résolutions précédentes du Conseil de sécurité et de cesser immédiatement de poursuivre la mise en œuvre de la politique et des mesures affectant le caractère et le statut de la ville sainte de Jérusalem ».
Néanmoins, concernant l’Esplanade des mosquées, Israël maintient le statut quo. Elle laisse en effet l’administration du lieu saint au Waqf, une fondation islamique sous autorité jordanienne et les non musulmans n’ont pas le droit d’y prier. Cependant, c’est la police israélienne qui en contrôle l’accès. En 2013, l’Autorité palestinienne signe un accord avec la Jordanie selon lequel le royaume Hachémite est gardien des lieux saints musulmans de Jérusalem.
La reconnaissance de Jérusalem Est comme un « territoire palestinien » reste floue en droit international, même si l’ONU considère cette partie de la ville sainte comme occupée et annexée par Israël. En 2004, la Cour pénale internationale fait référence à Jérusalem Est comme un Territoire palestinien occupé (6). En mai 2017, l’UNESCO adopte une résolution sur le statut de Jérusalem, présentant Israël comme une puissance occupante : « toutes les mesures (…) prises par Israël, une puissance occupante, qui ont altéré ou visent à altérer le statut de la ville sainte de Jérusalem » seront « nulles et non avenues et doivent être annulées » (7).
Après la guerre de 1967, la Jordanie a continué de revendiquer la partie orientale de Jérusalem, dénonçant la présence israélienne. C’est seulement en 1988 qu’Amman abandonne ses revendications, au profit de l’Organisation de libération de la Palestine, qui proclame la même année la création de la Palestine.
Les accords d’Oslo entamés en 1993 marquent une évolution dans le processus de paix, mais Jérusalem a été la grande absente des négociations. C’est en 2000, au sommet de Camp David II, que les discussions entre Palestiniens et Israéliens montrent une avancée significative. Elles se soldent certes sur un échec, mais Yasser Arafat et Ehud Barak se mettent d’accord sur le principe d’un partage de la ville entre Israël et la future Palestine. Camp David permet par ailleurs d’ouvrir une période de discussion entre Yasser Arafat et Ehud Barak. L’année suivante, au sommet de Taba, les discussions des deux dirigeants avancent remarquablement pour trouver un compromis sur le futur statut de Jérusalem. En présence de Bill Clinton, Ehud Barak et Yasser Arafat se mettent d’accord sur la souveraineté israélienne sur les quartiers juifs de la ville et la souveraineté palestinienne sur les quartiers arabes. Dans la Vieille ville, les lieux saints du judaïsme et de l’islam sunnite reviendraient respectivement à Israël et à la Palestine. Cependant, les désaccords émergent quant au statut de l’Esplanade des mosquées pour les Palestiniens ou Mont du temple pour les Juifs israéliens. Le président américain propose alors la souveraineté palestinienne sur la surface de l’édifice, et la souveraineté israélienne dans les sous-sols. Cependant, Yasser Arafat, conscient que l’opinion palestinienne ne peut se résoudre à abandonner une partie de la souveraineté sur l’Esplanade, décline la proposition. Pour les mêmes raisons du côté israélien, Ehud Barak refuse d’octroyer l’ensemble du Mont du temple aux Palestiniens. Les discussions de Taba sont considérées comme une grande avancée pour les concessions israélo-palestiniennes concernant le partage de la ville, mais elles sont fortement mises à mal par la seconde Intifida, qui débutent en septembre 2000 sur l’Esplanade des mosquées (8).
Par ailleurs, la colonisation israélienne, entamée dès 1967, s’étend dans la partie Est de Jérusalem et aux alentours. Malgré l’avancée lors des négociations de 2000 et 2001, la multiplication des colonies rend de plus en plus difficile la partition de la ville entre Israéliens et Palestiniens. En 2002, alors qu’Ariel Sharon est Premier ministre, les Israéliens entament la construction d’un mur de séparation qui vise officiellement à protéger la population israélienne des terroristes, en pleine Intifada. Cependant, au niveau de Jérusalem, le mur de séparation ne prend pas en compte les tracés de la ligne verte, il débute à plusieurs kilomètres au-delà, dans les Territoires palestiniens. En 2004, saisie par l’Organisation des Nations unies, la Cour internationale de Justice déclare ce mur comme illégal (9).
Depuis l’échec du plan de partage de la Palestine jusqu’à aujourd’hui, Jérusalem constitue un des points de friction majeur entre Israéliens et Palestiniens, qui revendiquent tout ou partie de la ville comme capitale. Si elle ne représentait qu’un enjeu politique, un statut serait probablement plus facilement définissable. Cependant, la ville trois fois sainte comporte aussi une symbolique religieuse de premier plan, car elle renferme des lieux d’importance majeure pour juifs et musulmans. Sur le statut de la ville, le droit international reste au mieux flou, au pire inappliqué dans les faits. Alors que l’Autorité palestinienne revendique la partie Est de Jérusalem comme sa capitale, en mai 2017, le Premier ministre Netanyhou a affirmé que Jérusalem [dans son ensemble] sera « toujours la capitale d’Israël » (10).
Notes :
(1) « La question de la Palestine : Le statut de Jérusalem », Organisation des Nations unies, Consulté le 29 Juillet 2017 (en ligne), URL : http://www.un.org/french/Depts/palestine/issues_jerusalem.shtml
(2) DANINO Olivier, « Le statut de Jérusalem de 1949 à 1967 », Cahiers de la méditerranée, 2013, p.207-218.
(3) DANINO Olivier, « Jérusalem : Complexité du statut, quelles solutions possibles ? », Confluences méditerranée, p.194, L’Harmattan.
(4) « Assemblée générale, sixième session », Organisation des nations Unies, URL : http://www.un.org/french/documents/view_doc.asp?symbol=A/RES/512(VI)&Lang=F
(5) FEUER Guy, « Le statut des zones de Jérusalem contrôlées par les Nations Unies », Anuaire français de droit international, 1966, p.245.
(6) Cour Internationale de justice, « Conséquence juridique de l’édification d’un mur dans le territoire palestinien occupé », 9 juillet 2004.
(7) « Israël en colère après une résolution de l’UNESCO sur le statut de Jérusalem », Euronews, le 5 mai 2017, Consulté le 29 juillet 2017 (en ligne), URL : http://fr.euronews.com/2017/05/05/israel-en-colere-apres-une-resolution-de-l-unesco-sur-le-statut-de-jerusalem
(8) AL HUSSEINI Jalal, « Les négociations israélo-palestiniennes de juillet 2000 à Camp David : Reflets du « processus d’Oslo » », Relations Internationales, 2008.
(9) « Le mur de séparation israélien en Cisjordanie est illégal et constitue un obstacle à la paix, selon Ban », Centre d’actualité de l’ONU, Le 9 juillet 2014, Consulté le 29 juillet 2017 (en ligne), URL : http://www.un.org/apps/newsFr/storyF.asp?NewsID=32945#.WXxKA4jyhdg
(10) « Nétanyhou : Jérusalem sera « toujours la capitale d’Israël », Le Figaro, le 22 mai 2017, Consulté le 29 juillet 2017 (en ligne), URL : http://www.lefigaro.fr/flash-actu/2017/05/21/97001-20170521FILWWW00210-netanyahu-jerusalem-sera-toujours-la-capitale-d-israel.php
Ines Gil
Ines Gil est Journaliste freelance basée à Beyrouth, Liban.
Elle a auparavant travaillé comme Journaliste pendant deux ans en Israël et dans les territoires palestiniens.
Diplômée d’un Master 2 Journalisme et enjeux internationaux, à Sciences Po Aix et à l’EJCAM, elle a effectué 6 mois de stage à LCI.
Auparavant, elle a travaillé en Irak comme Journaliste et a réalisé un Master en Relations Internationales à l’Université Saint-Joseph (Beyrouth, Liban).
Elle a également réalisé un stage auprès d’Amnesty International, à Tel Aviv, durant 6 mois et a été Déléguée adjointe Moyen-Orient et Afrique du Nord à l’Institut Open Diplomacy de 2015 à 2016.
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